Colloques en ligne

Odile Gannier

Les manuscrits retrouvés dans de vieilles malles peuvent-ils encore être authentiques ? Le cas des Cahiers de Le Golif, dit Borgnefesse, capitaine de la flibuste

1Les Cahiers de Louis-Adhémar-Timothée Le Golif, dit Borgnefesse, capitaine de la flibuste, racontent, sous la forme de mémoires, sa vie et ses aventures : comment, destiné par ses parents au séminaire, il s’engage sur un vaisseau quittant Saint-Malo pour les Antilles, pour devenir ensuite boucanier, simple flibustier, puis capitaine. Le récit, haut en couleurs, plein de péripéties, oscille constamment entre héroïsation et auto-parodie.

2Le manuscrit est présenté dans l’édition de 1952 comme tout récemment découvert, et préfacé par A. t’Serstevens, auteur, entre autres, de romans d’aventures comme les Corsaires du Roi... On y lit que les Cahiers auraient été découverts dans une vieille malle placée à l’intérieur du « caveau muré d’une maison démolie », à Saint-Malo, par un bombardement en 1944. D’après la préface, le manuscrit découvert par hasard est de la main d’un contemporain de Louis XIV, né peut-être vers 1640, passé aux Iles vers 1660 et mort « sans doute à Saint-Malo, et peut-être dans la légendaire maison de Duguay-Trouin aux environs de 1710. » Il s’agissait évidemment de mémoires authentiques. Cette affirmation et cette miraculeuse découverte, qui nous rappelle d’autres mises en scène, peut-elle, aujourd’hui, persuader le lecteur de l’authenticité du texte ? Sans d’ailleurs nous attacher à la découverte de la vérité historique, nous nous demanderons comment la préface, comme le texte, peuvent nous fournir des éléments de réponses contradictoires. L’accumulation de détails qui « font vrai » ne serait-elle pas précisément le signe de la fiction ?

3« Toute approche des pirates s’apparentera moins à la lecture d’un manuscrit qu’à celle d’un palimpseste », affirme Gilles Lapouge dans les Pirates. « Le déchiffrement de leurs tribulations doit s’opérer sur deux portées : au-dessous du texte où les archives ont consigné le procès-verbal de leurs vilenies, il est un autre texte disparu et c’est là que s’étalait le chiffre de l’énigme. [...] Si la terre a beaucoup glosé sur leurs exploits, les pirates ont fort peu ou fort mal parlé. [...] » La nature du flibustier n’est pas bavarde, son discours est un discours en creux, une absence de discours, le dialogue de plusieurs mutismes. Il semble qu’il y ait précisément de notoires exceptions à cette règle.

4« Les voyageurs aiment naturellement à parler de ce qui leur est arrivé, surtout lorsqu’ils sont hors de danger, et qu’ils croient que leurs aventures méritent d’être sues. Je ne veux donc point dissimuler que je prends quelque plaisir à raconter ce qui s’est passé pendant mon voyage. Peut-être même ne sera-t-on pas fâché de l’apprendre ; je tâcherai du moins d’en rendre la relation aussi agréable qu’elle est vraie. » (p. 18‑19) Ainsi commencent les Mémoires d’Alexandre Œxmelin, chirurgien de la flibuste de 1666 à 1672 : l’Histoire des Aventuriers qui se sont signalés dans les Indes parut en 1678 et connut un succès immédiat. Sa galerie de portraits, boucaniers, capitaines de la flibuste, gueux de mer et forbans de tout poil, constitue aujourd’hui une source indiscutée sur les Caraïbes de la fin du xviie siècle.

5Indiscutée ? Sauf dans les Cahiers de Louis-Adhémar-Timothée Le Golif, dit Borgnefesse, capitaine de la flibuste, où ce bouillant personnage raconte ses souvenirs, retrouvés en 1944 par Gustave Alaux, présentés par Albert t’Serstevens en 1952. Le Golif est supposé être né vers 1640, passé aux Iles vers 1660, et de retour le 4 octobre de l’an 1685. Il se serait alors mis à écrire ses mémoires, vers 1705‑1710. Le texte est interrompu par la disparition des dernières pages, sans mention de la mort de Louis XIV, soit avant 1715. « Ce n’est que quelques années plus tard [que 1660] que le flamand Œxmelin vint aux Iles. Étant retourné ensuite chez lui, il y a écrit l’Histoire des Aventuriers de l’Amérique, ouvrage qui fut mis en français par le Sieur de Fontignères. Quoique n’écrivant que de ouï-dire et se faisant l’écho de maintes bourdes et balivernes que j’ai relevées en son livre, il a conté, mieux que je ne pourrais faire, les exploits de plusieurs vaillants et renommés Capitaines que j’ai, ce pourtant, moi, mieux connus que lui et de plus près, mais il en a passé des meilleurs, tels que Julien, Fulbert, Cameyrelongue, Vincent, et quelques autres, sans oublier votre serviteur ». Prétendant être arrivé avant lui aux Iles, et de retour après lui, Le Golif a sur son rival l’avantage de la durée, de la connaissance du terrain, de la participation effective, quand ce n’en est pas le commandement, aux exploits que le chirurgien se contente de rapporter. Ce dernier n’aurait pour lui que l’avantage d’être rentré le premier pour raconter, et les hasards de l’existence qui lui ont offert l’occasion d’être publié, lui donnant, à lui, une renommée injustement refusée au capitaine.

6Ce serait oublier pourtant la note infrapaginale, insérée dans l’édition Grasset du récit de Le Golif : « Dans les lignes qui suivent, le capitaine Le Golif se montre injuste envers Œxmelin qui fit réellement la course... » Intervient ici en effet l’éditeur du texte [dont les interventions sont ici rapportées en italiques] qui se présente très modestement comme simple auxiliaire dans la publication : l’écrivain t’Serstevens. Il affirme avoir simplement élagué un texte trop long et trop touffu, après la découverte des trois cahiers qui constituent le manuscrit des Mémoires de Le Golif. « Il s’agissait évidemment de mémoires authentiques ». Le récit semble effectivement donner toutes les apparences de la vérité. La préface donne des détails propres à nous convaincre de l’existence la plus incontestable du manuscrit, sans évoquer un seul instant la possibilité qu’il soit apocryphe ou faux. Or ce récit est si truculent, si extraordinairement plein d’épisodes plus savoureux les uns que les autres, si romanesque en un mot, que l’on pourrait émettre des doutes quant à sa véracité et en faire, pour reprendre le mot d’Umberto Eco, une « lecture soupçonneuse (Les limites de l’interprétation, p. 107). « Notre flibustier narre avec brio, forfanterie et cynisme candide ses conquêtes galantes, ses rixes, ses batailles, ses abordages, ses ripailles : tout ce que peut comporter d’histoires de guerre et d’amour la course sur la mer des Antilles au temps du Roi Soleil », commente la quatrième de couverture.

7Le récit se présente donc comme une autobiographie, dans laquelle le narrateur est bien sûr intra-autodiégétique. Mais, malgré les dénégations de t’Serstevens, quelles preuves avons-nous de l’authenticité de cette biographie ? Si l’on en croit Ph. Lejeune dans le Pacte autobiographique, la supercherie « est extrêmement rare, et le caractère référentiel attribué au récit est alors facilement mis en question par une enquête d’histoire littéraire. » (p. 40) Précisément, sans entrer dans le domaine de l’investigation historique — tenter de découvrir des traces, à Saint-Malo ou à la Tortue, d’un Capitaine Le Golif, fouiller les archives, rechercher son manuscrit — on peut chercher à débusquer, dans le texte même, des indices de narration extra-hétérodiégétique : serions-nous en présence d’un faux particulièrement discret ? En effet la maison d’édition Grasset, qui a publié le texte en 1952, dit maintenant ne disposer « d’aucun élément susceptible d’établir qu’il s’agit d’une supercherie littéraire ». Mais peut-on encore croire, aujourd’hui, après toutes les mises en scène de ce genre, à l’authenticité de manuscrits dont la seule garantie, affirmée dans la préface de l’éditeur, est d’avoir été retrouvés dans une vieille malle ? Peut-on négliger le fait que t’Serstevens lui-même avait entre autres publié, en 1930, un roman exactement dans la même veine, les Corsaires du Roi, et en 1943, un René Duguay-Trouin ? On ne peut plus lui en demander de comptes puisqu’il est mort en 1974 sans, apparemment, s’en être expliqué. Peut-on considérer qu’avoir écrit des romans de flibuste prouve la supercherie, ou ne peut-on en inférer que ses compétences en la matière le rendaient naturellement destinataire d’un tel manuscrit ? Ne se serait-il modestement chargé de la relecture et de la préface qu’en tant qu’amateur éclairé, ou s’est-il réservé le rôle de l’écrivain ? La préface et le texte peuvent nous fournir des éléments de réponses contradictoires. L’accumulation de détails qui « font vrai » ne serait-elle pas précisément le signe de la fiction ?

8Admettons que nos carnets soient authentiques, comme un faisceau de preuves tend à le faire penser. La préface rappelle et met en scène cette découverte miraculeuse : « Août 1944 ». Le siège de Saint-Malo met la ville en cendres. « Seuls, les remparts, le Château, solidement bâti, même contre les obus modernes, et quelques pâtés de maisons qu’il protégeait, demeuraient debout sur leur assiette de granit. Tout le reste [...] avait disparu, y compris l’Hôtel de Ville avec ses archives, et les célèbres hôtels des armateurs ». Dans une maison très ancienne, que l’on suppose être précisément celle de Duguay-Trouin, Yves Hémar, « l’architecte et l’érudit bien connu des Malouins et de tous ceux, en France et ailleurs, qui s’intéressent aux corsaires de jadis », découvre alors, dans l’épaisseur d’un caveau muré dont il ignorait l’existence, percé à jour par les bombardements, une vieille malle pleine de papiers divers et de « trois épais cahiers, dont un aux feuilles décousues, tous trois fortement éprouvés par l’incendie, les pluies et la dent des rats ». La présentation du texte, quoiqu’un peu longue ici, est essentielle pour déterminer la démarche de l’éditeur :

Il s’agissait évidemment de mémoires authentiques, rédigés dans les premières années du xviiie siècle mais relatifs à des événements du xviie. Le papier, l’écriture, le langage, ne pouvaient laisser subsister aucun doute sur l’époque de la rédaction. C’était bien l’œuvre d’un de ces valeureux aventuriers qui portèrent de si rudes coups, dans la mer des Antilles, aux ennemis de Louis-le-Grand. Il y avait de plus, dans cet écrit, une originalité naïve et sensible qui, par certains côtés, avait un caractère je dirais moderne si cette épithète n’était tant galvaudée, une certaine façon de présenter les choses qui s’apparentait aux manières d’aujourd’hui. Malheureusement, comme tous les mémorialistes de son temps, y compris Saint-Simon et Sully, l’auteur se montrait prolixe dans ses considérations et surtout dans les choses de son métier : ses descriptions de combats navals par exemple, étaient interminables, ne nous épargnaient pas un seul détail des manœuvres en usage dans la marine à voiles. Le reste, toutefois, me semblait si vivant et, pour tout dire, si amusant, si plein de situations neuves, émouvantes ou cocasses, et d’un tel accent de sincérité, dans l’époque et dans son esprit, qu’il me vint tout de suite à l’idée qu’on pouvait en extraire un livre de premier choix. (p. 9‑10)

9Ainsi, l’écrivain déjà rompu, d’après ses propres affirmations, à la mise en forme de mémoires, pour avoir déjà édité les Voyages du Père Labat en Italie et en Espagne, se fait fort de procéder à la toilette du manuscrit pour en produire un texte conforme au goût moderne.

10Deuxième étape : l’édition. Gustave Alaux est supposé avoir le premier déchiffré le texte, fort volumineux, puisque les cahiers superposés auraient atteint « l’épaisseur d’un annuaire des Téléphones ». Il lui promit « d’ébrancher ce qu’il pourrait sans nuire à l’auteur, et même de diviser en chapitres, pour la facilité du lecteur, ce récit d’une seule haleine, coupé en trois parties par le seul hasard du brochage », de présenter une « orthographe à peu près mise à la façon de notre temps ». Le premier attentat au texte étant désormais achevé, c’est au tour de t’Serstevens lui-même de réduire encore le texte, en le transformant en une succession d’épisodes, sorte de feuilleton enchaînant sans transition autre qu’une unité de décor et d’argument les bonnes pages d’une flibuste telles qu’est supposé les attendre le lecteur moderne. « Mais si, l’un et l’autre, nous avons tranché de nombreux appendices, nous n’y avons greffé, ni l’un ni l’autre, le moindre lambeau de notre fabrique. » (p. 11)

11La lecture est réputée avoir été difficile, car le manuscrit n’aurait pas été en très bon état. Mais la description technique des cahiers est très précise : 412 feuillets de « 270 millimètres de hauteur sur 215 de largeur, une quarantaine plus courts dans les deux sens, mais de la même qualité, la trame des vergeures tout à fait semblables. Ni les uns ni les autres n’ont de filigrane. » (p. 12‑13) Cette description de bibliophile semble être une preuve de son authenticité. Mais évidemment, l’édition ne présente aucune reproduction du manuscrit en fac-similé. Le document aurait été reproduit dans un atelier parisien. Suit une analyse de l’écriture et des éléments destinés à établir une notice biographique très lacunaire. Aucune preuve historique ne subsiste donc, aucun moyen, d’après t’Serstevens, d’en savoir davantage et de recouper l’identité réelle de ce Le Golif. Il faut donc lui faire une confiance aveugle. Tout est mis en œuvre dès l’avant-propos pour persuader le lecteur qui s’astreint à commencer sa lecture par la préface — ce qui n’est pas en soi une évidence pour ce genre de récit — à condition qu’il soit disposé à une certaine crédulité. Des formules sans appel comme « évidemment », « aucun doute », « c’était bien »... visent un effet de soulignement péremptoire de l’affirmation de la vérité, excluant formellement toute autre interprétation. La préface rejoint curieusement, à sa façon, les topoi des plus fréquents dans ce cadre : tout en s’excusant de son échec à déterminer les conditions de l’existence de Le Golif, il ne la remet jamais en question ; au contraire la préface est une sorte de serment de véridicité. La préface est le lieu liminaire de validation, où le préfacier parraine le texte à venir. L’auteur serait l’un de ces grands hommes dont on ne saurait mettre la parole en question : douter de l’authenticité du texte équivaudrait à méjuger de leur valeur et de leur gloire, à commettre un crime anti-patriotique. Les mémoires ayant été découverts dans un caveau muré, il se dégage de plus du texte une valeur de testament, rendue intouchable par la poussière des siècles — ou, en l’occurrence, du bombardement — qui semble, à elle seule, interdire d’attenter aux derniers mots du mort. À mettre en cause la véridicité du récit, on offense à la fois le héros, le découvreur, le transcripteur, le préfacier et la majesté historique.

12Le langage est inséré dans le paradigme des preuves matérielles (évidemment non exhibées). L’impression générale est fortement marquée en effet par une langue assez typée, truffée de mots presque sortis d’usage, choir au lieu de tomber, ouïr pour entendre, s’enquérir pour demander, héler pour appeler, point pour pas, tant pour si, marri pour ennuyé, devis pour bavardage, etc . Les subjonctifs imparfaits et plus-que-parfaits sont utilisés de manière systématique. L’article est d’emploi capricieux et souvent elliptique, l’ordre actuel des mots est bouleversé, avec en particulier l’inversion de l’ordre noms-épithètes. Les jurons, fort nombreux comme il se doit dans un milieu d’hommes aussi aguerris, reviennent constamment.

13Trouver au texte, comme principale qualité, la conformité au goût moderne est un compliment, mais aussi une parade par anticipation à la critique qui ne manquera pas de s’élever : cet homme a vraiment une façon de concevoir la vie très peu conforme au goût de son époque. On ne peut toutefois l’accuser de mensonge puisqu’il se contente de venir à notre rencontre à travers le temps et offre au lecteur l’agréable sensation de se livrer à une réflexion métaphysique sur la permanence de la nature humaine. D’autant que nombre de détails semblent trop pertinents pour être inventés. Leur apparente « a-fonctionnalité pragmatique (Genette, Nouveau Discours du récit, p. 32) sert malgré tout à donner de la matière à l’imagination bénévole du lecteur. t’Serstevens prétend séduire le public moderne, en répondant à l’attente d’un lectorat qui répugne aux longues descriptions, qui apprécie les combats navals sans rien comprendre aux manœuvres et aux termes techniques, qui fait entière confiance pour cet aspect à l’auteur, qui lui fait crédit de développements auxquels il ne comprend rien, pourvu, peut-être, que ce ne soit pas trop long. « Certains passages paraîtront sans doute assez inintelligibles aux lecteurs non initiés ; mais, comme ma propre expérience et le témoignage d’autrui me l’ont enseigné, les données de fait relatives à des us et coutumes qui nous sont étrangers agissent sur nous par le truchement de l’imagination, en sorte que nous demeurons à peine conscients des carences de notre savoir technique. Ainsi, dans Le Pilote, le récit de l’évasion de la frégate américaine à travers la Manche, ou, dans Le Corsaire rouge [deux romans de Fennimore Cooper], la poursuite et le naufrage du navire marchand anglais sont suivis avec un intérêt haletant par des milliers de lecteurs qui, par ailleurs, seraient bien en peine de nommer un seul cordage du gréement d’un navire, et ce manque de familiarité avec les détails professionnels n’affecte nullement leur admiration ni leur enthousiasme. » (Dana, p. 22) C’est aussi ce qui se passe ici : le lecteur trouve le plaisir du dépaysement historique, à la grande époque de la Royale, la fascination mythique pour les marginaux, spécialement lorsqu’ils respectent un code de l’honneur qui permet au lecteur de les admirer et de s’identifier à eux sans déroger trop de sa moralité, fantasmatique -lorsque le lecteur envisage le sort réservé aux belles prisonnières, assiste le héros dans ses assauts ou le suit, fidèle matelot, dans ses multiples conquêtes.

14Le Golif justifie son goût et ses compétences pour l’écriture dès le premier chapitre, qui constitue une sorte de deuxième préface, interne aux mémoires : « On sera peut-être étonné qu’un Capitaine de la Flibuste, homme plutôt d’épée que de plume, ait consenti à enfanter un gros grimoire et à barbouiller d’encre plusieurs forts cahiers. On le sera moins lors que j’aurai dit qu’en mon jeune âge, avant de courir l’aventure sur les mers, j’ai d’abord étudié pour être d’église. » (p. 21) Mais il s’échappe souvent du séminaire. « Bref, il advint que je fis un enfant à la fille d’une lingère du voisinage et Monseigneur l’Evêque voulut voir là le signe que ma vocation ecclésiastique n’était pas aussi certaine qu’on pouvait le désirer. » (p. 21) Cette affirmation faussement modeste quant à ses prouesses pose le problème du narrataire. L’ironie de la litote n’est-elle destinée qu’à amuser rétrospectivement le héros de tant d’aventures amoureuses ? Sa valeur l’arme à la main n’étant peut-être plus à démontrer, le vieux capitaine récapitule avec satisfaction les variantes de ses conquêtes : amours adolescentes, paiement d’une aubergiste, expérience d’homosexualité forcée en matelotage, amours d’occasion avec la femme du maire d’une ville captive, au terme d’une remarquable mise en scène, mariage — impliquant le partage de son épouse avec son matelot —, cocuage puis veuvage ; chantage à la rançon, amours ancillaires, et même, défense chevaleresque de la « pucelle de Maracaye » tuée pendant la canonnade et qui devient son ange gardien... À la fin de ses mémoires, il refuse de se remarier : ainsi, un certain nombre des variantes du paradigme amoureux se trouve réuni, en contrepoint aux combats que l’on trouve plus couramment dans ce type de récits, et que l’éditeur se serait bien gardé de couper, voire, aurait favorisées dans le choix des épisodes à conserver. De telles mises en garde : « pour épargner les chastes oreilles qui pourront être amenées à me lire... » (p. 54) ne servent évidemment qu’à souligner la prétérition.

15« Je n’entreprendrai point de raconter ici la prise de Santiago, n’étant point chroniqueur de mon état. Il suffit que l’on sache que... » (p. 99) Autant dire que Le Golif lui-même donnerait la main au travail de l’éditeur, puisque, tout accusé qu’il est de longueurs interminables, il s’autocensurerait pourtant spontanément. Du reste, son but était énoncé dans le premier chapitre : « C’est un doux passe-temps, pour un homme de quelque cervelle, que d’occuper ses ultimes années au souvenir, et comment se peut-on mieux souvenir que la plume à la main ? » (p. 22) Le propos délibéré est donc de consigner les anecdotes de la période brillante de son existence pour les revivre, lorsque le présent n’est plus assez palpitant. Il ne s’agit pas de son journal intime mais de ses mémoires, qui vont offrir de sa vie une perspective cavalière, ne retenant, déjà, que les traits les plus saillants, cependant que le texte semble hésiter sur le choix à opérer : « Que l’on ne s’attende point que je raconte ici toute ma vie. Non point qu’elle ait été insipide, ce serait bien plutôt le contraire, mais si j’entreprenais de narrer par le menu tous les faits d’armes et actions d’éclat que j’ai accomplis l’épée au poing, il me faudrait, pour cela, pas moins d’un gros ouvrage en quinze ou vingt volume in-quarto. » (p. 22) Il subsiste pourtant un certain nombre de ces détails « non fonctionnels » dont Barthes souligne qu’ils contribuent à produire un « effet de réel » convaincant. Le héros vieilli opère donc deux types de choix : un volontaire, selon l’intérêt supposé des anecdotes, et l’autre, involontaire, dû au fait que « l’âge et les infirmités qui l’accompagnent ne peuvent manquer, à la longue, de brouiller la mémoire d’un vieil homme. » (p. 25) On ne peut se dissimuler en revanche que la seconde sélection des épisodes (par Alaux), puis la troisième (par t’Serstevens), conçues pour un certain lectorat, prennent parti sur la signification globale du texte, en le réduisant à une suite d’anecdotes, de combats navals et d’aventures grivoises. Sans longs développements sur sa stratégie, les causes, les buts, ou les suites, l’action pure est appréciée comme performance, et la division en chapitres achève de transformer en feuilleton ce qui aurait pu avoir la cohérence d’un continuum. L’adaptation enfin devient une manière de maquiller un texte qui était peut-être authentique.

16D’où vient alors le doute ? Ph. Lejeune dans Le Pacte autobiographique, admet que le roman peut imiter l’autobiographie, le roman du xviiie s’étant précisément bâti sur le travestissement de formes personnelles, comme les mémoires, les lettres, le journal intime. Mais il postule que « les cas de supercherie littéraire : ils sont excessivement rares, — et cette rareté n’est pas due au respect du nom d’autrui ou à la peur des sanctions. Qui m’empêcherait d’écrire l’autobiographie d’un personnage imaginaire et de la publier sous son nom, également imaginaire ? C’est bien ce que, dans un domaine un peu différent, MacPherson a fait pour Ossian ! — Cela est rare, parce qu’il est bien peu d’auteurs qui soient capables de renoncer à leur propre nom. À preuve que même la supercherie d’Ossian a été éphémère, puisque nous savons qui en est l’auteur, puisque MacPherson n’a pas pu s’empêcher de faire figurer son nom (comme adaptateur) dans le titre ! » (p. 27‑28) De même, l’Histoire générale des plus fameux pirates, parue en 1724, a été longtemps supposée écrite par un certain Capitaine Johnson, avant qu’on ne l’attribue à Defœ en 1972... Prévost, avant de commencer l’édition de l’Histoire générale des voyages, avait aussi publié deux ans plus tôt, en 1744, les Voyages du capitaine Robert Lade. Cette œuvre est présentée comme une véritable relation « mise en ordre depuis plusieurs années sur les journaux et les mémoires de l’auteur » (cité par N. Broc, p. 262) Le récit est parfaitement vraisemblable, mais constitué d’un montage d’une série d’extraits authentiques de récits de voyages, sur un fond de trame romanesque assez lâche. Lui aussi s’inspire à l’occasion d’Œxmelin pour les Antilles ; sous les épisodes de la narration, on peut ainsi reconnaître des sources plus ou moins lointaines. L’ensemble est monté de telle sorte que Robert Lade est resté une source essentielle pour certaines régions comme les pôles, que les scientifiques y ont cru jusqu’à la fin du xixe, et que Buffon le cite comme référence. Les aventures maritimes semblent donc susciter à la fois la verve des conteurs, le travestissement et la suspicion des lecteurs. Leguat est-il l’auteur véritable des Voyages aux Mascareignes ou bien Misson ? Dans le cas des Mémoires d’un gentilhomme corsaire de Trelawney, parues anonymement d’abord, en 1831, on peut se demander si les aventures sont réelles ou romancées ; mais il semble n’y avoir aucun doute sur la véritable identité de l’auteur, même si Dumas les a édités sous son nom, sous le titre d’un Cadet de famille. Lieu d’aventures et de trouvailles, les récits de voyage sont toujours bien « aux lisières du roman (J. Chupeau). Rien d’étonnant à ce que les Carnets de Le Golif soient examinés avec la même attention soupçonneuse, soit que Borgnefesse ait franchement exagéré ses exploits et concentré ses effets, soit que ses aventures relèvent davantage d’un héroïsme tout à fait romanesque.

17La préface est un lieu crucial : le lecteur familier des avant-propos est tenté de reconnaître des lieux communs qui embrayent des récits de fiction tout en protestant de leur bonne foi. Dans les récits de voyage s’y livrent tout particulièrement les « jeux de la vérité et du mensonge » (J.-M. Racault), et ce, depuis l’avertissement de l’Histoire véritable, dans lequel Lucien revendique le droit de raconter des aventures fictives. L’énigme des Aventures aux Mascareignes (1707) est soulignée par la préface : « C’est qu’on me nommait un grand nombre de faux voyages, et même assez mal inventés, qui ne laissaient pas de se débiter. [...] pourquoi donc ne serait-il pas permis à un honnête homme de raconter des choses vraies, et dont il y a quelque usage à faire ? De misérables romans, avec leurs fables mal ajustées, trouvent des acheteurs ; pourquoi mon roman véritable aurait-il une destinée plus malheureuse ? » (p. 40) Comme c’est là l’argument des préfaces de fiction, le problème n’est pas résolu par la simple affirmation de véridicité. En effet, il suffit de prendre quelques exemples bien connus pour achever de s’en convaincre. « L’éditeur pense que c’est là une narration exacte des faits ; il n’y existe d’ailleurs aucune apparence de fiction. Il estime toutefois que, ce genre de lecture étant d’ordinaire rapidement expédiée, le résultat quant au divertissement comme à l’instruction du lecteur en sera le même, que ce soit un roman ou une histoire vraie. » (préface de Robinson Crusoé, 1719) En 1726, Swift joue aussi sur cet argument dans la préface des Voyages de Gulliver : « L’auteur de ces Voyages, M. Samuel Gulliver, est depuis très longtemps un de mes amis intimes ». Argument personnel de témoin. « près de Newark, dans le comté de Nottingham, son pays natal. C’est là qu’il s’est retiré et qu’il vit entouré de l’estime de ses voisins. » Gulliver serait un personnage bien réel, et le lecteur incrédule peut aller lui rendre visite pour vérifier son existence. Ces indications et d’autres du même acabit sont cependant assez succinctes pour décourager une véritable investigation. L’ « éditeur Richard Sympson » n’y trouve qu’un seul défaut, commun d’ailleurs à tous les récits de voyage, c’est d’attacher un peu trop d’importance aux détails. Nous ne sommes pas loin des « descriptions interminables de Le Golif. » L’ensemble donne une grande impression de vérité, ce jugement modalise le propos, plus péremptoire chez t’Serstevens. Mais on sait après Searle que « les textes de fiction sont des assertions feintes. » (cité dans Fiction et diction, p. 56) Et là encore : « Ce volume aurait été au moins deux fois plus important, si je n’avais pris sur moi d’en supprimer les innombrables passages relatifs aux vents et aux marées, ainsi qu’aux changements de cap et aux relevés de position ; j’ai écarté également les descriptions minutieuses, en termes de marine, de la manœuvre des navires au cours des tempêtes ; de même pour les énumérations de longitudes et de latitudes ; j’ai donc quelque sujet de craindre que M. Gulliver ne soit pas très satisfait, mais j’étais résolu à adapter autant que possible l’ouvrage aux capacités d’un lecteur moyen. » (p. 30) Si l’éditeur des Voyages de Gulliver supprime des longueurs, comme l’éditeur des Lettres Persanes avoue aussi le faire, il soustrait aussi, du même coup, toute possibilité de retrouver les lieux dont il est question. Mais on laisse ainsi au lecteur un imaginaire pouvoir de contrôle sur la réalité de la fiction. L’éditeur escamote, par un tour de passe-passe, les indices vérifiables en même temps qu’il les brandit ; mais en fait le public ne met pas en doute la réalité de ce qu’il voit et se contente de s’en remettre à sa propre insuffisance.

18Aussi, lorsqu’on ne lit que la préface des Cahiers de Le Golif, est-on convaincu sans autre examen que l’éditeur sait de quoi il parle, et que la rétention de preuves est accessoire. Mais si on la lit en regard d’autres préfaces, on se prend à douter. Le même processus, dont la complexité est dévoilée là encore dans la préface, est à l’œuvre chez Edgar Pœ, dans les Aventures d’Arthur Gordon Pym. L’avant-propos, dû au héros, introduit un texte prétendument autobiographique. Mais les aventures étant incroyables, le narrateur a craint que le public ne leur accorde pas crédit. Il dit s’en remettre à M. Pœ pour « rédiger à sa manière un récit de la première partie de mes aventures, d’après les faits rapportés par moi, et de la publier sous le manteau de la fiction dans le Messager du Sud. » (p. 33) Devant le succès, « j’en conclus que les faits de ma relation étaient de telle nature qu’ils portaient avec eux la preuve suffisante de leur authenticité, et que je n’avais conséquemment pas grand-chose à redouter du côté de l’incrédulité populaire. » Ainsi, la fiction présente comme réelle l’histoire de l’édition, sous le couvert de la fiction, des mémoires du héros, affirmés comme réels.

19« La préface de l’éditeur permet d’innocenter le premier auteur de tout souci de plaire : si le souci est présent, il est le fait du correcteur lui-même. La médiation littéraire (traduction, modifications, etc.) n’est avouée que pour mieux situer l’essentiel du texte hors du champ littéraire » (Démoris, p. 166‑167), ou pour détourner les soupçons et faire gagner en véracité ce que le texte perd en agrément.

20Le doute, au moins, étant ainsi devenu un second mode de lecture, on peut tenter de débusquer des preuves plus tangibles de la supercherie littéraire orchestrée par t’Serstevens. Umberto Eco dans Les Limites de l’interprétation, au chapitre « Faux et contrefaçons » propose des « critères pour la reconnaissance de l’authenticité » : le lecteur doit se livrer à une interprétation sémiosique du texte, et procéder à l’abduction à partir de l’examen du support matériel, de la « manifestation linéaire du texte, du contenu et du référent ».

21« Un document est un faux si son support matériel ne remonte pas au temps de ses origines présumées. » (p. 201). Pour les Cahiers, la préface avec la collation du manuscrit paraît devoir suffire à authentifier le texte. Nous sommes dans une « atmosphère de vérité » (Racault). Mais la page de couverture, en réalité, porte « Cahiers de Le Golif »..., ce qui dispose le lecteur habitué à cette forme de présentation, à faire dudit Le Golif l’auteur des Cahiers. Mais, aussi bien, on peut comprendre le complément du nom comme une simple actualisation du terme « cahiers », l’auteur étant anonyme. Le paratexte produit donc une impression suffisante, d’autant plus que l’apparat critique se présente sous plusieurs formes, avec la signature, unique, de t’Serstevens à la fin de la préface. Il signale les coupes, qui seraient dues aux défauts matériels du manuscrit (pages qui manquent, changement de cahier), mais il ne signale jamais ses propres élagages : travail scientifique fort désinvolte, sinon carrément malhonnête, selon nos critères actuels. Aucune référence précise ne permet de localiser actuellement le manuscrit. T’Serstevens n’a pas ici l’aplomb de Swift, qui prétendait : « Et si un navigateur a le désir de voir le texte intégral, en manuscrit, je serai très heureux de le satisfaire. » (p. 30) Mais l’existence de trois complices, Hémar, Alaux, t’Serstevens, permet à ce dernier de se défausser de la garantie auctoriale.

22La manifestation linéaire du texte d’un document doit être conforme aux règles normatives de l’écriture, de la peinture, de la sculpture, etc., en vigueur au moment de sa production présumée [...] ainsi qu’à tout ce qui est connu sur le style personnel de l’auteur présumé. Or les Mémoires de Le Golif sont écrits dans une langue apparemment bien de son époque. Certaines légères erreurs (comme « que leur méfiance n’éventasse ma ruse », p. 38), peuvent être portées au compte de Le Golif lui-même, puisque t’Serstevens précise que son orthographe était très fantaisiste. L’un des aspects les plus voyants du texte est l’usage de termes connotant pour le lecteur un certain contexte historique : choix dans un paradigme de termes vieillis, on l’a vu, ou usage de certains mots comme « tiburons » et « requiems » au lieu de requins, comme s’il s’agissait de néologismes ou de particularismes non encore lexicalisés. Beaucoup de ces mots sont bien sûr attestés au moment où se déroule l’action, mais on note qu’une relative proportion de ces mots est à cette époque assez récente : rhingrave, fusil, butor, mijaurée, jean-foutre, fouillemerde..., longue liste comprenant nombre de tournures réputées « malhonnêtes dans le Dictionnaire de l’Académie de 1762 : mais l’absence, dans ce Dictionnaire, des injures les plus ordurières n’est pas obligatoirement la preuve qu’elles n’existaient pas. Certains mots qui n’appartiennent pas à la langue moderne ne semblent pas attestés dans un état antérieur, comme « charogner », pour sentir la charogne, ou « arder » pour brûler de désir ; ils accentuent au contraire l’étrangeté historique du texte. L’expression « Frères de la Côte », si récurrente dans les Cahiers, ne semble pas avoir été celle employée en fait par les marins, qui entre eux s’appelaient « Frères la Côte ». D’autres tournures, quoique théoriquement possibles, ne semblent pas avoir été employées à la fin du xviie siècle, comme la « dulcinée » avec sa connotation ironique, ou « foutriquet » (attesté en 1791 seulement), « calembredaine » (1798, dict. Académie), « gouape » (1835), « gueulement » (1877), etc. Quant à certains mots plus remarquables, comme « lagon » (1721, dict. Trévoux), ou « patchouli » (mot hindou introduit par l’anglais, attesté seulement en 1828), il paraît fort improbable que Le Golif ait pu les employer. Nous sommes donc plutôt en présence d’un encodage linguistique, qui cherche à recréer ce que l’on considère comme l’idiolecte des forbans : quelques termes marins, jurons et blasphèmes. Si t’Serstevens a voulu restituer une langue du xviie, il a choisi de respecter, voire de charger, le « style propre au genre », plus que de rendre compte d’une écriture personnelle. Curieusement, il n’y a guère de mots créoles, alors que Le Golif, pour avoir passé vingt-cinq ans aux Caraïbes, devait en posséder quelques-uns ; certes, on trouve bien des « maringouins » ou des « bigailles », dans la série d’insectes qui dérangent sa nuit de noces, ou encore des « coucouilles », que Le Golif fait découvrir à sa jeune femme à cette occasion : la sonorité surprenante, voire le kakemphaton, sont corrigés par une note infrapaginale, qui rompt l’unité grivoise de la scène en expliquant doctement : « de l’espagnol cucuyos : lucioles. Genre d’insectes coléoptères, comprenant des lampyres, dont les deux sexes sont ailés et lumineux. »

23Troisième régime de preuve : le contenu. La description des manœuvres permet d’imaginer des assauts plausibles quoique très simplifiés. Mais t’Serstevens dit avoir coupé les descriptions « interminables », aussi ne pouvons-nous inférer de ce survol que le texte n’est pas authentique, car le reste peut effectivement avoir été supprimé. Au rang des approximations ou des exagérations, il paraît peu probable par exemple que le navire de Le Golif ait pu remonter, en trois jours, du Sud de la Jamaïque jusqu’à la Tortue avec le vent dans le quart avant, même avec un bon brigantin. L’ensemble en tout cas paraît plausible, et à défaut d’être vrai, il n’est pas impossible : l’existence de Le Golif ne contrariant pas, bien au contraire, l’ordre historique et mythique de Saint-Malo ou de la Tortue.

24Enfin, selon le dernier critère, « un document est un faux si les faits extérieurs qu’il rapporte ne pouvaient être connus à l’époque de sa production. » (Eco, p. 206). Les références historiques fournies semblent exactes, bien que non datées : paix de Nimègue en 1678, règne du pape Innocent XI (entre 1679 et 1689), retour en France en 1685. Ces éléments, entre autres, permettent à t’Serstevens de prétendre recouper sa biographie à partir de ces dates : « Nous avons essayé d’établir, en nous appuyant sur le texte, une chronologie de son existence » (p. 16), alors que plus vraisemblablement le récit est organisé en fonction de ces données historiques. Les noms propres sont répartis entre deux catégories : les noms propres inconnus qui, fonctionnant comme asémantèmes, puisent leur force dans la connotation : Piédouille, Pulvérin, le Bègue, Gueule de Raie, Boisbrûlé, et d’autres, les femmes étant plus couramment connues sous leur prénom, comme Juanita, Isabelle, Lola, Lisette Sucre ; et les noms propres historiquement connus (par Œxmelin particulièrement...), comme les noms de redoutables capitaines ou de gouverneurs, qui semblent situer exactement le récit et l’ancrer dans un référent bien balisé. L’oubli d’autres noms est un facteur de vraisemblance, de même d’autres événements historiques que le narrateur, qui écrit évidemment en focalisation interne, et qui n’était pas censé se trouver toujours près des sources d’information les plus sûres, ne mentionne pas. Le livre d’Œxmelin fonctionne comme une référence constante dans le récit : indiqué dès le premier chapitre comme fourmillant d’erreurs, il n’en est pas moins la caution, puisque les lecteurs sont supposés le connaître. Les omissions que Borgnefesse y relève expliquent facilement l’absence de mention du nom de Le Golif lui-même. L’argument est double, puisque, outre cet oubli capital, Le Golif valide son propre témoignage par ses connaissances bibliographiques et sa compétence dans la critique, justifiée sans autre preuve par son long séjour en activité aux Iles.

25Le lecteur pense pouvoir recouper ces indices pour vérifier la véracité de l’ensemble, alors qu’en réalité, ils ne sont là que pour valider le reste, qui lui est fictif. Le schéma est applicable à toutes ses assertions ; quand t’Serstevens affirme que le capitaine est introuvable parce qu’il porte un sobriquet, d’une part, et parce que les Archives ont brûlé, d’autre part, on devrait plutôt entendre : il porte un sobriquet pour décourager ou égarer d’éventuelles recherches, opportunément rendues impossibles par l’incendie des Archives. Mieux : « Le Golif n’est-il donc pas un pseudonyme, comme Borgnefesse était un sobriquet ? » (p. 15) Ses démarches auprès du roi n’ont pas abouti : pas de brevet, pas de commandement. Et pas de traces. Quant à ses contemporains, comme Œxmelin ou William Dampier dans le Grand Voyage (1681‑1691), ils n’ont pas rapporté ses exploits : pas de traces non plus. Autant dire que les investigations de l’histoire littéraire se heurtent ici à d’impossibles recoupements. Les détails visent plus à conditionner la réception chez le lecteur, déjà mis sur la piste des plus brillants corsaires malouins.

26On pourrait ajouter à la liste des preuves établie par Umberto Eco d’autres critères, comme, d’abord, l’excessive perfection du faux (qu’il signale dans un sens un peu différent, évoquant un faux de la Vénus de Milo qui serait doté de bras, donc objectivement plus beau que l’original). De fait, le texte accumule les détails concordants, les coïncidences : la localisation à Saint-Malo n’est pas très étonnante, mais la maison de Duguay-Trouin est peut-être surdéterminée. Quant à la Tortue dont il est le héros, n’est-elle pas le meilleur encodeur d’un roman de flibuste pour un lecteur qui, très probablement, a commencé par lire l’Ile au trésor ? Le manuscrit est extirpé d’une vieille malle, ce qui n’est pas sans rappeler non plus les coffres des marins (au premier rang desquels, évidemment, « le coffre du mort ouvert à l’auberge de l’Amiral Benbow »). Peut-on encore croire à l’authenticité d’un document mis au jour dans ces conditions ?

27En outre, la surdétermination, la conformité trop parfaite aux canons du genre peut servir d’indice s’il prend sens avec d’autres. Les épisodes sont plus que conformes à ce schéma, ingrédients nécessaires au roman d’aventures : combats navals, chasses-parties, matelotage, rations de rhum, duels, longs passages dans les auberges pour dépenser l’argent gagné sur les prises... Le texte présente une « combinatoire des possibles narratifs », étant donné que leur seule présence suffit en quelque sorte à valider le genre. L’inachèvement même de son récit, prétendument à cause de l’incendie qui a ravagé les dernières feuilles du carnet, n’est pas sans rappeler les Aventures d’Arthur Gordon Pym : même concentration d’épisodes, même succession de « possibles narratifs qui donne au texte une sorte d’ordre frénétique poursuivant méthodiquement l’épuisement des combinaisons. Pas une page n’est perdue pour l’action. Les scènes sont presque toujours narratives et non descriptives. Le lecteur soupçonneux émet des doutes d’autant plus sérieux sur certains épisodes que l’avantage narratif est important, ou que la figure de Le Golif en sort plus héroïque — il donne en effet de lui une image avantageuse, ne massacrant que pendant l’assaut, défendant les jeunes filles attaquées, ce qui ferait presque de ses mémoires ceux d’un « homme de qualité ». Même la blessure qui, lui emportant la fesse gauche, lui a valu son surnom, est celle d’un valeureux assaillant. « Il fallut bien cette mauvaise chance pour que je fusse atteint au derrière, car on peut croire que je dis vrai, si je donne ici pour certain que je n’ai jamais montré que mon visage à l’ennemi. » (p. 33) L’arrivée d’un convoi de femmes à la Tortue rappelle des pratiques contemporaines à travers le récit qui en est fait par Œxmelin. D’un point de vue littéraire, il évoque chez le lecteur l’arrivée de Manon Lescaut en Amérique (un peu plus tardif) et l’on comprend tous les avantages narratifs que l’on peut tirer d’un tel événement : l’arrivée de ces « ribaudes » permet à Le Golif de se marier, ce qui donne matière à un intermède festif ; le sort de la jeune épousée est rapidement réglé par le châtiment de ses frasques, dont Œxmelin déjà notait le côté expéditif : cette fin tragique, exécutée par le matelot et rapidement oubliée, a l’avantage de libérer Le Golif pour d’autres aventures. La fin du récit est burlesque : le retour en France donne l’occasion de présenter les travers d’une société française absurde et injuste : après être tombé malade, le malheureux voit se réunir à son chevet deux médecins plus prétentieux et ignares l’un que l’autre, ce qui insère dans la narration une scène à la Molière. Ensuite, il ne peut obtenir d’audience auprès du Roi pour en rapporter un brevet d’officier : sa visite à Versailles pour rencontrer le Roi est digne d’inspirer celle de l’Ingénu de Voltaire, ou de la rappeler, à quelques détails originaux près, puisque l’étang du château avec ses navires en réduction évoque plutôt pour lui « des cygnes dans un pot de chambre », ultime concession à la parlure imagée du flibustier. Pour finir, le vieux capitaine donne dans une sorte de manie du tropisme, qui lui fait changer de cap à son lit plusieurs fois dans la nuit, en fonction du vent...

28L’intertextualité est donc un moyen de comprendre les transferts éventuels d’un texte à l’autre, et d’en dépister éventuellement les anachronismes. « On ne polit guère sa plume en courant les mers pendant vingt-cinq ans ; il était certainement plus habile à manier l’épée ou le sabre d’abordage, et sa manière s’en ressent. Le ton a la rudesse d’un flibustier, et la verve est gauloise. » (p.18) Cette excuse est similaire à celle de nombreux autres auteurs, en particulier de Dampier le contemporain de ses aventures : « Pour le style, on ne doit pas espérer qu’un homme de mer se pique de politesse ; de toute façon, serais-je capable d’écrire poliment que je ne m’en soucierais dans un ouvrage de cette nature. J’ai de plus évité, dans la mesure du possible, d’employer des termes maritimes pour ne pas égarer le profane, quitte à me faire honnir par les gens de mer. » (p. 22), ou de Leguat, ou encore, plus tardivement, de Bougainville et de beaucoup d’autres. Mais il est difficile de savoir si l’intertextualité confirme la validité du passage en question, ou au contraire elle sert de modèle, c’est-à-dire de déterminer entre les deux l’hyper- et l’hypotexte.

29L’intertextualité fonctionne aussi vis-à-vis de la propre production du supposé faussaire, à un autre niveau. En 1952, t’Serstevens avait pourtant déjà écrit une quarantaine d’ouvrages, et à l’époque qui devait être la plus active pour l’édition des Cahiers de Le Golif, il séjournait en Polynésie. Cet environnement explique l’impropriété ou l’erreur géographique qui fait appeler « lagon » la lagune de Maracaïbo. Le Capitaine Le Golif n’aurait pu s’y tromper, le mot n’étant pas encore en usage, et le flibustier en personne ne pouvait en avoir l’expérience préalable. On connaît le goût de t’Serstevens pour les voyages et les aventures. À quoi servirait la supercherie ? D’abord, c’est un défi pour un écrivain déjà prolixe et reconnu de mettre à l’épreuve la sagacité de ses lecteurs. Le goût de la mystification doit y prendre une part ; n’aurait-il pas laissé à dessein derrière lui quelques discrets indices à glaner ? À moins que, écrivant sous ce pseudonyme, il n’en profite pour produire un texte plus « gaulois » que La Grande Plantation, parue la même année 1952, par exemple, qui romançait, autour d’une histoire réelle, une intrigue amoureuse très retenue. Du reste, t’Serstevens avait déjà préfacé des poèmes libertins apparemment anonymes. On a parlé à son sujet d’« écrivain clandestin » (J.-P. Martinet).

30L’époque semble de toutes manières susciter les romans d’aventures ; Robert Margerit publie L’île des Perroquets en 1942. Coup de chapeau de t’Serstevens « To my dear friend James Norman Hall in memory of so many happy afternoons spent together in his tahitian home on Arue » : il lui dédicace son roman La grande plantation, précisément aussi en 1952, Norman Hall dont les Révoltés de la Bounty ont été portés au cinéma avec le succès que l’on sait. Même hommage à un autre romancier maritime, les Corsaires du Roi sont dédiés à « Pierre Mac Orlan, en souvenir de nos vies antérieures », l’auteur de L’Ancre de miséricorde, publiée en 1941, et des Clients du bon chien jaune, en 1946. L’Or du Cristobal est, lui, dédié à son « cher ami, Blaise Cendrars, poète de l’Aventure ». Ce roman, qu’il avait écrit en 1936 (et qui fut adapté au cinéma en 1939), racontait une histoire de forbans modernes, toujours en temps de guerre : la couverture de cet acte de pure piraterie consistait précisément à faire passer la capture d’un navire ennemi, chargé d’or, lingots et pièces, pour un exploit de corsaire. La question est évidemment, une fois le butin saisi, de trouver l’endroit où cacher le trésor, sans avoir à le partager avec l’équipage. Dans les Cahiers, le trésor caché, actant nécessaire des mémoires d’un flibustier, se présente comme un tour joué aux Anglais. Mais le roman le plus similaire aux Cahiers est sans conteste Les Corsaires du Roi, roman écrit en 1930, soit une vingtaine d’années plus tôt, et dont l’action est aussi située aux Antilles, vers 1705. Autour d’un boucan, un groupe de personnages rassemblés par le hasard organisent un concours d’histoires de flibuste. Chapitre après chapitre, les protagonistes racontent leur anecdote. La structure est une série de petites nouvelles enchaînées, liées en général par association d’idées. On peut finalement en dire autant des Cahiers, qui intercale entre ses exploits des épisodes auxquels il n’a pas pris part : il n’est alors que narrateur homodiégétique, connaissant toujours de près ou de loin celui ou celle dont il raconte l’aventure — Forlicar, dont il a pu recontrer la maîtresse ; Lisette Sucre, la prostituée qu’il a bien connue ; Fulbert, dont il protège aussi la captive... Les mêmes histoires naviguent entre les deux textes, combats, revenants, butins, amours, bref tout l’imaginaire de la grande époque flibustière. La structure est tressée comme dans les romans par lettres, les Liaisons dangereuses ou les Illustres Françaises : les personnages aperçus dans un épisode réapparaissent ailleurs, de sorte que certains sont ainsi suivis de loin en loin, comme le personnage de l’ingrat, sauvé de la noyade par Le Golif, et dont ni les fièvres, ni les caïmans ni les tiburons n’ont voulu la peau. Mais chaque épisode trouve sa conclusion. Le plus difficile est de « faire une fin acceptable pour un vieux flibustier » : le dernier chapitre nous le monte incapable de rester tranquillement dans son lit.

31La différence essentielle avec les Corsaires du Roi réside dans l’unité de la voix narrative, mais aussi dans la présence de notes, qui forment un contrepoint au récit, sur une autre portée. Si, dans les Corsaires du Roi, les histoires sont jugées par la même Madame Shepherd qui accorde le prix, c’est l’éditeur t’Serstevens qui reste dans les Cahiers l’instance médiatrice, grâce en particulier aux notes infrapaginales. Idéologiques, testimoniales, apologétiques, elles commentent, critiquent, justifient, amendent : l’éditeur reste donc en coulisses, mais continue à tirer les ficelles. Comme le faisait Swift par la voix de l’éditeur Sympson, qui nous envoyait vérifier les pierres tombales d’un petit cimetière de campagne pour y lire le nom de Gulliver, cette vérification de vérité valant de manière synecdochique pour le texte entier, t’Serstevens déplace la question de la vérité (par un procédé que l’on peut rapprocher de ce que la rhétorique nomme ignoratio elenchi) sur des détails annexes, comme la possibilité qu’un requin saute joyeusement derrière un navire. La note infrapaginale de la page 59 est consacrée à ce sujet : « Les requins ne sautent jamais hors de l’eau ». Il est probable que le capitaine Borgnefesse, en état plus ou moins grand d’ébriété, a pris, cette nuit-là, quelque dauphin isolé pour un requin. Le Golif avait en effet baptisé l’animal Adhémar, comme lui, et donné à son bateau le nom propitiatoire de Jovial Tiburon. Sur ce point précis, l’éditeur n’avait même pas besoin de rajouter une note : à supposer que t’Serstevens invente l’histoire, pour être vraisemblable, il lui suffisait de nommer autrement le brigantin. Choisir précisément une erreur et la souligner semblerait suffire à dégager sa responsabilité : il ne pourrait être l’auteur puisqu’il sait que les requins, habituellement, ne sautent pas. Ainsi, un élément apparemment vérifiable est supposé assurer la crédibilité de l’ensemble : de la même manière, la plus grande exactitude concerne son propre emploi du temps entre août 1944 et février 1951. Les hauts faits de Le Golif illustrent la guerre avec les Espagnols, mais ils se trouvent insérés dans une autre histoire de guerre par la préface : le siège de Saint-Malo est digne de la prise de la Vera-Cruz ou de Maracaïbo. Plus avant encore, le travestissement de cet épisode incite à lire le livre comme la rançon de la liberté interprétative du lecteur.

32Ainsi on peut comprendre la préface comme un récit premier, sur lequel les aventures de Le Golif se greffent, dans l’histoire de l’écrivain inventeur du récit : inventeur au double sens, auteur et régisseur de la fiction, d’une part, et découvreur du trésor que constitue ici, le manuscrit : ainsi s’écrit une nouvelle aventure malouine, à cette différence près que le narrateur-préfacier part de Saint-Malo pour les îles, non comme engagé mais comme voyageur, et que ces îles sont non pas les Antilles mais la Polynésie. Les aventures de Le Golif sont véritablement enchâssées entre la préface de 16 pages, et la notice finale : « Ici se terminent les mémoires du capitaine Borgnefesse, les pages qui suivaient ayant été dévorées par l’incendie. FIN », de même que les mémoires d’Arthur Gordon Pym, suspendus par la mort du héros, s’interrompaient au milieu d’une phrase, avec des points de suspension, avant une notice navrée de l’éditeur. S’agit-il donc d’un gros mensonge ? « Tout ce que Gustave Alaux offre aujourd’hui au public est strictement de la main de Louis-Adhémar-Timothée Le Golif, capitaine de la flibuste, y compris sa syntaxe, ses archaïsmes, ses mots un peu verts, sas naïvetés et ses gaudrioles. » (p. 11) Cette affirmation peut paraître exagérément péremptoire,  à moins que l’on ne considère Le Golif comme un pseudonyme ludique de t’Serstevens, et les Cahiers comme un nouveau roman en costume d’époque. « Mais les maîtres mots qui pour t’Serstevens ouvrent les portes de l’aventure sont les mots qui sont enfermés dans un dictionnaire de marine comme dans un coffre de matelot de l’Ancien Régime ou dans un sac de long-courrier vêtu de bleu, coiffé d’une casquette bleue sans ornement. Ces mots, d’une construction toujours distinguée, agissent profondément sur les couleurs qui doivent préciser une rêverie vagabonde : celle d’un souvenir ou d’une résurrection. » (Mac Orlan)

33Nous sommes aujourd’hui habitués à faire confiance à des éditions scientifiques « sérieuses, supposant que l’éditeur a déjà passé une épreuve de vérité, une sorte de schibboleth préalable à la publication. En effet, cette pratique fictionnelle si courante au xviiie semble avoir vécu, aussi la suspicion du lecteur est-elle un peu endormie. T’Serstevens, « auteur érudit, libre » selon Mac Orlan, aurait réalisé là une préface « à la manière de », et il n’est pas déraisonnable d’affirmer qu’il a écrit une pseudo-autobiographie sous forme de roman historique, en rédigeant une préface qui dissocie le style d’écriture, très visiblement différent des Mémoires, et l’esprit de la présentation, contemporain des aventures du héros. Arthur Gordon Pym signe d’ailleurs ainsi sa présentation: « Après cet exposé, on verra tout d’abord ce qui m’appartient, ce qui est bien de ma main dans le récit qui suit, et l’on comprendra aussi qu’aucun fait n’a été travesti dans les quelques pages écrites par M. Pœ. Même pour les lecteurs qui n’ont point vu les numéros du Messager, il serait superflu de marquer où finit sa part et où la mienne ; la différence du style se fera bien sentir. » (p. 34) Le lecteur est donc sérieusement mis à contribution pour juger de la fiction et de ses frontières, loin d’être toujours franches.

34Notre « lecture soupçonneuse repose donc les problèmes de la limite des genres. Peut-on vraiment en déterminer des modèles ? Les genres ne s’épuisent-ils pas, lorsqu’on a abusé du procédé ? Il reste à en démonter le processus, l’utiliser en en exhibant les ressorts. L’intérêt des lecteurs pour l’aventure ne se dément pas, mais à certains procédés, comme celui de la vieille malle, il devient difficile d’adhérer et de contresigner le pacte de lecture. Toutefois, comme le souligne Ph. Lejeune : « Pour les lecteurs d’une époque, il n’y a de “genre” que là où il existe, d’une part, des textes canoniques qui font fonction d’archétypes, qui réalisent de manière presque idéale ce qu’on croit être l’essence du genre et, d’autre part, la présomption d’une continuité d’écriture, la production d’un certain nombre de textes qui, sans être conformes au modèle, s’inscrivent dans la même problématique, comme autant de variations et d’écarts. » (p. 318) Comme pour le mythe, le plaisir de la lecture réside non pas tant, peut-être, dans la détermination de la vérité, que dans la variation sur thème. La connivence entre ainsi pour une part essentielle dans l’adhésion du lecteur. Mais les chefs d’œuvres ne sont-ils pas ces originaux dérangeants qui, justement, rénovent les données génériques ?