"La nuit tomba. L’artillerie ouvrit le feu. De longues lueurs éventrèrent l’obscurité à l’ouest. Les troncs des chênes sortirent des ténèbres comme si toute l’immense
forêt avait fait soudain un pas en avant puis s’était arrêtée, éclairée par une lumière blanche tremblante."
22 juin 1941, les forces nazies envahissent l’Union soviétique. Staline refuse de croire les avertissements de ses services de renseignements et ses troupes, surprises et mal préparées, subissent des pertes catastrophiques. Vassili Grossman, correspondant de l’Étoile rouge, le journal officiel de l’Armée rouge, a passé les années de guerre à sillonner le front où il fut un témoin privilégié de la barbarie.
Dans Le peuple est immortel, il nous plonge au coeur de l’action, parmi les rangs d’un bataillon encerclé par les Allemands en Biélorussie. Sous sa plume éclatante, soldats et paysans, héros et bourreaux s’animent, offrant ainsi un portrait saisissant de la vie sous l’occupation allemande et de l’esprit de résistance de ses compatriotes.
Publié une première fois en français dans une version censurée en 1946, ce roman à la portée subversive sous-estimée retrouve, dans cette nouvelle traduction, sa juste place dans l’oeuvre de Vassili Grossman.
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On peut lire sur en-attendant-nadeau.fr un article de Yaël Pachet sur cette nouvelle traduction :
"L’œuvre de Vassili Grossman est un cheminement qui va d’une Iliade à une Odyssée, d’une épopée collective au retour à soi, de la guerre à l’aventure personnelle, de la camaraderie militaire à la solitude. L’Odyssée de Vassili Grossman était déjà dans Vie et Destin mélangée à son Iliade. Elle s’achève, en toute souveraineté, dans son dernier ouvrage, ce très beau roman qu’est Tout passe (Calmann-Lévy, 2023). On y voit le personnage principal, Ivan Grigoriévitch, retourner à sa terre natale, seul, rencontrant les âmes défuntes d’un monde qui n’est plus, happé par l’origine du monde qui pour lui est « une ville du littoral de la mer Noire où se trouvait, au pied d’une montagne verte, la maison de son père ». Mais ici nous signalons la parution du premier acte romanesque de Vassili Grossman, Le peuple est immortel.
Été 1941, l’armée allemande envahit l’Union soviétique. En Biélorussie, un bataillon russe résiste à l’offensive mais se retrouve bien vite encerclé par des soldats allemands. Cette action courte, intense, est une première mise en fiction des observations que Vassili Grossman, journaliste de guerre sur le terrain, rassemble dans ses carnets de guerre ainsi que dans les articles qu’il écrit pour le journal de l’Armée rouge, Krasnaïa Zvevda (L’Étoile rouge). Grâce au travail remarquable de Robert Hugh Chandler qui s’est chargé de désincarcérer le roman de la censure en lui restituant ses parties tronquées (ses notes de bas de page sont traduites par Leslie Talaga), on avance avec une conscience exacte des biais idéologiques qui entravent l’auteur mais jouent peut-être parfois comme une contrainte stimulante. Dans ce roman, l’héroïsation est un processus constant, la vie juive est à peine évoquée, mais on y trouvera quelques éléments essentiels de l’œuvre de Vassili Grossman en particulier la mère, celle que l’on a laissée derrière soi, avec une grande culpabilité (c’est l’histoire réelle de l’auteur) et qui meurt, ici, sans préciser qu’elle meurt d’être Juive." — Yael Pachet