Colloques en ligne

Claude La Charité

La correspondance entre Guillaume Briçonnet et Marguerite d’Angoulême à la lumière de l’Exomologesis (1524) d’Érasme

The correspondence between Guillaume Briçonnet and Marguerite d’Angoulême in the light of Erasmus’ Exomologesis (1524)

1Entre juin 1521 et novembre 1524, Marguerite d’Angoulême (1492-1549), sœur de François Ier et future reine de Navarre, échange quelque 123 lettres avec Guillaume Briçonnet (ca 1470-1534), évêque de Meaux, chef de file du mouvement évangélique français et confesseur, les deux épistoliers formant ce que Lucien Febvre en son temps avait appelé « ce grand duo mystique » (Febvre, 1944, p. 12).

2Dans un article paru dans la revue Tangence en 2007, j’avais cherché à éclairer cette correspondance à la lumière de la rhétorique épistolaire, en étudiant la persona de l’épistolière dans ces lettres où, contre toute attente – puisqu’à la même époque Érasme de Rotterdam (ca 1466-1536) théorise pour la première fois le genre de la lettre familière dans son De conscribendis epistolis (1522) – on ne trouve rien de proprement subjectif au sens moderne du terme. En réalité, ces lettres de confession se situent aux antipodes de ce qu’un certain anticléricalisme aimerait imaginer comme les secrets inavouables du confessionnal. Je voudrais étudier ici cette correspondance à la lumière du débat des années 1520 sur la confession comme institution humaine ou divine qui oppose Martin Luther (1483-1546) à l’Église catholique. Au reste, l’invention de l’imprimerie favorise la diffusion de nombreux manuels de confession en latin comme dans les langues vernaculaires. Les deux titres les mieux représentés en français sont le traité d’Olivier Maillard (ca 1430-1502), et celui de Jean de Gerson (1363-1429)1. Il s’agit là de manuels traditionnels que les luthériens et les évangéliques envisagent avec méfiance et considèrent comme emblématiques des dérives en matière de confession.

3C’est aussi l’avis d’Érasme qui, dans sa correspondance et ses Colloques, ne cesse d’appeler à une réforme de la confession pour faire de cette institution dogmatique de critique un instrument pastoral qui guide et console le pécheur afin de l’amener à la conversion morale plus qu’à la punition. L’humaniste de Rotterdam publiera d’ailleurs en 1524, chez Froben, l’Exomologesis sive modus confitendi, traduit la même année par Claude Chansonnette (ca 1490-1549) sous le titre de Maniere de se confesser.

4Ces différents traités sur la confession, en particulier celui d’Érasme qui présente des affinités évidentes avec la sensibilité évangélique des épistoliers, offrent des repères précieux pour étudier la correspondance entre Marguerite d’Angoulême et Guillaume Briçonnet, en éclairant dans quelle mesure elle relève d’une forme nouvelle de confession en train de s’inventer, non pas la confession auriculaire traditionnelle, instaurée par le quatrième concile de Latran en 1215, mais une confession épistolaire, entre action de grâces et confession de Dieu, qui recherche moins l’absolution du prêtre que la dissolution en Dieu.

La remise en question de la confession dans les années 1520

5Au cours de la décennie 1520, la confession est au cœur des polémiques religieuses qui marquent les débuts de la Réforme. Comme l’a bien montré Michael J. Heath dans l’introduction de sa traduction anglaise (Érasme, 2015, p. 1-15), la question est alors de déterminer s’il s’agit d’une institution divine ou humaine. Pour sa part, Martin Luther, ne trouvant pas de preuve dans la Bible que la confession ait été instituée par le Christ, envisage de l’exclure des sacrements pour ne retenir que le baptême et la communion. Sans pour autant nier toute utilité à la confession, le réformateur estime qu’elle ne nécessite pas le recours à un prêtre et peut très bien se pratiquer de façon solitaire par le croyant dans sa relation directe avec Dieu. Dans son Sermon sur le sacrement de la pénitence de 1519, il cherche déjà à restreindre le rôle du prêtre dans l’octroi de l’absolution. Dans De la captivité babylonienne de l’Église en 1520, il estime la confession dépourvue de signe nécessaire visible si bien qu’elle ne peut être considérée comme instituée par Dieu. En brûlant la bulle d’excommunication Exsurge Domine de Léon X, Luther jette également au feu l’un des manuels de confesseurs les plus répandus de l’époque, du moins en latin, à savoir la Summa angelica de casibus conscientiæ, la Somme angélique des cas de conscience, d’Angelus de Clavasio (Ange Carletti de Chivasso). Mais dans la Confession d’Augsbourg de 1530, Philippe Melanchthon retient finalement la pénitence comme sacrement à côté du baptême et de la communion. Le concile de Trente, pour sa part, décrétera que la confession est bien d’origine divine et nécessaire au salut selon la loi de Dieu, tout en frappant d’anathème quiconque prétend que la confession secrète est une invention humaine. Comme on le voit, la question de la confession a été au cœur des préoccupations religieuses de la décennie 1520, au cours de laquelle toutes les solutions semblent avoir été envisagées depuis le maintien de la pratique traditionnelle jusqu’à son abolition pure et simple, en passant par la possibilité de la rendre facultative.

Jean de Gerson et l’inventaire des péchés devant le tribunal de la confession

6Il n’est peut-être pas inutile de rappeler le contenu de certains manuels de confession de la tradition tardomédiévale, de manière à mettre mieux en évidence la part d’innovation que proposera Érasme dans son Exomologesis de 1524. Évoquons d’abord le manuel de Jean de Gerson, théologien et chancelier de l’Université de Paris, connu sous le titre de Confession générale, Confession ou Confession autrement dit Examen de conscience. Destiné aux pénitents plutôt qu’aux confesseurs, ce manuel rappelle la nécessité de se confesser une fois par année, dans un endroit public et devant témoins. Il fournit du reste un formulaire prêt à l’emploi que le fidèle peut reprendre tel quel :

S’ensuit une confession et absolucion generale accoustumee estre faicte ès eglises le jour de pasques avant la communion. Et premierement.

Je me confesse à dieu mon tresglorieux pere et createur. A la glorieuse vierge marie sa mere. A mon seigneur saint jehan baptiste, A tous patriarches et prophetez. A mon seigneur saint pierre et saint pol. A mon seigneur sainct jehan l’evangeliste et à tous apostres. A mon seigneur saint vincent. saint laurens et sainct denis. Et a tous glorieux martirs. A mon seigneur saint martin et saint nicolas. et tous benoitz glorieux confesseurs. A ma dame saincte marie magdeleine et ma dame saincte catherine et saincte marguerite et à toutes sainctes. Et generalement à toute la court celestielle de paradis et à vous pere qui cy present representez la personne de dieu de tous les pechez que j’ay dit ou proposez à faire depuis l’eure et le jour que je fuz né et que je receuz le sainct sacrement de baptesme jusques à ceste heure presente dont il me souvient et dont il ne me souvient mye. dont je suis coulpable et dont pourroye estre accusé à l’eure et point de la mort devant mon createur ne au jour du jugement. (Gerson, 1485, aiii, vo et aiiii, ro)

7Le traité propose enfin un inventaire des péchés selon différents classements : en fonction des cinq sens, des sept péchés mortels, des dix commandements, des sept dons de l’esprit, des sept vertus (quatre cardinales et trois théologales), des sept œuvres de miséricorde relatives au corps, des sept œuvres de miséricorde spirituelles, des sept sacrements ou des douze articles de la foi. Cette typologie des péchés est conçue de telle manière que, pour chacun d’entre eux, le manuel fournit – là encore – des formules prêtes à l’emploi que le fidèle peut répéter devant le prêtre. Le traité prévoit même le cas où le pénitent doit s’accuser, en se confessant, d’avoir contrevenu au sacrement de la confession comme suit : « Je suis venu tart et envis [de mauvaise grâce] à confesse et ay petitement pensé à mes pechés et si ay eu petite repentance » (Gerson, 1485, bi  ro).

Olivier Maillard et le formulaire prêt à l’emploi de la confession

8Conçu dans le même esprit, La Confession, La Confession générale ou L’Exemplaire de confession du frère Olivier Maillard, prédicateur franciscain particulièrement célèbre pour ses sermons, connut une plus large diffusion encore. Le traité s’ouvre sur certaines considérations générales, par exemple sur la nécessité de bien penser à ses péchés, de ne plus y retourner, de ne pas accuser autrui, etc. Il précise du reste les gestes et la posture à adopter devant le confesseur :

Quant tu es devant ton confesseur tu dois faire le signe de la croix et dire In nomine patris etc. Et puis dois demander à ton confesseur la benediction en disant. Benedicite pater. Et s’il est sage il te donnera la benediction en disant. Dominus vobiscum etc. et sache que toute personne qui se confesse doit estre à genoulx devant son confesseur et s’il est homme il doit estre teste nue et s’elle est femme elle doit avoir son chapperon baissé […]. (Maillard, 1511, aii, ro)

Comme dans le traité de Gerson, un formulaire de confession prêt à l’emploi est proposé avec quelques variantes :

Sire je me confesse à dieu le pere le filz et le sainct esprit à la benoiste vierge marie à monseigneur saint michel l’ange à saint pierre à saint paul et à tous les saintz et saintes de paradis et à vous qui estes mon pere spirituel et lieutenant de dieu en terre de tous les pechez que je fis oncques depuis l’heure et le jour que je fus né et que je receuz le sacrement de baptesme jusques à ceste heure presente […]. (Maillard, 1511, aii ro et vo)

9À la différence du traité de Gerson, celui de Maillard propose de prolonger le formulaire de confession en donnant à la suite les différentes typologies de péchés (cinq sens, œuvres de miséricorde corporelles, œuvres de miséricorde spirituelles, etc.) avec, pour chacun, une formule à reprendre et à insérer à la suite de ce qui précède, de sorte que le pénitent peut trouver la matière à toute sa confession dans le corps du traité, en retenant ce qui est pertinent à son cas et en omettant ce qui ne l’est pas. Les exemples de péché sont beaucoup plus circonstanciés que chez Gerson où la description est à ce point générale qu’il est difficile, par exemple, de comprendre chez lui ce qu’est l’adultère sans en avoir une idée préalable. Chez Maillard, l’évocation est plus précise, au point peut-être de donner à connaître ce qu’un innocent pouvait ignorer, par exemple à propos des péchés commis par les mains : « […] je me confesse de mes mains desquelles j’ay fait plusieurs atouchemens tant sur moy que sur aultruy en touchant femmes es lieux deshonestes en prenant les biens d’aultruy en batant mon prouchain et en faisant maintz maulx infinitz et n’en ay pas fait service à dieu comme je deusse, si m’en repens et en requiers à dieu pardon etc. » (Maillard, 1511, aiii ro et vo).

Érasme et la médecine de l’âme dans l’Exomologesis (1524)

10En publiant son Exomologesis, Érasme dédicace son traité à François Moulins de Rochefort (ca 1470-1526), évêque de Condom et ancien précepteur de François Ier et de sa sœur Marguerite, à Bâle le 24 février 1524. L’humaniste de Rotterdam cherche à défendre une voie mitoyenne entre le rejet luthérien de la confession comme institution humaine et la tradition médiévale illustrée notamment par les traités de Gerson et de Maillard, auxquels il reproche de ne s’adresser qu’aux seuls pénitents et de ne fournir que des listes de péchés, en faisant de la confession un exercice de punition plus que de consolation, invitant les fidèles à s’accuser même de fautes involontaires, comme l’illustre à ses yeux le traité de Gerson, De pollutione nocturna, De la pollution nocturne. Du reste, il n’y a rien de plus bête à ses yeux que de recourir à un formulaire pour faire sa confession. S’il adopte le titre grec d’Exomologesis, c’est en helléniste soucieux de remonter à la langue originelle du Nouveau Testament et conscient de la polysémie du terme, susceptible de désigner tantôt l’aveu à Dieu et aux hommes de nos péchés comme dans l’évangile de Matthieu 3, 6 et tantôt la célébration de la grandeur de Dieu à qui il s’agit de rendre grâces comme dans l’Épître aux Romains 14, 11.

11À la différence de Gerson ou de Maillard, Érasme entend s’adresser aussi bien aux pénitents qu’aux confesseurs, en passant en revue successivement les neuf avantages et les neuf désavantages de la confession, avant d’enchaîner sur des considérations plus générales et de conclure en proposant des solutions pour remédier aux inconvénients identifiés. Se refusant à dresser un inventaire de tous les péchés possibles comme dans les traités tardomédiévaux, Érasme préfère insister sur le credo, les dix commandements et les principes généraux de l’amour de Dieu et de la charité, par rapport auxquels le péché constitue un manquement ou une transgression. S’il ne rejette pas les prières imposées par les confesseurs comme amendements des péchés, il juge plus utile de proposer des sanctions en lien direct avec les péchés confessés, par exemple en recommandant à un fidèle tenté par le paganisme la lecture de Lactance.

12Par-dessus tout, Érasme cherche à rompre avec l’obsession pour les péchés et l’idée que la confession aurait pour objectif d’obtenir un aveu exhaustif de la part des fidèles pour pouvoir mieux les punir. Il lui semble plus utile de représenter le confesseur – et partant Dieu dont il est le représentant sur terre – comme un médecin de l’âme plutôt que comme un juge. Il s’agit là d’une métaphore récurrente qui parcourt l’ensemble du traité, le confesseur est un médecin spirituel, chargé de guérir les maladies qui affectent l’âme, les péchés. L’humaniste de Rotterdam propose de multiples variations sur le même thème. Le pénitent doit confesser ses blessures comme à un médecin spirituel. Lorsque l’âme est blessée, il faut la laisser examiner par le médecin de l’âme. Un avantage de la confession est de permettre de reconnaître les maladies qui nous affligent, alors même que par inexpérience nous en méconnaissons la nature. Les maladies les plus dangereuses sont celles qui sont latentes, comme les péchés que le prêtre à l’instar d’un médecin expérimenté peut diagnostiquer. Il n’est pas possible d’être médecin sans formation, pourquoi serait-on alors confesseur, c’est-à-dire médecin de l’âme, juste parce qu’on est tonsuré ? Quand il s’agit de guérir le corps, on cherche un médecin compétent, alors qu’en matière de confession on se contente de n’importe qui. Je pourrais multiplier les exemples qui toujours nous ramèneraient à cette idée centrale que la confession est une médecine de l’âme et le confesseur un médecin spirituel. C’est là un point central et récurrent de la correspondance entre Marguerite d’Angoulême et Guillaume Briçonnet, comme nous le verrons.

13En définitive, pour Érasme, puisque nous choisissons un médecin pour nous guérir, plutôt que pour nous faire la leçon, il faut agir de même avec un prêtre. Le pénitent doit placer ses espoirs de salut dans l’amour de Dieu plutôt que dans la liste de ses péchés. Il doit certes faire un examen rigoureux de ses péchés, mais pas au point de tomber dans l’angoisse et le désespoir. Plutôt que d’avoir pour seul objectif l’obtention mécanique de l’absolution, le croyant doit plutôt chercher une véritable conversion morale qui le prémunisse contre la récidive. La confession doit offrir une consolation au croyant et le fortifier dans l’amour de Dieu.

Claude Chansonnette et la Maniere de confesser (1524)

14Le plus intéressant pour notre propos est que le traité d’Érasme sera rapidement traduit en français par le juriste et humaniste Claude Chansonnette (Claudius Cantiuncula). Après avoir séjourné à la cour de François Ier en 1523, il avait été chargé de transmettre à l’humaniste de Rotterdam une invitation de la part du roi. Intitulée Maniere de se confesser, sa traduction de l’Exomologesis paraît à Bâle avec une dédicace adressée à Marguerite de France, sœur unique du roi, et datée de la veille de Pâques, c’est-à-dire le 26 mars 1524.

15Le traducteur offre à sa dédicataire le traité d’Érasme en français, alors qu’il a pu constater, à la faveur de la fête de Pâques justement, à quel point les contemporains, après s’être confessés, courent les églises ou restent dans l’oisiveté, sans que la confession semble avoir produit chez eux un véritable bénéfice spirituel. Dans un style qui n’est pas sans faire penser à celui de la correspondance entre Marguerite et Briçonnet, Chansonnette célèbre la duchesse d’Alençon, tout en insistant sur le fait que le traité d’Érasme offre à l’accumulation des péchés le remède de la foi, en reprenant à son compte la métaphore centrale de la confession comme médecine spirituelle :

Or sont les heroiques vertus de vostre tresnoble celsitude telles et si prudentement ardentes, en desir de suyvre la voye, de cil, qui est la voye, la vie et la verité mesmes, que bien fait a presumer, comme vostre tresillustre grace cognoistera voulentiers le saige conseil d’ung tel auteur en matiere de si grande consequence, et qui touche le moyen d’aucunement obvyer à l’acumulation des pechez que l’humaine propension, s’elle n’est par le remide de la foy et penitence cohibee seult augementer de jour en jour. (Érasme, 1970, p. 11)

16Cette traduction est fidèle à la source latine et n’opère qu’une seule suppression. On n’a pas du reste conservé de réponse de Marguerite d’Angoulême à Claude Chansonnette qui éclairerait sa réception du traité d’Érasme ou de sa traduction française.

La correspondance de Marguerite à Briçonnet : des lettres de confession ?

17Revenons maintenant à la correspondance entre Marguerite et Briçonnet que je voudrais éclairer à la lumière de l’Exomologesis. Bien évidemment, il ne s’agit pas de prétendre que les correspondants aient eu besoin du traité d’Érasme pour écrire leurs lettres. Une telle supposition ne tiendrait pas, d’abord pour des raisons chronologiques. L’essentiel de l’échange épistolaire est antérieur à la publication de l’original latin aussi bien que de la traduction française. Certes, près d’une trentaine de lettres sont écrites après la fin mars 1524, mais on ne relève pas de changement majeur ou soudain qui témoignerait de la lecture directe et indubitable du traité érasmien. Au reste, il y a fort à parier que ni Marguerite ni Briçonnet n’aient eu besoin d’un modèle codifié dans un traité pour se livrer à leur « duo mystique ». Il reste cependant que l’Exomologesis révèle la sensibilité religieuse nouvelle d’un milieu auquel les deux correspondants n’étaient pas étrangers, ne serait-ce qu’en raison des relais dont il a bénéficié à la cour de France avec François de Moulins de Rochefort et Claude Chansonette.

De la confession des péchés à la confession de foi

18Quoi qu’il en soit, il faut d’abord s’interroger sur l’idée même que les lettres de Marguerite à Briçonnet relèvent de la confession. En rédigeant mon article de 2007, j’en avais fait une hypothèse implicite, sans chercher à la démontrer, en parlant d’emblée du genre de la « lettre de confession », alors même qu’un tel type épistolaire est absent des traités du xvisiècle.

19À étudier de près cette correspondance, une telle désignation ne semble pas complètement dénuée de fondement, ne serait-ce qu’à partir de l’étude des différentes occurrences du verbe « confesser » qui se retrouvent sous la plume des deux épistoliers.

20Il est frappant d’abord de constater la récurrence de l’emploi de ce verbe chez Marguerite, dès lors qu’il s’agit de reconnaître ses limites ou d’avouer ses fautes. Ainsi, dans sa lettre à Briçonnet d’avant le 16 janvier 1523, l’épistolière s’avoue bien incapable d’identifier un passage de la Bible, sur lequel elle souhaiterait les lumières de son destinataire : « Je vous prie, excusez l’aveugle qui juge des coulleurs, car je confesse que la moindre parolle qui y soit est trop pour moy et la plus claire m’est obscure » (Briçonnet, 1979, lettre no 48). De la même façon, dans sa lettre d’octobre 1524, elle reconnaît qu’elle a eu tort de ne pas avoir compris, comme le lui expose Briçonnet, qu’elle devait se réjouir de la mort de sa nièce Charlotte plutôt que la déplorer : « Helas, je vous confesse pour la derniere [la lettre du 15 septembre de l’évêque de Meaux] que j’aye tort d’avoir ploré ce que je doys estimer vraye joye » (no 121).

21De manière significative, Briçonnet, s’il lui arrive occasionnellement d’utiliser le verbe dans cette acception, tend le plus souvent, compte tenu de son rôle pastoral dans cet échange épistolaire, à insister plutôt sur la confession comme action de grâces et sur la confessio Dei comme profession de foi. Ainsi, dans la lettre du 13 février 1524, l’évêque cite saint Paul dans l’Épître aux Hébreux 13, 15 : « Offrons doncques par luy sacrifice de louenge tousjours à Dieu, c’est à dire le fruict des leuvres confessans louange à son nom » (no 82). Dans sa lettre du 31 janvier 1524, il insiste sur l’importance de « confesser Jesus Christ estre vray filz de Dieu, comme fist sainct Jehan Baptiste, disant qu’il n’estoit Christ, mais envoié de Luy, comme sont tous ministres evangelisans non leurs doctrines, fantazies et proffictsz particuliers, mais la verité » (no 79). Le plus intéressant est le lien de causalité qu’il établit entre la confession des fautes et la profession de foi dans la lettre du 10 avril 1524 : « Cœur navré cause confession de foy » (no 95).

22Ces quelques observations mettent en évidence le fait que la confession, dans cette correspondance, revêt un triple sens et désigne tantôt le récit de vie (confessio vitæ), tantôt l’action de grâces (confessio laudis) et tantôt encore la profession de foi (confessio dei) comme dans les Confessions de saint Augustin.

Une médecine de l’âme

23Mais là où la correspondance entre Marguerite et Briçonnet rejoint le mieux l’esprit de l’Exomologesis d’Érasme, c’est certainement dans l’emploi insistant et récurrent de la métaphore filée du prêtre comme médecin de l’âme et de l’analogie entre médecin du corps et médecin spirituel. Il est impossible de relever toutes les occurrences tellement elles sont nombreuses, aussi bien dans l’échange épistolaire que dans le traité érasmien sur la manière de se confesser.

24Il est cependant intéressant de noter que, dans la correspondance, l’initiative de cette métaphore revient à l’évêque de Meaux qui n’hésite pas à considérer la « parolle evangelicque » comme « medecine purgative et illuminative » ou à établir un parallèle entre les « medecins qui, par ygnorance, ne sçavent ne ordonnent et n’applicquent les herbes selon maladies » et les « preconizateurs de la voix et parolle divine, dont procedent les pestes, cecitez et maladies spirituelles presque incurables », dans sa lettre de la fin janvier 1523 (no 51). Toujours dans la même lettre, le prélat fait valoir que les apparences sont trompeuses et que l’habit ne fait pas le moine : « La sainture dorée ne faict le medecin et moings le bonnet rond le docteur » (ibid.). On croirait lire Érasme dans l’Exomologesis : « L’État ne permet pas au premier venu d’exercer la médecine et de guérir le corps ; est-il suffisant, pour soigner les âmes, de porter la bure et d’être tonsuré ? » (Érasme, 2015, p. 44, notre traduction). La stricte chronologie interdit cependant de voir une influence directe dans cette lettre de 1523 de ce qui est, dans le traité d’Érasme, un ajout de 1530.

25Toutefois, il n’est pas interdit de penser que ces métaphores manifestent une sensibilité évangélique commune, à laquelle Marguerite n’était pas étrangère, comme en témoigne le fait qu’elle file à son tour la métaphore à partir de sa lettre du 10 février 1524 : « Parquoy vous advertiz que je n’ay tant besoing des medecins que de secours spirituel » (no 83). Du reste, l’usage de la métaphore chez Briçonnet ne désigne pas spécifiquement le confesseur, mais s’applique comme nous l’avons vu aussi bien à la parole de l’Évangile qu’aux prêtres en général, voire aux apôtres que le Saint-Esprit, selon l’évêque, a faits « spirituelz medecins pour bien applicquer la medecine divine ès ames morbides et malades » dans sa lettre de la fin janvier 1523 (no 51). Mais des apôtres au confesseur, la filiation est vite établie quand on songe à ce qu’Érasme écrit à propos du deuxième avantage de la confession, c’est-à-dire dans la traduction de Claude Chansonnette : « Ce mesmes, fait ung prudent et leal medicin de l’ame, là où il sent evident peril du mal prochain, ce que jamais ne fait à plus competent temps et lieu, que en la confession sacramentale » (Érasme, 1970, p. 16).

Consolation plutôt que pénitence et jugement

26Il y aurait encore beaucoup à dire par rapport à cette correspondance et aux affinités qu’elle entretient avec le traité d’Érasme. L’espace manque pour analyser en détail ce qu’il en est de la place qu’y occupe la consolation, que l’humaniste de Rotterdam tend à valoriser au détriment de la pénitence et du jugement. Contentons-nous d’en proposer ici une analyse strictement quantitative, comme une invitation à de futures recherches. Soulignons d’abord l’importance prééminente de la consolation dans cet échange de lettres, dans lequel on trouve quatre-vingt douze occurrences de consolation, de consoler et de leurs dérivés uniquement dans les lettres des années 1523-1524. Au cours de la même période, les deux épistoliers n’évoquent la pénitence qu’à trois reprises. Quant à juge, juger ou jugement, on n’en dénombre que trente-trois emplois dans les lettres des deux dernières années. Ce relevé, bien que trop schématique, montre cependant une tendance de fond chez Marguerite et Briçonnet qui consiste à mettre l’accent sur la consolation qui est trois fois plus présente que le jugement, alors que la pénitence fait figure d’exception.

27À supposer que la correspondance du grand duo mystique formé par Marguerite d’Angoulême et Guillaume Briçonnet soit bien placée sous le signe de la confession, comme j’ai cherché à le montrer, alors force est de reconnaître que cette manière d’écrire la confession se rapproche davantage de l’idée que s’en fait Érasme dans son Exomologesis que des traités tardomédiévaux, pourtant constamment réédités, de Jean de Gerson et d’Olivier Maillard. Il s’agit d’une confession épistolaire plutôt qu’auriculaire, privée plutôt que publique, et qui accorde une place plus importante à la médecine de l’âme et à la consolation qu’au jugement des péchés et à la pénitence. Cette correspondance, où la confession est omniprésente, n’évoque pour ainsi dire pas l’absolution, qui était pourtant la finalité de la confession traditionnelle, si ce n’est lorsque Guillaume Briçonnet parle de « plainiere absolution » dans sa lettre du 26 septembre 1524 (no 120). Enfin, de manière tout à fait significative, les deux seules occurrences d’absous n’évoquent pas l’absolution des péchés, mais plutôt le fait d’ « estre dissoubz et absoubz pour estre avec le doulx Jesus » comme l’écrit Briçonnet à la fin janvier 1523 (no 51), en paraphrasant l’épître de Paul aux Philippiens (1, 23) : « Cupio dissolvi et esse cum Christo ». En somme, cette confession recherche moins l’absolution que la dissolution en Dieu, au point que le croyant vise à ne faire plus qu’un avec lui.