Colloques en ligne

Anaïs Fabriol

Naviguer dans ses classiques comme dans un livre ouvert : El Ministerio del Tiempo, son écriture et ses fans

1Diffusée pour la première fois en 2015 par la chaîne publique espagnole TVE 1 en 2015, la série télévisée El Ministerio del Tiempo1 (Le Ministère du Temps2) a suscité dès les premiers épisodes un véritable engouement parmi le public hispanophone global, qui s’est accompagné d’un franc succès critique. Depuis, deux autres saisons ont été programmées : la deuxième au printemps 2016 et la troisième à partir du premier juin 2017. Depuis le début de cette année, la série est également partiellement disponible sur Netflix dans certains pays non-hispanophones. Entre‑temps, de nombreuses communautés de fans se sont structurées sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, mais également de nombreux blogs et foræ indépendants) sous le nom général de ministéricos (contraction de Ministerio et d’histérico, hystérique) ; si certaines se consacrent à des tâches plus prosaïques (fan‑subbing, création de fiches techniques), d’autre interrogent le matériau narratif même de la série (recherche d’easter eggs ou éléments cachés, fan fictions, réécriture d’épisodes). Or, ce comportement, s’il est assez courant de nos jours chez le public d’objets de la culture de masse, possède tout de même quelques spécificités propres à cette série, qui se doivent à la fois à la manière dont elle a été présentée au public (surtout a posteriori du succès des premiers épisodes, d’ailleurs), et, de manière plus profonde, à son concept et à sa construction narrative.

2El Ministerio del Tiempo part du principe qu’il existe à Madrid, depuis Isabelle la Catholique, un Ministère secret, connu uniquement de ses fonctionnaires, du Roi (ou de la Reine, selon les périodes) et du chef du gouvernement. Ce Ministère, construit sur un puits, permet l’accès à toutes les époques de l’Histoire de l’Espagne, de l’époque d’Altamira à nos jours, via des portes spécifiques ; si une porte s’ajoute tous les ans, il est a priori impossible d’aller au-delà de l’époque actuelle. L’accès est possible à tout ce qui composait le territoire espagnol dans la période donnée : c’est‑à‑dire qu’une partie des portes donne sur les anciennes colonies, à l’époque où elles étaient sous l’autorité de la Couronne. La mission de ses fonctionnaires est de veiller à ce que « l’Histoire ne change pas », c’est‑à‑dire de maintenir, par tous les subterfuges possibles, ce que nous appellerons le continuum historiographique, contrainte narrative qui donne parfois lieu à des situations et des arrangements parfois savoureux.

3Le public suit donc, depuis trois saisons, les activités d’une patrouille composée de trois agents3 provenant d’époques diverses et dont la vision de l’Histoire diffère, ce qui permet d’ores et déjà d’assumer une certaine plurivocité. Les nombreuses transgressions effectuées dès les tout premiers épisodes par les protagonistes et leur dépaysement face à une réalité différente de celle qu’ils ont pu trouver dans les récits de leur époque d’appartenance montrent dès le début à quel point le récit historiographique (et littéraire, puisque apparaissent régulièrement des personnages fondateurs de la littérature espagnole comme le Cid4 ou Lazarillo de Tormès5, ou des auteurs comme Lope de Vega6, Cervantès7 ou encore Garcia Lorca8) est avant tout une question de perception et de préjugés, et en fin de compte, un dispositif narratif comme un autre.

4Il va sans dire que cette série, tant du point de vue de la construction diégétique que de son paratexte, ainsi que de sa réception, appelle de nombreuses analyses et réflexions sur le rapport entre créateurs (l’équipe de scénaristes dirigée par Javier Olivares), distributeurs (il conviendra d’analyser le rôle de TVE dans la propagation de la série et sa transformation en phénomène viral dans les médias et réseaux sociaux hispanophones) et public (qui est tout sauf passif et qui a donc loisir d’interpeller quand bon lui semble les deux premières instances). L’espace nous étant imparti étant limité, nous choisirons de nous limiter à mettre en lumière une double labilité : celle du récit diégétique, censé être basé sur une réalité historique (bien souvent littéraire, d’ailleurs), et les dispositifs qui permettent une remise en question et une dé/reconstruction par un public qui, à travers son rapport à la diégèse, exprime bien souvent tout autant son rapport au récit littéraire et/ou historique. Notons avant d’aller plus avant qu’outre les première9, deuxième10 et troisième11 saisons, la série, qui se revendique transmedia, comporte également dans sa ligne officielle deux spin‑off radiophoniques12 (2016‑2017), une websérie (2016) une bande-dessinée (publiée en 2017), jusqu'à une application utilisable lors d'un visionnage et donnant des informations sur les épisodes (mise en place pour la saison 3). Il est donc intéressant de noter que, même dans ce que nous pourrions qualifier d’univers officiel de la série, les sources sont variées et ne se limitent pas uniquement au média audiovisuel classique : la volonté de généraliser les sources de narration est, d’emblée, bien présente.

Labilité de la diégèse de la série, labilité du fait historiographique

5Chaque épisode s’articule donc autour d’un fait historique - qui peut aller de l’Invincible Armada à un épisode local comme une tueuse en série à Barcelone - et d’une période particulière (avec une nette prédominance, pour l’instant, pour la période moderne et contemporaine), où la patrouille se retrouve confrontée à une (ou plusieurs) figures historiques de l’Histoire espagnole et où l’objectif de maintenir le récit tel qu’il a été consigné dans les archives (ou dans le récit littéraire) sera de nombreuses fois mis à mal. Ce côté « vous êtes Espagnols, alors improvisez ! » lancé par Salvador, le directeur du Ministère, lors du premier épisode, donne un côté ouvertement satirique à la construction de l’événement historique et montre, aventure après aventure, la labilité et la polysémie du fait en tant que tel. Tout est réversible, d’une manière ou d’une autre, dans la diégèse principale de la série : le destin de personnages peut basculer d’une saison à l’autre et ce que des agents originaires d’autres époques mais vivant dans le présent tiennent pour acquis peut s’effacer en cas de modifications mineures du passé et/ou de génération de paradoxes temporels.

6Ainsi, le personnage d’Amelia, une féministe du XIXe siècle, recrutée pour servir le Ministère de l’époque actuelle, pense au cours de la première saison pouvoir connaître son destin : elle trouve sa tombe au cimetière de Barcelone, apprend qu’il lui reste six ans à vivre et que dans ces six ans, elle se mariera et aura une fille. Un peu plus tard, elle découvrira même une photographie en compagnie d’un enfant et de son camarade de patrouille Julian (qui, veuf inconsolable, a accepté de jouer la comédie devant ses parents, des bourgeois barcelonais qui ne voient pas d’un bon œil le refus de leur fille de se chercher un mari). Mais à la deuxième saison, après que Julian ait momentanément quitté le Ministère, elle a une liaison avec Pacino, son remplaçant, et découvre que l’enfant a disparu. Cette labilité de la petite Histoire se retrouve aussi par endroits dans la grande : ainsi le Cid est mort plus tôt que ce qui est apparu dans les chroniques, et a été remplacé par un agent du Ministère. Si au début de la première saison est posé le principe de l'irréversibilité de ce qui a déjà eu lieu (comprendre : on ne peut empêcher une mort, un régime dictatorial ou quoi que ce soit qui ait déjà été consigné dans la presse, le récit littéraire ou les archives), ce principe ne cessera donc d’être mis à mal. Première certitude donc : ce que le Ministère cherche à maintenir, c’est une avant tout une illusion historiographique.

7Cette labilité permet également à certains personnages de dialoguer avec leur version plus âgée, dans des paradoxes temporels parfois complexes. Ainsi, lors de l’épisode de la deuxième saison consacré à la vampiresse du Raval13 - tueuse d’enfants en série qui vivait dans la Barcelone du début du XXe siècle -, la jeune femme qui deviendra la vampiresse parvient à retrouver sa version criminelle et à lui faire entendre raison, lui permettant de sauver une partie de ses victimes, et ajoutant une version supplémentaire de la mort de celle‑ci, narrées par la presse de l’époque : est‑elle morte tuée par ses codétenues ou s’est‑elle finalement suicidée par l’entremise du Ministère et de son moi plus jeune ? Là encore, la série ne cherche pas à apporter une seule réponse, mais bien à préserver leur pluralité et leur subjectivité.

8Ainsi, chaque épisode est structuré comme une contre‑enquête : quoi qu'il arrive, les personnages doivent maintenir l'Histoire telle qu'on la connaît. Leur mission est donc l'exact opposé de celle d'un enquêteur qui se doit de découvrir la vérité : eux doivent parfois se forcer à ramener la situation vers le continuum historiographique. Pourtant, il transparaît derrière ces objectifs une deuxième volonté, à la limite de la métadiégèse : répondre, avec ou sans l'aide des personnages, à certaines énigmes de l'Histoire (et de la littérature, bien souvent) espagnole.

9Toutefois, le schéma du récit principal reste bien celui qui est censé avoir eu lieu pour l’immense majorité : la multiplicité de la vérité reste un objet de happy fews. Ces mises en perspective d’une Histoire hybride se font chaque fois plus présentes au cours de la deuxième saison, accompagné d’un langage filmique laissant suffisamment de zones d’ombre pour se faire une idée plus pragmatique sur certains événements - ou ne pas s’en faire une.

10Ainsi, même après avoir visionné l’épisode sur le roi fou Philippe V14, à qui Julian, infirmier du XXIe siècle, prescrit des benzodiazépines (avec un succès certain), le spectateur, pas plus d’ailleurs que la plupart des personnages, n’aura une réponse concrète sur la question cimentant le récit : qui est responsable de l’incendie de l’Alcazar de Madrid ? Si un plan très fugace sur le visage de la reine Isabelle Farnèse peut nous laisser supposer qu’elle n’y est pas étrangère, en revanche, l’on aura pu attendre la scène où, telle Mrs Danvers dans le Rebecca15 d’Hitchcock16, elle démarrerait le feu de manière ostentatoire. La fin, ouverte, laisse un doute raisonnable, mais un doute tout de même.

Fiction et non‑fiction : tous des personnages

11Cette mise en scène d'une possible réalité, où une certaine vraisemblance est apportée à la présentation de figures historiques, s'accompagne également de la transformation de personnages de fiction en être de chair et d'os ayant existé à une époque E. Ainsi, dans l'épisode Temps de coquins, où notre patrouille d'agents se rend au XVIIe siècle, apparaîtra une des figures majeures de la littérature du Siècle d'Or, Lazarillo de Tormès, qui devient leur guide, à la grande fascination d'Amelia (qui est censée être le cerveau du groupe). Une partie des situations du Lazarillo seront d'ailleurs représentées à l'image et non simplement narrées, comme si elles devaient visuellement prendre corps pour faire partie d'une réalité du passé (et il est vrai, certainement, qu'il a dû exister des hommes du peuple similaires au Lazarillo) ; il aura un traitement quelquefois plus précis qu'Hitler17 ou Napoléon18 (qui seraient, du reste, les deux principaux antagonistes de l'unité historique de l'Espagne, et qui sont quasiment réduits à l’état de bouffons, l’un s’exclament qu’il « préfère [se] couper le pénis plutôt que de négocier à nouveau avec Franco » et l’autre en pleine parade nuptiale avec Angustias, la secrétaire personnelle de Salvador, grimée pour l’occasion en mère supérieure d’un couvent aragonais).

12Certains autres personnages historiques, comme le peintre Velázquez, sont directement des agents du Ministère, ce qui permet d'une certaine manière de constituer une voie d'entrée à une représentation ouvertement parodique, voire critique de certaines figures : Velázquez est un enfant gâté, souvent odieux, qui se sait indispensable (il fait les portraits robots pour le Ministère) et qui n'arrête pas, de par ses caprices, de mettre en danger sa couverture (les agents ne sont bien évidemment pas censés parler de leur profession à l'extérieur), voire sa propre vie (ce qui mettrait sans nul doute l'historiographie espagnole officielle en grave danger). D'autres encore, vont se révéler avoir un lien direct avec une partie des protagonistes : ainsi Torquemada s'avère être le fils d'Ernesto, l'un des chefs du Ministère - information qu'il ne souhaite d'ailleurs pas être divulguée, et qu'il protège jalousement : il ne la donnera en dernier recours à l'intéressé19 pour pouvoir sauver le Ministère et dans une scène très intertextuelle qui est une évidente référence à ce monument de la culture de masse qu'est L'Empire contre‑attaque20. Cette information sera néanmoins transmise aux autres protagonistes qui n'hésiteront pas à l'utiliser pour agacer le susdit, y compris lorsqu'il aura basculé du côté de l'ennemi21 dans une uchronie où Philippe II est devenu le souverain espagnol absolu grâce au secret des portes du temps. De même, le simple fait que le Cid soit remplacé par un agent du Ministère rend encore plus ténue la frontière entre les personnages n'ayant pas d'existence attestée au cours de l'Histoire (et qui ne sont pas la majorité) et celle de ceux qui ont, d'une manière ou d'une autre, laissé une trace dans les archives.

13Beaucoup de personnages historiques, du reste, apparaissent dans de courtes séquences comme des employés d'un des avatars du Ministère à différentes époques, comme par exemple Menéndez Pidal ou Gregorio Marañon. L'on peut questionner cet usage des grandes figures de l'histoire scientifique ou médicale à des fins de simple apparition - on serait tenté d'utiliser le terme cinématographique de cameo. Plusieurs réponses sont possibles. La première est évidemment d'ajouter crédibilité à l'univers diégétique, mais cette réponse peut paraître quelque peu simpliste. La seconde serait de montrer que, quelque part, ces élites intellectuelles participent, sciemment ou non, à un projet sociétal plus vaste, et qu'elles ont accès à d'autres réalités que celles de leur époque. La compartimentation des différentes strates de l'Histoire, chère à la direction du Ministère, n'est finalement qu'un secret de polichinelle qui sera même quasiment éventé lors de la visite de Lombardi22, un youtuber complotiste évidemment persuadé que le gouvernement espagnol a quelque chose à lui cacher (et pour une fois, il a absolument raison).

14Le Ministère s'intègre donc, qu'il le veuille ou non, dans ce paysage madrilène de début de XXIe siècle: il fait partie d'une réalité cachée, d'un récit que seuls les initiés peuvent rendre cohérent. En ce sens, il est d'ailleurs intéressant de constater qu'au fur et à mesure qu'évolue la série disparaissent peu à peu les figures de personnages contemporains, pour privilégier d'autres, issus d'autres époques, qui doivent tracer un chemin dans un monde qui semble parfois incohérent ou contraire à leurs valeurs (ainsi, Alonso, militaire du Tercio de Flandes et homme du XVIIe siècle, est montré s'adaptant lentement mais sûrement aux contraintes de l'époque moderne). Le Ministère est là pour éviter des uchronies, mais le Ministère est déjà, en soi, une forme d'uchronie : il perpétue un monde non compartimenté, où persistent des traditions proches de celles de n'importe quelle entité publique du monde développé : les fonctionnaires se marient, boivent des coups entre eux (certaines portes sont très adaptées à ce type de pratiques) et font des sorties d'intégration (il existe également des portes ad hoc). La seule différence avec le Ministère des Rond‑points - ils prendront cette identité pour la visite de Lombardi -, c'est la spécificité de son activité et son emprise sur toutes les réalités possibles et existantes.

Série en quête de public

15Si diégétiquement la série recherche donc, d'une certaine manière, la polysémie et l'évocation de l'univers des possibles, une autre de ses spécificités réside dans la construction de son rapport au public. Ce que nous allons exposer ici est bien évidemment un processus en cours d'évolution, dépendant des derniers changements dans les média et les réseaux sociaux. Il serait cependant réducteur d'analyser cette série, qui se revendique comme transmedia à travers l'unique prisme de sa diégèse. D'une part, parce qu'aujourd'hui, les communautés de fans disposent d'outils de sociabilité et de discussion qui permettent un retour instantané sur l'objet culturel, et d'autre part, parce que, comme la plupart des séries de TVE, ce processus est encouragé de manière explicite sur la page officielle dédiée à la série.

16La création d'une communauté de fans propre à chaque série de TVE, avec son nom dédié (la création des Ministéricos arrive après celle des Amarólogos - fans d'Amar en Tiempos Revueltos et avant celle desCasistas – fans d'El Caso) montre bien cette volonté de fédérer ceux qui, soit via la télévision - chaque fois moins nombreux - ou Internet - en nette recrudescence -, manifestent une volonté de commenter, analyser, voire créer sur la base de l'univers officiel de la série. L'utilisation d'un véritable paratexte autour de chaque épisode - documentaires, interviews de participants aux épisodes, création d'espaces d'informations - permet également d'alimenter ces débats, cristallisés par des émissions comme La Puerta del Tiempo (La Porte du Temps), visibles sur Internet et qui reçoivent acteurs et scénaristes, à qui un public trié sur le volet peut poser moult questions. Ce type de programme sert également à lancer des hashtags utilisés ensuite sur des réseaux comme Twitter ou Facebook, avec un net objectif d'être en tendance principale ou trending topic, ce qui est en général le cas ; du moins en langue espagnole. Cependant, tout n'est évidemment pas intéressant dans ces publications, mais l'on peut déjà parfois voir les prémices de fan-fictions qui apparaîtront ensuite sur certains blogs, ou des réponses à certaines questions. Notons que les scénaristes participent activement à ce processus en répondant régulièrement sur Twitter à ce type de requêtes.

17Cette communication officielle, visant évidemment à cimenter la communauté de fans, est parallèle d'un autre univers, parfois beaucoup plus critique, celui des sites, pages et forae créés par des fans. Cela n'empêche pas que certaines questions surgissent et soient communes à toutes ces entités. Javier Olivares, le scénariste principal, affirme du reste en être très conscient : dans La Puerta del Tiempo23du 25 avril 2017, il déclare « Twitter a transformé la télévision en théâtre. Si tu veux connaître l'avis du public, va sur Internet ». Si Olivares n'admet pas encore franchement qu'il peut être inspiré par certaines fan‑fictions ou fan‑théories, en revanche, il n'hésite pas à dire que lors de la troisième saison seront explicitées des ellipses et des zones d'ombres laissées durant les deux premières saisons : que fait Amelia pour cacher à sa famille qu'elle n'est pas à Barcelone au XIXe siècle le jour ? Garcia Lorca, au vu de ses apparitions dans le dernier épisode de la première saison, jouirait‑il d'un statut spécial ? Qui sont exactement certains personnages, comme par exemple la transfuge Lola, qui un coup trahit le Ministère et le suivant, ses rivaux, des hommes d'affaires états-uniens ? Serait‑elle la fille d'Amelia, comme pourrait le laisser supposer le fait qu'elle a en sa possession des photos de famille de celle‑ci ? (cette théorie, surgie sur Twitter, a été âprement discutée sur les différents réseaux sociaux). Olivares et son équipe, conscients de l'importance de ces débats, semblent apparemment - du moins c'est leur ligne de communication officielle - y apporter du crédit.

18De la même manière, la Puerta del Tiempo doit également beaucoup aux retours des spectateurs. Ainsi, dans la toute dernière, et suite à de nombreux commentaires sur la mauvaise qualité de l'audioguide (et apparemment à sa difficulté à être désactivé)24, deux fans se sont amusés à refaire celui-ci en décrivant de manière potache une fausse scène érotique (la scène en question montrait de manière peu ambiguë Pacino et Amelia en train de rechercher des preuves25). Si les messages envoyés relèvent souvent de questions sans intérêt narratologique, portant sur les lieux de tournage à venir ou la difficulté à interpréter certains personnages, il n'en reste pas moins que se dégage de leur ensemble une volonté de chercher les retours, et/ou de les contrôler. L'on a pu voir, concomitamment à la première saison, par exemple, se lancer plusieurs appels à la création d'un véritable fan-art, comme si finalement une bonne part du merchandising26de la série reposait, non plus sur la chaîne, mais bien sur une communauté toujours grandissante d'aficionados, qui, bien plus quedes ministéricos en viennent à se créer des groupes nommés, pour ne citer qu'un exemple, « Fonctionnaires du Ministère du temps » et à organiser, sans aucun appel officiel du diffuseur, de grands rassemblements festifs dans certaines villes espagnoles. La série est également devenue, si l'on en croit les réseaux sociaux, un support d'enseignement pour beaucoup de professeurs du secondaire d'histoire et/ou de littérature.

19Si certes il ne s'agit pas d'un fait complètement novateur dans le sens où, depuis le début de la décennie, on observait chez TVE cette volonté de mettre en place des programmes transmedia27 - qui donc allieraient la télévision à toutes sortes d'autres pratiques culturelles, avec évidemment une place accrue des réseaux sociaux dans le dispositif -, et que des phénomènes semblables ont pu s'observer dans les mondes anglophones avec des phénomènes comme Star Wars, Doctor Who ou encore Game of Thrones, force est de constater qu'El Ministerio del Tiempo tranche sur deux aspects : le fait qu'elle s'assume avant toute chose comme une série dédiée étroitement au public de culture hispanophone (ce qui n'est d'ailleurs pas négligeable en matière de parts de marché, tant les communautés de fans se sont rapidement répandues en Amérique Hispanique), et ensuite la rapidité de la prolifération des réseaux autour de cette même série (beaucoup plus rapide que pour des séries piliers de TVE comme Cuéntame como pasó28, par exemple). En ce sens, l'expérience du Ministère du Temps est unique et novatrice : il semblerait que peu à peu, autour d'un univers canon central soient en train de se générer une infinité de possibilités et de lectures possibles. Dire que cela tient évidemment à la thématique de la série et à sa mise en perspective serait enfoncer une porte (du temps) ouverte. Comprendre en quoi cette série est un objet de notre temps, et comprendre en quoi elle ouvre de nouvelles brèches (de manière parfois hasardeuse, n'hésitons pas à le dire) sera sans doute primordial pour comprendre la production culturelle de masse hispanophone, voire globale, dans les années à venir.