Colloques en ligne

Éric Trudel

Entre convocation et co-vocalisation : écrire à l’écoute du vivant

Between Invocation and Co-vocalization: Writing Attuned to the Nonhuman

1Nous ! le vivant, le titre sous lequel s’est tenue à Paris, en septembre 2023, la première édition d’une biennale du vivant visant « l’instauration d’un nouveau rapport1 » avec le monde naturel, souligne d’emblée le défi que pose l’énonciation – forcément toujours politique – d’un « nous » élargi aux autres qu’humains2. Si le point d’exclamation qui suit le pronom marque l’adhésion enthousiaste, la surprise ou même le choc de « nous » découvrir, nous humains, au cœur d’un commun qui nous excède3, on devine qu’il tient séparé autant qu’il lie les deux éléments d’un titre ambigu, celui-ci semblant nommer à la fois une relation d’identité et un rapport plus trouble de voisinage ou de contiguïté. Après tout, et comme le suggèrent Léna Balaud et Antoine Chopot, « nous » dans ces circonstances « est un autre » (Balaud et Chopot, 2021, p. 233), un assemblage instable où s’entend « un ‘ils’ qui dit un ‘nous’, au sein duquel chacun conserve sa singularité » – pour emprunter cette fois à Anne Simon (Simon, 2021, p. 20)4. Or si la pleine « prise en compte des non-humains » (Imhoff et Quiros, 2022, p. 102), aujourd’hui terriblement urgente, suppose, comme l’affirment certains, une imagination politique capable de soutenir une « autre idée du collectif » (Balaud et Chopot, 2021, p. 14) et même une façon de « faire peuple autrement » (Imhoff et Quiros, 2022, p. 126), celle-ci ne peut en revanche faire l’impasse sur l’incommensurable que ce « nous » cherche à inclure – qu’il s’agisse d’un animal, d’une plante ou même d’un fleuve. Le langage littéraire, comme le remarque Alexandre Gefen, peut ici nous être utile, s’il constitue « un remède à l’anthropocentrisme en permettant [notre] décentrement radical » (Gefen, 2022, p. 314) et nous pousse à concevoir une « série de réinscriptions de l’homme dans la nature » (Bourg et Swaton, 2021, p. 95) ; nul doute, comme Gefen l’affirme encore, que « faire voir autrement, c’est déjà agir politiquement » (Gefen, 2022, p. 17). Peut-être ce même langage a-t-il « la capacité inouïe » – c’est du moins ce qu’espère Simon – « d’exprimer l’indistinction primordiale du vivant » et d’être le « fil sensible » (Simon, 2021, p. 16-17) qui nous relie à lui. Ce qui fait pourtant l’originalité des quelques tentatives auxquelles je m’intéresserai ici brièvement, c’est qu’elles s’engagent à penser la mise en forme d’une invitation lancée au vivant afin qu’il se fasse entendre, se manifeste ou même se représente, et qu’elles se veulent attentives à des êtres menacés « qui réclament si fort aujourd’hui qu’on les traite autrement » (Macé, 2019, p. 100), tout en restant surtout sensibles à la difficulté qu’il y a à leur donner voix sans parler à leur place, sans parler pour eux, ou sans prétendre pouvoir simplement les traduire. Bien que circonscrites au monde naturel, ces tentatives s’inscrivent de manière plus générale dans un souci croissant de faire place en littérature à tous ces délaissés restés jusque-là invisibles ou inaudibles – devoir que s’impose l’écrivain à l’écoute5 de paroles « minorées » (Gefen, 2023, p. 220) dans l’espoir d’une redistribution et d’une reconfiguration œuvrant à la « ‘promotion’ démocratique des vies quelconques » (Rancière, 2007, p. 20).

2I. Du souffle dans les mots, ouvrage publié en 2015 par un « parlement sensible » où trente écrivains « s’engage[aie]nt pour le climat6 », réinvestit la forme du discours parlementaire avec la conviction que le XXIe siècle « sera écologique ou ne sera pas » (Deguy, 2015, p. 140)7 dans le but de mobiliser « littéralement […] le langage en action » pour ainsi défendre « tous les états du monde […] autant qu’on peut le faire poétiquement » (Gouttebaron, 2015, p. 12)8. Mais il ne s’agit encore ici, en souhaitant faire entendre à l’Assemblée nationale une parole qui « s’oppose » (Gouttebaron, 2015, p. 12), que de parler au nom du vivant et donc, comme le regrette Nicole Caligaris dans sa contribution au volume, toujours depuis « notre langue » ; situation paradoxale qui fait de ces orateurs, et plus largement de l’humanité entière, autant de « consuls ivres, lisant de façon erronée les signes qu’émet le monde » et hélas encore incapables d’admettre la réalité de notre « relation [sensible] au corps terrestre » (Caligaris, 2015, p. 86-88). Seuls Frédéric Boyer et Éric Chevillard osent imaginer dans ce collectif une adresse non humaine afin de laisser « plutôt parler les muets9 » : Boyer en destinataire, et nous tous avec lui, d’un vibrant réquisitoire de la Terre mourante (« je vois bien qu’il n’y aura bientôt plus grand chose de moi10 », Boyer, 2015, p. 45) ; Chevillard en empruntant la voix d’un « émissaire » du monde animal, « venu rugir, barrir, ululer à cette tribune » (Chevillard, 2015, p. 106). Si l’un comme l’autre s’en remettent à la prosoposée – figure par laquelle on prête parole à ce qui, croit-on, ne peut la prendre, figure empruntée devant un mutisme qui « indispose11 » – celle-ci se révèle finalement à peu près inutile : les deux textes en effet ne peuvent que constater, en conclusion, l’inévitable mésentente et l’impossibilité pour l’autre, pourtant convoqué, de se faire entendre. Tout se passe donc comme si l’écrivain désavouait in fine une stratégie rhétorique par laquelle la parole donnée est une parole imposée, dans une adresse à soi-même (ce n’est pas « le monde vivant qui me parle, c’est moi qui me parle à moi-même », Zhong Mengual, p. 95) ; chez Boyer la Terre reproche à l’homme d’avoir été « depuis toujours voilée/à [s]on esprit » (Boyer, 2015, p. 58) ; l’orateur de Chevillard, découragé, déclare quant à lui :

Comment pourrais-je me faire entendre […] et qu’allez-vous comprendre ? J’aurais […] sans doute dû me présenter là devant vous, […] simplement, et hurler à la mort (Chevillard, 2015, p. 108).

3 II. C’est précisément pour nous extraire de la « solitude » d’un tel solipsisme et nous « oblig[er] à l’écoute », pour ouvrir le demos à la vie qui l’excède et convier « les muets au dire, les silencieux à la parole » que Camille de Toledo parraine le projet collectif d’« auditions » d’un parlement de Loire, dont on lit la « mise en récit » dans Le Fleuve qui voulait écrire (de Toledo, 2021, p. 8). Or ce recours à une forme précise, l’audition (comme l’était la forme-discours réinvestie dans l’exemple précédent), et son retravail – dont l’horizon promet la représentation politique « d’une nature […] sufragette » faite de nouveaux sujets « particip[ant] à la vie commune » (ibid., p. 8 et 13) – ne constituent peut-être que l’un des versants d’un désir plus vaste, celui d’une « écriture du monde » (ibid., p. 9) dont la justesse et la justice reposent sur un effort vertigineux de traduction dans le but d’étendre les possibilités énonciatives – et même narratives – à l’ensemble des êtres du monde12. Dans son Histoire du vertige parue en 2024, de Toledo insiste en effet sur l’importance d’adopter « la perspective du traducteur » (de Toledo, 2024, p. 29) pour réaffirmer, penser, et « panser » (ibid., p. 30) notre lien au vivant. C’est le traducteur qui, selon l’écrivain, offre le modèle en quelque sorte intenable d’un agent parvenant à se glisser entre nous et « nous », vivant « dans et avec ces entrelacements » (ibid., p. 187), comme une « voix-sentinelle » (ibid., p. 20) déterminée à faire place, dans la langue, « aux voix au-delà des voix humaines » (ibid., p. 26) : celles, animales et végétales, jusque-là condamnées au silence. Tâche sans doute impossible ou invraisemblable, et de Toledo avoue, on n’en sera pas surpris, « n’avoir pas assez de foi en la langue » (ibid., p. 100) pour se convaincre que traduire le monde vivant puisse permettre d’éviter entièrement de le trahir. Tâche néanmoins nécessaire, à laquelle il faut au moins s’essayer, qui impose de se « délie[r] de toute hauteur » (ibid., p. 72), de faire preuve d’une rare modestie sémiotique, et de s’exposer au « vertige qui nous prend lorsque l’emprise de nos langages s’érode » (ibid., p. 79). C’est en faisant sienne cette condition vertigineuse, où s’éprouve simultanément « la perte du sentiment de soi » et une troublante « communion avec l’entour » (un mode de relation au monde que l’on pourrait aussi nommer, en empruntant le terme au philosophe Hartmut Rosa, la « résonance13 »), que le traducteur peut (comme nous le pouvons tous) espérer se déprendre de « la fiction qu’est le sujet politique séparé » (ibid., p. 140). Si, pour de Toledo, l’écrivain s’engage par l’écriture à l’écoute et dans l’écoute « des sons du monde » (de Toledo, 2021, p. 11) , il fait l’expérience de ce vertige « sans trop croire » à sa langue propre, mais en sachant tout de même que la parole reste « le cœur de [sa] responsabilité » à chaque fois qu’il invite les « vies qui parlent » (de Toledo, 2021, p. 15) à parler avec lui.

4 III. Dans Nos cabanes (2019), Marielle Macé – qui s’intéresse depuis quelques années, et dans le prolongement d’une réflexion inaugurée avec Façons de lire, manière d’être (2011) et poursuivie dans Styles : critique de nos formes de vie (2016), aux dispositions sensibles et aux pratiques à travers lesquelles s’inventent « des façons de vivre dans un monde abîmé » (Macé, 2019, p. 39) – plaide elle aussi d’emblée pour « un parlement élargi » (Macé, 2019, p. 69), et insiste sur les liens à rétablir avec le vivant, en résistant pourtant au désir de lui « donner voix » trop aisément et ainsi risquer de transformer « des sujets tout autres en nos semblables » (Macé, 2019, p. 109)14. Cette même mise en garde est reprise dans Une pluie d’oiseaux (2022), quand l’essayiste rappelle que les autres qu’humains,

on a tôt fait de les convoquer […], de les faire parler, mais il y a des échanges que nous ne devons pas croire avoir, et cela ne nous engage que davantage quant à ce que l’on fait en faisant la parole (Macé, 2022, p. 351).

5Convoquer le monde vivant et « l’inviter à comparaître » (Macé, 2019, p. 79) ne suffit donc pas. S’engager véritablement à l’écoute d’un « monde dont nous crevons d’être déliés » (Macé, 2021, §15), s’engager à « prêter l’oreille, discerner, entendre quelque chose non-parler » (Macé, 2019, p. 100) reste lié selon Macé, d’abord et avant tout, à une hésitation, à l’épreuve d’une difficulté ou même d’un vertige – pour risquer ici l’analogie avec ce qu’évoquait de Toledo – devant ce qui ne fait pas (encore) sens. Le poème15, parce qu’il ne vise pas « la levée complète des malentendus » (Macé, 2022, p. 357), parce qu’il ne se hâte pas répondre ou de traduire (tout en souhaitant le faire), mais se montre au contraire capable d’un « tact et [d’]une patience syntaxique » (Macé, 2022, p. 378), capable de se suspendre et de donner forme à un « moment d’instabilité où l’on ne sait pas trop quelles relations il convient d’entretenir avec ces autres formes de vie » (Macé, 2019, p. 109-110), peut rendre compte du non-humain avec une certaine justesse, et muer le désarroi en une « opportunité relationnelle » (Pierron, 2021, p. 150). Et malgré tout, il s’agit bien de faire quelque chose, et l’approche adoptée par Macé ne souhaite pas se limiter, soulignons-le, à une simple écoute, ni même à un geste de réparation tentant uniquement de « prendre soin de ce qui se murmure » (Macé, 2019, p. 47) en demeurant aveugle à toute autre visée politique16. Car « écouter le monde vivant, ce ne sera pas simplement se taire, ce n’est pas assez » (Macé, 2021, §22) comme elle le remarque encore, et une pratique de parole « bien plus engagée » (ibid., §11) reste nécessaire afin de « parler [cette] écoute » (Macé, 2022, p. 370) ; c’est d’ailleurs là tout l’enjeu du poème, et son impératif, car il faut urgemment, pour « nous » tous, imaginer des formes et des dispositifs afin « que se dise un monde de sens vraiment partagé » (Macé, 2022, p. 376). Ainsi peut-on mieux comprendre cette définition :

Poète […] est celui qui engagera sa propre langue dans l’écoute. Qui sait qu’entendre, et en répondre, nous ne saurons le faire que depuis notre site de parole […] à nous (Macé, 2022, p. 366).

6On voit bien que la portée « écopolitique » du poème (Macé, 2019, p. 101), sa singulière expertise et sa justesse, tout particulièrement maintenant, face à l’effondrement du vivant dont nous sommes tous les témoins effarés17, tiennent à sa manière de répondre de son écoute (plutôt que de répondre à), d’en répondre, de s’en montrer responsable justement dans la mise en forme18, la mise en parole de dispositifs nous offrant la chance – pour rappeler ici le souhait de Camille de Toledo – d’une écriture du monde.

7 Le poème semble donc pour Macé garant d’un difficile être ensemble et d’une écologie de la parole qui ne s’exagère pas l’agentivité des êtres qui nous entourent (et ce malgré ce qu’elle estime être « une fraternité concrète entre les vivants », Macé, 2022, p. 365). Mais pour parvenir à concevoir ou même simplement pour pouvoir dire ces alliances interespèces encore à construire par la parole19, ces liens singuliers qui ne prétendent pas à la réciprocité ou au dialogue, ces liens, donc, qui à la fois séparent et conjoignent, Macé mobilise deux verbes où s’exerce la pression d’un seule préposition – « avec20 » – verbes dont elle offre une redéfinition qui n’est pas sans conséquences politiques : converser et conspirer. En rappelant d’abord, dans Une pluie d’oiseaux, l’étymologie latine de « converser » (con-versari, c’est-à-dire se trouver avec, fréquenter), Macé oppose ce premier verbe à l’espoir d’une communication pleine et complète avec le monde autre qu’humain (ou à sa traduction), et insiste plutôt sur une manière de côtoiement actif :

Converser donc : vivre avec. Pas focément parler avec, mais à la fois moins, et plus : cohabiter, et dans cette cohabitation verser de la parole (Macé, 2022, p. 355, je souligne)

8On pourra vouloir entendre ce verbe, « verser » de la parole (et cela même si Macé ne le fait jamais explicitement), au sens de versifier, de faire des vers, et le poème est encore une fois l’exemple par excellence, pour elle, de cette capacité à ne pas se hâter vers le sens, à se tenir dans le monde sans que celui-ci nous soit entièrement disponible, « sans croire s’entendre tout à fait » avec lui (Macé, 2022, p. 361). Dans Respire (2024), un petit ouvrage écrit lors du confinement et, plus généralement, dans les temps « irrespirables » (Macé, 2024, p. 43) qui sont les nôtres, Macé poursuit cette idée d’un voisinage et d’un « échange permanent avec le dehors » (ibid., p. 67) en s’intéressant cette fois à la respiration, acte simultanément individuel et collectif à travers duquel s’affirme et se réaffirme sans cesse cette vérité que nous vivons tous « prépositionnellement » (ibid., p. 52). Reconnaître que la respiration œuvre à notre « déséparation » (ibid., p. 79), comme le conçoit Macé, c’est aussi comprendre qu’elle est toujours co-respiration, qu’elle consiste à faire l’expérience de la porosité du vivant, quand « nous respirons le dehors et [que] le dehors nous respire » (ibid., p. 48). Plus encore qu’un vivre-avec défendu dans les ouvrages précédents s’affirme donc, dans ce plus récent petit texte, un véritable entre-vivre, quand « ça s’entre-pénètre […] et s’entre-vit » (ibid., p. 51), où vient presque se dissoudre l’opposition, évoquée en introduction de cet article, entre nous et « nous ». Macé le suggère d’ailleurs dans une formule riche d’ambiguité : « ça respire en moi, dans moi s’élargissant et m’élargissant » (ibid., p. 62)21. Cette respiration qui est co-respiration, l’essayiste ne résiste pas à la tentation d’en faire, par glissement, aussi une conspiration, en notant simplement : « respirer avec : ‘conspirer’ si l’on veut » (p. 12, je souligne). Se pose ici, à mon sens, un double problème. D’une part, en réimaginant (ou rêvant) le lien avec le monde vivant non plus sous forme de côtoiement ou de vivre avec, mais désormais en tant que porosité, Macé vient légèrement infléchir ce qui faisait auparavant l’expertise du poème, c’est-à-dire sa capacité à soutenir la difficulté inévitable d’être réellement avec, en présence des autres qu’humains. Dans Respire, c’est en effet la parole elle-même qui se trouve soudain « trempée de réel » (ibid., p. 105), comme si – j’exagère sans doute un peu injustement, mais à dessein – toute possibilité de mésentente avec le monde était désormais écartée. D’autre part, « faire sonner autrement » (ibid., p. 85) le verbe « conspirer », désormais défini sans antagonisme véritable ou identifiable et non plus compris comme un geste visant à renverser un pouvoir établi22, suggérer que conspirer c’est d’abord « respirer l’un avec l’autre, et respirer l’un de l’autre » (ibid., p. 80), que c’est « partager un souffle » (ibid., p. 86), risque d’en diminer très considérablement l’effectivité politique.

9 Cette démonstration, cette conviction et cette ambition admirables de Macé quant aux pouvoirs du poème, comme du reste l’est la pédagogie du vertige défendue par de Toledo, ouvrent indéniablement des brèches au possible, une perspective bienvenue en notre temps désastré, alors que le désespoir nous emmure. Y adhérer entièrement requerra tout de même une foi profonde en la littérature, en sa puissance, même lorsque celle-ci se présentent plus humblement sous les traits du trouble, de l’entente et de l’écoute23. Et sans doute pourra-t-on ressentir devant ces efforts quelque chose de l’ordre d’une « gêne24 », et être tenté d’adopter la réserve d’un Jean-François Hamel qui, dans sa critique des précédents travaux de Macé, regrettait le « statut d’exception » accordé à la littérature, dont la force émancipatrice – en modelant d’autres manières de vivre – ne semble tenir qu’à sa seule singularité, laquelle s’offre « sous la forme d’une sidération […], d’une interruption » (Hamel, 2015, p. 93 et 104) du cours de la vie et du monde, aux dépens de leur immédiate et concrète transformation 25. S’il est possible et sans doute nécessaire de s’interroger sur le rôle réel que peuvent jouer ces deux figures – traducteur ou poète – dans l’élaboration en cours, aujourd’hui, d’une politique du vivant, on reconnaîtra néamoins que les réflexions voisines de Camille de Toledo et de Marielle Macé ont l’ambition d’esquisser, de manière parfois un peu abstraite, les contours d’une politique de l’écriture du vivant, dans la mesure où l’un et l’autre œuvrent à faire advenir un partage inédit des voix, plus ample et plus juste, en nous enjoignant d’entendre « ce qui respire au fond de la parole » (Macé, 2023, p. 114) quand elle se veut l’un des modes d’un vivre-avec le monde. Il est moins sûr que de prêter ainsi profondément l’oreille suffise, comme l’espère Macé, à y repuiser le sentiment d’une « fraternité » (ibid., p. 114), celle nous reliant tous, nous, le vivant.