Colloques en ligne

Sylvie Camet

« Bannissons les applaudissements, le théâtre est partout… » (Odéon, 1968)

1C’est en date du 15 mai 1968 que le Comité d’action révolutionnaire (C.A.R.), décidait d’occuper le théâtre de l’Odéon. À cinquante ans de distance, par-delà le récapitulatif historique – les faits s’oublient vite ou demeurent ignorés –, notre interrogation portera sur le sens de cette occupation, les traces qu'elle laisse ou le sillon qu'elle creuse, qu’il s’agisse de l’écriture ou de la représentation, d'une organisation théâtrale sous la forme de troupes ou d’équipes, qu'il s’agisse de spectacles clos ou ouverts, de hiérarchie des places entre techniciens, comédiens, metteurs en scène, qu'il s'agisse bien évidemment des rôles respectifs des acteurs et des spectateurs. En effet, quelle que soit l'opinion que l'on puisse avoir de l'événement, la seule chose que l'on ne pourra lui dénier tient à cette force particulière de questionnement, l'épisode marque définitivement l'histoire du théâtre, en ce qu'il tente une forme libre qui eut peu d'antécédents et ne fut plus suivie d'équivalents.

Le déroulement

2Commencer par un bref rappel des épisodes qui ont jalonné un mois d'occupation s'avère nécessaire pour la mémoire, mais se révèle beaucoup plus complexe qu'il y paraît si l'on prend la peine de relever les contradictions qui émaillent les rapports.

3La version la plus courante met en avant des personnalités, comme celle de Daniel Cohn-Bendit, qui, auréolé d'une gloire rétrospective, aurait non seulement eu l'idée de départ, mais serait venu briller sur la scène, impulsant à l'Odéon l'esprit révolutionnaire du 22 mars. D'autres relations internes insistent au contraire sur la négation du vedettariat et donc sur la tentative pour que les paroles se relaient, que le comité ne soit pas un comité de chefs. Il est remarquable que dans le récit de Patrick Ravignant disparaissent tous les noms, tandis que dans d'autres comptes rendus on évoque une assemblée générale présidée par François Périer au Théâtre de la Porte Saint-Martin, on indique qu'un comité d'action culturelle se constitue autour de Delphine Seyrig, continuant de mettre en exergue les célébrités, alors que le nouvel Odéon refuse de maintenir les catégories commandées par la division sociale, catégories renvoyant à des auteurs, des directeurs, des dirigeants.

4Le rôle de Jean-Louis Barrault fait l'objet lui aussi d'un éclairage différent selon que l'on insiste sur sa présence, ses appels à maintenir l'activité théâtrale ou qu'on le cantonne dans son bureau, relégué à l'accessoire, humilié et incapable de trouver une place dans ce nouvel engrenage.

5Les Renseignements généraux avaient prévenu le ministre de la Culture du risque d'occupation, Marie-Ange Rauch, auteure de l'ouvrage Le Théâtre en France en 1968, crise d'une histoire, histoire d'une crise1, indique que ce dernier parut hésiter sur la conduite à tenir. En 1966, alors que Barrault avait monté les Paravents et essuyait les foudres de l'OAS, Malraux, peut-être encore écrivain de La Condition humaine, avait prononcé un discours resté célèbre qui fondait sa défense sur l'argument : « Cette pièce blesse votre sensibilité. N’allez pas acheter votre place au contrôle. On joue d’autres choses ailleurs. Il n’y a pas obligation. Nous ne sommes pas à la radio ou à la télévision2 ». Obligé de camper cette fois une attitude plus gaullienne, il envoie des messages qui ne peuvent tous s'appliquer simultanément : fermer le théâtre pour le protéger, ouvrir le théâtre, enfin, engager un dialogue avec les étudiants. Le secret espoir consiste dans une faillite du mouvement qui se discréditerait lui-même et éviterait en fin de compte d'assumer une décision gouvernementale.

6Jean-Louis Barrault, directeur depuis 1959, s'identifie à une intelligentsia non conformiste, il plaide l'internationalisme de la salle dont il est le responsable, souligne son effort pour éviter une programmation étriquée et convenue. Paul Taylor, qui joue le soir de la brusque irruption des insurgés, s'exclame : « Jesus Christ! Why me? ». Il ne comprend pas qu'on occupe un théâtre où danse, pour une fois, une troupe noire dirigée par un Noir. Madeleine Renaud proteste également contre ce procès qu'elle estime injustifié, croyant défendre une réputation avant-gardiste, elle avance le nom de Ionesco – dont Barrault a créé Rhinocéros en 1960 – suscitant alors des protestations véhémentes contre ce dramaturge type même du bourgeois voire du petit fasciste. Devant cette salve, Barrault, qui avait témoigné d'une première réceptivité au discours de ceux qu'il nommera les « enragés », finit par déclarer : « Je ne suis plus metteur en scène, je ne suis plus acteur, je ne suis plus rien3 ! » Écartelé entre un sentiment d'incompréhension profond et une sympathie naturelle pour cette contestation, il oppose un refus à la demande qui lui est faite en haut lieu de couper l'électricité pour obliger les occupants à partir, désobéissance au pouvoir qui sera retenue contre lui lorsque l'histoire exigera des coupables. Ceux qui incarnèrent des formes expérimentales se trouvent dépassés en cette soirée par une radicalité plus exigeante. S'opère un renversement inattendu puisque les chantres de la modernité tombent de leur piédestal : nous l'avons vu pour Barrault, cela sera tout aussi vrai de Jean Vilar dont le nom entre en assonance avec celui de dictateurs, « Vilar, Béjart, Salazar... », c'est certes un jeu de mots, mais simultanément une disqualification sans appel. La Société du spectacle de Guy Debord a trouvé son champ d'application : « L'innovation dans la culture n'est portée par rien d'autre que le mouvement historique total qui, en prenant conscience de sa totalité, tend au dépassement de ses propres présuppositions culturelles, et va vers la suppression de toute séparation4 ».

7Dès le 16 mai donc, le drapeau noir et le drapeau rouge flottent au fronton de l'Odéon, encadrant une large banderole « Étudiants-Ouvriers, l'Odéon est ouvert5 ».

L’invention

8Pour beaucoup, se fiant à de vagues impressions, cette prise de l’Odéon s’annonce comme une vaste fanfaronnade et se décrirait comme des jours d’excitation sans véritable contenu. Or, dès qu’on approche cette absence de logique d’ensemble, on découvre justement toute une logique, qui s’esquisse et s’ébauche au fil des discussions et des confrontations. Employant ce terme de logique nous requérons cependant ce qui fut dénoncé, à savoir que ce confort que nous réclamons, trouver du sens, une orientation, une explication, sont autant de marques d'une éducation, d'un conditionnement ayant bridé à jamais notre imagination et notre capacité d'emportement. Comprenons donc que la recherche de cette logique, le mot s'avérant inadéquat, s'entend comme la reconnaissance de ce que ces semaines ne s'écoulent ni dans la passivité ni dans l'abandon, mais qu'elles sont guidées au contraire par une effervescence de chaque instant, que les nuits blanches sont autant de moyens de rendre aux journées leur totalité, d'en extraire la substance infinie.

9Rien n’est moins simple que cette occupation, qui, même si elle revêt parfois des allures enjouées, suppose détermination et audace. Tout d’abord, il faut tenir compte de ce qu’il s’agit d’un bâtiment national, qu’à ce titre il fait l’objet d’une défense policière active. En outre, n’incarnant pas l’intellectualisme de la Sorbonne, il autorise une fréquentation plus populaire, les allées et venues, encouragées, facilitées, multipliant cependant les risques d'altercation. Les balcons surchargés menacent de s'effondrer, le danger de l'incendie est constant, il faut se défier des infiltrations par la police en civil, par les groupuscules d'extrême droite, des bombes lacrymogènes sont fréquemment lancées provoquant fuite et panique. L'organisation financière, la protection de l'argent des collectes, la distribution des repas, tout cela suppose une maîtrise évidente que personne ne possède, mais qui fait l'objet d'ajustements et réajustements constants.

10En dépit des tâtonnements, il convient de souligner l'instauration immédiate d'une diversité sociale qui permet que se côtoient des femmes et des hommes provenant de classes presque étrangères les unes aux autres, que se formule une parole quasi libre. La trêve, de plus en plus problématique avec le temps, conférera à la deuxième quinzaine de ce mois de happening des contours très différents, l'occupation se focalisant de plus en plus sur la défense et la réponse à donner au risque d'un assaut des forces publiques. Par ailleurs, à l'intérieur même se nouent les contradictions : de jeunes délinquants s'installent qui trouvent pour la première fois de leur vie une sorte de famille donnant du sens à leur existence, ils prennent très au sérieux leur responsabilité révolutionnaire, tandis que d'autres individus en déshérence imposent leur présence plus ou moins parasite. À cette étape surviennent les beatniks transformant la cave en lieu d'ébats sexuels sans entraves. La salle dite des planeurs où se consomme une abondante série de drogues oblige à une certaine surveillance médicale. Mais, quelle que soit l'attitude, elle s'entend comme une revendication contre laquelle toute répression apparaîtrait comme une contradiction intrinsèque au phénomène de libération en cours. La saleté est devenue répugnante, les immondices s'accumulent partout, ce sera d'ailleurs la seule remarque publique du préfet après l'évacuation forcée du 14 juin, renvoyant l'affaire à un aspect purement pratique et pourtant subsidiaire, puisque l'essentiel est ailleurs : « Quelques heures d'Odéon libre guérissent plus vite et mieux, déclare un témoin, que des mois de soins psychanalytiques6 ».

L'ex-théâtre

11La « Commune de la Sorbonne » a donc étendu son territoire. Pourquoi l'Odéon ? Parce qu'il est un symbole de la culture bourgeoise et gaulliste, qu'il est situé au quartier Latin – on prétend même qu'un souterrain le relie à l'université. « Quand l’assemblée nationale devient un théâtre bourgeois, tous les théâtres bourgeois doivent devenir des assemblées nationales7 ».

12L'insistance sur le caractère officiel de ce théâtre, son aspect grandiose, sa représentativité pour l'État, rend évidemment plus saillante la valeur symbolique de la prise, tandis que notre perception contemporaine tendrait au contraire à une certaine banalisation des contours, l’Odéon ne serait plus qu’une salle de spectacle parmi les salles de spectacle. Paul Virilio, alors architecte protestataire, Jean-Jacques Lebel, que l'on retrouvera dans la contestation du Festival d'Avignon en juillet, posent les principes :

Je suggère qu'on s'empare d'un symbole de la « culture officielle », d'un emblème du nationalisme culturel français dont nous combattons depuis toujours le côté rétrograde et chauvin. Bref, je propose le théâtre dit « de France ». On y joue surtout du Claudel (le catho-pétainiste). C'est cette culture-là, archi-subventionnée, que l'État français fait circuler à l'étranger comme image de la Grandeur. Le cirque gaullien et l'idéologie stalinienne contrôlent tout. Il faut débloquer ça. Pour nous, il s'agit de faire tache d'huile, d'aider le mouvement à se répandre à l'ensemble de la société ce que Deleuze et Guattari appelleront « faire rhizome », – inculquer à la société comme un élan amoureux collectif impliquant toutes les couches sociales. Il nous faut transformer cet immense mouvement confus et corporatiste en œuvre d'art collective.8

13Cette proposition ne fait pas l'unanimité, déjà et tout simplement parce que le lieu mythique du théâtre français est la Comédie-Française. La décision d'occuper le théâtre n'est en outre pas une initiative venue du milieu professionnel lui-même, elle a été prise par des intellectuels exerçant sur les étudiants une influence notable. Il semble donc qu'une confusion s'opère entre les registres, qu’on ne sache plus exactement si la question en débat consiste dans les formes dramaturgiques, ou dans les modalités de la lutte, une semblable objection est balayée par le slogan : « Ne nous attardons pas au spectacle de la contestation, mais passons à la contestation du spectacle »9, qui dit clairement que l'affaire n'est pas que de théâtre, peut-être même ne l'est-elle pas du tout.

14La conséquence immédiate, et il est souhaitable que cela soit commenté en tant que tel, est que le mot de « théâtre » est abandonné. On commence à mentionner l’ex-théâtre dans l’idée d’affirmer qu’en lien avec l’étymologie grecque (θέατρον, de θεάομαι, theaomai, voir) il ne s’agit plus de contempler ou de regarder mais d’être partie prenante. Le 17 mai, la déclaration des premiers occupants est léguée aux successeurs, préconisant :

Le sabordage de tout ce qui est « culturel » – théâtre, art, littérature, etc… – le maintien de la haute priorité de la lutte politique sur toutes les autres ; le sabordage systématique de l’industrie culturelle et en particulier de l’industrie du spectacle, pour laisser place à la création collective véritable.10

15On substitue à l'idée de monument architecturé le statut de terrain vague. Chacune, chacun prend la parole et c'est cela la nouveauté, la première expression d'une improvisation honnête et authentique : on soulignera que le rideau de fer a été baissé donc qu'il faut parler depuis sa place et non dans une position de contrôle sur l'auditoire. Pour Judith Malina et Julian Beck11, l'Odéon constitue la meilleure tentative d'effacer les lignes de séparation entre les faiseurs (doers) et les spectateurs (lookers). Beck retiendra cette occupation comme la plus belle chose vue dans un théâtre, un premier air de liberté, une performance qui n'aurait été inscrite dans aucune forme préétablie, s'épanouissant au fur et à mesure comme dans une mélodie de jazz. Le lieu clos se transforme en une sorte de pandemonium, rassemblant toutes sortes de gens dans le bruit, le désordre, une agitation infernale, où se consumer joyeusement et ne pas consommer.

16Dans le même temps qu'émerge la notion d'ex-théâtre, se définit celle de non-public (le mot est employé par Francis Jeanson dans la Déclaration de Villeurbanne), qui s'inscrit dans une perspective analytique semblable. Le non-public demeure irrémédiablement étranger à la lecture, à la fréquentation des spectacles, des musées, quel qu'en soit le coût : le constat de cette absence constitue la mise en cause intrinsèque de l'idée de culture pensée officiellement comme patrimoine. C'est pourquoi le spectacle se doit d'être partout : « L'Odéon est un viol de nos vieilles structures mentales, de nos habitudes, de notre langage, de notre pensée endormie. Les révolutionnaires de 89 ont pris la Bastille. Nous avons pris la Parole12! » Donner une légitimité dramaturgique à ceux qui n'en ont pas, faire accéder à un plateau de théâtre ceux qui n'y accèdent pas, proposer d'importants déplacements sociaux, passer du rien au tout de la présence scénique, tel est l’enjeu crucial.

17 Les effets de cette prise de l'Odéon se font sentir absolument partout, à Paris même, où les personnels de l'Opéra et de l'Opéra-Comique décident d'occuper leurs locaux, au Conservatoire National d'Art Dramatique, ce sont les élèves qui prennent le contrôle de leur école. La contestation se répand en France d'une façon générale, principalement à Villeurbanne. Les responsables de la décentralisation dramatique dans leur ensemble rejoignent Roger Planchon en son Théâtre de la Cité (futur TNP en 1972).L'effervescence se propage en Avignon avec le Living Theater notamment et les manifestations du mois de juillet. À l'étranger les événements en cours ont été largement répercutés, notamment à New York et Milan ou des théâtres sont pris à leur tour. Ces initiatives, nombreuses, exaltent un temps qui s'exprime singulièrement autour de l'expression du corps et du cri, rompt avec les carcans en introduisant la dimension de la provocation, de la dérision, se détourne de la pérennité avec l'instantanéité de la performance, déjoue les conventions scéniques par le refus du quatrième mur qui sépare scène et salle, contribue à la conscience critique par des manifestations d'agit-prop, des spectacles liés aux événements contemporains férocement opposés à la guerre du Vietnam, et plus généralement dénonçant le capitalisme et le système qu'il a engendré.

Le coup d'arrêt

18Le premier coup d'arrêt concret survient lors de l'évacuation policière de l'Odéon le 14 juin, au point que, Barrault, malgré son scepticisme, considère le théâtre après sa reprise comme mort. Pour Barrault, de Gaulle a laissé faire comme on donne un os à ronger à un chien, l'Odéon devenu abcès de fixation a permis que nulle atteinte ne soit portée à l'ORTF, l'Académie, le Sénat, le Louvre. Puisque toutes les institutions ont continué de fonctionner, qu'un rouage seul ait été paralysé, doit-il être considéré comme plus qu'accidentel ? Ce renvoi à l'accessoire, cette idée qu'il s'est agi d'un épiphénomène a contribué à jeter le discrédit sur le mouvement. Ces réactions à vif ont été relayées mois après mois, année après année par un discours dont l'effort majeur a visé la sévère condamnation de l'entreprise militante de la seconde moitié du vingtième siècle. À l'automne, l'État français sur ordre du régime franquiste indique à Armand Gatti que sa pièce La passion en violet, jaune et rouge est déprogrammée du TNP pour ne pas heurter la « sensibilité franquiste13». Jacques Chaban-Delmas, premier ministre, déclare en 1971 qu'« il ne faut pas que la culture soit transformée en un instrument d'action politique. À partir du moment où la culture est ainsi dévoyée, on entre dans l'ignoble14 ». Olivier Neveux montre dans Une histoire du spectacle militant combien la décennie 1980 s'est révélée impitoyable :

De l'offensive révolutionnaire telle qu'elle était pensée, il ne subsistait plus que des tentatives dispersées, tandis que les mobilisations populaires étaient soit récupérées et « dénaturées », soit en net reflux. La social-démocratie ne mit pas très longtemps à décevoir les quelques illusions que certains, sur sa gauche, avaient pu entretenir. La crise, la nécessaire « modernisation », l'acceptation sans condition de l'économie de marché symbolisèrent ces années.15

19L'Odéon et sa tentative de concilier politique et art ravivait l'épisode de la Commune, il convenait en ce sens d'en étouffer jusqu'à la mémoire : les dissensions qui avaient parcouru le soulèvement historique allaient se retrouver sous une forme plus immédiatement artistique. Une fracture se faisait sentir qui présentait bien des analogies avec celle qui avait donné lieu à la rupture entre Aragon et Breton, rappelant la manière dont les surréalistes avaient cherché à s'inscrire ou non dans le jeu partisan. Le théâtre pouvait donc s'entendre comme l'une des manifestations de la politique, non pas comme son instrument, sa force serait comprimée s'il avait dû rendre les mêmes comptes que celle-ci, mais comme un biais par lequel explorer une dimension à part entière de la politique, si ce n'est comme moyen d'émancipation sociale, a minima comme support d'émancipation intellectuelle. Cette émancipation que décrit Jacques Rancière dans Le maître ignorant lorsqu'il interroge :

 Qu’est-ce qu’un maître ignorant ? C’est un maître qui ne transmet pas son savoir et qui n’est pas non plus le guide qui amène l’élève sur le chemin, qui est purement la volonté, qui dit à la volonté qui est en face de trouver son chemin et donc d’exercer toute seule son intelligence pour trouver ce chemin.16

20 La violence répressive s’exerçant contre les esthétiques après mai 68 tient évidemment à la capacité de ces dernières d'avoir pu se trouver en excès sur la situation.

21Les options contradictoires permettent de faire jouer la notion de scandale : qu'est-ce qui est scandaleux en effet ? D'avoir investi le théâtre de France ? (Il s'agirait là d'une objection de nature légaliste) D'avoir réduit ses troupes à des utilités ? (Il serait alors question d'une querelle de compétence) D'avoir arrêté la vente des billets ? (L'argument se ferait économique) D'avoir vêtu des corps nus de brocard et de pourpre ? (L'indignation porterait sur l'idée de déférence) ou, autre alternative, le scandale résiderait-il dans le fait que la France ait érigé en théâtre illustratif de son rayonnement un lieu fermé, coupé du social, servant les intérêts d'une classe qui s'y contemple en un miroir, le scandale proviendrait-il de ce qu'un élément de la culture ne s'entende qu'à favoriser la reproduction ? Le scandale, le scandalum latin, s'entend dans sa version première comme ce sur quoi on trébuche, or, ainsi que le Comité d'Action Révolutionnaire le proclame dans sa Charte de l'Homme futur : « Jusqu'à présent les révolutions revendiquaient un avoir, une quantité. Celle-ci revendique un être, une qualité… ». N'y a-t-il pas là de quoi faire trébucher nos certitudes ?