Colloques en ligne

Claude Pérez et Jean-Raymond Fanlo

Présentation

1Enseigner la littérature à l’université aujourd’hui

2Aix-en-Provence, 10-11-12 mars 2011

3Ce n’est pas vraiment une nouvelle : l’enseignement de la littérature à un vaste public ne va plus de soi. Depuis quelque temps, cependant, il semble que les signes se fassent plus précis, plus insistants : baisse générale des effectifs d’étudiants en lettres, réforme des concours, professionnalisation des formations universitaires, etc. « Faut-il flinguer les études littéraires ?» titrait la Revue internationale des livres et des idées de mai-juin 2008, au moment même où fleurissaient (ou allaient fleurir) des essais au titre évocateur : Dominique Maingueneau : Contre Saint Proust ou la fin de la littérature; William Marx : l’Adieu à la littérature; Tzvétan Todorov : La Littérature en péril ; Richard Millet : Désenchantement de la littérature, Jean-Marie Schaeffer : Petite écologie des études littéraires. Pourquoi et comment étudier la littérature, etc…

4De nouvelles pratiques culturelles s’installent ; le prestige de l'écrivain se réduit, ainsi que celui des sciences humaines. Dans ces conditions, le désintérêt des politiques et des gens de pouvoir pour nos disciplines ne peut que s’accentuer. Il n’est plus tout à fait absurde, on le sent bien, d’imaginer que dans l’université rénovée d’après-demain les effectifs des départements de littérature française ou comparée (et de langue française aussi bien) pourraient se réduire fortement en France même, comme elles le font depuis plusieurs années en Europe et dans le monde entier ; et comme ont fait, en France même, les effectifs d’étudiants de lettres classiques.

5Nous souhaitons, bien entendu, qu’il n’en soit pas ainsi, et que la littérature continue d’être enseignée à des étudiants nombreux. Mais pourquoi ? Il est légitime que l’on nous demande nos raisons. Or, celles-ci sont diverses. Elles sont parfois convenues. Il n’est pas sûr qu’elles paraissent toujours claires et convaincantes aux étudiants, à leurs parents, à leurs employeurs potentiels, et plus généralement à nos contemporains. Nos prédécesseurs du temps de Lanson formaient des patriotes et des républicains ; l'université structuraliste décodait et démythifiait ; aujourd'hui, savons-nous pourquoi nous enseignons ce que nous enseignons ? Y a-t-il un projet que nous puissions défendre et partager ?

6L’objet de ce colloque était de procéder à un inventaire critique des argumentaires. Et il s’est appliqué à le faire en regardant aussi au-delà des frontières de la France, en sollicitant des témoignages et des réflexions venues de toute l’Europe et, plus loin encore, du Japon. On trouvera dans les actes des indications précises concernant les choix faits ailleurs (en Belgique, en Roumanie, en Hongrie, au Canada, aux Etats-Unis…) par d’autres enseignants de littérature. Il est bien évident que cela peut donner des idées.

7Les questions posées étaient nombreuses. En voici quelques-unes :

8–Enseigner la littérature ? à qui ? pourquoi ? parce que c’est inutile ? parce que c’est utile ? et à quoi ?

9–La littérature ? Quelle littérature ? Une révision du canon est-elle le remède à nos malheurs ? Faut-il continuer à préférer des « grands textes », ou des « textes de qualité », au risque d’être taxés d’élitisme ? Faut-il étudier aussi Marc Lévy et Bernard Werber ? Mais peut-on étudier les « bouquins » de la même manière que les « livres » ? Sauvée du harem (Marie-Louise Fischer) ou J’ai aimé une reine (Poivre d’Arvor) de la même manière que le sonnet en –yx ou La Recherche ?Cantonner les deux premiers titres au rayon « Etudes sociologiques », n’est-ce pas perpétuer une hiérarchie que l’on prétendait supprimer ?

10–Les exercices canoniques (dissertation et explication de texte) sont-ils notre planche de salut ? Une réforme des méthodes, des pratiques, des exercices… est-elle le remède à nos malheurs ? Sommes-nous trop sérieux ? Pas assez ? Devons-nous perpétuer la tradition du commentaire ? Ou au contraire rompre avec elle, en faveur (par exemple) de l’exploration des « textes possibles » et de ce que certains ont appelé la « critique fiction » ?

11–Qu’enseignons-nous au juste ? Une rhétorique ? Des herméneutiques ? Une histoire ? Une pratique artistique ? Des plaisirs ? Une culture bourgeoise ? Des usages complexes de la langue ? L’esprit de la nation, ou celui de l’Europe ? La résistance à la sous-culture des marchands ? Le relativisme démocratique ? Une éthique (laquelle) ? La « vie selon la nuance » ?

12–Il y a bien sûr un rapport entre les difficultés que nous rencontrons et le prestige déclinant de la littérature dans la société contemporaine, et même en France (où un ancien président de la République peut souhaiter écrire des romans et siéger à l’Académie). Au-delà des gémissements sur « la crise de l’édition », qu’avons-nous à dire de ce déclin ? Car il ne s’agit pas de gémir : à aucun moment les « grands textes » n’ont été aussi facilement accessibles, jamais tant d’éditions savantes n’ont été ainsi disponibles pour le prix d’un livre de poche. Jamais sans doute autant d’individus n’ont été exposés à « la littérature »… La révolution technologique qui se poursuit en ce moment même, et dans laquelle nous sommes pris, nous condamne-t-elle à disparaître ? Peut- elle au contraire nous offrir des remèdes ?