
Louis Abel Beffroy de Reigny, Voyages du Cousin Jacques dans la Lune et les planètes (1786-1789) (éd. Denis Reynaud)
Louis Abel Beffroy de Reigny
Voyages du Cousin Jacques dans la Lune et les planètes (1786-1789)
Edition scientifique de Denis Reynaud
Paris, Classiques Ganrier, Lire le dix-huitième siècle, 2023
Entre 1786 et 1789, Louis Abel Beffroy de Reigny entraîne les abonnés des Lunes du Cousin Jacques et du Courrier des Planètes dans un voyage sidéral et philosophique. Les 34 épisodes de ce feuilleton interplanétaire sont ici réunis pour la première fois.
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Extrait :
Quand j’eus annoncé à ma flotte les intentions du prince, ce fut un cri général pour fuir ce vilain pays, et pour retourner sur la Terre, s’il était possible, ou bien pour chercher sur le globe où nous étions quelque autre empire plus analogue à nos mœurs et à nos goûts. [...] Je présentai ma compagnie au roi et à toute la cour ; on l’accueillit très bien, mais je voyais tous les seigneurs et toutes les dames détourner le visage pour rire de nos petites bouches et de nos nez sans bourgeons ; choses qui leur paraissaient d’un extrême ridicule : j'entendais même dire tout bas : kan kan kan kan kan…
On s’aperçoit plus tôt à la cour que partout ailleurs dans ce royaume de la grandeur des bouches, parce que, l’ennui environnant les grands, ils sont sujets à bâiller bien plus souvent que le peuple. Il y a des moments où tout le monde bâille en même temps ; par exemple quand le souverain s’endort au milieu des compliments et des flatteries, ou qu’il s’assoupit au sein des dégoûts de l’étiquette ; et alors, on croirait qu’ils vont tous s’avaler les uns les autres ; on pourrait dans chaque bouche enfourner un pain tout entier ; un étranger qui entrerait dans un pareil moment serait effrayé et tenté de s’enfuir. Ce n’est point une impolitesse de bâiller devant le roi, parce que la grandeur des bouches étant la mesure de la beauté la plus essentielle chez ce peuple, plus on bâille, plus on est estimé, plus on fait sa cour.