Colloques en ligne

Marie-José Fourtanier

Le texte est comme une partition musicale

1Les travaux de Paul Ricœur ont profondément influencé la recherche dans le cadre des études littéraires. Je voudrais montrer qu’ils ont également bouleversé la recherche en didactique de la littérature. Ainsi, le programme « La fabrique du lecteur/spectateur/auditeur face au processus de création » du laboratoire LLA-Créatis (Création, Recherche, Émergence, en Arts, Textes, Images, Spectacles) de l’Université Toulouse-Le Mirail développe depuis plusieurs années un certain nombre de notions, sinon purement et simplement empruntées à Paul Ricœur, du moins très influencées par lui, en particulier par son ouvrage Temps et récit. Rappelons brièvement les colloques et journées d’étude qui, à Rennes, Grenoble, Toulouse, Bordeaux, Québec ou Trois-Rivières, visaient à théoriser d’un point de vue didactique des concepts tels que l’identité narrative du sujet lecteur, l’activité fictionnalisante du lecteur, les événements de lecture et le texte du lecteur, tous ces concepts dérivant de manière plus ou moins directe de la pensée philosophique et critique de Paul Ricœur. Une telle filiation, de la philosophie et de l’herméneutique à l’école, peut paraître étonnante, mais elle est réelle et explicitement envisagée comme telle par un certain nombre de didacticiens de la littérature. Ainsi, dans la cartographie des concepts que notre groupe de recherche convoque dans une approche de la lecture littéraire comme interaction entre lecteur et œuvre, figure en bonne place la notion de « concrétisation imageante », proposée par Paul Ricœur en réponse aux « vues schématiques » de l’œuvre littéraire. Reprenant deux ouvrages de Roman Ingarden, Ricœur s’interroge sur l’aspect inachevé du texte littéraire :

Pour Ingarden, un texte est inachevé une première fois en ce sens qu’il offre différentes « vues schématiques » que le lecteur est appelé à « concrétiser » ; par ce terme, il faut entendre l’activité imageante par laquelle le lecteur s’emploie à se figurer les personnages et les événements rapportés par le texte ; c’est par rapport à cette concrétisation imageante que l’œuvre présente des lacunes, des « lieux d’indétermination » ; aussi articulées que soient les « vues schématiques » proposées à l’exécution, le texte est comme une partition musicale, susceptible d’exécutions différentes1

2L’activité du sujet lecteur apparaît commandée par plusieurs grandes instances dont, précisément, la « concrétisation imageante » que Paul Ricœur définit comme les images produites par le lecteur en « complément » de l’œuvre (paysage, traits physiques et psychologiques des personnages, topographie, couleurs dominantes, etc.). La concrétisation imageante permet donc d’identifier les espaces d’initiative du lecteur laissés par l’œuvre, de percevoir des modalités de stimulation de son imagerie mentale, les catalyseurs de son imaginaire. Mais, au-delà de cette figuration mentale, l’activité du lecteur procède également à une reconfiguration axiologique de l’œuvre. Les jugements moraux que le lecteur porte sur les personnages, par référence à son propre système de valeurs, la compréhension ou la perplexité que lui inspirent leurs actions, le mouvement d’adhésion ou de rejet qu’il éprouve face aux normes sociales, civiques, etc. proposées par l’œuvre jouent un rôle déterminant. Enfin, l’activité fictionnalisante donne de la vraisemblance et de la cohérence à ce qui, sans cela, apparaîtrait incompréhensible aux yeux du lecteur. Celui-ci entre dans la fiction mimétique en puisant dans ses représentations du réel des enchaînements de causalité qu’il investit dans le déroulement de l’intrigue2.

Des différences entre texte et partition : pertinence de la métaphore

3Aussi productive que soit théoriquement et didactiquement la notion de « concrétisation imageante », la métaphore extensive du « texte comme partition musicale », inscrite dans le passage du Temps raconté cité plus haut, permet d’élargir et d’approfondir le cadre de la réflexion sur l’activité du lecteur. Le terme « exécution » introduit de fait la métaphore musicale en établissant un rapport d’analogie entre texte et partition. Voyons tout d’abord ce qu’implique cette image sur les pratiques de lecture littéraire dans la mesure, évidemment, où ce concept apparaît opératoire didactiquement. La définition de Paul Ricœur – dont nous verrons qu’il la reprend et la développe dans ses « essais d’herméneutique » – nous amène en effet à penser les rapports possibles d’un lecteur à une œuvre dans une activité de réception créative. Pour mieux en saisir les enjeux, il est nécessaire de placer la comparaison entre texte littéraire et partition musicale sur deux plans et de distinguer : l’élucidation de la métaphore, d’une part (en se posant la question de sa pertinence, du moins dans le cadre précis qui nous occupe), et, d’autre part, la liberté de l’interprétation qui, dans le domaine de la lecture littéraire comme dans le monde musical, se pose en termes quasi identiques de conflits et de limites d’interprétation, ce second plan permettant de poser des questions didactiques fondamentales en relation avec la liberté interprétative du sujet lecteur. J’étudierai donc en premier lieu les ressemblances et les différences entre texte et partition, afin d’évaluer la pertinence de cette représentation métaphorique à la fois inscrite spatialement et mobile dans le temps et dans l’imaginaire des lecteurs/auditeurs, et qui met en œuvre des réflexions sur l’esthétique et la sensibilité. Peut-être serait-il possible, pour filer la métaphore, de comparer les données brutes du texte (mots, phrases, ponctuation, blancs typographiques) à une partition musicale (portée, notes, pauses, nuances). On voit bien, sans entrer dans les détails, que cette dimension concrète de la métaphore suscite plus d’interrogations et de doutes que de certitudes : si l’on peut espérer en contexte scolaire et universitaire que chacun soit capable de déchiffrer, même sommairement, le sens d’un texte, il n’en va pas de même d’une partition musicale qui reste, du moins en France, muette pour une majorité d’élèves et d’étudiants, et même d’enseignants.

4Ici surgit donc une première difficulté : la différence, constituée de fait par la question technique de l’écriture musicale, que l’on peut mettre en évidence entre la lecture d’une œuvre littéraire et l’interprétation musicale. Comme l’écrit le chef d’orchestre et musicologue Alain Pâris,

contrairement à la plupart des autres arts, la musique n’autorise pas un contact direct entre le créateur et son public. La lecture d’un poème, l’observation d’une toile ou d’un buste permettent à l’amateur de poésie, de peinture ou de sculpture d’apprécier sans intermédiaire le message du créateur. En musique – comme d’ailleurs dans le domaine dramatique (théâtre, cinéma) –, il en va autrement. La simple lecture d’une partition offre un pâle reflet de sa réalité, et bien peu nombreux sont ceux qui peuvent se plier à un tel exercice. L’intervention d’un médiateur, l’interprète, qui permet de passer du signe au son, est indispensable3.

5L’exigence ainsi posée d’un nécessaire médiateur entre la chose écrite et son interprétation pourrait à première vue suggérer une position d’infériorité du domaine musical par rapport à celui de la lecture littéraire. Or, c’est précisément cette apparence d’art défavorisé qui permet de mettre en décalage les deux termes de la comparaison : à un premier niveau, le lecteur pourrait en effet être assimilé simplement à l’auditeur et non à l’interprète. Mais c’est précisément cette dimension de nécessaire exécution/interprétation de la partition musicale qui ouvre à la recherche sur la lecture littéraire des horizons très prometteurs, la métaphore ricœurienne nous amenant à penser le passage de la passivité de l’écoute, même fine et sensible, à une réception active du texte littéraire, c’est-à-dire à une position active de lecteur. Et, dans ce cas, on peut réintégrer la partition musicale concrète dans l’analyse de la métaphore, si l’on considère avec Ricœur que ce que le texte offre au lecteur, « ce sont des schémas pour guider » son imagination et sa pensée, de même que les notes et les nuances guident l’interprétation du musicien. Ainsi, par le modèle de transfert de subjectivité qu’elle donne du compositeur à l’interprète et de l’interprète à l’auditeur, la musique « s’avère peut-être plus riche que les autres arts, car la création revêt, grâce à l’interprète, quantité de visages différents qui profitent autant au compositeur qu’à l’auditeur4 ».

Variations des interprétations, variations des significations ?

6Mais la question se pose évidemment à rebours, aussi bien – si l’on accepte la métaphore du texte comme partition musicale – pour les textes littéraires que pour les pièces musicales : y a-t-il modification des significations des œuvres susceptibles de revêtir « quantité de visages différents » par, grâce ou à cause de l’interprétation ? C’est ce que tendrait à (dé)montrer l’une des catégories d’un genre littéraire particulier, le genre du « roman musical ». Je ne parle pas ici des romans dont la structure s’organise à la manière d’œuvres musicales, comme Consuelo de George Sand (1843), écrit à la gloire de Pauline Viardot, ou Jean-Christophe de Romain Rolland (1912) – que Stefan Zweig, dans la biographie qu’il a consacrée au romancier, qualifie de « symphonie héroïque » –, mais des romans qui soumettent des œuvres musicales à l’interprétation diverse et contradictoire des personnages romanesques. Il s’agit là d’un essai de démonstration inversée : l’analogie proposée par Ricœur entre lecture et interprétation musicale a-t-elle une validité que pourrait attester l’étude des rapports entre écoute musicale et interprétation en régime fictionnel, l’idée étant que la fiction littéraire nous permet de penser l’analogie, dans la mesure où la fiction s’avère porteuse d’enseignements théoriques développés consciemment ou inconsciemment par les écrivains5 ? Par conséquent, « plutôt que d’interpréter leurs œuvres au moyen d’une théorie extérieure, pourquoi ne pas prendre au sérieux leur capacité de penser ce qui nous échappe, en prolongeant leurs intuitions et en mettant en forme les théories originales qu’ils esquissent6 ? » Le champ ouvert de la fiction peut dès lors fonctionner comme celui d’une expérimentation in vivo.

7Je présenterai brièvement trois exemples de dispositifs romanesques, dont la cellule créatrice est une œuvre musicale elle-même à la fois particulièrement productive et sujette à controverse, les Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach. Cette brève présentation a une fonction de démonstration préalable de l’idée suivant laquelle différentes exécutions mentales (et même fort différentes) d’une même partition (ici les Variations Goldberg) sont possibles et constituent des reconfigurations de l’œuvre musicale : c’est un effet de mise en abyme et de retournement démonstratif que je souhaite ainsi mettre en valeur.

8Le premier exemple est celui, très célèbre, des Kreisleriana d’E. T. A. Hoffmann, un recueil de nouvelles publiées dans la presse en 1810-1812 sous la forme de critiques musicales, que leur auteur attribue au maître de chapelle Johannès Kreisler. Dans le chapitre premier, on voit ce personnage, sorte d’avatar de l’auteur, jouer les Variations devant un public qui « croit que ce sont de jolies petites variations7 ». Hoffmann décrit avec humour les réactions diverses que les auditeurs éprouvent d’une variation à l’autre, mettant ainsi en scène les possibilités virtuelles des pièces musicales passées au filtre d’une écoute différenciée. Par un engendrement rétroactif, de la fiction romanesque à la musique, cette œuvre a par ailleurs inspiré à Robert Schumann en 1838 huit pièces pour piano qu’il a également intitulées Kreisleriana. Au-delà de cet exemple canonique prenant les Variations Goldberg comme enjeu d’interprétations contradictoires, on peut évoquer deux romans contemporains, eux aussi musicaux : l’un de 1935, La Nuit de la Saint-Jean (le quatrième tome de la Chronique des Pasquier de Georges Duhamel), où le personnage de Cécile joue au clavecin les Variations Goldberg de Bach devant des convives qui réagissent à l’écoute de ce concert de manière très différente, liée à la vie même de ces auditeurs ; l’autre, de 1981, Les Variations Goldberg de Nancy Huston, qui étend ce procédé narratif à la totalité du roman. Ce premier roman de l’auteur peut s’analyser comme une narration toute en monologues intérieurs, adaptée à la structure de l’œuvre de Bach, divisée en trente-deux chapitres, c’est-à-dire les trente variations entourées des deux arias, chacune de ces parties étant attribuées à un personnage et dotées d’un qualificatif qui rend compte à la fois de son vécu et de son ressenti à l’écoute d’une variation. Ainsi les notations « Ombrage », « Vents », « Écarlate », « Soupirs8 », etc., constituent-elles autant d’« exécutions différentes » de la partition physiquement jouée par Liliane, la musicienne. Par exemple, dans la Variation V, « Joual », attribuée à Dominique, le narrateur-auditeur québécois s’interroge avec ironie sur la dimension « soporifique » de l’œuvre de Bach, modifiant de facto à travers son activité fictionnalisante la signification et la portée même de la composition :

Ç’a pas de bon sens. Tout ce beau monde rassemblé, qu’est-ce qu’ils pensent qu’ils font ? Un deux trois quatre cinq, jusqu’à trente, puis le trente et un ça fera le bouclage de la boucle, puis ils vont tous s’en retourner chez eux dormir. Tout juste s’ils roupillent pas déjà assis comme ça là sur leurs chaises. Sûr que c’est pour ça que les chaises sont inconfortables en maudit pour qu’on puisse pas s’envoler au beau pays des rêves. C’est tout de même injuste, vu que c’est une musique faite exprès pour s’endormir dessus. Le vieux Goldberg c’était un grand insomniaque à ce qu’il paraît. C’est lui qui a demandé à M. Jean-Sébastien la star un peu de soporifique mélodique et harmonique9.

9L’objectif conscient de Liliane, la musicienne interprète, alter ego de l’écrivain, semble bien être de parvenir « à faire vibrer ses invités auditeurs, ces trente personnes comme autant de Variations, chacune à un diapason différent10 ». Ainsi s’exprime-t-elle dans l’aria finale, s’interrogeant sur leurs perceptions : « J’entends des remous dans la salle. À peine. Les gens commencent à se préparer pour le réveil. Certains auront fait de beaux rêves et d’autres des cauchemars11. » Là encore, la métaphore musicale nous aide à penser un autre concept ricœurien, celui d’« identité narrative » : nous pouvons en effet faire l’hypothèse que, comme les auditeurs des Variations Goldberg dans le roman de Nancy Huston, les lecteurs de textes littéraires construisent leur identité, entre autres modalités, à travers une lecture interprétative. Aux dires de Ricœur lui-même, le concept d’identité narrative permet de dépasser l’opposition entre la fixité et le changement du sujet. L’identité-idem, substantielle et formelle, où le même s’oppose à l’autre, laisse la place à l’identité-ipse, ou ipséité, dont est constitutive l’identité narrative12. Or le caractère heuristique du récit permet la « refiguration », moteur du processus identitaire. Le sujet se forme, évolue et se transforme, entre autres modalités possibles, par le truchement de l’interprétation personnelle de l’œuvre. Comme l’écrit Paul Ricœur dans Soi-même comme un autre : « La compréhension de soi est une interprétation ; l’interprétation de soi, à son tour, trouve dans le récit, parmi d’autres signes et symboles, une médiation privilégiée13. » De même que, dans un roman, il est donc possible, nous venons de l’expérimenter, de représenter les variations d’écoute et donc d’interprétation d’une œuvre musicale à travers le passé, l’expérience, les désirs, voire les fantasmes des personnages, de même je fais l’hypothèse que les lectures d’une même œuvre constitueraient autant de variations lectorales et interprétatives, et donc un double mouvement significatif de refiguration, à la fois de soi-même et de l’œuvre lue qui, en retour, ne sort pas indemne du processus de lecture.

10Cependant, la mise en abyme présentée dans la fiction romanesque met aussi l’accent sur un problème posé par la métaphore musicale de Ricœur : de fait, dans le roman de Nancy Houston, qui est le véritable interprète des Variations Goldberg ? Les trente auditeurs tous pris dans le réseau de leurs propres émotions et de leur propre existence ou la pianiste considérée comme un indispensable médium, seule détentrice du sens réel de l’œuvre ? On l’a vu, la finale du roman semble suggérer que l’écoute musicale est en elle-même une véritable recréation, chaque auditeur interprétant l’œuvre à son propre diapason. C’est cette leçon contenue dans le récit de fiction, cette mise en scène éclairante, qui permet le transfert de concept du domaine musical à celui de la lecture littéraire. En effet, la comparaison entre texte et partition entraîne une double réflexion, d’une part, sur les effets de la lecture génératrice de transformation et, d’autre part, sur les conditions d’une médiation entre l’œuvre et son interprétation. Ainsi le titre même de cette œuvre pour clavecin, Variations, acquiert-il dans le contexte didactique qui nous occupe une dimension prescriptive : ce sont bien des « variations » que l’enseignant doit prendre en compte lorsqu’il accueille les lectures plurielles, diverses, voire contradictoires de ses étudiants ou de ses élèves, du moins si l’on accepte l’idée, inspirée de Ricœur, que toute lecture est une interprétation amenant en retour une transformation de l’œuvre lue.

Limites et libertés de l’interprétation

11Ces remarques amènent au second intérêt stratégique que l’on peut déceler dans la métaphore de la partition musicale : elle permet de réfléchir par comparaison aux limites et aux libertés de l’interprétation littéraire comme de l’interprétation musicale. On assiste en effet à la même querelle autour des droits du compositeur (et donc de l’œuvre telle qu’il l’a écrite) qu’autour des droits du texte, avec le même type de déploration aussi bien dans les médias que dans les revues spécialisées. Ainsi s’inquiète-t-on du fait que l’interprète soit devenu, à l’époque contemporaine, aussi important que le compositeur, voire qu’il se substitue à lui. L’idée dénoncée comme iconoclaste est que l’interprétation renouvelle l’approche de la musique ; l’exemple souvent donné est celui de Glenn Gould, dont les enregistrements des Variations Goldberg ont modifié l’écoute de Bach : « Ce qui rend surtout le Bach de Gould éternel, écrit la journaliste et biographe Jennifer Lesieur, c’est qu’il n’avait pas une, mais mille manières de le jouer : chaque motif pouvait à lui seul en générer une infinité d’autres […]14. » À l’inverse de cette admiration, une inquiétude se fait jour dans le discours musicologique actuel qui vise à mettre en valeur la « véritable interprétation », essentiellement appréhendée dans sa « forme authentique » et qui tend donc à sacraliser la partition, la figure du compositeur étant de ce fait érigée en créateur tout-puissant. L’interprète dans cette perspective serait l’exécutant, non des possibles musicaux de la partition, mais du sens même de l’œuvre. Ainsi René Leibowitz peut-il affirmer qu’il est

possible de dire que, de même que l’exécution est un analogon de l’œuvre, l’interprète est un analogon du compositeur. Sa fonction consiste tout d’abord […] en cette prise de conscience authentique du sens de l’œuvre […] afin que ayant pénétré ce sens, il se substitue en quelque sorte – pour la durée de l’exécution – au compositeur lui-même15.

12Or, sans entrer très avant dans la querelle opposant, d’une part, les figures quasi mythifiées de la partition et du compositeur et, d’autre part, l’interprète bouleversant par sa technique et sa sensibilité l’écoute et l’appréhension des œuvres, force est de constater que Glenn Gould a changé notre approche de Bach, comme Nikolaus Harnoncourt ou René Jacobs, par leurs travaux de recherche et leurs interprétations, ont modifié notre perception et notre compréhension de la musique baroque européenne. On retrouve dans ces réflexions les principaux ressorts des « limites de l’interprétation » développés par Umberto Eco16, l’interprétation des textes se définissant comme une sorte d’oscillation, voire de déséquilibre entre fidélité à l’œuvre et initiative de l’interprète. Mais ces tensions telles qu’elles s’inscrivent dans le domaine musical, parce qu’elles mettent en jeu la question d’une interprétation dynamique et productive, on pourrait même dire performative, ouvrent dans le domaine de la didactique de la littérature des perspectives innovantes et permettent d’imaginer la possible actualisation de processus originaux de lecture et d’interprétation des textes littéraires.

La partition musicale, une « métaphore vive »

13C’est en ce sens que la métaphore musicale – loin de n’être qu’une forme commode d’analogie entre deux univers différents, celui de la performance musicale se superposant sans nuance ni distance à celui de la lecture littéraire – peut être qualifiée de « métaphore vive », c’est-à-dire de « processus rhétorique par lequel le discours libère le pouvoir de certaines fictions de redécrire la réalité17 ». La métaphore établissant une comparaison du texte et de la partition, ce qu’atteste la préposition « comme » dans la citation initiale, propose moins cependant un dispositif de substitution d’un domaine à l’autre qu’un effet de tension et de pensée dynamique : « Ne peut-on pas dire que la stratégie de langage à l’œuvre dans la métaphore consiste à oblitérer les frontières logiques et établies, en vue de faire apparaître de nouvelles ressemblances que la classification antérieure empêchait d’apercevoir18 ? » C’est dans la perspective du renouvellement de la réflexion sur la lecture subjective que je développerai à présent les effets de l’analogie entre texte et partition.

14Il s’agit donc de montrer que la métaphore musicale proposée par Paul Ricœur permet d’élaborer une (ou des) modalité(s) de lecture mettant en jeu des figures de jonction ou de disjonction, de contraste ou d’homologie entre différentes exécutions, c’est-à-dire différentes lectures d’un même texte ou, pour reprendre le terme musical emprunté à Bach, différentes variations. Afin d’illustrer ce transfert esthétique et théorique de la musique à la littérature, je prendrai des exemples de lecture d’une œuvre littéraire, activité elle-même constituée de variations. Je me propose d’étudier des modalités de variations possibles à partir d’œuvres gigognes, qui s’emboîtent et se déboîtent autour d’un même texte considéré comme une « partition musicale », l’Odyssée d’Homère, et qui en outre proposent à des degrés divers des modèles didactiques en relation avec l’enseignement et l’éducation. Ces variations lectorales apparaissent comme autant d’exécutions, d’interprétations a priori certes induites par les virtualités du texte source, mais également les outrepassant et les transformant. Néanmoins, ce qui est en jeu dans cette recherche d’attitudes lectorales variées ne relève pas exactement de l’intertextualité ou de l’imitatio. En effet, sans méconnaître le rôle que l’imitation des Anciens a joué jusqu’à la fin du xixe siècle dans l’enseignement de la littérature (et dans la définition même de l’œuvre littéraire) et que l’on retrouve actuellement au lycée avec l’écriture d’invention, ma réflexion sur la lecture/reconfiguration n’en recouvre pas exactement les contours. L’idée sous-jacente à cette confrontation entre les diverses strates de lecture d’un même texte est que les modalités de la lecture des écrivains peuvent permettre de comprendre et d’analyser les réactions subjectives des lecteurs réels. L’équation théorique est ainsi posée : les œuvres choisies s’inspirant de l’Odyssée représentent des lectures personnelles, des « exécutions différentes » d’un même texte. C’est cette activité de lecture dynamique qui m’intéresse, et non l’étude en tant que telle des hypertextes ainsi produits19. D’une variation à l’autre, je les présenterai par ordre décroissant d’adéquation au texte source de l’Odyssée, texte qui se signale évidemment par sa puissance sémantique et son caractère irradiant20.

Les aventures de Télémaque

Première variation : la conjonction ou le plaisir de la lecture

15Le premier exemple appartient à un genre didactique très particulier, le miroir des princes, traité d’éducation fait de conseils politiques et de préceptes moraux à l’usage des rois ou des futurs rois, destiné à leur montrer la manière de bien gouverner. Les Aventures de Télémaquede Fénelon, écrites pour le duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV, et publiées en 1699, se présentent certes sous la forme plaisante d’une épopée narrant les voyages périlleux du héros, fils d’Ulysse, accompagné de son précepteur Mentor, mais les différentes cités visitées et les différents personnages rencontrés constituent autant de leçons de vie pour le jeune homme. Cette œuvre est un ouvrage étrange qui, dès l’incipit, laisse le lecteur dérouté au sens premier du terme : « Calypso ne pouvait se consoler du départ d’Ulysse. Dans sa douleur, elle se trouvait malheureuse d’être immortelle21. » Où sommes-nous exactement, sur quel cheminement textuel ? On le sait évidemment par l’entour, par le paratexte éditorial : comme l’indique le titre de l’édition originale, il s’agit explicitement d’une suite, celle « du 4ème livre de l’Odyssée d’Homère ». Télémaque, fils d’Ulysse, est bien un personnage homérique présent dans les quatre premiers livres de l’Odyssée, puis absent jusqu’au chant XV. Or, chez Homère, cet espace de temps est occupé par les récits d’Ulysse chez les Phéaciens. Les Aventures de Télémaque doublent donc avec quelque invraisemblance temporelle ces récits et les dernières péripéties qui, dans l’Odyssée, précèdent immédiatement le retour du héros à Ithaque. L’incipit du roman de Fénelon fait suite, sans transition d’où son aspect déroutant, aux plaintes de Calypso à la fin du chant IV, que venait de traduire Fénelon pour le duc de Bourgogne. L’explicit des Aventures de Télémaque est aussi abrupt : « Télémaque, soupirant, étonné et hors de lui-même, se prosterna à terre, levant les mains au ciel ; puis il alla éveiller ses compagnons, se hâta de partir, arriva à Ithaque, et reconnut son père chez le fidèle Eumée22. » Ainsi Télémaque réintègre-t-il par un effet assez brutal de métalepse interfictionnelle les aventures d’Ulysse.

16L’œuvre de Fénelon constitue de fait une suite de morceaux choisis des lettres antiques à l’usage de son royal élève. Même si, comme l’écrit sévèrement Antoine Adam dans son Histoire de la littérature française au xviie siècle, on a « l’exaspérante impression que l’auteur fait une sorte de centon d’Homère et de Virgile », il s’agit chez Fénelon (par la traduction et l’écriture-doublure du texte homérique) d’un véritable phénomène d’appropriation, Homère constituant la matrice essentielle – d’un point de vue à la fois narratif et mythologique –, le style lumineux et souple ressortissant quant à lui plutôt à l’influence de Virgile. Le terme appropriation est ici utilisé dans le sens d’actualisation, que lui donne Paul Ricœur, reprenant la métaphore de la partition musicale dans ses « essais d’herméneutique » : « En caractérisant l’interprétation comme appropriation, on veut souligner le caractère actuel de l’interprétation : la lecture est comme l’exécution d’une partition musicale ; elle marque l’effectuation, la venue à l’acte, des possibilités sémantiques du texte23. » La variation consiste ici à développer des virtualités de l’œuvre source en restant fidèle aux linéaments du modèle (cadre spatio-temporel, personnages, péripéties). On pourrait parler de lecture fidèle, du moins en apparence, à la fois à l’Odyssée et au projet éducatif de Fénelon. Mais dans ce cas, on peut légitimement se demander avec Dietmar Fricke : « [Q]uelle pouvait être la signification d’une telle phrase adressée au jeune duc de Bourgogne : “Calypso ne pouvait se consoler du départ d’Ulysse24” » ? De manière concomitante, on s’interrogera également à savoir quel pouvait être son intérêt pédagogique. Nul doute que le recours à un scénario et à des figures mythiques relève bien plus du plaisir de la lecture des œuvres antiques que du simple usage pédagogique, et ce plaisir est sensible, en particulier dans des morceaux de bravoure stylistique, comme par exemple le triomphe d’Amphitrite, dont le char « semblait voler sur la face des eaux paisibles25 », même si toute une tradition critique a pu interpréter ce tableau littéraire comme la lecture chrétienne d’un archétype antique26.

Deuxième variation : la disjonction ou le pacte pédagogique

17Évoquons à présent un nouvel exemple de variation jouant sur une tension entre adéquation et distance par rapport au texte lu : c’est un exemple inspiré de Jacques Rancière qui, dans son ouvrage au titre paradoxal, Le Maître ignorant, raconte l’histoire d’un professeur, Joseph Jacotot, qui a fait scandale dans la Hollande et la France des années 1830 en affirmant que les ignorants pouvaient apprendre seuls sans maître pour leur enseigner, et que les maîtres, de leur côté, pouvaient enseigner ce qu’ils ignoraient eux-mêmes. Sans du tout entrer dans la polémique pédagogique, ce qui m’intéresse dans ce récit, c’est le choix un peu hasardeux que fait Jacotot de proposer à des étudiants flamands de Louvain à qui il est chargé d’enseigner le français d’étudier une édition bilingue français-hollandais des Aventures de Télémaque de Fénelon. Certes, comme nous le verrons plus bas avec Aragon, l’œuvre de Fénelon est le texte auquel recourent le plus souvent tous les pédagogues de France et d’Europe pour enseigner la langue française au xixe siècle. Comme le souligne à maintes reprises André Chervel dans son ouvrage sur l’histoire de l’enseignement du français, et en particulier dans la section sur la « lecture primaire dans six départements français en 1833 » : « [L]a littérature figure dans ce tableau par deux titres, les fables de La Fontaine avec onze mentions, et surtout le Télémaque, présent dans cent écoles soit 21 % des écoles de l’académie. Il représente à lui seul 12 % du total des livres de lecture mentionnés dans l’enquête27. » Utiliser l’œuvre de Fénelon, tant pour apprendre à lire que pour apprendre l’orthographe28, apparaît bien comme une pratique courante au xixe siècle. Mais le choix de Joseph Jacotot relève pourtant du paradoxe, car la visée éducative de ce professeur est de rompre brutalement le rapport pédagogique étroit évidemment induit par Les Aventures de Télémaque, dont on a souvent signalé le couple indissociable formé du maître et du disciple, aussi bien dans le réel historique (Fénelon et son jeune élève, le duc de Bourgogne), que dans la fiction (Mentor et Télémaque). Comme le précise Rancière,

[Joseph Jacotot] fit remettre le livre aux étudiants par un interprète et leur demanda d’apprendre le texte français en s’aidant de la traduction. Quand ils eurent atteint la moitié du premier livre, il leur fit dire de répéter sans cesse ce qu’ils avaient appris, et de se contenter de lire le reste pour être à même de le raconter29.

18Ce qui étonna Jacotot, selon Rancière, c’est que ces étudiants étaient parvenus grâce à cette méthode à s’exprimer correctement en français, alors qu’il ne leur avait de fait transmis aucun savoir linguistique spécifique. Il faut donc s’interroger sur le choix que le maître fit des Aventures de Télémaque pour mettre en œuvre sa méthode intuitive. Les fils qui relient le « maître ignorant » à l’épopée de Fénelon sont de plusieurs ordres : la célébrité et le nombre incalculable de rééditions de ce classique de la littérature, le rapport aux textes canoniques de l’antiquité qu’il contient, sa dimension didactique assumée. Tous ces éléments établissent un effet de variation particulier qui ressortit à une mise en abyme ; en effet, cette expérience première et inattendue de lecture amena ainsi Joseph Jacotot, sorte d’avatar moderne de Mentor, à proposer une véritable méthode d’enseignement de la langue et de la culture qui conduit Jacques Rancière à une réflexion philosophique qu’il qualifie lui-même d’« absolument actuelle » sur la manière dont la raison pédagogique et la raison sociale tiennent l’une à l’autre. Cet exemple de variation pédagogique permet de dépasser, dans le cadre de l’interprétation lectorale, la seule notion d’hypertextualité pour insister encore une fois sur celle d’appropriation, au demeurant plus linguistique que sémantique. En effet, l’usage à première vue paradoxal que fait le « maître ignorant » de l’œuvre de Fénelon en transforme l’enjeu et la portée : de canevas d’apprentissage moral et esthétique ad usum delphini, Les Aventures de Télémaque deviennent un instrument exemplaire de révélation à l’individu de sa capacité d’apprendre par lui-même. Or, par un retournement dialectique, l’intuition « scandaleuse » de Jacotot rejoint l’une des dimensions fondamentales du projet éducatif de Fénelon, celui d’une rhétorique de la persuasion liant apprentissage souvent ardu et exercice du plaisir et de la liberté :

D’où l’insistant didactisme du Télémaque ; conduit comme par la main, pour reprendre une métaphore biblique chère au précepteur du duc de Bourgogne, le lecteur peut, avec le royal élève, apprendre la politique, l’économie, l’art de la guerre et de la diplomatie, celui du commerce et de l’agriculture, ainsi que les institutions, les mœurs et les arts de l’Antiquité, la mythologie et l’esthétique30.

19Dans l’optique des étudiants du « maître ignorant » de Rancière, la caractérisation de la lecture comme appropriation personnelle apparaît comme un élément définitoire fondamental : elle conditionne, selon l’analyse de Ricœur, d’une part, la « victoire sur la distance culturelle » et, d’autre part, la « fusion de l’interprétation du texte à l’interprétation de soi-même31 ». En effet, poursuit Ricœur, « ce caractère d’effectuation, propre à l’interprétation, révèle un aspect décisif de la lecture, à savoir qu’elle achève le discours du texte dans une dimension semblable à celle de la parole32 ».

Troisième variation : extension, création, invention

20Le rapport étroit, quoique disjonctif et gouverné par l’écart, entre le Télémaque de Fénelon et l’apprentissage de la langue française m’amène à un dernier exemple, celui des Aventures de Télémaque d’Aragon, pastiche de l’œuvre de Fénelon publié en 1922. Réécriture, ou plutôt « correction » par amplification et retournement des valeurs : c’est ainsi que Gérard Genette33 définit le roman d’Aragon. Mais ce qui m’intéresse ici, c’est moins l’hypertexte complexe qui tisse le roman d’Aragon (à base de Fénelon, mais aussi de Lautréamont et de collages des manifestes Dada) que la coïncidence entre la lecture interprétative que le poète fait de l’œuvre source, dans laquelle – il est important de le noter – enfant il a appris à lire (comme les étudiants hollandais de Jacotot y ont appris le français) et l’actualisation de sa propre vie. Il faut encore une fois insister sur la permanence de l’utilisation du Télémaque comme outil d’apprentissage et d’interprétation de soi-même, et l’on pourrait prendre l’exemple de Panaït Istrati qui, sur les conseils de Romain Rolland, apprit le français en traduisant le roman de Fénelon et qui « écrira Kyra Kyralina, œuvre intime où sont transposées dans un Proche-Orient moderne les aventures du fils d’Ulysse34 ». Comme Aragon l’écrit dans Je n’ai jamais appris à écrire ou les Incipit, son essai autobiographique consacré à l’analyse de son travail d’écrivain,

où cet exercice allait me mener, je ne pouvais en avoir la moindre représentation. Principalement parce que cela même qui semblait, me semblait un jeu n’allait pouvoir se développer qu’autant que, sous le décor odysséen, ma propre vie, mes préoccupations modernes, en viendraient bouleverser le développement. Autrement dit que la dérision de Télémaque allait servir, presque au jour le jour, à l’écriture de mes « secrets35 ».

21La lecture subjective apparaît ici comme construction de soi délibérée, dans la mesure où elle vient s’incarner dans un texte qui en rend compte : l’exemple d’Aragon montre comment une interprétation particulière (ici « la dérision ») aboutit à la fois à une extension sémantique de l’œuvre de Fénelon et à une véritable création, alors même que le poète surréaliste suit de très près le texte de Fénelon. Ainsi le livre I du roman d’Aragon débute-t-il par un démarquage très proche de l’incipit fénelonien cité plus haut – « Calypso comme un coquillage au bord de la mer répétait inconsolablement le nom d’Ulysse à l’écume qui emporte les navires. Dans sa douleur elle s’oubliait immortelle36 » –, mais les images concrètes du coquillage (figure de la comparaison) et de l’écume (instance allocutaire) proposent une refiguration du texte source par la vertu de ce qu’Aragon nomme le « lyrisme de l’incontrôlable37 ». Le passage de la lecture à l’écriture opère un transfert de sens et donne « au langage poétique son caractère de “plus-value” sémantique, son pouvoir d’ouverture sur de nouveaux aspects, de nouvelles dimensions, de nouveaux horizons de la signification38 ». La réécriture opérée par Aragon montre que l’interprétation qui, dans le domaine musical, apparaît comme une médiation nécessaire entre la partition et l’auditeur, pourrait correspondre à l’activité d’écriture qui en serait en quelque sorte le versant littéraire. Outre que cette activité d’écriture interprétative met au jour et développe des sens possibles du texte lu, de même que toute exécution singulière d’une partition fait advenir l’œuvre musicale dans sa diversité, elle permet surtout au sujet lecteur de se constituer dans son identité puisque, à partir des œuvres qu’il s’est appropriées, « un sujet se reconnaît dans l’histoire qu’il se raconte à lui-même sur lui-même39 ».

22Ces divers exemples de lecture, voire de postures de lecteur, montrent bien que, pour les différents auteurs cités, il s’agit moins de réécriture hypertextuelle à proprement parler que d’interprétation-appropriation mettant en jeu les multiples facettes non seulement des œuvres, mais aussi de leur pensée et de leur vie : ils suggèrent par conséquent chez le lecteur, à des degrés divers plus ou moins respectueux du texte lu, une nécessaire activité de création et d’invention susceptible d’actualiser l’activité de lecture. Ainsi tendrait à se résoudre la difficulté que nous avions perçue dans la métaphore musicale de Paul Ricœur, c’est-à-dire la possible différence entre l’exécution musicale et la lecture des textes, celle-ci se situant du côté de la passivité du sujet, celle-là dans le dynamisme inventif d’une interprétation. Du point de vue didactique, l’idée sous-jacente à cette confrontation entre texte et partition est que les modalités des lectures interprétatives des écrivains peuvent permettre de comprendre et d’analyser les réactions subjectives du « commun des lecteurs ». Produire son « texte de lecteur », aussi parcellaire, mobile et incertain qu’il soit, de la même manière qu’on interprète une partition musicale, telle est bien la finalité que, par sa formule que j’ai prise comme titre – « le texte est comme une partition musicale » –, Paul Ricœur semble assigner à une lecture digne de ce nom.