
Traduit du grec ancien par Emmanuel Lascoux
En avril 2021, Emmanuel Lascoux publiait sa « nouvelle version » de L’Odyssée d’Homère (P.O.L) qui créa la surprise. Il récidive aujourd’hui avec L’Iliade, dans une nouvelle traduction du texte grec d’Homère, à partir de son travail original sur le grec ancien qu’il rythme, chante et crie depuis plusieurs années. Cette épopée se déroule pendant la guerre de Troie entre les Achéens venus de toute la Grèce et les Troyens et leurs alliés, chaque camp étant soutenu par de multiples divinités comme Athéna, Poséidon ou Apollon. La « version » de Lascoux bouleverse également notre réception de cette épopée fondatrice. « Passez votre chemin, si vous cherchez la justice, écrit Lascoux dans une prodigieuse préface rédigée comme une dramaturgie sonore du texte homérique. Ici, tout est motif à protester, à sortir de ses gonds : la vie est doublement injuste pour les hommes, à commencer par sa fin, et à remonter toutes les frustrations qui la précèdent, et simplement injuste pour les dieux, si l’on en croit leurs sempiternelles protestations, et le rappel des mauvais moments de leur éternité. Le même Apollon, là, qui punit maintenant les Achéens, qui avantage les Troyens, rappelez-vous tout ce qu’il a souffert pour les bâtir, les murs de Troie, esclave de Laomédon, le père de Priam, avec l’autre grand coléreux, Poséidon, le dieu qui secoue terre et mer de ne pas avaler la manière dont Zeus et Hadès, ses deux frères, ont fait le partage au grand Yalta de la Seconde Guerre Cosmique. »
Cette « version française » de la célèbre épopée homérique réalise l’union paradoxale du plus grand respect du texte, et de la plus grande liberté de jeu, restituant en français contemporain le « phrasé » de la langue polyphonique de l’aède. Sans jamais oublier que dans l’antiquité grecque, dès l’épopée, « la musique réglait tout, jusqu’à la politique » (Lascoux), et l’aède était « le premier polyphoniste, l’homme-orchestre ». Comme Emmanuel Lascoux aujourd’hui.
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On peut lire sur en-attendant-nadeau.fr un article sur cette traduction :
"Quatre ans après l’Odyssée, Emmanuel Lascoux propose une traduction de l’Iliade qui s’ajoute à une longue série. Elle se révèle novatrice et réjouissante pour qui se croit familier de la poésie homérique. Lascoux n’en est pas à son coup d’essai, loin s’en faut, lui dont la traduction de l’Odyssée n’avait pas manqué de susciter joies et grincements de dents. Plus que toute autre traduction, celle de Lascoux est un objet autonome qui surprend. Il semble difficile de juger de ce travail comme d’autres traductions — nulle intention pour autant de proposer une traduction de référence (on pourra pour cela se rabattre sur celle, très belle aussi, de Jean-Louis Backès).
L’Iliade de Lascoux s’apprécie à haute voix. Le traducteur crée les conditions d’une adresse, entre lui et le lecteur, entre lui, Homère et la Muse, bref, un espace s’ouvre où peut se déployer la poésie. Ainsi le premier vers : « Déesse, chante la colère, tu sais, la colère du fils de Pélée, oui, d’Achille, ah ! La colère exécrable : tous les Achéens accablés sous des douleurs incalculables, toutes ces âmes, de tous ces braves qu’elle balance dans l’Hadès, ces héros, et eux tous, oh, qu’elle jette aux chiens, oui, aux oiseaux, tu parles d’un repas, c’est Zeus, voilà comment il a voulu que ça finisse ». On notera de belles trouvailles pour rendre une sonorité du vers, tout en clin d’œil au grec, par exemple au chant 1, vers 45, les flèches d’Apollon sonnent, eklangsan en grec, ainsi rendu : « regardez, il a son arc à l’épaule, oui, et son carquois, bien bouché aux deux bouts. Clang ! Vous entendez, clang ! Cogner ses flèches à l’intérieur ».
La langue de Lascoux est parfois difficile à aborder : les multiples fioritures, interjections et marqueurs d’oralité du traducteur allongent les phrases et peuvent parasiter une langue qui chez Homère sait être concise, en tout cas sur le plan syntaxique. Peut-être lit-on ici bien davantage Lascoux lui-même qu’Homère. Le principal geste du traducteur tend à restituer au texte une tournure orale au prix de torsions du texte grec. Ce choix détonne d’autant plus que la traduction de Lascoux vient après des siècles de traductions emphatiques et scolaires (quoique cela soit moins vrai ces dernières décennies). On pourrait reprocher à Lascoux de tordre le bâton dans l’autre sens.
Que garder, alors, de cette Iliade ? Lascoux propose ici une lecture-événement, qui vaut pour ce qu’elle nous fait éprouver au moment de la lecture bien plus que pour un accès. En cela, il est le plus fidèle à Homère, en se faisant lui-même aède. Prenez alors cette traduction et laissez la Muse tisser son récit une nouvelle fois… en attendant son prochain traducteur." — Valentin Hiegel