Colloques en ligne

David Christoffel et Galia Yanoshevsky

L’interview manquée

1Colloque sur le corps de l’écrivain. L’écrivain, David Christoffel, vient avec son corps. Je me charge de l’interviewer, mais nous ne nous connaissons pas, j’ignore le travail de David et surtout, nous n’avons pas envie de répéter ad nauseam la formule rebattue de l’entretien d’écrivain. Nous nous rencontrons dans un café à la Gare Saint Lazare : cette formule, nous décidons de la déconstruire, mais comment ? David parle d’une trame et d’un schéma… moi – une tapisserie ? Non, c’est non-figuratif. David trouve que ce qu’il dit est fort intéressant et mérite d’être répété dans l’interview. Le hasard veut que la semaine d’après, il se trouve à Besançon pour la performance de Jeux. Nous décidons de nous rencontrer : l’enregistrement avait été désastreux, aucun des moyens techniques employés (Skype, WhatsApp, Viber) dans mon bureau provisoire de professeure invitée à l’Université de Franche-Comté ne fonctionnait. Nous avions fini par avoir un enregistrement vidéo sans son. Sous des trombes de pluie j’accompagne donc David à la place de la Révolution (que je nomme « République ») : le spectacle de Dominique Brun auquel il participe comme récitant et pour lequel il a composé la musique sur celle de Debussy, je le verrai ce soir-là. Il faut quand même prendre connaissance de l’œuvre de la personne derrière l’interviewé. Je me rends au théâtre, rue Mégevand, or il est bel et bien à la salle des Deux Scènes, mais dans l’autre, loin du centre-ville – à Planoise. Ça alors ! Frustrés mais déterminés, nous nous donnons RV téléphonique. Pas de succès non plus ; les démons de l’a-communication nous empêchent de réussir notre coup : je me prépare, j’achète un logiciel d’enregistrement de conversations Skype, je me mets au grenier, je mets au silence la famille… mince ! la qualité de l’enregistrement est infecte. David brille comme interviewé : il dit des choses fort intéressantes sur l’interview et la place de l’auteur, je ne note pas, fort sûre de mon logiciel. Mais que peut-on faire lorsque toute cette parole dorée se transforme en gruyère, comme le dit Lévanah, ma chère assistante à qui je donne la tâche improbable de transcrire (mais transcrire quoi ? avouons-le, on n’entend quasiment rien !!) la bande sonore. Toutes les tentatives de reconstitution par ralentissement de la bande échouent. Nous restons avec les trous du fromage pour ainsi dire, qu’aucun lecteur à la Iser ne pourrait remplir… quelle frustration ! Le temps passe vite, on est bientôt fin janvier. Rien n’est prêt, nous sommes pris chacun par le quotidien. Aucune rencontre en face-à-face n’est désormais envisageable. David, toujours inventif, sort avec son micro de journaliste : en route vers son travail, il va s’enregistrer, enregistrer des réponses. Pour ma part, j’inventerai des questions aux réponses. Rien n’a changé dans l’entretien, au fond, juste l’ordre des interventions ! Sur le chemin, un monsieur le croise. Ce dernier réagit tout de suite au micro (peu importe s’il ne lui est pas tendu : ce monsieur veut s’exprimer). Interruption des pensées poétiques sur l’entretien et irruption d’un monologue averti pour la libération (de qui ? de quoi ? au nom de qui ?). Les jeux sont faits ! Tu seras surprise, m’avertit David. Le jour même du colloque, il nous reste le montage. Comment présenter un entretien qui n’a jamais eu lieu ? On va jouer à rebours (idée que David a proposée lors de notre première rencontre à la Gare Saint Lazare, lorsque nous croyions encore en la possibilité de déjouer l’entretien par un… entretien). Sur une présentation Powerpoint, nous étalons nos « preuves d’échec » : le film muet projeté à l’arrière-plan, la bande sonore des réponses enregistrées, la lecture en temps réel des questions et pour finir des saisies d’écran de nos textos. Un entretien performance enregistré (heureusement) pour la postérité et qui témoigne de notre capacité à contrer les coups du sort. Hélas, suite à une erreur humaine, les enregistrements lors du colloque sont effacés. Dernier clou dans le cercueil de notre interview qui ne restera que sous forme de bribes dans notre souvenir. Du moins nous tutoyons-nous depuis.

  

2Télécharger le Powerpoint : http://metaclassique.com/data/entretien.pptx