
Ouvrage publié avec le concours de la Fondation La Poste.
Ces lettres échangées durant l’été 1993, racontent l’histoire d’une amitié courant vers sa fin – non sans être traversée, malgré tout, « d’éclairs de chaleurs », de traits d’humour, d’admirations partagées.
Elles sont aussi une plongée dans l’atmosphère romantique du Winterreise de Franz Schubert, dans les pas de deux amis, fins mélomanes, qui, s’ils ne parlent pas toujours directement de musique, n’en font pas moins sentir l’essence de ce chant singulièrement moderne, chant de la solitude et de l’errance inexorables.
Un récit inédit de Gérard Titus-Carmel, en introduction, rend un hommage posthume, émouvant, à son ami Christian Gailly.
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Ces lettres redonnent vie à l’amitié qui lia les écrivains Gérard Titus-Carmel et Christian Gailly, lui redonnent vie jusque dans ses errances, ses déceptions, ses « blancs », sous le signe de l’envoûtant Winterreise, de Franz Schubert. Musique d’hiver, dont l’écoute s’étire cependant en plein été, l’été 1993, qui voit la complicité des deux amis se défaire… Le temps, depuis, a passé. L’un, Christian Gailly, est mort en 2013, sans que les deux amis se soient jamais revus. L’autre, Gérard Titus-Carmel, garde cependant en mémoire des fragments, des petites choses, des rites communs, survivances des jours en allés : « Nos chaises longues étaient placées côte à côte, bien parallèles, avec une petite table en osier entre les deux où nous attendaient les cigarettes et le porto. (...) Derrière nous, les fenêtres du grand salon étaient largement ouvertes, je mettais le lecteur de CD en marche, bien réglé à la bonne puissance, juste ce qu’il faut, et la musique nous prenait à chaque fois à la nuque. C’était comme si, prisonnière, elle s’échappait du gouffre d’ombre de la maison où elle était retenue et nous enveloppait soudain de sa fumée, comme une amie. »
Les deux amis, dans leurs échanges épistolaires, se débattent, tantôt désabusés, tantôt enjoués, avec ce qu’ils ne parviennent pas à se dire, avec « cette douleur maligne qui rongea de l’intérieur une longue amitié », comme le formulera plus tard Gérard Titus-Carmel. L’été se teinte alors d’une amertume hivernale. Un soir de juillet, après avoir passé l’après-midi à écouter un disque de Franz Schubert, sorti pour « fumailler quelque peu sur la terrasse avant que ne tombe la nuit », mais aussi pour prendre le temps d’écrire à son ami, Gérard Titus-Carmel note ceci, qui semble prendre un sens allégorique : « Il commence à faire plutôt froid sur la terrasse, maintenant ; ce n’est pas l’hiver, mais c’est tout comme. Je rentre. »
Au fond, nombreuses sont les notations, dans ces lettres, qui prennent un sens allégorique. Comme le dit Christian Gailly, « ce n’est qu’en parlant d’autre chose qu’on dit ce qui importe vraiment ». Entre les deux écrivains se noue peu à peu une forme de communication déroutante, qui consiste à dire sans cesse autre chose que ce qu’on veut dire. Cela est peut-être la seule manière de conjurer l’impossibilité fondamentale d’échapper à sa solitude, d’entrevoir des lueurs dans la nuit noire. « Que dire, que faire, alors, sauf espérer que crève parfois la bulle, et qu’à l’occasion de trop rares intuitions, moments privilégiés ou éclairs de chaleur, nous ayons le temps d’apercevoir, par ce trou d’épingle perçant l’opacité de notre nuit, une lumière désespérément fugace, brillant d’un éclat aveuglant ? »
Au long de cette correspondance, on ne s’ennuiera pas ; on croisera Christian Gailly à Pignan « tapant à la machine dans cette position acrobatique qui consiste à poser la machine sur un tabouret de piano », allongé sur un canapé convertible « tout en comptant les trains » qui passent dans la nuit, Gérard Titus-Carmel aux prises avec les « joies de l’imprimerie » pour façonner son livre Vagho dans l’atelier d’Éric Linard à Strasbourg… Bribes de vie quotidienne qui parsèment leurs échanges, et font résonner deux voix singulières, éloignées d’une vérité qu’elles ne parviennent pas à formuler, et pourtant, étrangement, dans le vrai. « Qu’est-ce qui fait que la voix semble dire plus vrai que toute tentative d’énoncer une quelconque vérité ? »
Finalement, l’échange de lettres s’interrompt, « un blanc commence ». L’été touche à sa fin, et l’amitié des deux écrivains, suggère rétrospectivement Gérard Titus-Carmel, est comme « étouffée par la neige de tous les hivers du monde ». Les dernières lettres, amères, désabusées, touchantes néanmoins, assènent le coup de grâce… Mais peut-être faut-il entendre le mot de grâce, comme l’écrivait Christian Gailly, aussi « au sens de ce qui sauve ».
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Florilettres, le magazine de la Fondation de la Poste, a consacré une livraison à ce volume…