Traduit de l’allemand par Jacques Decour
“Si tu veux savoir une certaine chose et que tu ne puisses y parvenir par la méditation, je te conseille, mon cher et judicieux ami, d'en parler avec le premier homme de ta connaissance que tu rencontreras. Il n'est pas nécessaire que ce soit un esprit subtil ; il ne s'agit pas non plus de l'interroger sur ce qui t'occupe : non ! C'est toi qui dois plutôt commencer par lui conter ton affaire.”
Cet essai fulgurant révolutionne l'histoire des idées. Semblable à une lettre adressée à un ami, il échappe à la rigueur usuelle du genre et hisse l'oralité comme condition de la raison. Pour que je puisse formuler clairement ma pensée, il me faut une oreille. Mieux encore : un visage. Quand la relation à autrui nous anime, nous sollicite, nous excite, nous pousse aux improvisations les plus éhontées, sources des idées les meilleures. Que vous bafouilliez, émettiez des sons inarticulés ou oubliiez quelque liaison, peu importe : la clarté peu à peu se fait dans votre esprit et vous encourage à poursuivre. L'interaction oblige à puiser en soi, à faire preuve d'audace, à développer une stratégie prompte à se tirer d'affaire. À la lumière de sa propre expérience, Kleist écrit là une véritable plaidoirie en faveur de l'expression orale et de ses ressorts cachés.