Colloques en ligne

Anne-Gaëlle Leterrier Gagliano

Confesser sa foi et confesser ses fautes : deux postures rhétoriques antinomiques chez les poètes des guerres de Religion ?

Professing one’s faith, confessing one’s offences: two rhetorical attitudes in contradiction during the French Religious Wars?

1Confesser sa foi, ou sa faute, dans un imprimé diffusé, dans le contexte des guerres de Religion, induit immédiatement une posture rhétorique de la part de l’auteur. Le verbe « confesser » renvoie d’abord au simple fait d’avouer, mais il évoque aussi la prière catholique du confiteor. Confesser signifie en outre « avouer sa foi » et proclamer son appartenance à une communauté religieuse et à une manière de pratiquer cette foi. Or, au moment des guerres de Religion, un tel affichage ne pouvait être neutre puisque l’appartenance religieuse engageait jusqu’au risque de mort. On relève par exemple la mise en place de signes extérieurs et vestimentaires distincts pour chaque camp. Pierre de Ronsard fustigeait les longues barbes des pasteurs de Genève, leur mise sombre1. A contrario, lors de la Saint-Barthélemy, plusieurs réformés ont obtenu leur salut en osant adjoindre une croix blanche à leur chapeau. Que la distinction aille jusqu’à l’habillement signale un schisme culturel et social, qui va au-delà du religieux. Dans la continuité de cette logique, indiquer sa confession – et donc son parti – devient un présupposé de base à la moindre publication. De ce fait, de nombreux marqueurs confessionnels sont insérés dans les textes, et ce dès les pages de titre le plus souvent : les auteurs affichent leur choix de tel ou tel libraire2 ou dédicataire, ils insèrent telle prière ou s’y refusent. Pour autant, s’arrêter à ces signaux ne suffit pas à appréhender l’enjeu de l’écriture de la confession dans sa dimension d’aveu. Ce ne sont que des marqueurs d’appartenance, et non des expositions de soi au sens où l’on saisit ce terme de manière contemporaine.

2Le corpus des textes abordés ici permettra de s’arrêter sur cette mise en scène précise de l’aveu, dans son aspect d’abord de confession de foi puis dans sa dimension pénitentielle. Cette exploration se concentrera sur des œuvres en vers d’auteurs catholiques militants au moment des guerres de Religion3. Au préalable, il faut préciser que ces textes avaient pour premier critère l’efficacité, avec l’objectif de convaincre. En effet, ces poèmes militants visaient deux publics simultanés : ils étaient pensés pour les croyants catholiques en proie aux doutes, sollicités par la Réforme, qu’il s’agissait de rassurer, mais aussi pour la communauté catholique radicale à laquelle il convenait de donner des armes langagières pour s’opposer aux discours protestants. En ce sens, les textes abordés délimitent clairement une frontière entre les bons croyants et les schismatiques, rejetés hors de la sphère de la parole, quand bien même certains auteurs font mine de s’adresser à eux. Si l’on s’arrête sur les moments de confession, outils très persuasifs de notre époque, il s’avère que, pour ces poètes, la mise en scène de l’aveu ne semble pas être un choix rhétorique confortable, bien au contraire. On relève même un certain évitement de ce procédé, si ce n’est en passant par le biais de fictions. C’est cet inconfort dans la prise de parole que cet article souhaite aborder, selon une optique rhétorique.

« Qui a faict ceste chanson / C’est un pauvre garçon / Ne sentant les fagotz / Comme les huguenotz4 »

3Dans ce corpus spécifique, il faut distinguer les textes anonymes de ceux signés par leur auteur. Lorsque les poèmes sont anonymes, soit les auteurs jouent sur cette ambiguïté initiale et cherchent à attirer l’attention de lecteurs en doute ou proches de la Réforme, soit ils assument sans ambiguïté dès le titre leur appartenance religieuse. Dans le cas des auteurs qui signent leurs textes, cette ambivalence n’est pas de mise : puisque leur nom est affiché, ils doivent assumer leur prise de parole et vont insérer logiquement dès les premières pages des marqueurs de leur foi catholique5. Certains vont plus loin : en confessant leur foi, quelques auteurs y voient un préalable à la lecture de leurs œuvres et certains vont jusqu’à y situer la légitimation de l’écriture de leurs vers. Il s’avère que ce sont les poètes les plus militants, désireux de s’engager dans les débats religieux, qui mettent le plus clairement en avant leur foi et leur bonne catholicité : il ne s’agit pas pour eux de valoriser un sentiment d’appartenance mais de bâtir un ethos rhétorique qui légitime leur prise de parole.

4On peut donner l’exemple, parmi d’autres, de Jacques Bourlé. Cet humaniste né vers 1522 obtient en 1567 la cure de Saint-Germain-le-Vieux à Paris. Il fait carrière à la Sorbonne jusqu’à devenir procureur de l’Université en 1578 et en 1586. Dans ses quatre pamphlets versifiés, Jacques Bourlé accompagne son nom de la mention « Sorbonniste ». C’est un marqueur très clair de son positionnement car la Sorbonne, l’alma mater, était une institution particulièrement antiréformée s’il en est. Bastion du catholicisme parisien, elle avait jurisprudence sur la conformité confessionnelle des textes publiés et ce depuis l’édit de Châteaubriant de 1552, à effet rétroactif. Jacques Bourlé publie par ailleurs chez Denis du Pré, un libraire-juré de la Sorbonne et éditeur de pamphlets catholiques engagés entre 1567 et 1578. Faire imprimer chez lui semble pouvoir être compris également comme un réel gage de catholicité.

5Jacques Bourlé affiche donc son statut de théologien et sa foi dès la page de titre et cet affichage lui sert de posture rhétorique. En effet, oser écrire et publier au cœur des troubles confessionnels s’avère un processus complexe : il n’est pas si évident de soutenir sa légitimité à produire des discours si engagés, surtout lorsque les propos vont parfois à l’encontre de la politique royale, voire condamnent l’action ou l’inaction du gouvernement. Jacques Bourlé présente un bon exemple de cette rhétorique de la légitimation : il se présente comme quasiment obligé, forcé de composer puis d’imprimer ses vers car il doit participer à la victoire de sa foi. Il doit s’investir dans la guerre confessionnelle puisque Dieu attend de chacun qu’il accomplisse sa part et utilise les talents qui lui ont été confiés, sous peine de châtiment, et cela même si cet engagement peut lui causer du tort.

6Pour autant, la confession de foi proprement dite, et non pas les simples marqueurs de catholicité qui n’en sont que les signes avant-coureurs, nécessite encore un saut et elle n’est pas systématique, même chez un auteur comme Jacques Bourlé. Elle n’apparaît que lorsque les auteurs osent parler à la première personne du singulier. Sur les quatre publications polémiques de Jacques Bourlé par exemple, une seule emploie le « je », la Congratulation au roy de France tres chrestien et à son bon conseil, sur les édits de Janvier et la pacification rompue. Le texte célèbre la reprise des armes contre les réformés et s’ouvre par ces vers :

Je ne suis rien qu’un povre Sorboniste,
Rude en parler n’estant des sœurs sacriste,
Qu’on conte neuf, comme un homme des boys,
Me tapissant aux Sorboniques toictz
Ne veulx pourtant (selon ma petitesse)
Taire un grand bien me donnant allegresse,
Dont mon esprit, ja long temps desolé,
Ores se sent tout gay & consolé,
Je ne voulus pas quelque petit que soie,
Plus contenir enserrée la joye,
Dedans mon cœur d’un heroique faict,
Que nostre Roy ces jours icy a faict
Et dy avec qu’un chascun de courage,
L’eglise aymant & celeste heritage,
Pour ce l’on doibt bien hault congratuler,
Et le benir sans rien dissimuler. (Bourlé, 1568, n. p.)

7Jacques Bourlé se présente ainsi modestement, en « pauvre sorbonniste », éloigné des Muses. Pourtant il ose écrire car il tient son inspiration, non pas des neuf Sœurs, mais d’une autre source : sa joie de voir l’Église défendue par le roi. Le « pauvre » auteur, « quelque petit que soi[t] », enserré dans les « Sorbonniques toits », se présente in fine comme un modèle de bon catholique : n’est-il pas l’exemple du héraut, du croyant qui se réjouit de l’action politique du roi contre les réformés ? L’exemple de Jacques Bourlé est assez instructif des ambivalences de cette mise en scène de soi comme croyant : puisque son statut d’auteur se situe hors du cadre normé du discours, il doit insister sur son humilité mais en même temps se décrire comme exemplaire afin que sa parole porte. Le seul moyen de conjuguer cette double attitude est alors le zèle de la foi, laquelle ne peut être signifiée qu’en la confessant clairement.

8On relève une mise en scène de soi semblable dans les chansons de Christophe de Bordeaux. À la fin de certaines contrafactures de son Beau Recueil de plusieurs belles chansons spirituelles sont insérées des strophes que nous nommons des « portraits-signatures ». Dans ces derniers vers, le parolier parisien se présente explicitement en témoin oculaire des événements qu’il chante et en bon catholique. Il en est ainsi à la fin de la « Chanson nouvelle de l’image Notre Dame qui a été remise à la porte Sainte Honoré, sur le chant les Bourguignons ont mis le camp devant la ville de Péronne » :

Vous qui escoutez la chanson
Priez pour celuy qui la faicte
Sa esté une jeune garçon
Qui ne dira pas le contraire
Vous priant peuple debonnaire
Le supporte se il a mal faict
Prions Dieu et la saincte vierge
Qui nous pardonne nostre meffaict. (Bordeaux, s.d., f° 6r)

9La chanson rappelle une crise iconoclaste, sans doute celle de Paris en 1521, à la réparation de laquelle François Ier lui-même avait participé. En faisant mémoire de cet épisode, vécu lorsqu’il était un « jeune garçon », le parolier cherche explicitement à en raviver l’émotion et à susciter une réaction à l’encontre des réformés. Cela passe par de nombreux appels à la communauté : les bons catholiques sont invités à se rappeler l’iconoclasme, à en revivre le scandale, et le « nous » de la chanson les fait comme participer physiquement au rappel mémoriel de l’événement. Ce faisant, ils choisissent leur camp : celui de « ce jeune garçon », témoin oculaire. Celui-ci se présente comme un humble croyant, appelant à prier pour lui, et à être pardonné si l’auditoire juge mauvaise sa chanson. De ce fait, qui prie, qui chante avec lui s’affirme aussi comme un bon catholique : l’affichage de la propre foi du parolier permet de renouer avec la communauté de croyance, mise à mal initialement par l’iconoclasme. On retrouve l’ambivalence de la modestie et de la mise en valeur de soi, alors que le scandale contre la foi et l’ambition de le réparer servent de justification à la prise de parole.

10La confession de foi catholique des auteurs est ainsi faite pour rassurer le lecteur ou l’auditeur. La prise de parole se trouve légitimée par cette affirmation confessionnelle. Mais de ce fait, l’auteur restreint son discours à un entre-soi communautaire : le lectorat est supposé acquis à cette cause et cherche avant tout une réassurance. Dans ce cas, la confession de foi est avant tout un outil rhétorique de légitimation. Sans cela, l’appel à l’action énoncé par ces auteurs ne saurait se soutenir : les auteurs ne sont ni des personnages politiques ni des princes. C’est leur seul catholicisme fervent qui leur donne ce droit à la parole, et c’est portés par leur foi qu’ils osent écrire leur pensée et la partager. Cela instille la pensée sous-jacente que leur action est inspirée par Dieu : c’est alors comme des messagers de Dieu, inspirés par lui, par l’Esprit saint, par le zèle de leur foi, qu’ils se présentent. Que rétorquer à une telle urgence intérieure ?

11La confession de foi, et l’affichage de cette foi, permettent ainsi de passer par-dessus toutes les logiques de légitimation habituelles, sociales en particulier, pour s’appuyer sur une légitimation par la nécessité, par l’obligation de foi. La confession de foi, qui induit un zèle pour le catholicisme, devient suffisante pour soutenir la légitimité des auteurs à participer au combat des mots qui prend place pendant les guerres de Religion.

Confesser ses doutes ?

12Pour autant, malgré cet engagement personnel, les auteurs militants catholiques n’ont pas saisi l’espace de leurs poèmes pour confesser les doutes et les errances de leur trajectoire. Les vers ne semblent pas propices aux confessions, au sens de « témoignage ». Cela peut se comprendre tout d’abord par ce même biais de la légitimation de la parole : un converti semble avoir bien du mal à être réaccepté dans sa confession. Quelques extraits de poèmes épars signalent une réelle défiance envers les abjurations (catholique puis réformé puis catholique) : on les soupçonne de n’être pas tout à fait convaincus et certains convertis seront tués lors de la Saint-Barthélemy ou d’autres événements sanglants dans le royaume sur ce simple doute.

13De ce fait, les poètes ne mettent en scène leur témoignage qu’à la manière de Pierre de Ronsard dans les Discours des misères de ce temps 6 : ils affichent d’éventuelles lectures de jeunesse sur la Réforme, admettent avoir écouté quelques prêches de pasteurs emmenés par de mauvais amis, mais ce n’était que pour mieux en voir le danger et s’en détourner d’autant plus et très rapidement. Ce type de proposition est toutefois assez rare : trois ou quatre occurrences en tout7. Ces évocations de leur curiosité, toujours de jeunesse d’ailleurs, ne sont pas à lire comme des aveux ou de la contrition mais sont plutôt utilisées comme des moyens de légitimation. Comme l’auteur y perdrait trop d’avouer ses doutes s’il est allé trop loin dans la Réforme, la confession d’errances juvéniles8 est mise en scène seulement pour témoigner qu’il a travaillé l’argumentaire réformé, et se trouve à même d’y répondre et donc d’ôter leurs doutes aux catholiques intrigués. Mais là encore, l’enjeu de l’authenticité de ce type de récit est à questionner : serait-ce une simple stratégie rhétorique ? Ou une confession de doutes réels ? Ces épisodes ont-ils réellement eu lieu ? Nul n’en saura rien. Les auteurs ne sauraient proposer une réelle confession de leurs erreurs. Les textes restent très loin d’une rhétorique du témoignage exemplaire.

14On note une seule exception à cette absence d’aveu, et encore non vis-à-vis de la foi, bien qu’elle se fasse dans le cadre d’un dialogue intérieur à l’âme de l’auteur, qui doit choisir entre Dieu et le monde : il s’agit du pamphlet du catholique Claude de Trellon, Le Ligueur repenty (1595). Claude de Trellon était un capitaine de la Ligue, et donc opposé à la montée sur le trône d’Henri IV. Le poète-soldat y témoigne, au présent, de ses doutes puis de son ralliement au roi après qu’Henri IV se fut converti au catholicisme. Le poème est rédigé en stances et montre le dilemme de ce glorieux capitaine qui doit admettre que la Ligue se trompe, et renoncer à son orgueil pour accepter de parjurer le serment d’union qu’il a prononcé et rejoindre le camp royal. Le poète-soldat opte pour un ton pathétique, se mettant en scène dans les affres du doute dès la première stance :

Helas ! que de debats travaillent mes esprits,
Que de soucis ensemble ont mon cœur entrepris :
Mets moy dans le tombeau, fay moy reduire en poudre
Seigneur, je n’ay jamais une heure de santé,
Et mon esprit se trouve en telle extremité
Qu’il ne sçait que penser, ny à quoy se resoudre. (Trellon, 1595, p. 3)

15On relève la mise en scène de soi personnelle du locuteur, dans une situation de détresse. Non seulement l’âme mais le corps tout entier est saisi par ce débat intérieur, dans un tourment allant jusqu’à faire souhaiter la mort à l’auteur. Une fois son ralliement acté, Claude de Trellon change de positionnement en ouvrant une deuxième série de stances : il interpelle les Ligueurs pour les appeler à changer d’avis avant de composer une troisième litanie de stances pour condamner les réformés en s’adressant à eux tout aussi directement. Le poète tente ainsi de ménager une ligne confessionnelle ajustée, en se présentant comme un bon catholique, soucieux du salut de son âme et de la paix du royaume, mais non pas schismatique. Le recueil s’achève sur des sonnets composés lors d’un emprisonnement à Turin et le poète en appelle à Dieu, lui quémandant sa grâce.

16Ce texte prouve que l’écriture de la confession pourrait être une proposition rhétorique pertinente, puisqu’elle montre un cheminement en train de se réaliser, de se dénouer vers plus de liberté. Le poème part de la logique initiale de Claude de Trellon lorsqu’il s’engage pour la Ligue – la France ne saurait avoir un roi protestant –, puis arrive à l’éclosion des doutes après la conversion d’Henri IV et au dévoilement des intentions espagnoles. Le pathétique, le ton engagé et sincère de ces discours apportent une grande force persuasive au propos. Claude de Trellon a toutefois formellement démenti être l’auteur de ce recueil. L’abbé Goujet, dans l’exemplaire conservé à la bibliothèque de Versailles issu de sa collection, a noté la présence de vers ajoutés à la main :

Tu augmentes mes vers, tu gâtes mon ouvrage,
Tu te sers de mon nom pour me faire un outrage :
Méchant, il n’en est rien et tu en as menti :
J’écris les passions sans blâmer les personnes,
Et ne leur donne pas le nom que tu leur donnes ;
Car je fus bien Ligueur, mais non pas Repenti 9.

17De ce fait, il est difficile de savoir comment saisir cette vraie-fausse confession, éventuelle œuvre de propagande commandée par le camp des royaux. Il faudrait alors savoir quels sont les vers ajoutés : tout le Ligueur repenti ? En effet, le privilège énonce aussi deux autres titres : « Les amours de Felice, du pèlerin & du ligueur repenty ». Or, les « amours » sont absents dans la plaquette. Il est alors difficile de faire la part des ajouts : faut-il conserver par exemple simplement les poèmes d’emprisonnement et les stances qui condamnent les protestants ? Ce rejet invite à la prudence et fausse toute la rhétorique d’aveu pourtant au cœur de la mise en scène de soi de l’auteur. Cette désattribution rejoint le constat que la confession en tant qu’aveu de fautes ou de doutes est une posture complexe, en fait plutôt restreinte à des prises de paroles fictives.

18En effet, il existe quelques confessions de péchés dans les poèmes. Les pénitents fictifs mis en scène y livrent une parole de vérité à l’agonie afin qu’elle édifie ceux qui la lisent. De ce fait, le discours est tout à fait orienté et ne s’insère pas exactement dans le contexte du sacrement de la pénitence : il s’agit d’un argumentaire clairement développé en vue du lecteur. Le discours du sacrement de la confession, sans doute trop connoté par l’économie du salut, n’a pas sa place dans le militantisme catholique du temps. Cet aveu des fautes, source de pathétique, d’émotion, est d’ailleurs délégué à des personnages fictifs et plus spécifiquement féminins.

La confession d’une agonisante : déployer une parole de vérité

19La démarche même de la confession, comme sacrement, ne consiste pas uniquement à dire ses fautes mais elle suppose d’exprimer une réelle contrition, un regret poignant, sensible, émotionnel, afin d’obtenir le pardon10. Les poètes militants catholiques citent régulièrement le sacrement de la confession, en font l’éloge comme un moyen d’aller vers le ciel, invitent les réformés à se précipiter à genoux aux confessionnaux11, mais ne témoignent absolument pas de leur propre pratique. Dans les poèmes, deux types de personnages fictifs sont mis en scène dans l’aveu de leurs fautes : on relève d’une part la femme agonisante regrettant sa concupiscence, et d’autre part le réformé conscient de son errance mais endurci et persévérant dans sa faute. Dans le premier cas, dans les textes d’Artus Désiré puis de Christophe de Bordeaux, il s’agit de mises en scène fictives : le lecteur est explicitement pris en compte, médiatisé par la personne, fictive là encore, qui écoute et reçoit l’aveu. C’est cette médiation qui nous intéresse ici parce qu’elle propose au lecteur des réactions différentes, qu’il peut accepter ou rejeter, et cette réception est pensée par les auteurs.

20Artus Désiré12 fait paraître en 1558 les Regrets et complaintes d’une damoiselle, s’étant retirée à Genève pour vivre en liberté et sa conversion étant à l’article de la mort. Le schéma d’énonciation de cette courte plaquette est assez complexe : le poème-récit est enchâssé dans une lettre de Passevent, un Parisien, à Pasquin, habitant de Rome, allusion à une statue sur laquelle on accrochait des libelles anonymes diffamatoires13. Ces deux personnages avaient été précédemment convoqués par Désiré pour dire les satires du monde (Désiré, 1556). Le format initial de la lettre est cependant tout aussitôt délaissé au profit d’une sorte de dialogue direct entre les deux personnages. Passevent annonce un récit pitoyable, celui d’une dame, émigrée à Genève et à l’article de la mort, qui se reconvertit alors au catholicisme et avoue la concupiscence qui l’avait amenée à la Réforme. Pasquin se montre intéressé, et demande le nom de la dame, qui lui est sèchement refusé :

Pasquin
Et dy-moy comme el’ avait nom ?
Passevent
Tu ne sauras rien de tout cela
Mais somme toute el’ s’en alla
A Genesve où eut grand remord. (Désiré, 1558, v. 12-15).

21L’aspect fictionnel et pédagogique du récit est ainsi pleinement assumé. Passevent affirme son désir de mettre en lumière ce « miracle » et transforme la figure de cette femme en martyre. En effet, il rapporte que son cadavre aurait été traîné dans les rues et laissé aux chiens (« […] les freres de la secte luthériene ont esté si marris et despités que par grande vengeance qu’ils ont eu de sa conversion, incontinent après son trespas, ils ont fait trainer son corps en la voyrie comme une beste brute», Désiré, 1558, n. p.). Pourtant, il ne s’agit pas spécialement de faire croire à cet exposé des faits, puisque les interlocuteurs sont explicitement fictifs et que le récit même est annoncé comme un conte par Passevent (« Je te supplye en passant temps / Ouyr la pitié tristifere / D’un compte que je te veulx faire / Sur la mort d’une Damoyselle », Désiré, 1558, v. 4-8). La confession de la demoiselle est tout autant à prendre comme une histoire que comme une sorte de parabole, d’exemplum, afin de témoigner de la fausseté de la Réforme.

22L’intérêt de cet exemple ne vient donc pas de la trajectoire de cette dame pécheresse, dont la conversion est énoncée dès le titre du propos sans recherche d’aucun suspense. Il faut donc chercher ailleurs le projet de Désiré lorsqu’il compose cette confession : il entend exposer les failles de la Réforme à travers les mots d’une femme, qui ne saurait donc être docte et savante, et ensuite provoquer de l’indignation au vu de la réaction mise en scène des réformés. Le récit versifié s’ouvre sur l’annonce de l’agonisante à sa fille qu’elle veut retourner au catholicisme. Elle lui demande ensuite d’aller chercher Jean Calvin « afin d’avoir conseil de luy » (Ibid., v. 31). Celui-ci accourt pensant recevoir les derniers mots de cette dame d’un certain rang. Mais l’échange est bien différent que celui escompté par le réformateur : la dame entend tout simplement exposer à Calvin son erreur, la sienne, et celle des autres protestants. Dans un effort de vérité, elle veut que son aveu serve à la conversion de Genève :

El’ luy dit : Monsieur mon amy
Qui vous estimez vray chrestien,
Je vous supply de prendre bien
Tout ce que dire je vous veulx,
Au nom de dieu glorieux
A mon salut ne contredire :
Car tout ce que je vous veulx dire
Est juste, sainct et raisonnable,
Pour ce père venerable
Ne vous en fachez contre moy.
Or la cause & raison pourquoy
J’ay bien voulu parler à vous,
C’est pour confesser devant tous
Que la loy par Luther trouvée
Est faulce, inique & reprouvee. (Ibid., v. 44-58)

23La confession des fautes est donc précédée par une confession de foi, laquelle permet l’acte même de la confession des péchés, pratique catholique s’il en est. S’ensuivent les arguments habituels de Désiré : à travers l’agonisante, inspirée par l’Esprit saint dans son agonie, la femme revient sur la tradition millénaire de la foi, affirme la validité des Pères de l’Église, la nécessité des sacrements… autant d’arguments convoqués afin de prouver la validité du catholicisme. Comme c’est une femme qui parle, le propos est moins déployé que d’habitude14, mais on retrouve dans ces mots une sorte de synthèse vulgarisée des autres développements de Désiré. Le ton est pathétique : à chaque nouvel argument, la dame en appelle à la conversion de Calvin, qu’elle espère convaincre. Après huit pages d’argumentaire, la conclusion se décline en trois temps : la demoiselle implore Calvin d’abjurer le protestantisme, puis elle renouvelle son baptême en reprenant les mots de l’exorcisme du baptême (« Et de cette heure, je renonce… ») et enfin elle demande à Calvin d’aller lui chercher un prêtre pour qu’elle puisse vraiment se confesser15. Si cela lui est refusé, elle appelle la damnation de Dieu sur les luthériens. Les derniers mots sont ceux d’une fort belle confession de foi :

Car je renonce de bon cœur
A vostre loy luthérienne
& veulx mourir vraye chrestienne
En la sainte foy catholique. (Désiré, 1558, n. p.)

24En retour, Calvin l’insulte pendant douze vers, et s’en va16. Passevent continue le récit et redonne la parole à la pénitente qui exprime ses longues prières de repentir : elle regrette ses fautes, elle supplie les saints et Dieu de lui pardonner. Un de ses regrets est que, malgré son désir, elle ne peut se confesser ni communier. Sa contrition passe ainsi par la confession de sa foi en Dieu et en sa miséricorde. Passevent renchérit sur la prière de l’agonisante en appelant les lecteurs à prier pour son âme, afin qu’elle soit pardonnée pour ses péchés, et achève son récit sur le moment où la demoiselle expire. Le dialogue se renoue alors : Pasquin rend grâce pour cet édifiant récit. Passevent rappelle le martyre subi par son cadavre et cela amène les deux interlocuteurs à espérer que la défunte soit bien au paradis. Chacun loue sa sainte agonie et en appelle à rendre grâce pour cette âme sauvée, ainsi qu’à prier pour le salut de l’Église.

25On retrouve ici le schéma argumentaire classique d’Artus Désiré : pour lui, il s’agit de toucher les cœurs, même les plus humbles, afin de montrer que le catholicisme est de bon sens. Il met ainsi en scène des gens simples qui parviennent pourtant à répondre aux propositions réformées, souvent incarnées par Jean Calvin. Le canevas de cette agonisante permet de diffuser une parole non intellectualisée (ou de manière discrète, avec une référence à différents Pères de l’Église non déployée17) au profit d’une foi évidente, fondée sur le ressenti et la conviction profonde. Que son interlocuteur soit Calvin lui-même renforce cette efficacité : c’est au plus grand savant réformé que cette âme simple s’adresse. Il y a création d’une égalité intellectuelle alors même qu’elle n’est pas habituellement possible. À l’époque, certains théologiens refusaient de répondre à certains argumentaires nommément adressés sous prétexte du niveau inférieur de leur interlocuteur18. Ne pas répondre est une marque de mépris. La fiction permet alors une telle rencontre, autrement impossible car inégale. D’autre part, lorsqu’il y a confession ou lors des ultima verba, ce type de propos force à l’écoute. La confession s’impose en quelque sorte, puisque la personne se met à nu, de façon authentique et émotive et ce dans une situation d’urgence. De ce fait, c’est une parole forcée, qu’on ne saurait mettre en doute et donc interrompre. C’est la force de la prise de parole d’une agonisante. Alors qu’elle n’a plus rien à perdre face à la mort, l’interlocuteur qu’est Jean Calvin n’a pas la latitude d’échapper à cette parole.

26Détail signifiant, la plaquette de Désiré s’ouvre sur une figure de femme dénudée, signe de la perdition charnelle de la demoiselle. Était-ce une manière d’attirer le lecteur vers un éventuel récit croustillant ? On retrouve à peu près cette même gravure dans une autre plaquette de 1562 où Christophe de Bordeaux publie des Regrets et complainte d’une dame de Paris, à l’article de la mort, se repentant de s’être mal gouvernée durant sa jeunesse. Dans l’exemplaire conservé à la bibliothèque Mazarine, la gravure de femme qui orne la plaquette a été entièrement noircie à l’encre. Il pouvait en effet être jugé déplacé de mettre en avant cette silhouette lascive au moment même de moraliser. Cette deuxième plaquette s’inscrit plutôt dans le type des regrets, avec une visée pédagogique, à lier au genre du testament, et cette appartenance générique est marquée dès le titre. De façon pathétique, Christophe de Bordeaux fait parler l’agonisante, âgée de vingt-huit ans, qui avoue ses fautes charnelles. Si l’on sort du registre des simples regrets et que la scène s’oriente vers une confession, c’est que l’agonisante s’adresse à son mari, et lui avoue l’avoir souvent fait cocu. La confession des fautes est ici intéressante parce qu’il ne s’agit pas de les dévoiler au prêtre, mais bien au mari, et, comme le titre l’indique, ces vers, au moment même où ils sont énoncés, sont pensés pour servir de contre-modèle aux autres jeunes femmes. L’agonisante s’adresse d’ailleurs, par-delà son mari, dans la conclusion, expressément à elles. La prise de parole est ainsi assumée comme fictive mais se veut tout de même édifiante. Si les auteurs jouent du registre pathétique, l’authenticité du propos ne semble pas un aspect pertinent du discours.

27Cette prise de parole, ces confessions féminines, sont ainsi assimilées à de la fiction : Christophe de Bordeaux et Artus Désiré, deux auteurs masculins, signent de leurs noms ces plaquettes, en donnant ensuite la parole à des agonisantes qui, elles, restent sans nom. L’anonymat de ces pénitentes les signale comme des types et ni Désiré ni Bordeaux ne font d’efforts pour rendre authentique la scène qu’ils décrivent. On retrouve là encore cet écueil des écrits militants du temps, qui s’adressent sans cesse à leur propre camp confessionnel, sans s’attacher à dialoguer avec leurs opposants. Ces fausses confessions rejoignent peut-être une certaine pratique contemporaine des témoignages, d’abord lus ou écoutés par un lectorat déjà converti à une pratique ou à une pensée. La confession illustre ainsi d’abord les codes d’un entre-soi, et son premier lectorat est communautaire, plutôt qu’exogène.

Et si les chefs réformés confessaient leurs doutes et leurs péchés ?

28Claude de Morenne est un docteur en théologie formé à la Sorbonne puis ordonné prêtre. Il obtient les cures de Saint-Merry et de Saint-Gervais à Paris. Il est finalement nommé évêque de Sées en 1601 après avoir été un des quatre théologiens qui accompagnèrent la conversion d’Henri IV19. Cet auteur engagé et prolixe compose les Regrets et tristes Lamentations du comte de Montgommery en 1574. Là encore, la prise de parole est fictive : Claude de Morenne parle en lieu et place du réformé pour dire sa plainte alors qu’il attend son exécution20. Ces regrets de partir en pleine jeunesse s’accompagnent d’une confession de ses erreurs. Dans un sonnet initial, Claude de Morenne annonce vouloir dévoiler comment Dieu punit le méchant afin d’édifier le lecteur. Cependant ce projet est quelque peu dévié par la mise en scène de la contrition réelle de Montgommery, qui pourrait finalement lui entrouvrir la porte du ciel. Ainsi, la prise de parole commence par des termes propres au sacrement pénitentiel :

Je n’ay poinct prouffité, & sens dedans mon cueur
Un triste repentir une vaine douleur
Qui sans aucun repos fierement m’épointelle
Et appaise sa faim me rongeant la mouelle
De mes os ja plus secs que ceulx d’un homme mort. (Morenne, 1574, n. p.)

29Montgommery vit déjà sur terre son supplice, sa damnation avec cette image de Sisyphe dévoré vivant sur son rocher. Ce regret intense le conduit à énoncer la vérité de son parcours : ici la contrition amène à la nécessité de la confession, terme que le condamné utilise d’ailleurs dans ses vers :

Helas ! je le scay bien & proche de la mort
Je confesse hardiment qu’un piteux deconfort
M’époinçonne le cueur ayant repeu ma rage. (Ibid.)

30À l’agonie, la parole du condamné se doit d’être vraie : si la dimension fictionnelle est assumée, il s’agit tout de même de proposer une prise de parole sincère, dévoilant les rouages du schisme. Ainsi ceux qui adhèrent à la Réforme ne le feraient pas pour Dieu mais pour des raisons humaines, comme la gloire. Claude de Morenne, en optant pour des regrets qui tournent à la confession, en arrive à proposer au parricide une ouverture vers le paradis. Ainsi, le poème s’achève par ce constat et cet ultime espoir de Montgomery, demandant la miséricorde divine :

Leur cueur humble & devot, ou my-mort je souspire
Accablé d’un destin qui diffame mon nom
Ma vertu ma prouesse & ma noble maison.
Or adieu je vous dis mon ame ja voisine
De la mort vers Pluton legere s’achemine
Si le seigneur puissant & du monde le Roy
Ne regarde en pitié celuy de qui la foy
A esté lachement mille fois corrompue […] (Ibid.)

31Le fait de se confesser permet de renouer avec Dieu et, même en cet ultime instant, de Le choisir à nouveau. C’est là où les regrets changent de nature : alors qu’ils sont un reflet du passé, le fait que le personnage utilise la rhétorique du repentir, de la contrition et donc de la confession, réouvre son avenir dans sa relation avec Dieu. Si ce n’était pas le projet initial de Claude de Morenne, soucieux de faire témoigner fictivement Montgommery afin de valoriser la fidélité que chacun doit à son roi, cette possibilité finale de conversion doit aider le lecteur, peut-être réformé, à oser un même retour. Ainsi, l’aveu des fautes, dans la perspective de Dieu, ouvre une porte par-delà les engagements sociaux, d’honneur ou de clientèle, qui pèsent sur la noblesse du temps. Utiliser les codes du sacrement de la pénitence revient à réadhérer à la foi catholique un temps perdue.

Le genre de la confession militante : refléter l’authenticité ?

32Ainsi, les poètes militants catholiques semblent dans l’ensemble assez défiants vis-à-vis du genre de la confession. En effet, c’est la ferveur catholique des auteurs qui leur permet d’imposer leur discours. Il n’y a donc pas de place pour leurs propres doutes. En parallèle, la mise en scène de cette ardeur confessionnelle nécessite de s’effacer devant l’injonction de la foi : l’œuvre ne recherche pas tant la réussite formelle qu’une prise de parole plus brute, plus abrupte, qui se targue d’énoncer la vérité. De ce fait, l’écriture de l’aveu s’avère incompatible avec un projet d’ornementation : cette affirmation demande un style simple pour mimer la sincérité de la déclaration du repentir. Le lecteur lui-même est amené à se reconnaître dans cette foi simple. N’importe qui doit pouvoir comprendre les propos des personnages et reprendre leurs vers à son compte.

33Ce même style simple se retrouve dans les confessions des fautes d’autant qu’elles se trouvent médiatisées par une prise de parole fictive : l’aveu, le regret, sont souvent délégués à des voix féminines qui vont évoquer un ressenti, une injonction intérieure forte, un regret, sans s’appuyer sur des arguments théologiques, déplacés dans cette situation d’énonciation spécifique. Cependant, ces femmes sont assumées comme fictives et le manque de considération pour l’authenticité du propos avancé dans les récits étonne. C’est donc un discours d’ordre général qui est proposé, sans doute parce qu’il serait préjudiciable de chercher la réalité de ces personnages. On songe à la colère de Trellon d’avoir pu passer pour un repenti.

34Discours d’aveu mais médiatisé, les confessions dans la poésie militante catholique se déploient ainsi surtout dans des discours exemplaires de dénonciation. L’efficacité ainsi que le côté abordable et plaisant semblent primer sur l’enjeu de l’authenticité. Plus qu’un autre type de publications, ces textes soulignent la difficulté d’assumer des erreurs confessionnelles au temps des guerres de Religion. D’ailleurs, on peut souligner qu’après la conversion d’Henri IV, si les ralliements politiques furent nombreux, ils restèrent discrets et fort peu publiés comme tels. Cela révèle en creux la difficulté de cette mise en scène des doutes. Côté catholique, puisque la logique est celle de tenir ses positions, les auteurs soulignent à quel point ils sont sûrs de leur religion. Il n’en est pas de même côté réformé où les convertis affichent les interrogations qui les ont précisément conduits à changer de religion et à abjurer leurs erreurs antérieures. Au contraire, les textes catholiques abordés ici illustrent la frontière latente entre l’affirmation publique de la foi et la pratique privée de la confession des péchés. Celle-ci reste réservée à l’intimité du pécheur, sans que sa vertu de témoignage ne soit véritablement exploitée.