Colloques en ligne

Corinne Bayle

« Ce qui se rêve est tout pour moi » : illusions du songe et rêverie créatrice dans les Poésies de Vigny

What is dreamed is everything for me”: Illusions of dreams and creative reverie in Vigny’s Poems

1Motif récurrent du romantisme associé à « la nuit et ses prestiges » pour Aloysius Bertrand, jusqu’à être une « seconde vie » ouvrant à l’infini pour Nerval, le rêve semble n’avoir que peu de place chez Vigny. On ne trouve pas sous sa plume de grandes envolées exaltant les pouvoirs du songe ni d’explorations de rêves ou de cauchemars. Dans Stello sont dénoncés les rêves illusoires, les chimères qui heurtent la réalité et contribuent à faire de l’artiste ce paria réduit au suicide, tel Chatterton, si bien que l’ordonnance du Docteur-Noir est formelle : « Éviter le rêve maladif et inconstant qui égare l’esprit » (ŒC, t. II, p. 663). Dans la poésie, Vigny se distingue des autres Romantiques par la parcimonie des références au rêve, ce qui contribue à faire ressortir chaque mention, tantôt dévalorisante, par la rime récurrente « songe/mensonge1 », tantôt exaltante quand il s’agit de rêver activement : « Où donc est la beauté que rêve le poète ? », demande « La Beauté idéale », hommage « Aux Mânes de Girodet », qui souligne aussi le risque d’être « par son rêve égaré » (GF, p. 326). Cette ambivalence, méfiance vs exaltation du rêve, se retrouve dans le Journal d’un Poète qui désapprouve le penchant morbide du songe mais comporte nombre d’allusions au rêve, pris comme source d’inspiration : « ce qui se rêve est tout pour moi » (J, p. 1221), écrit Vigny le 18 juillet 1844, mettant en lumière à la fois la part onirique dynamique dans la création littéraire et la distance que l’art implique, en un lyrisme singulier, évitant l’expression personnelle attendue (« ce que je rêve… »). Malgré sa rareté apparente, nous ferons l’hypothèse de la rêverie comme prélude à la Poésie dans sa plus haute acception : si à la première lecture, les deux recueils majeurs, Poèmes antiques et modernes et Les Destinées, témoignent du retrait original de Vigny par rapport à ce thème romantique, ils nous invitent à interroger les mentions explicites du rêve d’un livre à l’autre pour dénoncer la nuit et ses errements, mais encore déployer la passionnante complexité des doutes créatifs de l’artiste ; du songe illusoire à la rêverie poétique, comment le rêve concerté informe-t-il la Pensée et s’inscrit-il dans une poétique en quête de vérité artistique qui puisse nourrir l’existence même ?

La nuit et ses chimères

Le rêve de la nuit

2Le rêve au sens propre, associé à la nuit, est présenté par Vigny comme une occupation passive qui révèle la faiblesse humaine. S’y abandonner suggère une fuite hors du réel que le poète juge néfaste. La nuit semble propice à la mélancolie dans Chatterton. La « Dernière nuit de travail » qui précède la pièce présente le désespoir telle une puissance dévorante (ŒC, t. I, p. 755) et, dans le drame, l’association entre rêve et faiblesse est sans appel : « En toi, la rêverie continuelle a tué l’action » (Acte I sc. 5, ibid., p. 772). Dans le Journal d’un Poète, en 1833, cette note en forme d’adage est tout aussi définitive : « La rêverie qui ne produit pas affaiblit » (J, p. 990). En une autre note, autobiographique, en 1845, Vigny confie : « J’ai toujours été trop rêveur, cela dès l’enfance m’isolait : invincible distraction, une région heureuse où je vivais des idées qui me ravissaient. À force de volonté, je me suis ployé à la présence d’esprit, mais souvent j’en souffre, quoique ma mémoire infaillible m’aide beaucoup. » (J, p. 1227).

3Dans la poésie, la nuit ou l’obscurité sont le plus souvent inquiétantes, rompant les barrières, propices au chaos. L’incipit du poème « Le Bain » présente un décor enchanteur, près d’une source, sous un sycomore, « Là, Suzanne, cachée aux cieux déjà brûlants, / Suspend sa rêverie et ses pas indolents, » (v. 1-4, GF, p. 109), mais cette ombre et cet abandon seront dérangés par un regard indiscret : « Un œil accoutumé blesse encor sa pudeur » (v. 32, GF, p. 110). Dans « La Colère de Samson », l’être humain est défini par ses désirs affectifs et sensuels : « L’homme a toujours besoin de caresse et d’amour, / […] / Il rêvera partout à la chaleur du sein, / Aux chansons de la nuit, aux baisers de l’aurore » (v. 39, 44-45, GF, p. 218), mais ce souhait impérieux conduira aux erreurs. Dans « Les Amants de Montmorency », le couple plonge en une rêverie continuelle et mortifère : « La nuit, on entendait leurs chants ; dans la journée / Leur sommeil ; tant leur âme était abandonnée / Aux caprices divins du désir ! […] » (v. 35-37, GF, p. 177) ; les deux jeunes gens confondent la nuit et le jour (« Le soleil allait naître / Ou s’éteindre », v. 32-33, GF, p. 177), ce que l’enjambement des vers suggère prosodiquement.

4« L’Espérance est la plus grande de nos folies » est une maxime obsédante répétée dans le Journal d’un Poète (J, p. 945) et dans Stello (ŒC, t. II, p. 664) : l’absence de nuit heureuse traduit ce triste constat. Dans Poèmes antiques et modernes, au refus de « Moïse » de continuer à guider l’humanité dans sa nuit pour enfin s’endormir d’un sommeil sans rêve répond l’apocalypse de la nuit du monde à la fin de « Paris », ces ténèbres en plein jour signifiant « la souffrance et la mort » (v. 238, GF, p. 186) dont les petites capitales exacerbent l’horreur : à l’inverse du prophète qui ne désire plus « commande[r] à la nuit de déchirer ses voiles » (v. 73, GF, p. 65), le poète est comme sommé de traduire ce qu’il voit, ébloui, pris de « vertige » (v. 39 et 75, GF, p. 181-182), sans savoir « si c’est mal », mais attestant que « c’est beau » et « c’est grand » (v. 158-159, GF, p. 184) ; il n’a pas le pouvoir d’apaiser ces images qui brillent par leur séduction autant que leur violence, ni celui de résoudre l’énigme d’une humanité composée d’« Aveugles inquiets, cherchant à travers l’ombre » (v. 120, GF, p. 183). La conclusion inévitable peut se résumer par la métaphore de la nuit d’une menace sans fin : « Le ciel est noir sur nous » (v. 225, GF, p. 185). Dans Les Destinées, les premiers vers de « La Mort du loup » décrivent le tableau nocturne de la forêt sous une « lune enflammée » (v. 1, GF, p. 223) qui laisse apercevoir les sapins, la bruyère et la danse des loups, tirant une leçon de stoïcisme de ce paysage symbolique solitaire et désolé. Contrairement à la nuit apocalyptique de « Paris » dans les Poèmes antiques et modernes, la nuit des chasseurs n’en restera pas à l’étape du constat entre rêve et cauchemar, et atteindra une morale par le relais des « sublimes animaux » (v. 76, GF, p. 226) — une leçon cependant offerte face à la mort.

Songe, mensonge

5Le rêve au sens courant est explicitement donné pour tromperie. Dans « Éloa », le rêve n’est pas tant prémonitoire que miroir de l’illusion : « Et toujours dans la nuit un rêve lui montrait / Un Ange malheureux qui de loin l’implorait. » (v. 177-178, GF, p. 71). Le discours de Lucifer exploite ce souhait de voir se matérialiser les rêves : « Tes soins ne sont-ils pas […] / De venir comme un rêve en leurs bras te poser / Et de leur apporter un fils dans un baiser ? » (v. 391-394, GF, p. 77). L’ange déchu révèle l’exploitation des rêves pour perdre ses victimes en une longue tirade rhétorique où l’erreur est cruellement valorisée :

Je suis celui qu’on aime et qu’on ne connaît pas.
Sur l’homme j’ai fondé mon empire de flamme
Dans les désirs du cœur, dans les rêves de l’âme,
Dans les liens des corps, attraits mystérieux
Dans les trésors du sang, dans les regards des yeux.
C’est moi qui fais parler l’épouse dans ses songes ;
La jeune fille heureuse apprend d’heureux mensonges ;
Je leur donne des nuits qui consolent des jours,
Je suis le Roi secret des secrètes amours.
(v. 426-434, GF, p. 78 [nous soulignons].)

6La même rime se retrouve à la 3e strophe de « La Maison du Berger » : « Si ta lèvre se sèche au poison des mensonges, / Si ton beau front rougit de passer dans les songes / D’un impur inconnu qui te voit et t’entend, // Pars courageusement, laisse toutes les villes ; » (v. 19-22, GF, p. 196). À l’inverse, dans un poème composé en 1822 pour la naissance de la fille de sa cousine, la Comtesse de Clairambault, Vigny renverse la malédiction de cette rime : « Ton rêve, heureux enfant, n’est pas un vain mensonge / L’imagination n’est pas encore en toi / Elle tient de la terre, au lieu que ton beau songe / N’est qu’un moment d’absence où Dieu t’appelle à soi » (GF, p. 308) : la pureté de l’enfant n’est pas encore corrompue par les rêves perfides.

Ambivalence des songes

7Les yeux fermés par le rêve expriment une liberté nécessaire mais trompeuse, déjà soulignée dans « Éloa » : l’« ineffable délire » des « instants d’amour » où « Le cœur répond au cœur comme l’air à la lyre » (v. 535-536, GF, p. 81) est comparable au rêve qui berce le voyageur tels les flots de la marée : « Et la mer quand ses flots apportent sur la grève / Les chants du soir au pied du voyageur qui rêve » (v. 615, GF, p. 83) ; toutefois, cette harmonie est fallacieuse, créée par le discours de l’« Ange ténébreux » (v. 546, GF, p. 81). La séduction diabolique était d’emblée représentée par un paysage nocturne (v. 449-500, GF, p. 79-80) qui invitait à l’amour et favorisait la tromperie de la pure figure angélique. Dans « Le Somnambule », lorsque « La nuit règne profonde et noire dans les cieux » (v. 4, GF, p. 111), en un moment propice à l’amour, l’amant se croyant trahi par sa maîtresse poignarde par erreur son épouse ; l’épigraphe empruntée aux Euménides d’Eschyle (v. 103-105) met en exergue le paradoxe de la nuit et du songe : « l’esprit, quand on dort, a des yeux / et quand on veille, il est aveugle » (GF, p. 111). Dans « Les Destinées », l’homme est « un nageur incertain » (v. 83, GF, p. 193), errant sans étoile (v. 9, GF, p. 192) : rien ne le guide dans la nuit noire et l’océan du destin ; dans « La Maison du Berger », l’homme est un « humble passager » (v. 319, GF, p. 204) ; l’amour est « taciturne et toujours menacé » (v. 336, GF, p. 204). À l’inverse, le projet initial du recueil de poèmes philosophiques composé de Lettres à celle qui fut longtemps « l’innommée », avant de devenir « Éva », exprime le souhait d’une nuit lumineuse, où les étoiles servent de guides : « Reviens à l’orient, reviens, / où les Bergers trouvaient le chemin des astres en rêvant » (GF, p. 390 et ŒC. t. I, p. 274). En 1851, Vigny songeait à composer un poème intitulé « Les Constellations » qui se serait inséré dans cet ensemble (J, p. 1286).

8Dans Les Destinées, « La Bouteille à la mer » dépeint un naufrage suivi de désespoir, puis de regain d’espérance à travers la bouteille de Champagne (v. 52-53, GF, p. 236) qui vogue vers des rivages inconnus, portant la carte des écueils, susceptible de sauver d’autres marins : « Après le cri de tous, chacun rêve en silence » (v. 64, GF, p. 236) : l’un « Tout au fond de son verre […] aperçoit la France », l’autre « son vieux père assis au coin de l’âtre », « Un autre y voit Paris », « Un autre y voit Marseille » (v. 66-75, GF, p. 236-237). Ces rêveries ne renvoient qu’au désir d’échapper à son sort, de renverser l’inéluctable, tandis que le capitaine « sourit en songeant que ce fragile verre / Portera sa pensée et son nom jusqu’au port » (v. 99-100, GF, p. 237). Le poème, sous-titré « Conseil à un jeune homme inconnu », fustige le suicide de jeunes gens en proie au mal du siècle et ordonne d’emblée : « Oubliez les enfants par la mort arrêtés : / Oubliez Chatterton, Gilbert et Malfilâtre » (v. 4-5, GF, p. 234) ; inlassablement, Vigny reprend le visage sévère du Docteur-Noir pour refuser de s’abandonner aux puissances obscures du songe, à la mélancolie douce qui engloutit, mais le rêve du capitaine devient carte marine, écriture effective, « Trésor de la pensée et de l’expérience » (v. 150, GF, p. 239). Cette réussite anticipe « L’Esprit pur » qui fait passer le recueil des Destinées de l’inéluctable « C’était écrit », en épigraphe, à « L’Écrit universel », règne du « Pur Esprit », réalisant « L’Idéal du Poète et des graves penseurs » (v. 50-54 et 60, GF, p. 251) en lettres capitales.

9Le traitement du rêve et son ambivalence permet de lire un cheminement : si dans les poèmes les plus anciens, le rêve est plutôt déceptif et menaçant, une évolution dont témoigne Les Destinées élève le caractère mortifère du songe à un autre plan, celui de l’imaginaire et de l’écriture, mais ce parcours passe par une pensée elle-même mouvante.

« Du doute au rêve »

Le rêve conscient du poète

10Vigny distingue rêve et rêverie et donne ainsi deux sens au verbe rêver ; il s’agit d’un acte passif que l’on subit durant le sommeil et qui peut être tenu pour faiblesse, mais il s’agit aussi d’un acte conscient, quoique dans un état de flottement, que traduit l’idée de rêverie ; le verbe « rêver » prend alors les deux sens. Dans une lettre du 31 janvier 1851 au docteur Brierre de Boismont, aliéniste spécialiste des hallucinations, Vigny écrit :

Vous accusez trop la Rêverie. Il y en a de deux sortes. La Rêverie des faibles et celle des penseurs. Oui, la Rêverie mène au vague des idées les pauvres âmes qui ont le désir de la pensée et qui sont amoureuses d’elle sans pouvoir l’atteindre et lui trouver une forme solide et complète. Certes son labyrinthe est dangereux à ceux qui n’ont pas l’œil assez ferme et le pied assez sûr pour y trouver son chemin. Mais la Rêverie est le prélude des grandes créations pour les âmes qui portent la retraite. […] La rêverie est à mon sens malsaine aux malsains comme l’air est malsain aux poitrinaires. (Brierre de Boismont, [1845] 1861, cité par Jarry, 1998, p. 695 et par Eigeldinger, 1971, p. 56-59.)

11Cette ambiguïté est portée à son comble par le poète hypersensible, sujet aux rêves, au spleen qui laisse aller l’imagination vers les souvenirs, la nostalgie, le regret ou la difficulté de trouver une place dans la société, laquelle confine la sensibilité à la sphère privée pour prôner l’efficacité. Dans « La Prison », le « prisonnier d’état » (v. 104, GF, p. 134) qui serait le frère jumeau de Louis XIV, selon la légende du Masque de fer, est engagé à prier par le prêtre qui lui rend visite à la Bastille, mais le mourant saisi par le délire crie au contraire « Ces rêves du passé » (v. 210, GF, p. 136) dont les images ravivées font s’ouvrir les murs de la cellule sur l’horizon maritime de l’île Sainte-Marguerite, lors de l’emprisonnement initial en Provence, aux îles de Lérins. C’est une discrète mention de l’imagination poétique et de son pouvoir : les mots créent des rêves puisqu’en les disant, le mourant fait surgir des scènes oniriques qui demeurent toutefois fugaces : « Oh ! Pourquoi fuyez-vous ? » (v. 223, GF, p. 137). Dans le dizain écrit pour l’Institution parisienne des Sourds et Muets2, Vigny valorise pareillement la capacité de rêver au sens de produire : « Vous voyez la nature et pouvez y rêver » (GF, p. 379).

Fragilité des rêves

12Les rêves doivent être habités pour ne pas rester labiles : ils doivent être soutenus par la foi, par l’amour ou par la constance, la force. Éloa, d’abord entourée du cortège angélique des Séraphins et de l’allégorie des « Rêves pieux » (v. 89, GF, p. 69), fait un écart fatal en se laissant aller à des rêves libres :

Éloa s’écartant de ce divin spectacle ;
Loin de leur foule et loin du brillant Tabernacle,
Cherchait quelque nuage où dans l’obscurité
Elle pourrait du moins rêver en liberté.
(v. 163-166, GF, p. 71.)

13Alors, la parole de Lucifer, travaillée par de noirs desseins, trompe et produit « d’heureux mensonges » (v. 432, GF, p. 78). Dans le même recueil, Poèmes antiques et modernes, « Le Trappiste » rappelle que l’absence de foi prive la parole de sa valeur : « Car tout vient du Seigneur, et tout retourne à lui. / Dieu seul est juste, enfants ; sans lui, tout est mensonge, / Sans lui, le mourant dit : “La vertu n’est qu’un songe” » (v. 221-222, GF, p. 164). C’est là la « faiblesse mortelle », la « misère des hommes » dans « le siècle où nous sommes » (v. 213-214, GF, p. 164). Dans « Les Oracles » des Destinées, il est fait allusion, aux vers 15-16, « C’était l’an du Seigneur où les songes livides / Écrivaient sur les murs les trois mots flamboyants » (GF, p. 205), à un épisode biblique (Livre de Daniel, V) : au cours du festin donné par le roi de Babylone, Balthazar, une main mystérieuse trace sur le mur de la salle trois mots (Mané, Thécel, Pharès) que le prophète Daniel est seul à traduire comme le jugement divin divisant le royaume entre Mèdes et Perses et annonçant la mort du roi (ŒC, t. I, p. 1067, n. 5). Transposé dans un poème politique qui critique la monarchie de Juillet, l’image appuie le dédain des poètes par le pouvoir, singulièrement Louis-Philippe (« L’aveugle Pharaon dédaignait les voyants », v. 21, GF, p. 205), alors même que la poésie est la seule à pouvoir donner vie aux rêves, non par magie, mais par la croyance aux pouvoirs de la parole, toujours controversée, menacée : « Le rêve est aussi cher au penseur que tout ce qu’on aime dans le monde réel et plus redoutable que tout ce qu’on y craint », note Vigny dans le Journal d’un Poète, en 1834 (J, p. 1008). Le pouvoir du rêve le rend fragile, telle la poésie, dans le siècle où tout les refuse.

La rêverie, entre imagination et vague de la pensée

14Sans opposer radicalement les sens du rêve, Vigny joue sur la rêverie qui prolonge le rêve, en une nébuleuse créatrice, comme zone indéfinissable, le mystère de l’œuvre, le secret de l’esprit humain. Par nature irrépressible, le rêve peut être maladif comme une échappée :

J’ai souffert souvent de cette tyrannique distraction. L’imagination m’emporte vers des suppositions délicieuses et impossibles et rend ce que je dis plus froid, moins senti, parce que je rêve à ce que je voudrais dire ou à ce que je voudrais m’entendre dire pour être plus heureux. (18 juillet 1844, J, p. 1221.)

15Le poète refuse de se laisser aller au rêve sans production, comme à une sensibilité excessive qui empêche l’action, tout en vivant de rêves apaisants : « Les longues rêveries me consolaient de l’ennui et de l’esclavage de ma vie », écrit-il dans ses Mémoires (Vigny, 1958, p. 69). « La Maison du Berger » désapprouve le progrès qui « Trace autour de la terre un chemin triste et droit » (v. 121, GF, p. 199) et interdit la possibilité de la rêverie, non plus comme une fuite, mais comme productive d’une pensée autre :

Jamais la Rêverie amoureuse et paisible
N’y verra sans horreur son pied blanc attaché ;
Car il faut que ses yeux sur chaque objet visible
Versent un long regard, comme un fleuve épanché ;
Qu’elle interroge tout avec inquiétude,
Et, des secrets divins se faisant une étude,
Marche, s’arrête et marche avec le col penché.
(v. 127-133, GF, p. 199.)

16Ce même poème des Destinées, qui cristallise les représentations actives du rêve et de la rêverie créatrice, fait de la femme aimée bien plus qu’une Muse, au sens d’une inspiratrice ; elle est une véritable incarnation de la Poésie, puissance génitrice : « Éva, j’aimerai tout dans les choses créées, / Je les contemplerai dans ton regard rêveur » (v. 274-275, GF, p. 203). Ce « regard rêveur » est un regard agissant. Dans « Les Oracles », poème qui se rattache directement à « La Maison du Berger » par son incipit (« Ainsi je t’appelais au port et, sur la terre, / Fille de l’Océan, je te montrais mes bois, / J’y roulais la maison errante et solitaire. », v. 1-3, GF, p. 205), est mentionnée la figure de Hamlet, emblème de la mélancolie, du doute au risque de la folie, mais associée à la pensée métaphysique, à la quête ontologique. Omniprésent dans le romantisme, chez Byron, Musset, Delacroix3, le prince du Danemark sert ici à condamner l’allégorie d’idéologies politiques se combattant entre elles (« Les Doctrines croisaient leurs glaives de Chimères / […] Ferraillaient comme Hamlet… », v. 36-39, GF, p. 206) ; le nom du personnage de Shakespeare n’en évoque pas moins l’inquiétude toute romantique du poète, exprimée par un autre poème des Destinées, « La Flûte », sous couvert d’une fable faisant dialoguer deux protagonistes, en un dédoublement de conscience de l’écrivain : « Pour moi qui ne sais rien et vais du doute au rêve » (v. 121, GF, p. 228), avoue l’interlocuteur du Pauvre, autre représentation de l’artiste, ce paria de la société, avec le soldat ; le texte convoque d’ailleurs Byron, écrivain de la sensibilité exacerbée et homme d’action combattant pour la liberté de la Grèce durant la guerre d’indépendance (1821-1829). Ce Doute a une consonance grave, associé au Mal, dans « Le Mont des Oliviers » (v. 87, GF, p. 231), poème de la nuit sans rêve, du ciel le plus « noir », du « sommeil de mort » (v. 13 et 19, GF, p. 229).

17Aller « du doute au rêve » peut être entendu comme un renversement du rêve morbide en nécessité de l’écriture, comme rêve qui se construit et s’élabore : « En poésie, en philosophie et en toute littérature, quand on n’a que le temps de penser et d’écrire, on est perdu. Il faut avoir le temps de rêver », note encore Vigny dans le Journal d’un Poète, en 1832 (J, p. 952), faisant écho au monologue célèbre de Hamlet (acte III, sc. 1 : « Être ou ne pas être… / Mourir, dormir ; dormir, rêver, peut-être… »), reliant la rêverie à une pensée philosophique, en quête de vérité à travers l’idéal de beauté qu’est l’œuvre d’art.

La vérité du rêve

La rêverie, prélude à la poésie

18Dans l’« Ébauche d’une étude sur Alfred de Vigny », Charles Péguy écrit :

Ce qu’il appelait ainsi pensées philosophiques n’étaient point les pensées d’un philosophe, ce n’étaient pas des pensées philosophiques et même, à dire vrai, ce n’étaient pas des pensées, mais plutôt des rêves et des sentiments d’un poète sur ce qui est souvent l’objet de pensées philosophiques. (Péguy, [1897] 1934, p. 301, cité par Eigeldinger, 1965, p. 181.)

19Cette distinction consonne avec l’idée exprimée par Vigny lui-même, le 19 novembre 1837 : « Si l’on voulait calculer de combien de rêveries se compose une idée juste, on en sentirait mieux le prix » (J, p. 1083). Il annonce le Victor Hugo de William Shakespeare : « Songer, c’est penser çà et là » (Hugo, [1864] 2000, p. 174). Loin du rêve labile, la rêverie devient une forme spécifique de pensée par accumulation d’images, un acte intellectuel qui rejoint la sensibilité et résout les contradictions entre « le cœur sauvage » et « l’esprit civilisé », car dans « la rêverie solitaire et prolongée », « c’est alors véritablement que l’on sent en soi-même la présence d’une âme qui s’exerce, selon ses forces, qui jette ses lueurs sur les choses et sur les temps et rayonne en nous comme une étoile intérieure » (Vigny, 1958, p. 69). La rêverie est bien une forme de pensée dynamique, intellectuelle et sensible à la fois, apte à amorcer l’écriture du poème. C’est aussi une forme littéraire, mise à l’honneur par Rousseau ; toutefois, la particularité de Vigny est qu’il ne s’agit en rien de prose poétique, plutôt d’une structure condensée du poème, d’un noyau qui se réalisera en vers.

20Dans cet esprit, un plan de travail du 4 mai 1856 où se cherche l’organisation des Destinées, présente chaque Poème suivi d’une « Rêverie » qui en résume les thèmes majeurs (« Schéma d’organisation de 1847 à 1863 » [C3] dans ŒC, t. I, p. 281-282). À l’origine, dans les années 1840, le recueil se composait de lettres en vers, avec un « point de départ » en prose et un « épilogue » en prose également (« Schéma d’organisation entre 1840 et 1844 » [B], dans ŒC, t. I, p. 273-280 et extrait GF, p. 389-391). Dans ces premières ébauches du recueil, Vigny s’inspire non pas de La Divine Comédie qui lui soufflera la rime tierce (« terza rima ») des « Destinées », mais de La Vita nuova de Dante, en prosimètre (alternance de prose et de vers), qui présente une explication en prose (souvent autobiographique) de poèmes en vers (pour beaucoup, des sonnets).

21Dans Les Destinées, « La Flûte » associe le rêve et le chant, d’abord en des « chansons désolées », puis s’achève par un chant d’espoir, le Salve Regina. Le texte donne à voir une figure ironique de poète ou de musicien :

Un jour je vis s’asseoir au pied de ce grand arbre
Un Pauvre qui posa sur ce vieux banc de marbre
Son sac et son chapeau, s’empressa d’achever
Un morceau de pain noir, puis se mit à rêver.
Il paraissait chercher dans les longues allées
Quelqu’un pour écouter ses chansons désolées ;
[…]. (v. 1-6, GF, p. 225.)

22Il ne s’agit pas ici de rêver pour fuir hors du réel, mais de rêver au sens de recomposer une vérité humaine. Dans l’avant-propos de Cinq-Mars, daté de 1827, intitulé « Réflexions sur la vérité dans l’art », Vigny fait la distinction entre la vérité et le vrai : ce n’est pas « le vrai visible » que montre l’œuvre, « c’est mieux que lui ; c’est un ensemble idéal de ses principales formes, une teinte lumineuse qui comprend ses plus vives couleurs, un baume enivrant de ses parfums les plus purs, un élixir délicieux de ses sucs les meilleurs, une harmonie parfaite de ses sons les plus mélodieux ; enfin une somme complète de toutes ses valeurs ». (ŒC, t. II, p. 7.) L’idée n’est pas sans consonner avec la pensée de Hugo, dans la célèbre préface de Cromwell la même année 1827 : le drame comme « miroir de concentration » où « Tout ce qui existe dans le monde, dans l’histoire, dans la vie, dans l’homme, tout doit et peut s’y réfléchir, mais sous la baguette magique de l’art » (Hugo, [1827] 1968, p. 90). Dans l’Avant-propos de Cinq Mars, Vigny ajoute « À quoi bon les arts s’ils n’étaient que le redoublement et la contre-épreuve de l’existence ? » (ŒC, t. II, p. 8.) L’art n’est pas « La contre-épreuve de l’existence », le rêve de l’artiste n’est pas un songe brillant mais trompeur ; c’est un rêve construit, synthétique, d’une tout autre nature.

Tableaux de rêve

23La question du rêve rejoint la question de l’imagination par le détour de la peinture, pour montrer la plasticité du poème rêvé, qui déroule des tableaux comme le rêve nocturne fait surgir des images ; la comparaison picturale redouble la valeur dynamique de la rêverie créatrice. Dans le Journal d’un Poète, le travail de l’écrivain est souvent évoqué en termes picturaux avec nombre de références aux peintres : Raphaël, Watteau, Ingres, Delacroix, Decamps. Vigny a reçu des leçons de dessins de Girodet, il a peint notamment des aquarelles. Le poème d’hommage « Aux Mânes de Girodet » évoque la « triple lyre » (peinture, musique, poésie), « instrument inconnu » en un rêve romantique d’art total (« La Beauté idéale », v. 63, GF, p. 328). On trouve plusieurs exemples de ces tableaux développés par hypotyposes : dans « La Maison du Berger », la nuit qui tombe fait éclore des images et surgir l’adjectif « rêveur » dans ce contexte : « Le crépuscule ami s’endort dans la vallée, / Sur l’herbe d’émeraude et sur l’or du gazon / […] Et sous le bois rêveur qui tremble à l’horizon, / […] / Et des fleurs de la nuit entr’ouvre la prison » (v. 36-42, GF, p. 197). Ce sont aussi les bijoux de « Wanda » qui donnent lieu à de riches notations synthétiques, dans un recueil où perle et diamant sont des métaphores de la Poésie absolue : « diamants en feu », « rubis », « saphirs », tous « talismans sacrés » (v. 10, 12, 15, GF, p. 241) de la princesse Troubetskaïa exilée, laissés à sa sœur Wanda, « grande dame russe » rencontrée lors d’un bal parisien. Dans « La Maison du Berger », par-delà la description initiale du décor naturel, le rêve compose des images hallucinées en un magnifique déploiement de paysages féeriques que l’emploi du futur de l’indicatif rend réels :

Je verrai, si tu veux, les pays de la neige,
Ceux où l’astre amoureux dévore et resplendit,
Ceux que heurtent les vents, ceux que la mer assiège,
Ceux où le pôle obscur sous sa glace est maudit.
(v. 57-60, GF, p. 197.)

24La vision amplifiée par le poème emblématise la valeur performative du langage poétique ; cela est explicite à la fin avec la rêverie commune aux amants que sont la Poésie et le Poète, qui rappelle que le texte a été un temps envisagé comme prologue au recueil des Destinées :

Mais toi, ne veux-tu pas, voyageuse indolente,
Rêver sur mon épaule, en y posant ton front ?
Viens du paisible seuil de la maison roulante
Voir ceux qui sont passés et ceux qui passeront.
Tous les tableaux humains qu’un Esprit pur m’apporte
S’animeront pour toi, quand, devant notre porte,
Les grands pays muets longuement s’étendront.

Nous marcherons ainsi, ne laissant que notre ombre
Sur cette terre ingrate où les morts ont passé ;
Nous nous parlerons d’eux à l’heure où tout est sombre,
Où tu te plais à suivre un chemin effacé,
À rêver, appuyée aux branches incertaines,
Pleurant, comme Diane au bord de ses fontaines,
Ton amour taciturne et toujours menacé.
(v. 323-336, GF, p. 204 [nous soulignons].)

25Dans la version initiale du poème, son canevas, Vigny écrivait en prose : « La terre n’est qu’une décoration de théâtre et un panorama. J’en ferai le tour avec toi mon amie, si tu le veux, mais nous irons où tu voudras, au nord et au Midi. Le paysage ne sera jamais que le fond d’un tableau qui sera ta figure ; tu es l’âme du monde et il n’est que le tapis où se posent tes pieds » (ŒC, t. I, p. 288-89). Et la « Réponse d’Éva », envisagée en août 1843, reprend la métaphore picturale : « J’ai compris nos destins par ces ombres mobiles / Qui se peignaient en noir sur de vives couleurs. / Ces feux, de ta Pensée étaient les lueurs Pures, / Ces ombres, du Passé, les magiques figures » (GF, p. 392 ; ŒC, t. I, p. 278).

26Tel un envers de cette féerie poétique, la magie de « Paris », dans Poèmes antiques et modernes, confine à l’hallucination et à la « vision » de l’apocalypse moderne d’une manière extrêmement construite et réfléchie, même si la dimension prophétique se donne comme interrogation sur le réel plus que certitude. Dans « L’Esprit pur », poème de clôture des Destinées, poème testamentaire, le poète se représente idéalement tel le peintre qu’il a voulu être : « Et toujours, d’âge en âge encor, je vois la France / Contempler mes tableaux et leur jeter des fleurs » (v. 62-63, GF, p. 251).

Une poétique de la rêverie

27Une réflexion du Journal d’un Poète, le 18 juillet 1844, montre l’existence exaltée par le rêve, en une formulation qui résonne comme une poétique : « Dans le moment même de l’action et de la parole, je suis ailleurs, je pense à autre chose ; ce qui se rêve est tout pour moi. / Là est le monde meilleur que j’attends, que j’implore de moment en moment » (J, p. 1221). Cette poésie de l’élévation que Jean-Pierre Richard assimile à l’idée de la verticalité, liée au jaillissement, est une sorte de rêve éveillé : « Le sentiment de la solitude, du silence, du rêve éveillé dans la nuit est la poésie même pour moi, et la révélation de l’existence angélique future de l’homme. Je n’eus jamais ce sentiment plus complet que lorsque je fis Éloa », note Vigny le 24 août 1832 (J, p. 962). Cet élan vers les hauteurs explique « l’une des caractéristiques essentielles de la création vignyenne : son inégalité, ses différences si sensibles de réussite ou de tension », « l’activité d’une pensée […] qui ne peut exister ici que discontinûment » (Richard, [1970] 1999, p. 172). Les poèmes sont comme les « fleurs de la nuit » écloses (« La Maison du Berger », v. 42, GF, p. 197). Les Poèmes antiques et modernes sont circonscrits par la vue panoramique de « Moïse » depuis le mont Nébo et par celle du Voyageur depuis les hauteurs de « Paris » ; dans Les Destinées, cette élévation n’est plus une forme poétique ni un motif spatial, mais une idée générale. Le rêve devenu rêverie constitue une forme de pensée spécifique, à la fois abstraite, intellectuelle et imagée, proprement poétique, d’un autre ordre, supérieur.

28Dans La Poétique de la rêverie, selon une dynamique propre de la création, Bachelard oppose au rêve masculin, le principe féminin de la rêverie ; représentant la psychè divisée en animus et anima, le philosophe défend l’idée que l’anima fait de l’homme un « rêveur de mots ». (Bachelard, [1960] 1968, p. 37 sq.). Cette vision paraît convaincante pour un poète tel que Vigny : à la différence de ses contemporains romantiques, il refuse de s’abandonner au rêve labile : pas de torrent d’images, pas d’accès lumineux au noir de la nuit, mais au contraire recomposition intellectuelle ; la poésie cristallise des motifs de dureté, de froideur, telle la perle et tel le diamant, supérieurs aux étoiles même ; c’est toutefois au prix d’efforts et de retombées, offrant une poétique de la rêverie déchirée, une lutte intérieure contre la pente maladive à la mélancolie rêveuse, comme l’a montré Aurélie Foglia, dans son article « Vigny, Cœur brûlé » (voir Foglia, 2017).

29Le rêve constitue ainsi un motif romantique qui est loin d’être inexistant sous la plume de Vigny. Malgré la parcimonie de sa présence, les poèmes des deux grands recueils font entendre la distinction entre le rêve comme abandon aux divagations immaîtrisables et la rêverie construite de l’œuvre d’art, non sans difficultés, doutes et contradictions, tensions du moins, entre le plaisir du rêve et la crainte du rêve, dualité qui n’est pas sans rappeler Baudelaire lequel renverse l’illusion du rêve en spécificité poétique en affirmant dans Hygiène : « Il faut vouloir rêver et savoir rêver », en vue d’un « art magique » (Baudelaire, [1862 ? ; †1887] 1975, p. 672, et 2024, p. 377). Dans ce qui semble une note pour un projet littéraire, en 1851, « Mémoire d’un rêveur », Vigny exprime son hypersensibilité au songe :

Une rêverie perpétuelle, que l’action et la parole dérangent, voilà quelle a été ma vie et quelle elle doit être jusqu’à mon dernier jour. C’est le rêve qui est ma vie réelle, et la vie en est la distraction. Tandis que cela est ainsi, on croit que je suis arraché de la conversation par la rêverie, tandis que cette rêverie étant la naturelle habitation de mon âme, c’est au contraire la conversation et ses actions qui m’en arrachent péniblement en me causant beaucoup de douleur. (J, p. 1285.)

30Se dire toujours rêveur, n’est-ce pas une façon de se dire toujours poète ? Vigny a vécu par et pour la poésie, en dépit d’autres occupations, militaires ou mondaines… Évoquant l’enthousiasme poétique, « La Maison du Berger » exprime l’idée que « la vie est double dans les flammes » (v. 143, GF, p. 199), à la fois remède à l’existence morne et poison insatiable. D’où ces oscillations du pessimisme et de l’optimisme : tantôt « L’invisible est réel » (v. 220, GF, p. 201), tantôt il est inventé par l’homme pour sa consolation : « La race humaine se refroidit en ce qui touche le surnaturel. Elle a fini par comprendre que sa Pensée est la créatrice des mondes invisibles », note le Journal d’un Poète, en février 1861 (J, p. 1361). Le rêve dit ces apories : elles font l’humanité d’un écrivain réputé hautain, trop lucide pour être sensible aux charmes du songe, qui a rêvé la Poésie comme élévation de l’âme — ou lieu tantôt sublime, tantôt utopique de cette grâce.