Écrit en 1982, Dracula dans les Carpates est le dernier roman deVirgil Gheorghiu. Inédit en français, le manuscrit en a été retrouvé quinze ans après sa mort. Renouant avec la veine de ses
grandes œuvres (La 25e heure, La Seconde Chance, Les Sacrifiés du Danube, La Cravache, etc.), Gheorghiu confronte la Roumanie de son enfance, une Roumanie à la fois traditionnelle et éternelle de petites gens, paysans pour la plupart, avec la violence de l’Histoire incarnée par le dernier envahisseur, l’empire soviétique. Avec un sens aigu de l’absurde kafkaïen de ce nouveau maître, Gheorghiu revient sur cette date fatidique de l’invasion russe qui fait suite à tant d’autres invasions depuis 2000 ans.
Sans pour autant donner quitus aux empires concurrents, le britannique notamment, incarné par cet Irlandais, Baldwin Brendan, diplômé en vampirologie, venu dans les Carpates rechercher les traces de Dracula, Gheorghiu démonte, dans ce roman haletant et grinçant, la mécanique du totalitarisme avec sa bêtise mauvaise qu’appliquent subalternes et exécutants zélés, face aux valeurs ancestrales d’un peuple tétanisé, attaché à ses traditions, et face aux brigands, aux hors-la-loi, les haïdouksgardiens du sens, qui résistent ouvertement depuis leurs refuges montagnards. L’arbitraire règne, la rationalité n’a plus cours, la guerre des logiques contradictoires fait rage dans un climat de cocasserie et d’effroi.
Avec ce roman d’une grande virtuosité, construit comme une tragédie grecque, Gheorghiu semble avoir plongé les haïdouks de son compatriote Panaït Istrati dans l’univers absurde et inquiétant des grands romans d’Ismaïl Kadaré.