Acta fabula
ISSN 2115-8037

2025
Septembre 2025 (volume 26, numéro 8)
titre article
Victoria Klein

Claude Simon, plastique du texte et quête du sensible : la mélancolie à l’épreuve du rose

Claude Simon, the Materiality of the Text and the Quest for Sensory Experience: Melancholy Put to the Test by Pink
Marie Hartmann, Claude Simon, l’avidité de vivre, Caen : Presses Universitaires de Caen, 2024, EAN 9782381852188.

1Qui voudrait (re)découvrir l’œuvre de Claude Simon au prisme de la lecture du Jardin des Plantes se munirait de l’ouvrage de Marie Hartmann, Claude Simon, l’avidité de vivre. Ce pertinent essai fait montre d’une lecture approfondie et originale de l’un des derniers textes du romancier et entretient de nombreux liens avec le « Discours de Stockholm », à l’occasion duquel l’auteur pose un regard sur sa propre production. À la réception du Nobel de Littérature en 1985, Claude Simon, offrant une belle leçon d’histoire littéraire, met le roman à l’épreuve de ses stéréotypes. Évoquant la guerre et la déréliction de l’histoire qui ont marqué sa vie et le siècle, l’auteur expose qu’à l’absence de sens du monde se confronte « la configuration linéaire de la langue1 » qui peine à décrire un paysage intérieur. Dès lors, il révèle le roman comme le fruit d’un rapport à l’« ordre sensible des choses2 ». Comme le peintre, l’écrivain écrit par touches des tableaux apparemment détachés, l’engagement de l’écriture modifiant « le rapport que par son langage l’homme entretient avec le monde3 », bien loin des représentations passées qui ont ordonné les récits où « toutes les jolies femmes y ont invariablement un teint “de lys et de rose”4 ». Ce passage du « Discours de Stockholm » n’aura sans doute pas échappé à Marie Hartmann dont le dernier essai donne à lire une étude approfondie du Jardin des Plantes au prisme du rose dont la double acception comme motif floral et couleur aurait partie liée avec la mort et la vie. En contrepoint du rouge et du noir, oxymore chromatique du roman de Stendhal qui se voit critiqué à de multiples reprises dans Le Jardin des Plantes, le rose introduit la nuance et les teintes variées qui se manifestent aux sens et à l’esprit. La couleur et la fleur apparaissent comme des médiateurs qui ne sauraient réduire l’énigme de l’appréhension sensible à un « contenu cognitif5 », l’une transposant les effets de cette dernière sans les limiter à une forme définie et sollicitant de « multiples réminiscences picturales », l’autre se faisant « support iconique et textuel » (p. 38). En marge des usages habituels du motif — Marie Hartmann accorde de ce fait une grande importance à l’expression utilisée dans Le Jardin des Plantes « la mort en rose » —, le rose simonien recouvre toutefois des connotations usuelles, celles du féminin ou de la chair n’en sont pas moins présentes.

2Un état de la recherche efficace aura permis à Marie Hartmann d’assoir sa proposition comme singulière tant à l’égard des études simoniennes dont elle manifeste la capacité d’éternel renouvellement qu’à l’histoire de la destitution de cette couleur en vertu de symboliques datées. Le parcours du rose proposé par la chercheuse met à l’honneur la force esthétique que Claude Simon puise dans l’attachement aux détails. Cet essai lui rend grâce par de fines analyses qui captiveront autant le spécialiste que le néophyte qui découvrira dans cet essai une stimulante étude de la portée de la fiction et du langage.

Figures

3Les précédents travaux dirigés par Marie Hartmann sur les fictions de guerre6 et le traitement du corps dans l’œuvre de Claude Simon7 ont sans doute nourri la présente monographie, déclinée en trois parties et sept chapitres, qui met en jeu de manière efficace plusieurs éléments caractéristiques au fondement d’un basculement de l’écriture simonienne, thèse que soutient l’essayiste. Marie Hartmann décèle en effet dans Le Jardin des Plantes le lieu d’un recommencement pour l’auteur et le point de départ d’une relecture globale de l’œuvre pour le chercheur. Elle lit le roman pénultième à la lumière du corpus le précédant, dans lequel le(s) rose(s) sont dissimulé(es) mais restituent pourtant « un vécu qui résiste à l’appropriation conceptuelle » (p. 16). Véritable « opérateur de liaison du roman » (p. 18), la couleur se comprend comme une dimension phénoménologique dont Merleau-Ponty lui-même avait noté le « pouvoir d’intercession dans la remémoration » (p. 17).

Le roman en tableau : l’écrit en touches à l’épreuve de l’Histoire

4Loin des clichés romantiques, pathétiques ou mélancoliques, le rose embrasse chez Claude Simon un rôle de révélateur — dont il expose les nuances chromatiques et les gammes — et corrèle souvenirs et références culturelles. Chez l’auteur, et dans Le Jardin des Plantes en particulier, le rose se dote d’une dimension contestataire. La couleur est associée à la présentation de Gorbatchev, à celle du mannequin de cire de Pierre Ier de Russie ou encore à Napoléon III, « empereur débile8 », et dénonce la comédie de pouvoir et la violence de ces figures historiques. La stratégie est toujours la même : juxtaposer pour mieux dégrader, glisser d’un premier modèle vers son double grotesque. Ainsi, d’un texte à l’autre, la robe du cheval du colonel de Reixach passe d’un « rose lie-de-vin9 » à « vinasse10 », puis à un simple « rose » qui « contraste avec la morgue aristocratique de l’officier » (p. 57). Le motif se fait instrument de transgression et « participe à la dérision critique à l’encontre de ceux qui prétendent instaurer — ou restaurer — un ordre mondial en usant de sommations politiques dont l’Histoire a montré les conséquences sinistres » (p. 47). Il suggère leur démence, en particulier celle de ce colonel qui se voit réduit à une figure d’automate.

5Un quatrième chapitre rappelle que Le Jardin des Plantes est le roman où se voient nommées de nombreuses figures historiques, ces personnalités se distinguant par leur absence ou leur anonymat dans les romans précédents dans la droite ligne des préceptes du nouveau roman. À ce titre, l’analyse de l’insertion des débats du colloque de Cerisy dans Le Jardin des Plantes « a permis de montrer la distance critique de Claude Simon par rapport à toute prescription » (p. 200). Face à ces hommes, les femmes se réduisent à des touches colorées, des motifs traversant le roman. Si Marie Hartmann leur reconnait une « importance structurale » (p. 125), elle n’en rappelle pas moins, notamment en introduction, que les femmes dans l’œuvre de Claude Simon « semblent toujours garder trace d’une archaïque liaison du règne végétal avec la chair voluptueuse11 ». Aussi la nature d’un topos genré quelque peu daté où les figures féminines restent muettes et réduites à leur corps pourra-t-elle interpeller le lecteur ou la lectrice.

(Dé)figurer

6La présente monographie ravive les liens entre peinture et écriture simonienne. Le préambule, rappelant la vie et le tracé littéraire de l’auteur, a le mérite de faire le point sur l’inspiration néo-cubiste qui a fortement influencé son œuvre. À l’instar du cubisme synthétique, les éléments extratextuels restituent la « perception éclatée et confuse que nous avons des choses12 ». Ils agissent comme des stimuli et motivent, par des effets référentiels, des rapprochements « pour rendre le souvenir d’une sensation » (p. 77). Au regard du langage, Claude Simon cite Mallarmé dans un entretien :

Le rapport avec le référent, personne mieux que Mallarmé ne l’a défini : « Je dis : une fleur ! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets13. »

7Un premier chapitre, adéquatement intitulé « Face à ce qui se dérobe », rappelle comment le mot et l’écrit définissent pour le romancier les contours du réel et du compréhensible : « l’incommunicabilité découle de l’impuissance des mots à traduire le “magma” » (p. 33) d’images et de sensations, les mots trahissant également la mémoire. Le dialogue avec la peinture permet ainsi « d’interroger les possibilités de l’art et de réfléchir les choix esthétiques de l’écrivain14 ».

(Re)figurer

8Loin de répéter les mêmes tableaux, chaque roman de Claude Simon tente à nouveaux frais de restituer la sensation authentique. L’essai rappelle combien Le Jardin des Plantes figure pleinement la « mise à distance de la structure habituelle de la langue qui échoue à dire l’informe de la sensation, et marque, simultanément, l’invention d’un autre usage de celle-ci » (p. 44). Le texte a ceci de particulier qu’il « pulvérise toute l’architecture linéaire propre au livre en une constellation de fragments à la limite de l’intelligibilité » (p. 87) et rend visible la faillite des systèmes de pensée :

La mise en question des hiérarchies s’accomplit ainsi en prenant pour objet la structure même de ces pouvoirs : l’ordre de la langue qui la produit, l’ordonnancement d’un récit à finalité didactique qui la reflète et la reconduit. » (p. 88)

9L’image du jardin matérialise cet arrangement contradictoire entre ordre et désordre ; après avoir aménagé le paysage dans Les Géorgiques, Le Jardin des Plantes témoigne d’une « exubérante végétation15 ».

10Le rose se dote dans le roman d’une fonction synesthétique et structurale. À cet égard, Marie Hartmann intitule justement la seconde partie de l’essai regroupant les troisième, quatrième et cinquième chapitres « Réinventer la vie : une reconfiguration en rose ». Elle y évoque notamment « Novelli ou le problème du langage », commentaire des toiles du peintre Gastone Novelli, véritable « avant-texte16 » au Jardin des Plantes, qui fait le lien entre deux artistes unis par le même constat « “qu’après la guerre, il fallait nécessairement recomposer une esthétique”17 ». Pour la chercheuse, si Novelli a choisi d’insérer des lettres dans ses toiles pour en faire ressortir la littérarité, Claude Simon, lui, « utilise la plasticité de la page écrite, la ductilité de la couleur rose et la représentation de la fleur à laquelle le vocable rose renvoie » (p. 82).

Corp(u)s

11Les néo-romanciers ont fait du roman réaliste un repoussoir et « revendiquent […] cet autre “regard”, concret, sur le monde » (p. 82). Une première partie, regroupant les deux premiers chapitres, intitulée « Contre le sens institué », offre à Marie Hartmann l’occasion de rappeler que les mouvements de reprise dans les textes simoniens s’opposent au « cheminement téléologique » (p. 97) ou chronologique et que certains motifs permettent à l’auteur de mettre en échec la vision ordonnée de l’Histoire vers l’accomplissement d’un sens, qui s’éloigne pour l’auteur de la réalité. Envers ce « temps des horloges », « déréglé par celui du souvenir » (p. 100), deux corps traversent Le Jardin des Plantes : d’une part, la femme en robe rose de Berlin, figure symbolisant la vie au milieu de la déréliction des confrontations meurtrières, de l’autre un nu sur lequel l’auteur lui-même a attiré l’attention. Ces apparitions permettent l’emboîtement du temps historique et du temps phénoménologique ; l’espace et le temps se dénouent autour des touches de couleur et « l’inscription de l’être-là » serait rendu sensible « par le retour des femmes » (p. 202).

Cycle

12Reprenant à nouveau une topique du « Discours de Stockholm », Claude Simon dit du Jardin des Plantes qu’il est un roman sans début ni fin18 : il « se termine ainsi là où il a commencé, c’est-à-dire dans une salle de bains19 ». Marie Hartmann y perçoit une invitation à porter attention au nu rose de la salle de bain qui revient dans le texte. Jean-François Hamel voyait déjà dans Les Géorgiques l’introduction d’un temps cyclique comme une façon de « déjouer le moralisme des narrativités historiques20 ». L’essai revient sur la très présente intra-textualité chez Claude Simon et fait de la réapparition de la baigneuse « parée d’une serviette éponge rose » (p. 99) la marque de l’opposition du recommencement charnel face « au sens d’achèvement, de but ou de mort » (p. 100). L’écrivain expose la profusion des possibles représentations de l’expérience vécue et le rose opère ce mouvement de reprise.

13D’autre part, quittant les commémorations nostalgiques, les explorations généalogiques, Le Jardin des Plantes compose des portraits de la mémoire de l’auteur. L’essai expose clairement comment certains corps, celui de la femme de Berlin par exemple, font le lien et la distinction entre le temps historique et les temps de la mémoire, dans la pluralité de leurs résurgences et rappelle comment chez Claude Simon le premier se combine au second, temps sensible, de l’écriture.

Poïesis

14C’est toujours dans le « Discours de Stockholm » que Claude Simon rappelle que, dans le domaine de l’écriture, « faire » prend sa racine dans le poïein. Il se réapproprie le terme « artificiel » dont les connotations qui s’y rapportent sont pour autant « chargées d’un sens péjoratif21 ». Le terme de « reconfiguration » choisi par Marie Hartmann pour sa seconde partie semble y faire écho et amène le lecteur à comprendre l’importance de la forme donnée au texte. En effet, la chercheuse accorde un intérêt singulier au façonnage poétique — en conservant donc le sens étymologique de fabrication — que d’autres chercheurs ont désigné comme montage cinématographique ou composition du texte. Le sens, comme le rappelait Merleau-Ponty, « est impliqué par l’édifice des mots »22. Claude Simon le mettra en lumière au travers de la citation empruntée à Heart of Darkness de Conrad, en épigraphe du Tramway : « le sens d’un épisode ne se trouve pas à l’intérieur, comme une noix, mais à l’extérieur, et enveloppe le conte qui l’a suscité ».

15L’approche de Marie Hartmann met en exergue la matérialité et la picturalité de l’écriture simonienne et souligne que la manière de construire des images chez Claude Simon ne déparerait pas dans une écriture surréaliste et poétique. De fait, Le Jardin des Plantes a fait l’objet d’interrogations au sujet de sa qualification générique. Un lecteur averti se rappellera encore que Claude Simon invitait à appréhender La Chevelure de Bérénice, composé à partir de toiles de Miró, « où se lisent les portraits d’une multitude de corps de femmes23 » « plutôt [comme] un poème24 ». De même que l’auteur a recours à la forme du blason, de même il reprendra, face aux toiles de Gastone Novelli, l’association rimbaldienne des couleurs et des lettres :

Ils le savent bien, les censeurs pudiques qui recommandent de parler de la « poitrine » des femmes et non des « seins », mots dans lequel le S initial a déjà comme un frou-frou de soie, le E blanc évoque la transparence de la peau sous laquelle court le réseau translucide des veines bleutées, le N sinueux semble désigner les douces ondulations, le I rouge-rose se dresse comme le mamelon25.

16Une dernière partie intitulée, avec un trait d’humour, « Ce que dit le poète avec les fleurs » permet à Marie Hartmann d’expliquer comment la poéticité éclaire la façon d’écrire.

17L’essai propose une réflexion sur le double romanesque de l’écrivain. Tout en s’éloignant du modèle autobiographique classique, Le Jardin des Plantes met en œuvre une diversité d’instances narratives. La chercheuse rappelle à juste titre qu’à l’instar du « temps gigogne », Merleau-Ponty proposait dans ses notes de lecture que « les hommes aussi sont des hommes gigogne26 », construction qui va à l’encontre de « toute conception monolithique » de l’individu, manifestée par « la couleur de la peau qui relie ces personnages » (p. 144) qui signifie qu’il y a « une sorte d’empiètement des corps les uns sur les autres27 ».

Vivre

18Bien que n’étant pas fondé « sur un principe dynamique alimentant une tension narrative » (p. 178), Le Jardin des Plantes n’en mobilise pas moins les ressources ludiques et parodiques d’intrigues parsemant le roman d’une dose d’humour, parfois noir, d’un « ton de plaisanterie28 » qui s’appuie sur des modèles intertextuels du roman d’aventure ou du roman policier. Des figures plurielles qui traversent le texte, Marie Hartmann voit dans les deux femmes en rose une puissance vitale qui souligne la force génératrice de l’image.

Ébranlements

19Marie Hartmann lit Le Jardin des Plantes comme le lieu d’« une reformulation des enjeux esthétiques et éthiques de l’écriture qui s’opère par la configuration du roman » mais aussi le ton humoristique qui l’accompagne. En effet, « la fronde libertine et libertaire contre les institutions s’accomplit sur un mode manifestement jubilatoire » (p. 87) et la description de l’équipée suicidaire du colonel de Reixach prend un ton burlesque, contrairement aux romans précédents où « elle ne relevait que le l’aveuglement funeste » (p. 87). Ébranlant les idéologies et mettant en doute les principes, Claude Simon utilise « paradoxalement la couleur et la fleur les plus liées aux clichés pour s’en défaire » (p. 47).

20L’essayiste voit en le rose le signe de l’émerveillement, cette teinte s’insérant dans « des compositions d’instants uniques » (p. 22). Bien que toujours voilée par le deuil, cette disponibilité nouvelle contraste avec « l’absolu désespoir29 » des récits précédents et se dessine, pour la chercheuse, comme une « contestation esthétique, politique et éthique de l’emprise de la mort et de ses représentants » (p. 23).

Une énergie vitale

21Dans Le Jardin des Plantes, le narrateur explique : « le mot mélancolie doit faire surgir de ces images plus ou moins mièvres […] et S. dit que c’était même exactement le contraire : Jamais je n’avais tant désiré vivre30 ». De fait, Marie Hartmann rappelle que dans les romans précédents, les roses renforcent l’atmosphère de deuil et de maladie qui y règne. Dans Histoire par exemple, les fleurs saturent le lieu de l’agonie de la mère et le contexte religieux qui l’accompagne. Dans Les Corps conducteurs, le rose manifeste la vulgarité : joues, boa, moquette, alors que dans Le Jardin des Plantes l’essayiste voit dans le rose un surgissement de vie.

Sensualité et érotisme

22De même, Marie Hartmann montre que, contrairement aux autres romans, le sexe n’est pas belliqueux dans Le Jardin des Plantes. Toutefois, comme Gastone Novelli, Claude Simon rejette toute transcendance et tout interdit et dans le roman, l’acte sexuel, assimilé à une messe, insiste sur l’immanence des corps. L’érotisme se lit comme une entreprise de désacralisation :

« Fructis ventris tui sur le dos cuisses me serrant la tête. “Calice terme de botanique enveloppe extérieure en forme de coupe qui enferme la corolle et les organes sexuels de la fleur”31 (Littré) ».

23Une thématique sensuelle innerve l’écriture du roman et le rôle vital du désir amoureux constitue un autre point de convergence entre Le Jardin des Plantes et le surréalisme. L’écriture permet à Claude Simon un « franchissement des limites imposées dans la réalité quotidienne » (p. 248).

*

24Ce n’était pas sans rappeler par une habile prétérition les accusations d’être un auteur « illisible », « difficile » ou « confus » que Claude Simon accueillit son Nobel32. Mireille Calle-Gruber a expliqué que c’est en effet avec l’impouvoir de raconter que commence la littérature chez Claude Simon. L’écriture manifeste l’« impossible traduction des sensation dans les limites d’un usage codifié de la langue » (p. 35) et se donne ainsi pour tâche de faire naître formes sensibles. Les notes de cours de Merleau Ponty sur Claude Simon mobilisées par Marie Hartmann rappellent une fois encore la capacité de la langue simonienne à emprunter à la peinture pour faire sentir et faire voir. Ainsi, la/le rose dans Le Jardin des Plantes figure ce qui se dérobe aux mots et « souligne le pouvoir d’invention et le pouvoir mémoriel du langage » (p. 78) et se veut un recours plastique et poétique suppléant aux manquements de la langue qui ne se réduit jamais à une signification unique.

25Marie Hartmann manifeste une nouvelle fois par cette monographie une lecture approfondie de l’œuvre simonienne dont le corpus quasi complet est fréquemment mobilisé. L’analyse stylistique de la chercheuse, qui se double d’une pratique de la génétique des textes, s’inspire de la « non-méthode » développée par Starobinski, et opte pour une confrontation — à l’instar de l’auteur lui-même — au sens du contexte, ouvrant sur un questionnement sur « le sens de la vie » tel que l’a proposé Dominique Rabaté.