Colloques en ligne

Marie-Claire Thomine

Le goût de la langue : Remarques sur l’usage des mots concrets dans le chapitre « De ménager sa volonté »

1D’où nous vient notre bonheur à lire Montaigne ? – un bonheur qui peut se déployer malgré les contraintes du concours : c’est l’ancienne agrégative qui parle ; j’ai découvert Montaigne, comme beaucoup d’entre vous sans doute, l’année d’agrégation et cette rencontre a décidé de ma vocation de seiziémiste. Les Essais sont devenus depuis lors une de mes lectures favorites et une leçon de vie quotidienne. Ce bonheur à lire Montaigne, j’ai voulu l’interroger en regardant de près, après bien d’autres critiques1, le chapitre III, 10, « De ménager sa volonté ». Il y est question du rapport entre la vie publique et la vie privée, entre negotium et otium, entre les charges que l’on occupe dans la société et son for intérieur, entre le dehors et le dedans2, entre l’étranger et le propre ; l’on peut y lire une invitation à la pratique du détachement. De tels enjeux ont des implications linguistiques : Montaigne fait le choix d’un « style comique et privé », le sermo quotidianus des Latins (humile atque cotidianum sermonis genus3), différent du style public, de la contentio4; il revendique « une forme [s]ienne, inepte aux negotiations publiques » (I, 40 : 461).

2Un des plaisirs de lecture tient ici, comme dans beaucoup d’autres chapitres, à l’épaisseur concrète de ces pages qui fourmillentd’objets et de realia ; c’est là un des plaisirs du texte dont parlait Roland Barthes, « plaisir à voir représenter la “vie quotidienne” d’une époque », qui assouvit chez le lecteur une « curiosité des menus détails : horaires, habitudes, repas, logements, vêtements »5. Ces pages qui traitent des vacations humaines, de « tout ce pourquoy les humains tant veiglent, courent, travaillent, navigent et bataillent »6 nous offrent des images fragmentées du quotidien, une « foule innumérable de petites actions journalières » (III, 10 : 344), liées aux métiers (maire, avocat, financier, soldat, ouvrier, chirurgien), aux jeux, divertissements et activités physiques (échecs, paume, archers, théâtre), aux travaux publics (rapetasser un mur, décrotter une rivière), aux pratiques domestiques (le ménage, l’éducation7), aux pratiques corporelles (uriner avec la scène dans le « pissoir »). Il s’agit pour Montaigne d’illustrer concrètement le propos par quelques traits singuliers (là encore, c’est un procédé que l’on retrouve dans tous les chapitres) ; de petites touches empruntées aussi bien au vécu qu’à des sources historiques viennent grossir la liste des objets : ainsi des objets dérisoires vont-ils illustrer des « causes ridicules » (III, 10 : 336) ; de même que les guerres picrocholines ont eu pour origine de simples et savoureuses fouaces, les plus grands conflits ont pu être provoqués par des peaux de mouton (le duc de Bourgogne, Charles le Téméraire), un cachet (les guerres civiles à Rome, Marius et Sylla) ou une pomme (la guerre de Troie). Le détachement est illustré par les « joyaux et meubles de prix » que Socrate considère sans envie (III, 10 : 324) ou par la neige que Diogène « allait embrassant en plein hiver tout nu » (III, 10 : 331). Les exemples historiques, traités de manière extrêmement concise8, impriment dans notre imagination des objets et des sensations et produisent le même effet de familiarité que les témoignages plus récents ; on observe ainsi la mise sur le même plan de l’anecdote livresque et de l’anecdote vécue. Il suffit d’un prénom, celui, courant au XVIe siècle, de Perrete et d’un effet d’oralité (l’emploi du discours direct qui nous fait entendre le grain de la voix : « Ô Perrete le galant et suffisant homme que tu as » (III, 10 : 344) pour que « cet ancien » infatué de lui-même, pourtant rencontré chez Plutarque, impose une présence aussi vivante que celle du pédant avocat qui, dans les Nouvelles récréations et joyeux devis de Des Périers, parle latin à sa chambrière qu’il surnomme Pedisseque9. Ce traitement familier de l’exemple plutarquien nous conduit tout naturellement à l’endroit où l’on va toujours seul, le « pissoir », en l’occurrence celui du palais où traîne une oreille qui entend un conseiller connu de Montaigne « marmott[er] tout consciencieusement » le verset d’un Psaume.

3Le plaisir de lecture tient aussi à la façon dont le chapitre s’adresse aux sens : l’ouverture (III, 10 : 315) provoque un effet de synesthésie avec un vocabulaire de la sensation (insensibilité, « le sens délicat et mol »), une sollicitation du toucher (deux occurrences de « touchent »), de la vue (« la vue claire » pour dire la perspicacité) et de l’ouïe (« je l’ai dure et sourde »). Cette forte sollicitation dès les premières lignes (au sein du livre III, c’est l’un des incipit qui sollicitent le plus fortement les sens du lecteur) donne le la à l’ensemble du chapitre où les sens et le corps sont sans cesse impliqués. Et il est frappant de voir Montaigne développer cet aspect dans ses additions de l’Exemplaire de Bordeaux, ainsi dans le très bel et long ajout où il évoque sa vieillesse :

Mon imagination, en dépit de mes dents10, se jette toujours dix jours plus avant ou plus arrière. Et grommelle à mes oreilles : Cette règle touche ceux qui ont à être. Si la santé même si sucrée vient à me retrouver par boutades, c’est pour me donner regret plutôt que possession de soi. (III, 10 : 326)

passage où l’on voit Montaigne à l’œuvre : en dépit de mes, tes, leurs dents est une locution courante signifiant « malgré moi, toi, eux » (G. Di Stefano11 la repère par exemple chez Gringore, ou dans des farces) ; les dents deviennent plus visibles d’être associées aux oreilles (avec un jeu sur la locution courante crier quelque chose aux oreilles de quelqu’un) et à la saveur sucrée qui est accordée à la santé. Le lecteur ressent ici une sorte de proximité physique avec un Montaigne vieillissant, puisque nous est offerte une image très concrète de la vieillesse qui atteint les dents, les oreilles, la santé.

4Plus encore qu’à ces effets de réel dont je viens de donner de rapides exemples, la saveur du texte tient surtout, me semble-t-il, à un « parler succulent », à une manière de creuser le sens des mots dont je voudrais montrer ici quelques aspects. Une méthode efficace d’appropriation du texte est en effet l’approche lexicale, qui permet d’entrer dans la chair du texte, d’en savourer le suc. Cette image essentielle du suc est mise en avant dans l’exercice de la lecture – lecture que Montaigne pratique lui-même et lecture que les contemporains font de Montaigne. Cette idée du parler succulent sera mon fil directeur, je tâcherai de le définir à partir des remarques de Montaigne et de ses contemporains avant d’en analyser deux aspects dans le chapitre qui nous intéresse.

L’avis des contemporains sur les Essais : le suc, la substance et la moëlle12

5Montaigne fait partie de ces écrivains dont l’écriture se déguste. Les Essais sont un livre qui a du goût tout autant qu’il met en avant le(s) goût(s) de son auteur. Les contemporains et premiers lecteurs13 ne s’y sont pas trompés : la première réception critique des Essais, qui se fonde sur les déclarations de Montaigne sur son propre livre, file les métaphores de la saveur, celles notamment du suc et de la moëlle, dans des formules où l’on peut retrouver un écho des mots de Montaigne lui-même tout autant que de la « substantifique moëlle » rabelaisienne14. Juste Lipse traduit « essai » par Gustus, « soit, sous sa plume, un sens subjectif d’épreuve personnelle du goût »15. Estienne Pasquier, qui déclare n’avoir eu « Livre entre les mains qu’[il a] tant caressé que celuy-là », retient parmi ses préférées des formulations concrètes : « La vieillesse nous attache plus de rides en l’esprit qu’au visage », « Nous nous tenons aux branches, et abandonnons le tronc » et admire des sentences « pleines de moëlle »16. L’on retrouve la même formule sous la plume de Jean-Pierre Camus :

[…] il sent de vray un peu à son ramage, et à des mots nouveaux aux oreilles pures Françoises ; toutefois s’il en a inventé, ç’a esté avec tant d’heur, et de raison, que nous avons plustost à luy en rendre graces, qu’à le reprendre de ceste nouvelleté : Son parler est viril, masle, vigoureux, succulent, et comprend beaucoup en sa briefveté : ce n’est que sens et moüelle, il ne donne rien aux paremens du langage, chose mesprisée de tout galant esprit17 […]

Ce sont des mots qui datent de 1613. La position de Camus évolue toutefois tandis que s’affirme le goût de la Cour et que s’impose la réforme malherbienne ; il voit ensuite dans les Essais une source de langage impur dont il s’est laissé contaminer dans ses Diversitez18. La « diligente » lectrice qu’est Marie de Gournay relève également chez Montaigne une capacité à forger des « dictions qui per[cent] une matiere jusques à la mouëlle, tandis que les autres la frayent ou frappent simplement »19. Elle use elle-même d’un langage très concret, usant, voire abusant de comparaisons et métaphores triviales, empruntées à la vie la plus quotidienne. L’emploi d’images concrètes et physiques relève chez elle du style polémique et ajoute au caractère impétueux de sa prose20. Quand la langue de Montaigne est devenue l’enjeu de débats, c’est sans doute Marie de Gournay qui s’en fait l’apologiste avec le plus de vigueur, de même qu’elle persiste à prendre la défense de la peinture du moi.

Le goût de Montaigne pour une langue pleine de suc

6Les analyses ici relevées dérivent directement des Essais et lui empruntent jusqu’au vocabulaire ; ainsi les mots de Camus font-ils écho au jugement que Montaigne prononce lui-même sur le style et cette première réception critique semble indiquer que l’auteur des Essais a atteint son but. Montaigne dit en effet son goût pour un parler plein de suc, soit qu’il en fasse un principe esthétique à appliquer à son propre style : c’est le passage célèbre et que Camus a en tête où il déclare :

Le parler que j’aime, c’est un parler simple et naïf, tel sur le papier qu’à la bouche : Un parler succulent21 et nerveux, court et serré, non tant délicat et peigné, comme véhément et brusque (I, 26 : 349),

soit qu’il en fasse un critère de lecture qui détermine à la fois son plaisir du texte et le fruit qu’il en tire. Dans le chapitre « Des Livres », Montaigne emploie les termes de « suc » et de « moëlle » pour dire son ennui à la lecture de Cicéron, celui qu’il nomme le « plus glorieux homme du monde » à la fin du chapitre « De ménager sa volonté » (III, 10 : 345) :

Ce qu’il a de vif et de moelle, est étouffé par ses longueries d’apprêts. Si j’ai employé une heure à le lire, qui est beaucoup pour moi, et que je ramentoive ce que j’en ai tiré de suc22 et de substance, la plupart du temps je n’y trouve que du vent. (II, 10 : 127).

Dans le même passage est évoquée la lecture à travers la métaphore de la dégustation ; les « préfaces, définitions, partitions, étymologies » qu’emploie Cicéron sont autant de « paroles perdues » pour le lecteur qu’est Montaigne :

J’y viens tout préparé du logis : il ne me faut point d’allèchement, ni de sauce : je mange bien la viande toute crue : et au lieu de m’aiguiser l’appétit par ces préparatoires et avant-jeux, on me le lasse et affadit. (II, 10 : 128).

L’auteur des Essais est à la recherche de mots nets, substantiels, succulents, d’une langue charnue dont on puisse tirer du profit ; « le mensonge qui sépare le dire du penser, notait Albert Thibaudet23, lui paraît insupportable. Le style qu’il aime doit être la chose même ». Le refus de la rhétorique et de l’éloquence va de pair avec la quête du mot juste et dense, quête infinie et inquiète d’une forme parfaite, d’une « meilleure forme que celle qu’ [il a] mise en besogne » ; dans le chapitre « De la présomption », Montaigne nous confie son insatisfaction permanente (autre passage qui permet d’éclairer son idéal du style) ; il met sans cesse son style à l’essai et redoute les écueils de l’activité littéraire, qui peut nous éloigner du réel et de la vérité. La recherche de la concision et de la densité est elle-même tendue de pièges :

Mais je sens bien que parfois je m’y laisse trop aller : et qu’à force de vouloir éviter l’art et l’affectation, j’y retombe d’une autre part : Brevis esse laboro,  Obscurus fio. [“Je m’efforce d’être bref et je deviens obscur”, Horace, Art poétique, v. 25-26] » (II, 17, p. 447-448)

L’effort qui tend à « naturaliser l’art » (c’est un ajout de l’exemplaire de Bordeaux : « je naturaliserais l’art, autant comme ils artialisent la nature », III, 5 : 134) pourrait-il conduire paradoxalement à un excès des figures ? Le constat d’être « trop épais en figures » (III, 5 : 135)24 relève du même scrupule. L’épaisseur des figures (s’agit-il de leur épaisseur concrète précisément ?) serait-elle contradictoire avec la concision et la brièveté qui semblent bien être les valeurs recherchées en premier lieu par Montaigne ? Ce « parler succulent et nerveux, court et serré », il l’a rencontré parmi les langues régionales et l’on est frappé de retrouver un vocabulaire très similaire dans ce qu’il dit du gascon central, le gascon de l’Armagnac :

Il y a bien au-dessus de nous, vers les montagnes, un Gascon, que je trouve singulièrement beau. Sec, bref, signifiant, et à la vérité un langage mâle et militaire, plus qu’autre que j’entende. Autant nerveux, puissant et pertinent, comme le Français est gracieux, délicat et abondant25. (II, 17 : 448)

Se manifeste dans toutes ces citations le goût pour un langage expressif, approprié, direct.

7Cet idéal de style, Montaigne l’admire également dans la langue latine, en particulier dans la poésie ou bien dans la prose de Sénèque. L’admiration de Montaigne est vive et profonde pour la vigueur et l’énergie (sucus en latin désigne la vigueur) de la poésie latine ; il « rumine » les vers de Lucrèce (III, 5 : 131) dont il déguste, dans le passage décrivant l’étreinte de Vénus et Vulcain, presque chaque mot. L’analyse qu’il propose alors de la langue du poète latin pourrait aisément s’appliquer à son propre style ; il convoque en effet non plus l’image du suc ou de la moelle, mais celles de la chair et des os26. Il loue chez les Latins un « langage tout plein et gros d’une vigueur naturelle et constante » (III, 5 : 131) et prône un style où « le sens éclaire et produit les paroles ; non plus de vent, ains de chair et d’os » (III, 5 : 132). Dans les usages de cette locution « de chair et d’os »27 (qui rejoint la locution « en chair et en os28 ») se révèlent les enjeux esthétiques et philosophiques des Essais : choix d’un langage (l’idéal d’une parole charnue), étroitement associé à une démarche de la pensée, qui s’approprie un sujet pour le « pincer jusqu’à l’os »29 dans un livre qui est « consubstantiel » à son auteur et que celui-ci se propose de présenter, « en chair et en os » au lecteur « à qui [s]es humeurs soient bonnes, de qui les humeurs [lui] soient bonnes »30 (III, 5 : 90).

8Ces mots de chair et d’os sont nombreux dans le chapitre « De ménager sa volonté », à commencer par tous les mots liés au corps exploré jusqu’aux entrailles ; l’on pense à la célèbre formule : « j’ai promis de les prendre en main, non pas au poumon et au foie » (III, 10 : 316) , où Montaigne invente un sens figuré à partir d’une expression toute faite ; « prendre en main », formule appelée par le « maniement d’affaires étrangères » est une expression totalement lexicalisée, que l’on associerait volontiers à une autre formule cliché « prendre à cœur », mais Montaigne provoque la surprise en lui substituant les images plus crues du « poumon » et du « foie »31.

9L’attitude que Montaigne décrit à propos des concepts, il l’applique également aux mots : il les « pince jusqu’à l’os » et Marie de Gournay avait judicieusement repéré dans les Essais « mille tres-propres applications de mots enforcez et approfondis à divers et nouveaux sens »32. J’observerai ce travail du texte et cette recherche d’un parler succulent à partir de deux exemples seulement, de deux procédés dont Montaigne se délecte dans la langue latine et qu’il applique à la langue française : le jeu sur le concret et l’abstrait, le travail sur les locutions. L’on y voit à l’œuvre un Montaigne bilingue, usant du latin comme d’une langue maternelle et ployant le français à son usage.

Le « parler succulent » du chapitre « De ménager sa volonté »

10Comment rendre son parler « sec, bref, signifiant », quand son langage est le français, que Montaigne juge « gracieux, délicat et abondant » (II, 17 : 448) ? Comment faire oublier les mots pour mettre en avant les choses ? C’est le Montaigne styliste qui apparaît ici, « un écrivain passionné de belles expressions, ou plutôt d’expressions pénétrantes, efficaces »33. Cette recherche d’efficacité et de concision, voire de condensation, passe par plusieurs procédés que je ne détaillerai pas ici ; un premier procédé consiste en ces « mille tres-propres applications de mots enforcez et approfondis à divers et nouveaux sens » dont parle Marie de Gournay34. En se limitant aux mots concrets, on peut ranger dans cette catégorie la resémantisation des locutions ou des métaphores usées (le travail sur les clichés concerne par exemple de nombreux verbes qui retrouvent grâce au contexte leur sens propre et concret : épouser, brider, ronger, mordre, saisir, plonger), les jeux sur la dérivation et le polyptote, (besogne, embesognement ; deshonneur, honoré ; dire, dédire ; droite, droits ; Empereur, empire ; trouble, troubler ; vivre, vie), les personnifications (affaires ; affection ; âme, âmes, âmetes ; amour ; ans ; autorité ; avarice ; beauté ; esprit ; fortune, Fortune, fortunes ; hâtiveté ; imagination ; lois ; nature ; occasions ; péché ; philosophie, Philosophie ; raison, raisons ; renommée ; santé ; siècle, siècles ; temps ; usage), l’emploi du pluriel de concrétisation (« L'innovation est de grand lustre. Mais elle est interdite en ce temps, où nous sommes pressés, et n'avons à nous défendre que des [C] nouvelletés », III, 10 : 345) ou encore les jeux sur les sonorités (l’association des verbes mener et manier dans un ajout de l’Exemplaire de Bordeaux : « l’indiscrète et prodigieuse facilité des peuples à se laisser mener et manier la créance et l’espérance où il a plu et servi à leurs chefs » (III, 10 : 330) ou la paronomase – qui date de 1588 – oignent / poignent « Ni les choses qui nous oignent, au prix de celles qui nous poignent » (III, 10 : 342), qui fait écho au proverbe dont Montaigne reprend ici les verbes : « Oignez vilain, il vous poindra, poignez vilain, il vous oindra »).

11Un autre procédé également relevé par Marie de Gournay consiste à user de « mille metaphores esgallement admirables et inouyes »35 ; les métaphores sont nombreuses dans le chapitre et touchent à des domaines variés (le corps et ses mouvements, la navigation, le sommeil, le théâtre36) ; les mots « sont maintenant une substance en soi. Sa langue devient de plus en plus charnue, vivant de ses maintes proliférations, se fortifiant de métaphores, de comparaisons, se soumettant aux privilèges d’une écriture sans cesse renouvelée », constate le critique Floyd Gray37. Une métaphore « inouye » permet ainsi à Montaigne de placer une référence prosaïque à des terriers de lapins dans une phrase dont le vocabulaire est abstrait : « C’est aux dépens de notre franchise et de l’honneur de notre courage, que nous désavouons notre pensée, et cherchons des conillières en la fausseté, pour nous accorder » (III, 10 : 339). La métaphore verbale empruntée au domaine de la chasse coniller / conniller n’est pas propre à l’auteur38, rare en revanche est le terme conniliere (attesté par le dictionnaire Cograve en 1611 : a Conny-hole, or Conny-borow), qui est un hapax dans les Essais ; Eugène Voizard39, dans son glossaire, le signalait comme un mot de formation populaire introduit au XVIe siècle par Montaigne.

1) Jeu sur le concret et l’abstrait :

12Le « parler succulent », Montaigne l’a rencontré souvent sous la plume des écrivains latins ; un parler plein de vigueur, dense, concis. Dans la hiérarchie montaignienne des styles, Sénèque vient en premier, loin devant Cicéron ; or, l’on relève dans le chapitre qui nous intéresse, la forte présence du Sénèque des Lettres à Lucilius, que l’on pourrait interpréter dans un sens linguistique, à ceci près que Cicéron est plus présent encore (sept fois). Montaigne admire la concision et le caractère extrêmement concret de la langue latine ; il semble convaincu – c’est du moins ce que font ressortir les remarques qu’il fait sur le style des Anciens – que les mots du latin sont dans une relation plus réelle avec les choses que les mots français ; ce serait là le secret de la supériorité des Anciens40. Le chapitre III, 10 met en lumière un travail stylistique de Montaigne à partir du modèle latin ; de fait, Sénèque a fourni le modèle de plusieurs des jeux sur les mots concrets qui émaillent le chapitre : un exemple frappe dès les premières lignes : « Mon opinion est, qu’il se faut prêter à autrui, et ne se donner qu’à soi-même » (III, 10 : 316). On y rencontre les verbes prêter et donner, qui font partie de cette « orbite philologique souterraine bien tracée » qu’avait dégagée Jules Brody dans sa très fine lecture philologique du chapitre ; en l’occurrence il s’agit de la métaphore locative avec les mots « prêter », « loger », « louage », « locataires », « hypothéquer ». Or cette première formule est un souvenir des Epîtres de Sénèque, 62, 1 : « Rebus non me trado sed commodo » [« je ne me livre pas aux choses, je me prête à elles »]; les deux verbes français traduisent les verbes latins se tradere (se donner, se livrer, s’adonner) et commodare  (prêter, mettre à la disposition de quelqu’un). Quelques pages plus loin, la même lettre fournit une formulation similaire, dans une brève addition de l’Exemplaire de Bordeaux (ce qui prouve que la lecture de ces lettres de Sénèque est présente à toutes les étapes de l’écriture du chapitre) : « Et me donner à autrui sans m’ôter à moi » (III, 10 : 322) rappelle Sénèque, Ep. 62, « Cum me amicis dedi, non tamen mihi abduco ». Un autre exemple intéressant de la présence de Sénèque est fourni par la page 317 ; Montaigne ajoute sur l’Exemplaire de Bordeaux une citation de Sénèque (citée de mémoire peut-être ; dans les éditions du temps, l’on trouvait : « Nec in negotiis erit, negotii causa ») : « In negotiis sunt negotii causa » (Ep. 22), qu’il traduit aussitôt : « Ils ne cherchent la besogne que pour embesognement » (III, 10 : 317), avec un jeu sur l’étymon et la création d’un mot qui permet d’éviter la pure et simple répétition. Il enchaîne aussitôt avec un autre souvenir de Sénèque : « Ce n’est pas qu’ils veuillent aller tant, comme c’est, qu’ils ne se peuvent tenir » (III, 10 : 317), cette fois-ci tirée d’une autre des Lettres à Lucilius (Ep. 94) : « Non ille ire vult, sed non potest stare ; non aliter, quam in praeceps dejecta pondera, quibus eundi finis est jacuisse » (« Il marche, non parce qu’il le veut, mais parce qu’il ne peut rester en place, comme les masses que l’on jette dans le vide et qui ne s’arrêtent que lorsqu’elles touchent le fond »41). Or, dès 1588, l’auteur latin était très présent dans l’écriture de cette page, comme en témoigne le jeu sur le verbe distribuer : « Personne ne distribue son argent à autrui, chacun y distribue son temps et sa vie » (III, 10 : 317) – formule qu’il emprunte cette fois non plus aux Lettres à Lucilius mais au De Brevitate : « Nemo invenitur qui pecuniam suam dividere velit, vitam unusquisque quam multis distribuit. Astricti sunt in continendo patrimonio, simul ad temporis jacturam ventum est, profusissimi in eo, cujus unius honesta avaricia est » (« Il ne se trouve personne pour vouloir partager son argent, mais entre combien chacun distribue-t-il sa vie ? On est serré quand il faut garder son patrimoine ; s’agit-il d’une perte de temps, on est particulièrement prodigue du seul bien dont il serait honorable de se montrer avare »42). Sénèque jouait sur deux verbes, dividere et distribuere et la formule distribuere vitam qui fait figure est reprise par Montaigne, qui utilise un seul et même verbe avec un effet d’antanaclase43.

13Ce jeu sur le sens propre et le sens figuré que Montaigne a goûté chez Sénèque et qu’il a cherché à transposer dans ses traductions par une « minutieuse recherche d’équivalence avec l’original »44 est un procédé qui se généralise dans l’écriture du chapitre III, 10 dont il devient un trait stylistique dominant : on peut l’observer en effet dès le titre. Le choix d’une telle formulation – préférée à d’autres, plus convenues, « De la tempérance », « De la mesure », « De la modération » – permet un premier jeu sur le concret et l’abstrait, puisque la spécificité du verbe transitif ménager est de changer de registre selon le complément qu’on lui donne ; on peut ménager sa volonté, sa liberté, son temps ; on peut aussi ménager ses biens, ses richesses ou son vin. À l’échelle de l’ensemble des Essais, l’on relève dans les sept emplois du verbe cette alliance ou alternance de l’abstrait et du concret45. Le verbe ménager renvoie d’autre part au substantif ménage ; employé une seule fois dans ces pages (à propos de son père qui avait oublié pour sa charge publique « et son ménage, et sa santé » (III, 10 : 319)), il ouvre sur la thématique otium / negotium. La notion de ménage est complexe chez Montaigne ; il dit souvent dans le livre III son peu de goût pour le « ménage » et l’économie domestique ; le gentilhomme retiré sur ses terres se doit pourtant de s’occuper des « douces retraites paternelles » – comme il le promet dans la profession de foi peinte sur la paroi de son cabinet de travail – tout autant que s’adonner aux Muses. Montaigne laisse ce soin à son épouse et il avait avoué, dans le chapitre « De la solitude », que son inclination ne le portait guère à la gestion de ses biens :

Cela dépend du goût particulier d’un chacun : le mien ne s’accommode aucunement au ménage. Ceux qui l’aiment, ils s’y doivent adonner avec modération,
Conentur sibi res, non se submittere rebus.
C’est autrement un office servile que la ménagerie, comme le nomme Saluste. (I, 39 : 449-450)

Autrement dit, pourrait dire Montaigne (mais il n’utilise pas la formule), il faut ménager son ménage ou sa « ménagerie ».

14Cette souplesse du verbe ménager donne d’emblée le ton et l’on observera dans l’ensemble du chapitre d’autres jeux du même type sur le concret et l’abstrait. L’on rencontre des syllepses (un même verbe ou un même substantif est utilisé dans les deux sens concret et abstrait) : outre la belle formule empruntée à Sénèque qui joue sur le verbe transitif distribuer (III, 10 : 335), l’on peut relever : « Qui ne couve point ses enfants, ou ses honneurs, d’une propension esclave […] », (III, 10 : 321-322), « Tel en sa maison, [...] est plus passionné de l’issue de cette guerre, et en a l’âme plus travaillée que le soldat qui y emploie son sang et sa vie », des antanaclases (« un terme apparaît deux fois dans un segment, avec deux sens différents »46) : celle, tirée de Plutarque : « La pauvreté des biens, est aisée à guérir, la pauvreté de l’âme impossible » (III, 10 : 324), ou encore : « De faute de prudence on retombe en faute de cœur » (III, 10 : 338), « éloigné de France, et encore plus éloigné d’un tel pensement » (III, 10 : 318), « car faute de soin et faute de sens, ce sont deux choses » (III, 10 : 341).

2) Jeu sur les locutions : • De la largeur d’une ongle

15Le jeu avec le latin peut passer par un travail sur une locution de la langue latine : dans la phrase dont j’ai commenté l’addition, inspirée de Sénèque : « J’ai pu, me mêler des charges publiques, sans me départir de moi, de la largeur d’une ongle : Et me donner à autrui sans m’ôter à moi » (III, 10 : 322), Montaigne traduit l’expression latine latum unguem47, retenue dans ses Adages par Érasme48 qui relève son emploi fréquent chez Cicéron ; il s’agit de l’adage406, intitulé « De la largeur d’un ongle et autres hyperboles proverbiales » (Latum unguem ac similes hyperbolae proverbiales) :

« S’écarter de l’épaisseur d’un doigt ou d’un ongle » se rencontre fréquemment chez Cicéron et signifie le plus petit espace possible. L’image est assez bonne et permet de signifier une imitation parfaite et un complet assentiment, comme dans le livre 2 des Questions académiques : « De cette règle je ne m’écarterai pas, comme on dit, de l’épaisseur d’un ongle ». (Adages, I, v, 649)

Érasme cite encore cinq exemples parmi lesquels celui-ci, qui a pu inspirer Montaigne :

Il [Sénèque] l’emploie de nouveau dans la lettre 13 adressée au même Atticus : « Chacun de nous doit prendre soin, et ce durant toute sa vie, de ne pas s’écarter de la largeur d’un ongle de sa conscience. »

Par ce travail de traduction, Montaigne introduit dans la langue française une image neuve, qui toutefois n’a pas eu de postérité.

16Ce goût de la locution concrète, Montaigne le cultive aussi dans la langue française. La recherche du mot bref et coloré est un choix stylistique permanent chez l’auteur des Essais, ce dont témoignent les ajouts de l’Exemplaire de Bordeaux. Les trois ajouts que je relèverai vont dans le sens d’une plus grande hardiesse et d’un souci – toujours vif – du concret.

• Prendre sans vert

17« Mais reculez plus arrière, rappelez ces causes à leur principe : là, vous les prendrez sans vert. » (III, 10 : 334, EB) La locution, qui figure dans un ajout, permet à Montaigne de renchérir sur son style « comique et privé » ; nous sommes ici dans le ton de la conversation et du devis familier50. Elle signifie « surprendre, prendre au dépourvu » (Cotgrave, 1611 : « prendre sans verd : to surprise, take napping, or at unawares ») et contient une allusion à un jeu de société, l’un des jeux que pratique Gargantua dans le chapitre XXII du roman éponyme : il joue « A je vous prens sans verd »51. Il s’agit, dit Furetière (1690), d’un « jeu qu’on joue au mois de mai, dont la condition est qu’il faut avoir toujours du vert sur soi ». On rencontre la locution dans les Nouvelles récréations et joyeux devis de Des Périers52. En 1735, Le Roux lui consacre une longue notice dans son Dictionnaire comique, satyrique, critique, burlesque, libre et proverbial et indique que « c’est un jeu de galanterie à la mode à Paris. On le joue au mois de May, et personne ne le joue davantage que les gens de qualité »53.

• Moutarde après dîner

18Un deuxième exemple est offert par le proverbe54 « Moutarde après dîner » dont Montaigne fait usage dans l’ajout, déjà rapidement commenté (III, 10 : 325). Là encore, l’effet produit est celui de la conversation familière ; l’auteur joue de la connivence avec son lecteur en enclavant le bref proverbe imagé et concret dans un discours moral. En cette fin de XVIe siècle, l’on est dans une période de transition dans l’emploi du proverbe et des expressions imagées : pendant longtemps, les emplois du proverbe ne provoquaient pas de rupture dans le fil du discours ; au contraire, au XVIIe siècle, les proverbes seront employés avec distance et humour et Furetière les rangera parmi les « façons de parler triviales et communes » (1690). Le proverbe ici convoqué est commenté par Le Roux, dans son Dictionnaire comique, de la manière suivante : « Quand une chose vient lorsqu’on n’en a plus que faire, on dit que c’est de la moutarde après dîner »55. Sous la plume de Montaigne, il y a bien ici un trait d’humour et une pleine conscience du changement de registre stylistique avec lequel il joue plaisamment. L’auteur fait un usage comique du proverbe, faisant appel au goût du lecteur en sollicitant l’imaginaire du repas. Le proverbe a alors quelque chose du bon mot, ou mot de rencontre ; dans ses Epithètes, qui sont contemporaines de la première édition des Essais, Maurice de La Porte le définit de la manière suivante : proverbe « commun, vieil, joyeux, certain, journalier, notable, trivial, opportun, sentencieux, usité, ancien, vulgaire, facétieux »56.

• La putain punaise

19« Et faut-il si elle est putain qu’elle soit aussi punaise ? » (III, 10 : 329) Montaigne s’amuse à rapprocher deux mots qui ont une syllabe initiale commune pu- et un étymon commun, le latin putere qui veut dire « puer ». L’adjectif punais signifie « qui pue du nez, de la bouche » ; substantivé, il a désigné l’insecte qui dégage une mauvaise odeur lorsqu’il se sent en danger et que l’on retrouve dans des expressions imagées retenues par Le Roux (« Cela est plat comme une punaise. Se dit, pour se moquer de quelque chose de bas. Avoir le ventre plat comme une punaise. C’est-à-dire, avoir le ventre vuide »)57. À l’exception d’une occurrence dans Le Roman de Renart58, je n’ai pas rencontré d’expression ancienne regroupant putain et punaise ; notre auteur aurait-il glané « aux halles à Paris »59 une telle expression ? Le mot punaise est attesté tardivement dans les dictionnaires pour désigner la femme de mauvaise vie, mais on le rencontre au XVIIe siècle dans une épigramme de Sigogne (dont les Satyres mélangent le précieux et le trivial, la vigueur et l’obscénité).

20Cet exemple peu odorant va me permettre de dire un mot rapide, pour conclure, de la manière dont est traité le bas corporel dans le chapitre et dont Montaigne use des mots non plus seulement concrets mais triviaux60. À cet égard, la vision, à la fin du chapitre (III, 10 : 343), des « âmettes naines et chetives [qui] s’en vont embabouinant » et de « ceux qui en montrent d’autant plus le cul, qu’ils espèrent en hausser la tête »61 montre une forte cohérence dans l’emploi de mots crus ; il ne s’agit pas tant de décontenancer le lecteur que de soutenir, voire de produire une pensée neuve et dynamique. Au sein du chapitre, l’image crue avait été préparée par d’autres termes ayant trait au singe : le conseiller « marmottant entre les dents » au pissoir du palais (III, 10 : 344) avait déjà une allure simiesque ; le verbe marmotter, variante de marmonner, deux verbes forgés sur le radical onomatopéique marm- exprimant un murmure a en effet donné le substantif marmot, qui a pour sens originel le « singe » (Cotgrave, 1611, le définit comme « A Marmoset, or little Monkie »). Le substantif « singeries » (III, 10 : 330, ajout de l’Exemplaire de Bordeaux) (« les singeries d’Apollonius et de Mehumet ») et le verbe rare « embabouiner62 » ont ensuite filé l’image du singe. Il s’agit pour Montaigne de nous rappeler à notre condition d’hommes, de nous inviter à nous défier de la présomption. Et c’est en effet dans ce chapitre « De la présomption » (que j’ai déjà cité pour les réflexions sur le style et la langue qu’il contient) qu’apparaît pour la première fois l’image du singe montrant son derrière : est rapporté

ce mot [il faut prendre le terme dans le sens de motto, ou bon mot] du feu Chancelier Olivier63, que les Français semblent des guenons, qui vont grimpant contremont un arbre, de branche en branche, et ne cessent d’aller, jusques à ce qu’elles sont arrivées à la plus haute branche, et y montrent le cul, quand elles y sont. (II, 17 : 458)

Montaigne se souvient encore ici du bon mot du chancelier et il en colore son propos, créant un climat de familiarité avec son lecteur et l’invitant à l’humilité, la simplicité ; c’est sur une image très proche, ne l’oublions-pas, que se terminent les Essais dans un ajout de l’Exemplaire de Bordeaux : « Et au plus élevé trône du monde, si ne sommes assis que sur notre cul » (III, 13 : 481). Un fil se tisse entre les guenons de II, 17, le singe de III, 10 et le trône de III, 13 dans une critique insolente de la fatuité.

21L’usage du mot concret est donc chez Montaigne une manière de réveiller la pensée paresseuse, de solliciter la « diligence » du lecteur, de le piquer, de le « poindre » par autant de clins d’œil qui exigent de sa part une forte implication ; « comme chez Rabelais et chez Verville, la partie se joue à deux », remarquait André Tournon64. Parler en mots concrets, c’est aussi penser en termes concrets : la pensée s’élabore à partir de l’expérience et de la perception du réel ; le travail sur les mots est « inextricablement lié à la quête de la vérité », comme l’a rappelé récemment Véronique Ferrer65, et Jules Brody indiquait dans son essai philologique que « les pensées de Montaigne sont des métaphores, il pense des métaphores ». En cela, Montaigne se conforme, sur le plan stylistique tout autant que philosophique, à la leçon socratique, comme le rappelle l’ouverture du chapitre « De la physionomie » sur la parole de Socrate :

Socrates fait mouvoir son âme d’un mouvement naturel et commun. Ainsi dit un paysan, ainsi dit une femme. Il n’a jamais en la bouche que cochers, menuisiers, savetiers et maçons. (III, 12 : 363)

22Pour revenir à mon point de départ, je rattacherai d’autre part ce style concret à une philosophie du plaisir. Plaisir des mots, plaisir du texte, ce n’est pas un hasard si Marie-Luce Demonet a intitulé son livre consacré à la sémiotique de Montaigne « A plaisir »66 ; Albert Thibaudet avait consacré des remarques au « plaisir des formes » chez Montaigne67. Là encore, la rencontre avec Marie de Gournay est éclairante ; la lectrice rejoint l’auteur dans son souci de « parler droit », sa capacité à jouir des mots ; elle dit par exemple son désir de parler notre langue « non seulement aussi nettement, mais aussi vigoureusement, richement, figurément, succinctement et délicieusement, qu’ils [les Anciens] parlent la leur »68. La lectrice a ici parfaitement fait sien l’idéal stylistique de l’auteur qu’elle vénérait.