Colloques en ligne

Carole Aurouet

Focus sur le premier ciné-texte de Robert Desnos : Minuit à quatorze heures. Essai de merveilleux moderne (1925)

1Robert Desnos s’est enthousiasmé pour le cinématographe, qui voit le jour cinq ans avant lui, en 1895. Et son engouement est tel que le poète participe à ce jeune moyen d’expression de deux façons. D’une part, il écrit sur le cinéma : des comptes rendus de films, des analyses d’œuvres de cinéastes mais aussi des articles sur des problèmes extrinsèques aux films eux-mêmes ; entre 1923 et 1930, il livre plus de quatre-vingts papiers. D’autre part, il écrit pour le cinéma. Desnos est en effet l’auteur d’une vingtaine de textes scénaristiques, dont quatre seulement ont été publiés de son vivant, entre 1925 et 19331. C’est ce second pan qui nous intéresse pour cette étude, qui se propose d’appréhender le premier ciné-texte2 du poète, en l’occurrence Minuit à quatorze heures. Essai de merveilleux moderne. Les ressources numériques d’ALMé permettent de constituer un corpus de deux références : un manuscrit de treize feuillets3 et une dactylographie de quatorze feuillets4. Nous les soumettrons à l’examen d’une approche interdisciplinaire qui convoquera l’analyse génétique, stylistique et thématique. Corrélativement seront mis en regard d’autres écrits cinématographiques de poètes contemporains de Desnos, essentiellement surréalistes.

L’objet matériel

2Accorder une prévalence à la description de l’esprit, à l’œuvrer plutôt qu’à son résultat, l’œuvre, est éclairant à bien des égards, notamment pour comprendre la création en train de se faire, par la mise en exergue des traces visibles d’un mécanisme créatif. Pour le dire autrement, passer ces sources à l’épreuve de l’analyse génétique permet d’enrichir nos connaissances sur la méthode créatrice de Desnos. Bien entendu, cette création a une réalité avant son inscription sur le papier, avant son écriture même, puisque l’origine n’est pas dans le verbe mais dans l’imaginaire qui le précède. C’est ce qu’on appelle, en génétique, l’exogenèse5, que Michel Butor évoque ainsi lors d’un entretien avec Georges Charbonnier en 1937 : « Lorsque je me mets maintenant à aborder l’exécution de ces projets anciens, la première lettre que j’écris est une lettre qui repose déjà sur dix ou quinze ans de brouillons mentaux, de ratures mentales6. » Pour Desnos, avec Minuit à quatorze heures. Essai de merveilleux moderne, cette exogenèse n’est pas connue. Elle est sans doute moins longue que celle évoquée par Butor, quoique le jeune spectateur du cinéma muet qu’est le poète précoce rêvât peut-être déjà de son propre cinéma et imaginât peut-être alors son premier ciné-texte.

3Ces treize feuillets manuscrits de Desnos ne sont pas datés. En revanche, sur la dactylographie de quatorze feuillets figure au crayon la mention manuscrite suivante : « écrit par Robert alors qu’il était à Paris-Soir, 14 boulevard Montmartre, vers 1925 ». Et le ciné-texte a été édité en 1925 dans le numéro 12 des Cahiers du mois, dont l’achevé d’imprimer mentionne le mois de juin. Certes, ces deux sources ne renseignent pas avec exactitude sur la date d’écriture mais permettent néanmoins de savoir avant quelle date l’écriture s’est faite, soit de connaître le terminus ad quem.

4Le ciné-texte de la main du poète ne correspond pas à un premier jet : c’est un manuscrit au net. Mais il nous livre malgré tout certains éléments. Essayons de le faire parler en appréhendant successivement son support, ses outils, son écriture, sa gestion de l’espace graphique, ses biffures, mais aussi ses manques, soit ce qu’il ne contient pas.

5Utilisés uniquement au recto de feuilles volantes, sans doute dans un souci de visibilité, les treize feuillets sont numérotés en haut à droite. L’instrument graphique utilisé est unique : un stylo noir. L’écriture révèle une spontanéité organisée. Régulière, réglée dans sa numérotation et sa disposition, celle-ci est aussi décidée au niveau de sa scription. Comme le rappelle fort justement Roland Barthes : « Écrire n’est pas seulement une activité technique, c’est aussi une pratique corporelle de jouissance7. » Or, il nous semble que ce tracé spontané de Desnos, tourné avec enthousiasme vers la droite donc vers l’avant, nous le rappelle également. L’absence de codes cryptiques et d’abréviations, qui réduiraient la durée du geste d’écriture, viennent à notre sens renforcer cette idée de plaisir de l’acte d’écrire. Certes, l’objection qui consisterait à avancer que ce manuscrit au net est peut-être destiné à la publication dans les Cahiers du mois, et que par conséquent Desnos se devait d’être lisible pour tous, est recevable. Cependant, si elle tient pour l’utilisation d’un éventuel code cryptique, elle ne tient plus pour les abréviations, connues de beaucoup, surtout dans le milieu de l’édition.

6Relevons à présent une spécificité de l’écriture manuscrite de Desnos : l’absence d’accents. Cette particularité est d’une grande aide pour les questions d’attribution. En 1972 par exemple, le Musée d’Art moderne de New York découvre dans ses collections un manuscrit de L’Étoile de mer, qu’il attribue à Man Ray. Fort heureusement, en 1986, l’erreur est rectifiée grâce à Inez Hedges qui travaille sur le manuscrit : il est de la main de Desnos8. On compare le manuscrit avec d’autres de la même période. L’absence d’accents est notamment une preuve irréfutable.

7Au niveau de l’espace graphique, la gestion de la page de chacun des treize feuillets est récurrente : légères marges, interlignage copieux, disposition par numéro et régularité de la disposition.

8Même s’il ne s’agit pas d’un premier jet, la biffure est présente, sous deux formes. Assez logiquement pour un manuscrit au net, on trouve d’une part des biffures de suppression. En effet, Desnos barre pour retrancher : des fautes d’orthographe – par exemple au numéro 57 : « au premiers » – ou des segments de phrase qu’il n’a pas positionnés au bon endroit – par exemple au numéro 20 : « En aval. La ligne au fil de l’eau », qu’il recopie ensuite dans le numéro 21. Existent d’autre part de biffures de substitution, plus instructives. Dans ce cas, Desnos raye pour modifier son texte. Trois exemples :

48. « Une auréole paraît » → « surgit »

79. « Il tente de la rassurer » → « caresse le chat qui se frotte contre ses jambes »

80. « Le lendemain soir » → « La nuit »

9Même si elles sont peu nombreuses, ces biffures de suppression nous permettent de converger vers la conclusion suivante : Desnos continue à travailler son ciné-texte jusqu’au dernier moment afin de permettre à la tension d’aller crescendo : « Surgit » est plus saisissant que « paraît » ; « Nuit » est plus inquiétant que « lendemain soir » ; « Il tente de la rassurer » est supprimé, et le chat qui se frotte sur les jambes ne contribue pas à rendre l’atmosphère plus sereine.

10Mais s’il est instructif de relever et de décoder ce qui se trouve sur la page, il convient aussi d’être attentif à ce qui n’y figure pas. Et ce qui ne figure pas, et dont l’absence nous semble criante, ce sont les images. Si ce manque nous interpelle et nous interroge autant, c’est essentiellement pour deux raisons. La première : Desnos dessine et peint très souvent ; son œuvre est effectivement constituée de gouaches, de croquis aux crayons de couleur, etc.

11La seconde raison : il s’agit d’un écrit pour un art visuel, le cinéma. Or, ici aucune image. Par exemple, le premier ciné-texte de Jacques Prévert, poète surréaliste contemporain de Desnos qui s’essaie lui aussi à l’écriture scénaristique, contient bien des dessins9 du décor et des protagonistes, hommes et animaux. Et pourtant Prévert est loin de manier alors aussi souvent le dessin que Desnos, et de plus il n’a pas les aptitudes de Desnos en la matière. Là encore, on pourrait penser que cette absence est liée à la perspective d’une publication en revue. Sauf que cette absence est récurrente sur les autres ciné-textes de Desnos dont nous avons connaissance, y compris ceux qui n’ont pas été publiés.

Le ciné-texte

12Le titre pose le motif du temps, en réactivant un lieu commun langagier, pratique toute surréaliste : « chercher midi à quatorze heures », qui devient « minuit à quatorze heures » (sans « s » sur le manuscrit et avec « s » sur la dactylographie), et en insérant une certaine étrangeté. Le sous-titre nous renseigne quant à lui sur les velléités de Desnos, et par déduction sur sa conception du 7e art. Il s’agit d’une tentative, d’un essai. Rien d’étonnant, constamment le poète a été un expérimentateur. Mais à quoi va-t-il cette fois s’essayer ? À renouveler le merveilleux. On se dit alors que Desnos a probablement entendu André Breton, qui déclare dans le Manifeste du surréalisme : « Le merveilleux n’est pas le même à toutes les époques 10. » Mais comment donner naissance à un nouveau merveilleux ? Grâce à ce jeune moyen d’expression, le cinéma, dont il faut se saisir. Rappelons que Guillaume Apollinaire a appelé les poètes à s’emparer de ce jeune moyen d’expression dès 1917, lors de sa conférence « L’Esprit nouveau11. » Et Desnos fait partie des poètes qui l’ont entendu. Le cinéma apparaît alors pour lui comme un pyrogène capable d’allumer l’imaginaire, comme un pyrogène qui pourrait lui permettre de réinventer le merveilleux. C’est le merveilleux qui motive bel et bien son passage à l’acte de création pour le cinéma. Comment s’y prend-t-il ? Il fait d’une boule un personnage à part entière. Et il utilise tout au long de son ciné-texte le motif du rond : des ronds dans l’eau, des pupilles rondes, des ronds de serviette, des boutons de porte ronds qui tournent, des cerceaux en papier, des pièces de monnaies, un ballon rond, etc. Ce champ lexical est omniprésent. La grosse boule trouble la femme et l’amant, qui débarrassés du mari, vivent désormais ensemble. Elle vient les hanter, d’abord par de furtives apparitions, puis elle s’installe, elle prend ses aises, elle saute sur la table, elle a son couvert et elle grossit à une vitesse impressionnante. Exaspéré, l’amant la chasse à coups de pied et le couple se croit débarrassé de son cauchemar… Il n’en est rien ! La boule roule. La boule revient. Elle absorbe les oiseaux, les reptiles, les lapins, etc. Elle prend des forces. Elle devient énorme. Elle engloutit la maison et ce qui l’entoure, le couple compris. Elle est alors un troisième protagoniste, très symbolique certainement d’un retour du mari, qui revient puis finit par tout anéantir.

13Le thème de l’amour, présent dans ce ciné-texte, n’a rien de très original en soi. Il est même très conventionnel puisque dans les années 1910-1920, les grandes thématiques des films français se divisent globalement en deux pans. D’un côté : des crimes et des enquêtes de police, permettant pléthore de rebondissements. D’un autre : des films ayant trait aux relations amoureuses, à la famille et aux enfants. Par conséquent, Desnos s’inscrit dans son époque puisqu’il traitera bien ces deux champs dans ces ciné-textes. Avec Minuit à quatorze heures. Essai de merveilleux moderne, il aborde le second. Si le choix du sujet n’est pas novateur donc, le traitement que Desnos en fait l’est en revanche davantage. Il ne donne pas à voir une famille et ne propose pas de figures d’enfant. Il aborde le couple sous des phases sombre et solaire. La phase solaire s’incarne dans le pouvoir libérateur de l’amour. La phase sombre s’incarne quant à elle dans la difficulté de vivre à deux, voire dans une certaine aporie du couple. Desnos met en scène un premier couple, le mari et la femme, puis apparaît un amant, la femme et l’amant forment un nouveau couple, susceptible de subir à son tour les mêmes affres que le couple légitime initial.

14L’ensemble du ciné-texte est construit sur la logique des rêves. Le texte fonctionne par associations, qu’elles soient phoniques ou sémantiques ; par ricochets, dans une sorte de spirale parfois non dénuée d’humour ; par visions oniriques ; par échos et reprises. L’image est absente par le dessin, nous l’avons vu, mais elle est présente grâce au style que Desnos utilise, et qui est propice à faire survenir les visions. C’est évident à la lecture : Desnos écrit pour être vu et non pour être lu. Il veut que ses mots provoquent des images. Il désire que sa création s’envole de la page vers l’écran. Il a pour dessein qu’elle prenne vie en plans et en séquences dans les salles obscures. Desnos n’est pas dans le même registre que Benjamin Fondane par exemple, qui invite quant à lui à ouvrir « l’ère des scenarii intournables » et précise que « ces scenarii, écrits pour être lus, seront à courte échéance noyés de “littérature”12. » Avec ce premier ciné-texte, Desnos ne cherche pas à s’inscrire dans ce courant qui, dans la seconde moitié des années 1920, est en passe de devenir une sorte de nouveau genre littéraire. Desnos essaie de créer autre chose, d’innover une fois encore. Il tente d’inventer un autre langage, une écriture qui fait naître les images, un récit qui se tient grâce aux images, qui trouve son rythme grâce à leur succession. Parfois, on trouve des phrases complètes, mais toujours simples et courtes. Les visions sont engendrées grâce à des indications de localisation ou d’action basiques. Dire peu pour déclencher l’image. Dire le moins possible pour donner à voir le plus possible. Quelques exemples, en fatras : « sur la route », « le jardin », « arrivée du train », « baisers sur la bouche de la femme et de l’arrivant ».

15Au niveau sémantique, notons l’absence de termes cinématographiques. Certes, le vocabulaire n’est pas encore très développé en 1925 mais il existe, et d’ailleurs Apollinaire dès 1917 dans un ciné-texte qu’il écrit à quatre mains avec André Billy, en l’occurrence La Bréhatine. Ciné-drame13, utilise les termes de « fondu » ou de « surimpression » par exemple. Ce n’est pas le cas de Desnos. Le seul qu’il utilise est « premier plan » mais c’est un terme de cadrage photographique pas spécifiquement cinématographique, entré dans le langage courant.

16Venons-en à présent à la morphologie de ce premier ciné-texte de Desnos. Il est morcelé en numéros, 161 exactement. Comment fonctionne le fractionnement du texte, le découpage ?

17Parfois, un numéro peut être l’équivalent d’un plan. C’est le cas de ces trois numéros :

9. « Baisers sur la bouche de la femme et de l’arrivant »

17. « Des ronds dans l’eau »

29. « Leurs yeux en premier plan. Les pupilles rondes »

41. « La femme dormant dans son lit »

18Dans ces cas, les numéros correspondent soit à une seule action filmable dans un plan (des ronds dans l’eau), soit à un gros plan sur les organes des personnages (leurs yeux). Ailleurs, l’équation entre le numéro et le plan est moins nette, voire impossible :

42. « Rêve de l’amant : la place Vendôme déserte sur laquelle il se promène, puis la place de la Concorde »

55. « L’amant dans un torrent qui l’emporte. Il échoue sur une petite plage. Au moment où il va se lever l’eau le reprend. Impression de noyade. Réveil »

130. « Elle [la boule] refait en sens inverse le chemin parcouru à l’aller mais la nuit. La masse énorme passe sur la mer puis sur Paris, puis la campagne. Elle fait une ombre immense sur le ciel »

19La numérotation sert ici davantage à compartimenter les changements opérés dans le texte : transition de l’éveil au sommeil, du réel au rêve ; actions des protagonistes ; etc. Par endroits, cette forme fragmentaire témoigne aussi du souci de Desnos d’essayer de compartimenter ses pensées en images, en faisant parfois s’enchaîner celles-ci par associations d’idées. C’est le cas avec le motif du rond :

19. se termine avec « des ronds dans l’eau »

20. commence avec « le soleil »

35. « des ronds dans l’eau »

36. débute avec « le bouton rond de la porte tourne lentement »

47. « L’hostie grandit démesurément dans sa main [NDR : du prêtre] »

48. « Une auréole surgit derrière la tête du prêtre »

20Desnos n’est pas le seul à tenter l’enchaînement par associations d’idées de numéro en numéro. Après Jacques Prévert et Benjamin Fondane, convoquons un troisième poète surréaliste qui s’est essayé au cinéma dans les mêmes années : Benjamin Péret. En 1922-1923, dans La Main dans la main, un ciné-texte de 249 numéros14, Péret utilise le même processus mais avec le motif du fromage, et sur plusieurs numéros consécutifs :

113. La tempête : des vagues de gruyère secouent le tonneau dans tous les sens.

114. Une énorme lame de fromage bouillant.

115. Un tonneau est rejeté au rivage.

116. Une lame de roquefort.

117. Le tonneau est brisé contre un rocher de parmesan.

21La forme du ciné-texte de Péret est elle aussi fractionnée en numéros, même s’il ne l’utilise pas constamment dans les ciné-textes qu’il écrit. Desnos non plus d’ailleurs. Pour avoir travaillé sur un certain nombre de ciné-textes de cette période, nous estimons qu’environ 15% d’entre eux sont agencés de la sorte, selon un découpage en numéros. En France, dès les années 1910 se sont mises en place des règles techniques d’écriture de scénario. La structure du texte se modélise peu à peu de sorte que le scénario apparaît comme la résultante de méthodes à acquérir. Deux repères. En 1914, une « Technique du scénario » est publiée en sept épisodes dans Le Courrier cinématographique, du 10 janvier au 21 février, signée par Americus, pseudonyme de Léon Demachy. Elle donne des « conseils pratiques et utiles » sur le fond et la forme. En mai 1918, une « Étude sur l’évolution de l’industrie française. Considérations générales, par Charles Pathé » est éditée en fascicule. Pathé y affirme que le scénario est « le point de départ du négatif » et que s’il « a été négligé il rendra le surplus d’efforts et des dépenses stériles15. » De fait, Pathé donne des conseils divers pour le réussir, comme une sorte de guide. Ce que nous pouvons avancer, en regard de ces succincts éléments de contextualisation, c’est que Desnos, qui est un débutant et un autodidacte, n’a très certainement pas lu ces textes et ne maîtrise pas les dispositifs existants. Il les invente donc pour concevoir ses écrits pour le cinéma.

22Deux aspects me semblent encore intéressants à relever. D’une part les intertitres : Desnos en glisse certains dans son ciné-texte, en l’occurrence une réplique et un court dialogue, qu’il mentionne entre guillemets et souligne :

12. « nous allons faire un tour »

66. « Qu’y a-t-il ? J’avais cru entendre du bruit. Moi aussi16 »

23Desnos, on le sait grâce à ses textes sur le cinéma, est particulièrement attaché aux intertitres, qu’il nomme fréquemment sous-titres d’ailleurs. Il pense qu’ils font partie intégrante de la magie du cinéma, qu’ils sont « un élément organique du film » comme il l’écrit le 13 avril 1923 dans Paris-Journal. Il explique qu’il serait dommageable de s’en priver s’ils peuvent être le moyen de provoquer des émotions. Pour Desnos en effet, la qualité du texte est susceptible de présenter elle aussi un puissant intérêt. Il convient par contre d’éviter « les tirades académiques » et « le ridicule des prétentions livresques ». En revanche, si l’intertitre parvient à faire corps avec le film, Desnos nous dit que « le ton change, l’atmosphère est rétablie ». Dans sa propre pratique, le poète est fidèle à cette pensée, développée deux ans avant l’écriture de Minuit à quatorze heures. Essai de merveilleux moderne. Second point, la musique. Si le cinéma est muet, il est en revanche sonore dans le sens où après avoir été accompagné de boniments, il l’est de bruitage, de musique, entre autres. Desnos, on le sait, a aussi un lien fort avec la musique. Pourtant ni le manuscrit ni la dactylographie ne mentionnent cet aspect. Cependant, dans la publication de juin 1925 des Cahiers du mois figure à la toute fin :

« Note – Chaque fois que la boule apparaît, la musique joue La Carmagnole. Le reste du temps, musique classique de cinéma. Pas de musique artistique, de la musique de cinéma »

24Un ajout de Desnos ? Très certainement. Écrite en 1792, La Carmagnole est chantée et dansée – la danse renvoie à nouveau au motif du rond, du cercle – dans les réunions révolutionnaires, qu’il s’agisse de bals, de fêtes ou d’exécutions au pied de la guillotine. Desnos l’envisagera également pour L’Étoile de mer, réalisé par Man Ray en 1928.

25La mise en lumière de cette addition concernant la musique nous ramène à la génétique. La génétique, revenons-y, et bouclons la boucle pour reprendre le motif du rond ! Établir un dossier génétique permet aussi de mettre en exergue les variantes, de manuscrit en manuscrit, de manuscrit en dactylographie, de dactylographie en dactylographie, de dactylographie en édition, d’édition en réédition…