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Nouvelle parution
La Lecture littéraire n°10 : Théorie littéraire et culturalisme

La Lecture littéraire n°10 : Théorie littéraire et culturalisme

Publié le par Marc Escola (Source : Alain Trouvé)

La Lecture littéraire n°10 : Théorie littéraire et culturalisme

Reims : Presses universitaires de Reims, 2009.

Sommaire

Avant-propos

1/ Vincent JOUVE – Sébastien HUBIER (Université de Reims) : « Questions aux études culturelles »

2/ Antonio DOMINGUEZ (Université de Montréal) : « La lecture littéraire, enjeu du comparatisme culturaliste »

3/ Efraim KRISTAL (Université de Los Angeles) : « L'art, la littérature et la modernité liquide : Richard Wollheim, Zygmunt Bauman et Yves Michaud »

4/ Sébastien HUBIER (Université de Reims) : « Pour une anthropologie culturelle de la croyance littéraire »

5/ Florian PENNANECH (Université Paris IV) : « La narratologie féministe : des méthodes et de leurs enjeux »

6/ Catherine ROVERA (Université Paris-Dauphine) : « Music-hall et modernisme »

7/ Simona ROSSI (Université de Bologne) : « Cuisine et littérature : invitation au mariage ou au divorce ? »

8/ Etienne BEAULIEU (Université du Manitoba) : « Médiations culturelles et prose des cultures selon Rousseau »

9/ Odile GANNIER (Université de Nice) : « Lectures plurielles de L'Autre Face de la mer de Louis-Philippe Dalembert et The Farming of Bones d'Edwidge Danticat »

10/ Vanessa BESAND (Université de Bourgogne) : « Bienfaits et dérives de la culture populaire dans Vente à la criée du lot 49 de Thomas Pynchon »

11/ Johana PORCU-ADAMS (Université de Manchester) : « Anthropologie littéraire : De l'ultra-violence dans la tragédie post-renaissante »

12/ Frank GREINER (Université de Lille) : « Littérature, culture et fonctions : l'exemple du roman sentimental dans la France de l'âge baroque »

Notes de lecture

Avant-propos :

Longtemps ignorées ou contestées en France, les Etudes culturelles nées dans le monde anglo-saxon des années 1970 font à présent l'objet d'un intérêt croissant. Colloques, cycles de formation fleurissent ici et là, à Dijon, Montpellier, Paris VII. Pour autant, des questions demeurent, posées par la théorie littéraire aux études culturelles et par ces dernières aux humanités héritées de la tradition. La Lecture littéraire ouvre à son tour le débat. La littérature est-elle un objet culturel parmi d'autres ? L'approche culturaliste signifie-t-elle le nivellement de toutes les productions artistiques ?

Vincent Jouve, théoricien de la littérature, observateur intéressé et critique, dialogue avec Sébastien Hubier, comparatiste qui oeuvre depuis quelques années au renouvellement de sa discipline par l'assimilation de la dynamique des cultsuds. « Tous les objets dits culturels « permettent-ils [également] de développer le sens critique et le jugement ? » Les études culturelles, rétives à l'idée d'évaluation et de hiérarchie, préfèrent se demander « pourquoi on pense ce qu'on pense, et comment les productions culturelles, quelles qu'elles soient, réfractent et bouleversent nos systèmes de représentations et de croyance ».

Etienne Beaulieu remonte à un « premier moment du processus d'émergence de la notion » de culture qu'il situe à l'époque des Lumières et étudie à l'aube du romantisme chez Jean-Jacques Rousseau. La question se joue aussi dans la langue. Opposant la nature à la culture, Rousseau invente une prose poétique neutre pour dire le rêve d'un homme dégagé des médiations socio-culturelles. Paradoxalement, cette « neutralisation de la prose permet la fragmentation de la culture unitaire et dominante en une pluralité de cultures », préparant le terrain au culturalisme contemporain.

Chez Thomas Pynchon, romancier postmoderne américain, Vanessa Besand étudie l'assimilation par l'écriture romanesque des grands motifs de la culture populaire de masse. Mais Pynchon subvertit ces motifs et notamment la forme du roman policier, ce qu'on peut lire comme la critique implicite de la schématisation inhérente à certaines formes de sous-culture. L'idée d'un égal intérêt de tous les objets culturels est ainsi démarquée.

Antonio Dominguez Leiva soumet le modèle ternaire des instances lectrices (liseur, lectant, lu) à la perspective historique apportée par les études culturelles. Le vaste panorama des façons de lire, des Grecs à nos jours, semble confirmer la validité de ces instances, catégories récentes et en un sens transhistoriques, auxquelles peuvent se rattacher les diverses pratiques d'abord recensées. Mais la vision culturaliste invite à les décliner en formes diversifiées, au point, peut-être, de mettre en question leur unité. C'est notamment le cas du lu, trop inféodé aux yeux de l'auteur à une théorie freudienne datée.

L'analyse de deux romans haïtiens amène Odile Gannier, pour qui les études culturelles sont une variante de la sociocritique « dans un contexte comparatiste », à montrer l'intérêt et les limites d'une connaissance du contexte et de la culture créoles. La lecture de L'Autre Face de la mer et de The Farming of Bones requiert aussi « une approche esthétique et […] une réflexion sur leurs réussites ».

Frank Greiner confronte le corpus des romans sentimentaux de l'âge baroque à la notion de fonction inhérente à l'idée de culture telle qu'elle se forge dans les sciences sociales anglo-américaines au début du XXe siècle. Approches littéraire et culturelle sont appelées à se vivifier réciproquement, car la fiction est « le lieu où la culture s'allège du poids de la réalité, pour mieux se réinventer, se renouveler, s'adapter ».

De façon similaire mais dans une perspective élargie remontant aux origines du néolithique, Sébastien Hubier esquisse les contours d'une anthropologie culturelle englobant la croyance littéraire. Des rituels primitifs aux fictions postmodernes en passant par les mythes, il invite à suivre les mutations d'une disposition fondamentale à la fiction dont il souligne la permanence. Vue sous cet angle, « la littérature n'est qu'une expression culturelle parmi quantité d'autres ». La fiction dérivant d'un modèle adaptatif commun s'attache toutefois à son tour à modéliser les comportements humains.

Efrain Kristal, pour sa part, centre son propos sur les réflexions croisées de trois penseurs postmodernes à propos de l'art : Wollheim, Bauman et Michaud. De moins en moins saisissable en dépit des efforts d'un Wollheim pour la rattacher à la notion d'expressivité, la notion d'art tend à se dissoudre à l'ère de la « modernité liquide » qui coïncide avec l'essor des pensées de la déconstruction et des études culturelles.

Selon la narratologie féministe qu'étudie Florian Pennanech, « l'idée d'une science générale des formes s'efface au profit d'une caractérisation d'entreprises singulières » ; l'herméneutique que sous-tend une conception analogique prend le pas dans la nouvelle narratologie sur une approche essentiellement descriptive, soupçonnée dans le modèle classique genettien de refouler son orientation masculine dominante. La narratologie féministe, à travers ses différentes nuances et les polémiques qu'elle suscite, illustre les tensions régnant entre culturalisme et théorie littéraire. La résistance de l'Université française à la pénétration du culturalisme s'explique peut-être par « la méfiance [qui prévaut en son sein] vis-à-vis de l'herméneutique ».

Que l'approche culturaliste réintroduise en force l'interprétation par le biais de l'analogie entre structure sociale et superstructure trouve encore une illustration dans l'article de Johana Porcu-Adams. L'étude de l'« ultra-violence dans la tragédie post renaissante » met en effet « en corrélation la violence réelle dans la communauté [consécutive aux guerres de religion] et l'exaspération de la violence réflexive dramatisée ».

Simona Rossi offre un autre aperçu de ce que peuvent produire les études culturelles en s'intéressant aux significations de la nourriture dans le roman québécois des origines à nos jours. Elle invite au « mariage heureux entre la cuisine et la littérature, mariage à construire par des approches naturellement pluridisciplinaires, touchant aussi bien l'esthétique que le contenu, l'histoire, la sociologie et la psychologie ».

Catherine Rovera, enfin, revient sur les rapports entre culture populaire et écriture d'avant-garde en montrant l'attention prêtée par les auteurs du modernisme anglais (Joyce, Mansfield, Eliot) au music-hall. Les études culturelles, ici prises au sens « d'histoire de la culture » permettent de mettre au jour la « littérarité » de leur écriture, « assemblage d'éléments hétérogènes qui met sur un pied d'égalité les références à Homère, Dante ou Shakespeare et d'autres références issues d'un corpus culturel démotique ».

A.T.

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On trouvera dans l'atelier de théorie littéraire de Fabula la bibliographie de l'article de F. Pennanech "La narratologie féministe : des méthodes et de leurs enjeux" qui ne figure pas dans ce volume .