Colloques en ligne

Mampionona Rakotonirina, Thierry Joffroy, Laurent Daudeville et Philippe Garnier

Habitat parasinistre : objet interdisciplinaire entre territoire, culture et technique. Retour sur les interventions fondées sur les Cultures Constructives Locales (CCL) après le séisme du 12 janvier 2010 en Haïti

1Haïti est une île se situant dans la mer des Caraïbes, occupant le tiers occidental de l’île Hispaniola. Sa situation géographique et géodynamique l’expose à différents types d’aléas naturels : géophysique, hydrométéorologique et climatique. Son territoire se trouve dans une zone tectonique très active, entre la plaque caraïbe et la plaque nord‑américaine. Les mouvements de déplacement des plaques se traduisent par des phénomènes sismiques localisés au niveau des deux zones de failles actives majeures : le système de failles Septentrional (SF) au nord et le système de failles d’Enriquillo‑Plantain Garden (EPGF) au sud1.

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Figure 1 : Carte des failles actives majeures et localisation approximative des séismes historiques dans le nord‑est Caraïbe2

2De 1900 à 2020, la base de données The Emergency Events Database (EM-DAT) recense trois catastrophes suite à des événements sismiques en Haïti (1952, 2010 et 2018). Pour la période de 1900‑2020, le cumul des estimations économiques des dommages subis après ces trois séismes est six fois plus élevé que celui des 39 cyclones survenus sur la même période. De même, le cumul des décès à la suite de ces trois séismes est 14 fois plus élevé que celui enregistré à la suite de ces mêmes cyclones3. Le séisme du 12 janvier 2010 a été un événement majeur dans l’histoire d’Haïti du fait de l’ampleur des dégâts qu’il a occasionnés. Un tel type de désastre est habituellement qualifié de « catastrophe naturelle ». Dans le présent article, nous remettons en question cette caractérisation. En effet, l’étude de ce qui s’est réellement passé appelle à réfléchir sur la responsabilité des activités humaines dans la production et la mitigation de cette catastrophe. Dans ce sens, la production d’habitat par l’homme mérite d’être abordée. Le présent article présente aussi les résultats d’un travail d’analyse de perceptions d’acteurs impliqués dans la reconstruction d’habitat à la suite du séisme, sur le concept de l’habitat parasinistre.

Contexte de l’événement du 12 janvier 2010 en Haïti

3La compréhension de la catastrophe de 2010 en Haïti réside dans la caractérisation de l’événement sismique à son origine puis du contexte spécifique dans lequel il s’est produit.

Caractéristiques géophysiques du séisme

4Le 12 janvier 2010, la terre a tremblé à 16h53, heure locale en Haïti, avec un épicentre situé proche de la ville de Léogâne, à environ 23 km au sud‑ouest de Port‑au‑Prince, la capitale de la république d’Haïti. Le séisme s’est produit sur le système de failles d’Enriquillo‑Plantain Garden qui traverse le sud du pays sur plus de 300 km. La magnitude Mw (caractérisant l’intensité d’un séisme dont la valeur maximale est de 9) est estimée à 7,0 par l’United States Geological Survey (USGS) et à 7,1 par le Centre Sismologique Euro-Méditerranéen (CSEM) avec un foyer à 10 km de profondeur. Les répliques se répartissent sur une distance de 60 km environ entre les villes de Gressier et Petit Goave, avec au total 14 fortes répliques dans les premières 24 heures. Ce séisme est le plus intense qu’Haïti a connu depuis 200 ans4. De manière générale, les séismes ont une origine naturelle en lien avec le fonctionnement de la tectonique des plaques sauf dans certains cas que nous n’allons pas aborder ici. Celui qui s’est produit en Haïti en 2010 est visiblement un phénomène d’origine naturelle, sans aucune influence d’activités humaines.

Caractéristiques des établissements humains exposés au séisme

5La catastrophe subie lors de ce séisme ne s’explique pas uniquement par rapport aux caractéristiques géophysiques rares de l’évènement. Le séisme est arrivé dans un contexte haïtien particulier. Il a frappé une zone urbaine : Port‑au‑Prince et ses alentours. Port‑au‑Prince et sa zone métropolitaine concentrent la grande partie des activités économiques et des services du pays. La commune de Port‑au‑Prince enregistrait un taux d’urbanisation de 97,1% et une forte densité de population (32 902 hab / km²). Sa zone métropolitaine rassemblait 24% de la population totale du pays selon le dernier recensement de 2003, effectué avant le séisme5. La forte pression urbaine et la forte densité de population dans ces communes ont logiquement conduit à un environnement bâti dense.

6Avant le séisme, en Haïti et particulièrement dans les villes, la tendance est la construction des bâtiments en béton armé comme figure de modernité. Mais, la conformité aux normes pour ces constructions n’est pas toujours respectée. En fait, la plupart de ces bâtiments se sont avérés avoir été construits avec des matériaux de mauvaise qualité (avec en majorité l’utilisation de sables et graviers issus du calcaire disponible sur place, qui est trop friable), avec des malfaçons et ne sont généralement pas conformes aux normes parasismiques6 (à noter qu’avant le séisme, aucun code de construction officiel n’a existé dans le pays). Ces pratiques semblent également résulter d’une priorisation économique au dépit de la sûreté des bâtiments en lien avec la pauvreté7. En effet, avant le séisme, la république d’Haïti et sa population étaient déjà dans une situation économique critique. Le classement des Nations unies le positionne parmi les pays les moins avancés (PMA) dont l’Indice de Développement Humain (IDH) le place en 169e position sur 189. La pauvreté économique de la population haïtienne est le résultat d’une multitude de facteurs qui se sont accumulés depuis l’indépendance du pays en 1804 entre endettement, crises socio-politiques, influences géopolitiques et crises liées à des aléas naturels.

7Ainsi, la catastrophe du 12 janvier 2010 relève de la conjonction d’un séisme rare et intense avec d’importantes vulnérabilités physiques et socio‑économiques des établissements humains.

Catastrophe du 12 janvier 2010 en Haïti : une catastrophe « naturelle » ?

8Les dégâts enregistrés à la suite du séisme ont été colossaux. L’événement fait partie des plus grandes catastrophes que notre monde a connu ces vingt dernières années. L’habitude est de caractériser ce genre d’évènement comme « catastrophe naturelle ». Néanmoins, sur la base des composantes qui constituent une catastrophe, cette caractérisation, pour le cas de celle subie suite au séisme de 2010 mérite d’être remise en cause.

Bilan de la catastrophe

9L’écroulement de bâtiments et d’infrastructures sous la sollicitation sismique est la principale cause de la mort de plus de 220 000 personnes et de la blessure de plus de 300 000 personnes. Durant cet évènement, plus de 105 000 résidences ont été totalement détruites et au moins 208 000 ont été endommagées. Environ 1,3 millions de personnes n’ont plus eu d’habitations et ont dû être hébergées dans des abris provisoires. Ceux qui le pouvaient (plus de 500 000 personnes) ont quitté les zones sinistrées et ont migré vers d’autres régions du pays, là où des amis ou des membres de leurs familles pouvaient les recevoir8. Après la catastrophe, l’État est, lui aussi, très affaibli car plusieurs bâtiments ministériels et administratifs, y compris le palais présidentiel à Port‑au‑Prince, se sont écroulés et un tiers des fonctionnaires sont décédés. Le bilan économique des dommages est extrêmement lourd, estimé à huit milliards de dollars, constituant 120% du Produit Intérieur Brut (PIB) du pays9. Au vu de l’ampleur des conséquences de l’événement, de l’état de vulnérabilité de la population sinistrée et de l’affaiblissement de l’État au moment du drame, il est clair qu’une catastrophe a eu lieu.

Quelle caractérisation de cette catastrophe ?

10À la réflexion, c’est finalement souvent par abus de langage que les désastres survenant à la suite d’événements naturels dangereux comme les cyclones, les séismes, les inondations, etc. sont appelés « catastrophes naturelles ». À l’ère de l’anthropocène, cette caractérisation d’une catastrophe comme étant naturelle nous apparaît devoir être questionnée. Pour comprendre le cheminement de cette réflexion, il est fondamental de comprendre les composantes d’une catastrophe. Dans le milieu de la Réduction des Risques de Catastrophes (RRC), le consensus est de dire qu’une catastrophe arrive quand un événement dangereux (aléa) se manifeste et provoque des dégâts sur un système exposé (enjeux exposés) au point où le système enregistre une perturbation et une rupture dans son fonctionnement habituel10.

11Le tremblement de terre de 2010 a été causé par les mouvements du système de failles d’Enriquillo‑Plantain Garden dans son fonctionnement naturel. Si la caractérisation de la catastrophe subie était définie selon la nature de l’aléa, la catastrophe serait « naturelle », c’est‑à‑dire, sans influence humaine. Or, au passage du séisme, la catastrophe n’aurait jamais eu lieu sans la présence d’enjeux très vulnérables qui ont été produits par des actions humaines. De même, les dégâts sont principalement subis par le système humain (vies humaines, patrimoine bâti, économie,…). La catastrophe s’est produite par la combinaison entre le séisme et la présence d’enjeux, majoritairement vulnérables. Elle a donc été plutôt une catastrophe humaine, matérielle et économique enclenchée par un événement naturel dangereux. Elle n’est aucunement une catastrophe « naturelle ». Ce positionnement est en accord avec les réflexions menées par différents scientifiques, organisations et communautés travaillant sur le sujet de la RRC, qui tentent de corriger l’abus de langage dans l’utilisation de l’expression « catastrophe naturelle11 » car elle sous‑entend une fatalité et une impuissance humaine face aux forces de la nature, impliquant une forme d’irresponsabilité de l’humain dans la production et l’exacerbation des catastrophes12.

12L’évènement du 12 janvier 2010 à Haïti illustre parfaitement cette responsabilité humaine dans la production et l’ampleur d’une catastrophe. Le séisme a été naturel et inévitable mais la vulnérabilité des enjeux exposés aurait pu être réduite et donc, l’ampleur de la catastrophe aurait pu être mitigée. Des séismes ont eu lieu en Haïti dans le passé mais, malheureusement, au vu de leur rareté, la mémoire collective les a oubliés jusqu’à considérer le risque de catastrophe lié à l’aléa sismique comme inexistant. De plus, la pression démographique a impliqué un fort besoin de se loger et la tendance en Haïti avant le séisme a appelé à faire évoluer les pratiques constructives vers cette figure de modernité que représente la construction en béton armé. Or, la qualité des matériaux ainsi que les bonnes techniques pour que ces types de constructions soient sûrs en cas de séisme n’ont pas été forcément respectées. La production d’habitat parasinistre figure parmi les mesures qui auraient pu réduire l’ampleur de la catastrophe. Ceci est finalement assez paradoxal puisque les cultures constructives locales les plus anciennes à Haïti, notamment en ossature bois, montrent une réelle connaissance et prise en compte des aléas, à la fois sismiques et cycloniques.

Représentations d’un habitat parasinistre dans le contexte haïtien

13L’habitat est compris comme étant un milieu dans lequel l’espèce humaine évolue13. Il est généralement associé au terme habitation qui signifie « lieu (clos) couvert où l’on habite » et à la notion d’habiter signifiant « occuper habituellement un lieu », selon le Centre de Ressources Textuelles et Lexicales. Le dictionnaire Larousse définit l’habitat comme la « partie de l’environnement définie par un ensemble de facteurs physiques, et dans laquelle vit un individu, une population, une espèce ou un groupe d’espèces ». Cette définition se rapporte à une compréhension matérielle de l’habitat. Toutefois, pour l’habitat humain, il ne se limite pas à ce seul aspect. Il constitue un logis, une résidence, un abri et un lieu de vie mais selon l’encyclopédie Universalis, il est aussi un ensemble socialement organisé. Dans sa conception, et plus particulièrement dans les pratiques vernaculaires, l’habitat exprime les relations existantes entre les membres d’une société ainsi que celles de l’humain avec son environnement14. L’habitat parasinistre est une forme d’expression de cette relation avec la nature. De nos jours, le concept est principalement matérialisé par les règles de construction en rapport avec des aléas spécifiques (ex. normes de construction parasismique, normes de construction paracyclonique15).

14Le coût des préjudices affectés au secteur du logement figure parmi les plus élevés après le séisme de 2010 en Haïti (près de 40% de l’estimation du coût total des dégâts16). La catastrophe a mis en lumière la fragilité générale du patrimoine bâti haïtien. De fait, le mot d’ordre du gouvernement à la phase de la reconstruction a été le « Reconstruire en mieux », d’essayer de prendre la situation comme une opportunité de transformation. L’État haïtien, encore très affaibli, a rencontré des difficultés pour formuler des directives claires et les acteurs internationaux ont pris une place et des responsabilités considérables dans la coordination et la mise en œuvre du processus de reconstruction17. Dans le relogement, la reconstruction ou la réparation d’habitations, plusieurs approches ont été adoptées par différents acteurs. Nous nous intéressons dans cet article à une forme particulière de production d’habitat18, basée sur les cultures constructives locales19 dans la représentation d’un habitat parasinistre.

Contexte, matériels et méthodes utilisés

15Un mois après l’évènement du 12 janvier 2010, un rapport de mission de diagnostic post-catastrophe menée par le laboratoire CRAterre de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble (ENSAG) pour le compte de l’Organisation Non Gouvernementale (ONG) allemande Misereor fait état d’un bon comportement des maisons traditionnelles dans les communautés rurales accompagnées par l’ONG et touchées par le séisme à Rivière Froide, Belle Fontaine et à Palmiste à vin. Dans ces zones, les maisons traditionnelles construites avec des ossatures bois ont résisté aux secousses sismiques du fait du rapport favorable résistance / masse des ossatures en bois et de leur facilité de mise en œuvre. Une partie d’entre elles ne se sont pas écroulées. Certaines ont enregistré des dégâts moins lourds ou ont été détruites. Mais, ces destructions n’ont pas causé un nombre considérable de décès20. Jusqu’alors, ces constructions traditionnelles n’avaient jamais été sujettes à un travail d’identification, de caractérisation ni d’étude mécanique de comportement face au séisme. Sur la base de ces constats et des discussions entre les partenaires, un programme de reconstruction d’habitat rural valorisant ces constructions traditionnelles a été monté en collaboration avec quatre ONG locales membres de la Plateforme Agroécologique et Développement Durable (PADED) appuyées par Misereor et accompagnées par l’expertise de CRAterre dans ces zones. Le programme de recherche Reconstruire Parasinistre en Haïti (ReparH) financé par l’Agence Nationale de la Recherche française (ANR) à travers l’appel Flash Haïti vient alors s’adosser à ce programme de reconstruction afin de soutenir scientifiquement ces actions. Il propose une collaboration interdisciplinaire entre le laboratoire CRAterre de l’ENSAG et le laboratoire Sols, Solides, Structures, Risques (3SR) de l’Université Grenoble Alpes. Un projet de réparation d’habitat financé par le Secours Catholique — Caritas France à Cap Rouge avec l’organisation paysanne Vive Espoir pour le Développement de Cap Rouge (VEDEK) de la Plateforme Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA) — est également mis en œuvre à partir de fin 2010 avec l’accompagnement technique de CRAterre adoptant le même principe de réflexion à partir des modèles de construction traditionnels. D’autres actions avec d’autres organisations sont venues plus tard pour des formations et d’autres formes d’accompagnements. L’ensemble de ces actions a été mené depuis 2010 avec des diffusions et extensions jusqu’à présent.

16Cette approche a eu pour spécificité une réflexion large sur le concept de l’habitat parasinistre en milieu rural. Pour comprendre les représentations de ce qu’est ou devrait être un habitat parasinistre dans le cas d’Haïti aux yeux des acteurs à l’origine de cette approche et de ceux qui y ont adhéré, le présent travail de recherche a été lancé en se basant sur un corpus de 25 documents (documents de projets, résumés de rapports de missions, publications, documents de présentation) et de 23 entretiens semi‑directifs individuels auprès de trois chercheurs français en génie civil de 3SR, deux chercheurs français en architecture de CRAterre, six enseignants, experts / consultants en architectures de CRAterre, huit professionnels haïtiens (architectes et ingénieurs) regroupés dans trois associations de professionnels de la construction (Association des Techniciens pour la Construction (ATECO), Association des Techniciens Professionnels en Construction Moderne (ATProCoM), Association des Cadres pour la Protection de l’Environnement (ACAPE)) et de quatre experts praticiens dans les organisations internationales humanitaires et d’aide au développement (Urgence, Réhabilitation, Développement (URD), Entrepreneur du Monde (EdM), Planète Urgence, Fédération Internationale des Croix Rouges (FICR)). Les entretiens ont été menés de novembre 2019 à avril 2020 selon la méthode de l’entretien compréhensif21 avec un guide d’entretien standard adapté à chaque interlocuteur. Les personnes interviewées ont été identifiées dans les listes présentes dans différents rapports et selon les recommandations de personnes clés (méthode boule de neige). Les documents ont été sélectionnés selon la pertinence de leurs contenus en rapport avec le sujet traité. Une analyse qualitative de contenu basée sur la méthode de l’analyse thématique a été utilisée avec le support du logiciel de traitement de données qualitatives NVivo pour l’encodage. Une posture inductive inspirée de la théorie ancrée22 est adoptée pour cette étude. Le processus d’encodage et d’analyse a consisté à débuter par une pré-identification de trois codes parents servant de guide pour la suite : acteurs, perceptions de l’habitat parasinistre et étapes du processus. Ensuite, chaque fichier a été encodé de manière inductive et itérative dans ces trois codes parents avec des codes enfants qui résument les propos des interviewés et les passages dans les documents. Plusieurs lectures et relectures ont permis de regrouper des codes enfants évoquant des caractéristiques similaires. Enfin, l’analyse se base sur le rendu final du processus d’encodage en prêtant attention aux groupes d’acteurs ayant formulé les propos résumés dans chaque code.

Culture constructive locale et habitat parasinistre en Haïti

17Les résultats de l’analyse montrent que la compréhension de ce qu’est un habitat parasinistre résulte du croisement de plusieurs aspects. Mentionnée par toutes les personnes interrogées, l’accessibilité économique pour sa construction et son entretien est une de ses caractéristiques essentielles même si avant tout, il assure les fonctions d’un habitat, c’est‑à‑dire qu’il correspond aux besoins de la vie quotidienne et à l’usage durable par la famille qui l’occupe. Cet aspect est surtout souligné par le groupe des professionnels haïtiens de construction qui ont été interrogés. Ce même groupe met en avant également le rôle patrimonial qu’exprime l’habitat à travers son esthétique. Il marque l’identité culturelle de leur société. Les personnes qui ont été en lien direct avec les populations sur place (professionnels haïtiens, consultants, chefs de projets sur le terrain) dans le cadre du travail effectué avec les communautés rurales, affirment que l’habitat, assure d’autres fonctions dans les activités principales d’agriculture des familles (stockage, séchage par exemple). Les acteurs d’appuis externes (organisations internationales, laboratoires de recherche, consultants / experts) ont souligné que la construction d’un habitat parasinistre devrait être assurée par des professionnels qui puissent être disponibles à moyen et long termes au niveau local. Cela implique l’acquisition de connaissances et de compétences de différentes natures pour ces professionnels et donc, de leur formation. De même, pour les matériaux de construction, ils devraient, dans l’idéal, être accessibles financièrement aux familles et aux professionnels. Toutes les réponses obtenues soulignent l’importance du bon ancrage de l’habitat dans son environnement spécifique. Il devrait, de ce fait, prendre en compte l’environnement physique (climat, topographie, aléas naturels, ressources disponibles, …) dans lequel il se situe. Pareillement, il devrait être en accord avec l’environnement social, culturel et économique de ses habitants (relations de voisinage, entraide communautaire, respect des croyances, activités productrices de revenus, …).

18Les propos recueillis permettent de dire que le caractère parasinistre de l’habitat se résume à deux principaux éléments : la sûreté de la construction et la résilience de ses occupants. La sûreté de la construction s’entend par sa conception suivant des systèmes constructifs qui permettent de garantir la stabilité de la construction face à un aléa naturel. Deux niveaux de sûreté sont mentionnés par les acteurs des laboratoires de recherche et des organisations internationales : un non-effondrement (stabilité) de la structure et un endommagement acceptable par les habitants et facilement réparable par les familles et les professionnels (flexibilité de la construction). La résilience des occupants est quant à elle perçue comme la capacité des individus, des familles et de la société à être bien préparés à la venue de futurs aléas et à se relever en cas de catastrophe. Cela passe par la conscientisation aux risques potentiels et implique des réflexions sur les moyens économiques des familles pour y faire face, sur la capacité de la communauté à s’organiser ainsi que sur l’aménagement territorial. Les personnes issues des associations de professionnels haïtiens de la construction ainsi que les professionnels des organisations humanitaires internationales ont souligné l’importance de la prise en compte du contexte (urbain ou rural) du territoire et de toutes les spécificités locales, physiques et humaines de chaque contexte.

19En résumé, selon les discours des acteurs interviewés par rapport à leurs retours d’expériences sur la reconstruction de l’habitat en Haïti et l’analyse des écrits : un habitat parasinistre est un ensemble d’éléments technique, social, économique, culturel, territorial permettant à la famille de s’installer, d’habiter, de mener des activités sociales et économiques mais aussi de se préparer à la venue d’un aléa naturel potentiel et à se relever à la suite de potentielles catastrophes. Ce qui sort de cette étude est une représentation très large d’un habitat parasinistre par les acteurs interrogés. Dans ce sens, sa production effective devrait impliquer très probablement des interactions et des combinaisons entre des connaissances et compétences issues de différents horizons disciplinaires, à la fois scientifiques et professionnels. Cette façon de travailler, en accord avec les représentations de l’habitat parasinistre, constituerait ainsi une approche méthodologique innovante permettant de réduire la vulnérabilité, d’augmenter la capacité de résilience des habitants et des constructions face aux aléas naturels auxquels ils sont exposés. Par la même occasion, cela permettrait de mitiger les dégâts ou la catastrophe que pourraient occasionner le passage d’un aléa naturel violent.

20L’énorme catastrophe du 12 janvier 2010 en Haïti a résulté de la combinaison d’un séisme naturel historiquement intense et d’un contexte territorial urbain densément peuplé avec un patrimoine bâti très vulnérable à un événement de ce type. L’ampleur de ce désastre a surtout été exacerbée par cette vulnérabilité produite par les actions humaines sur les territoires affectés. Cela permet d’affirmer que même si l’aléa était naturel, la catastrophe, quant à elle, n’a pas été naturelle. C’était une catastrophe humaine, matérielle et économique à la suite d’un événement naturel extrêmement dangereux. Ce positionnement amène à réfléchir sur la production d’habitat dans ce contexte haïtien spécifique, mais aussi au-delà. Le travail de compréhension des représentations de l’habitat parasinistre par des acteurs professionnels de la recherche, de l’expertise, de la consultance, de l’humanitaire, de l’aide au développement ainsi que de la construction impliqués dans des actions de reconstruction d’habitat suite à cet évènement ont permis de caractériser un habitat parasinistre selon différents aspects. Il assure les fonctions d’un habitat pour une famille au sein d’une société spécifique sur un territoire spécifique et est caractérisé par la sûreté de la construction ainsi que par la résilience de ses habitants. La production de ce type d’habitat implique donc une prise en compte de plusieurs aspects, en mobilisant des connaissances, compétences et savoir-faire interdisciplinaires. Le questionnement qui suit logiquement ces résultats est relatif à la mise en œuvre pratique de cette approche.

21La présente étude a été menée sur le cas spécifique de la catastrophe du 12 janvier 2010 et auprès d’acteurs professionnels ayant collaboré autour de l’approche des cultures constructives locales en Haïti pour la reconstruction d’habitat après cet évènement. Les résultats d’analyse sont donc à situer en rapport avec ce contexte. Ils ne prétendent pas être des connaissances généralisables mais peuvent très probablement inspirer des réflexions qui devraient être menées dans d’autres situations comparables.

Remerciements

Ce travail a bénéficié d’une aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre du programme Investissements d’Avenir portant la référence ANR-15-IDEX-02.