Acta fabula
ISSN 2115-8037

2012
Janvier 2012 (volume 13, numéro 1)
Jean-François Duclos

Reculer pour prolonger le lieu, avancer pour disloquer l’espace

Bertrand Westphal, Le Monde plausible. Espace, lieu, carte, Paris : Les Éditions de Minuit, coll. « Paradoxe », 2011, 254 p., EAN9782707321930.

1Dans  Le Monde plausible, essai publié en 2011 par Les Éditions de Minuit, Bertrand Westphal précise que pour déterminer la distance qui sépare un observateur de la ligne incurvée de l’horizon, l’équation est bien connue et le calcul élémentaire1. Hormis la réfraction atmosphérique et les conditions de visibilité propres à l’endroit où l’expérience se déroule, la seule variable à prendre en compte est par la hauteur qui sépare le regard de l’altitude zéro. Si les yeux d’un observateur « sont placés à un mètre soixante du sol, au niveau de la mer, cet individu percevra un horizon distant de quatre kilomètres et demi ». On ne connait pas la taille de Moïse, et l’érosion a peut‑être légèrement modifié la hauteur du mont Sinaï, mais on peut estimer que le regard du prophète porta à environ « cent soixante-dix kilomètres à la ronde » (p. 153). Et l’alpiniste du haut du Mont Blanc ? Deux cent quarante‑huit kilomètres (p. 99), soit la distance de Paris à Dunkerque2.

2Chercher à prendre de la hauteur pour étendre le périmètre de vue revient, dans un mouvement paradoxal, à reculer devant l’horizon. Mais l’observateur une fois au sommet du Mont Everest ne pourra aller plus loin ni plus haut. Si bien qu’à vouloir l’augmenter, la limite du monde se trouve selon cette méthode malheureusement « toujours trop proche » (p. 99), et cantonnée à des limites toujours fréquentables. Que faire pour aller au‑delà ? L’observateur n’a pas d’autre solution que de prendre son courage à deux mains et dans un geste dont il peut être aujourd’hui difficile d’évaluer l’audace, à se jeter tête la première vers cette ligne instable pour y affronter le plus pur et le plus effrayant des dangers : l’inconnu.

3B. Westphal revient longuement sur les plongeons successifs qui durent constituer les moments d’une sidération et la manifestation de ce qu’il nomme une « pulsion spatiale », plus forte encore que l’instinct de survie. « L’incursion dans un nouvel espace géographique » (p. 110), prévient‑il, doit être imaginé comme ébahissement des êtres face à l’espace vierge, dont l’identification « réclame une perception subjective et pionnière » (p. 111). En bien des points elle peut être comparée à une « irruption dans l’au-delà métaphysique » (p. 115). Car on ne sait trop si on saura, et pourra, revenir sur ses pas une fois franchie la limite. Les cartes anciennes sont bordées de monstres effrayants. Ils étaient pris au sérieux par les navigateurs. On savait qu’ils montaient la garde « là où l’homme risquait d’égarer son humanité » (p. 173).

4Apollo 11 constitue une sorte d’ascenseur extrême pour l’humanité. Il n’en est pas pour autant le prolongement du calcul de la distance de l’horizon mentionné plus haut. C’est au contraire la manière la plus radicale que la seconde partie du vingtième siècle a trouvée pour reproduire métaphysiquement le geste imaginé par les Anciens lorsqu’ils font franchir à Ulysse les colonnes d’Hercule ou aux Argonautes le détroit de Bosphore. De l’autre côté d’une telle limite, les équipages découvrent ce qu’aucun Grec, ni aucun Américain (ni Russe) n’a jamais vu. Les astronautes perdent, en s’élevant, la profondeur de champs, mais ils gagnent dans l’événement qui consiste à aller fouler le sol de la Lune et d’être les premiers à le faire. Car il ne suffit pas d’être assez courageux pour franchir les limites de l’inconnu, il faut encore disposer de l’avantage d’être le premier reconnu à le faire. Une fois saisi par l’image et par la parole, l’acte de franchissement des limites naturelles du « monde » (ici le système solaire) ne peut avoir lieu de nouveau avec la même intensité. L’inscription dans le temps de la première fois s’effectue d’un seul coup et pour toujours. « Ce qui a été fait une fois peut ne pas être répétable ; ce qui a été dit peut l’être, toujours » (p. 171). Le monde agrandi par l’expérience de quelques individus se re-configure par restitution (dire et montrer) pour s’insérer dans le réel de tous.

5La soif de circonscrire un monde toujours plus grand et d’affronter le nu spatial et l’inconnu épistémologique n’a pas dominé toutes les civilisations. Pour ce qui concerne la nôtre, sur laquelle B. Westphal s’attarde sans pour autant en faire un point d’observation exclusif, ce n’est que vers le xve siècle qu’elle se risque à déstabiliser la forme idéale du monde qu’elle s’est créée. « Lors du tournant de l’Histoire qu’entraîna le passage du Moyen Âge à la Renaissance, le surcroît de monde qui s’ouvrait devant les yeux des navigateurs se présenta comme un espace nu » (p. 155). Auparavant, rappelle Paul Zumthor, abondamment cité dans ce texte, « l’Europe en gestation négligeait l’idée de franchir l’horizon océan » (p. 95). Le monde alors constituait pour les habitants de ce continent un territoire clos et uni. Dès lors, le processus de découverte d’un espace « nu » n’est pas qu’un enchaînement de hasards, ou la consécration d’un seul individu sur le reste de la communauté. Il requiert, comme on vient de le voir, une adhésion. Raison pour laquelle, s’il est aujourd’hui accepté que si Christophe Colomb eut sans doute des prédécesseurs européens, voire asiatiques ou africains (p. 137‑140), c’est toujours à lui que revient le mérite d’avoir convaincu le continent européen de retourner y voir de plus près, et c’est de cela que l’Histoire occidentale lui sait gré. Mais les choses ne sont pas claires. Elles ne le sont du reste jamais pour personne. Il arrive, comme ici, que contre la volonté du voyageur, et plus encore, contre tous les fibres de son être, se découvrent des continents inconnus. Il aura fallu que le regard se fasse à l’idée qu’il ne reconnaisse pas ce qu’il était venu chercher. Ce n’est pas une mince affaire. L’éblouissement qui accompagne le déchirement du tissu géographique, Colomb, paradoxalement, ne l’aura donc pas vécu.

6Il n’aura pourtant pas fallu longtemps à d’autres pour s’apercevoir que quelque chose clochait dans ce raisonnement et pour colmater la brèche. « À chaque fois que l’individu est confronté à un espace nouveau, déroutant », il s’agit pour lui de le « clore aussitôt » (p. 171). Le processus de conquête géographique durera près de quatre siècles. Ce délai, sans surprise, correspond à la durée que s’est donné le même continent pour rendre en main la maîtrise politique, militaire et économique du monde qu’il a ainsi circonscrit peu à peu. « L’harmonie idéale prônée par les grands textes fondateurs » posé « comme un terminus ad quem que cet homme a amorcé un travail d’harmonisation idéologique à portée planétaire » (p. 9).

Homologuer l’espace

7L’essai de B. Westphal distingue dans ce qu’il n’appelle pas une conquête mais qui y ressemble, cinq moments qui peuvent se chevaucher dans la réalité et qui constituent autant de chapitres à son étude. Le premier moment consiste à se trouver un centre. La détermination de l’ophalos constitue « un réflexe propre à toute culture qui s’arroge un territoire idéalement stable qu’il place au sommet de la hiérarchie » (p. 40). Le second moment permet de fournir au territoire ses limites. On notera que la notion d’horizon, qui sépara d’abord la terre du ciel, émerge dans son acception connue aujourd’hui au moment où l’océan (et en particulier l’océan Atlantique) vient à ce concevoir comme un espace à franchir. Le troisième moment — le plus mystérieux de tous — parle de cette pulsion spatiale qui, vécue par un individu ou par un groupe, permit que le monde connu s’ébrèche brusquement et que par cette rupture il vienne à s’augmenter d’un nouveau territoire. Le quatrième moment est celui de l’invention du lieu, c’est‑à‑dire de l’orientation du regard en direction de l’inédit pour le nommer selon des termes et dans un langage antérieur à sa découverte. Le cinquième et dernier moment allie géométrie et géographie pour permettre d’asseoir la maîtrise du flux et des correspondances grâce à des données géodésiques utilisables par les marins et leurs financiers.

8Chaque territoire est donc « le résultat d’une invention humaine » (p. 9), ce qui implique que toute extension de ce territoire constitue également une réduction à son échelle dans un « effort d’homologation » (p. 10). Qu’il s’agisse, pour Christophe Colomb, de « revêtir un nouvel habit au monde » (p. 151), quitte à proposer un accoutrement que la géographie contredira plus tard, cette harmonisation se présente d’abord comme « salutaire et faste » mais ne tarde pas à être transformée en une expérience « réductrice et violente » (p. 9). Ainsi va le grand mouvement double de la découverte géographique, qui dans un premier temps va défier la véracité de ses propres connaissances pour, après lui avoir fait rendre raison, aller planter ses propres couleurs (ou celles de son armateur) sur le terrain conquis.

9Déterritorialisation, reterritorialisation : Mille Plateaux de Deleuze et Guattari traverse cet essai de part en part, parfois de manière discrète, d’autres fois de façon explicite, mais à chaque fois pour montrer la contradiction inhérente à l’Occident, « qui n’a eu de cesse d’affronter des espaces ouverts pour les transformer en lieux clos sans que le verrouillage eût jamais été décisif » (Quatrième de couverture). L’indétermination « qui surgit devant lui » se voit effacée par « la machine anthropologique » qui aide l’individu « à transformer ce qui est dis‑loqué (dis‑locatus) en un lieu (locus)maîtrisable » (p. 171). Ce geste de reterritorialisation n’est pas abstrait en géographie. Il s’est vu sur l’écran des téléviseurs pas plus tard que le 20 juillet de l’année 1969, au moment de l’alunissage américain. Planter un drapeau national constituait‑il un geste universel ? Peut‑être dans ce cas, car on se situait hors du monde. La réponse est en revanche clairement négative en 1802 quand le navigateur français Nicolas Baudin, parti cartographier la côte de l’Australie tout juste sortie de son existence théorique3 l’a vu s’accomplir sous ses yeux par Matthew Flinders, un Anglais plus rapide et surtout plus opiniâtre que lui4. Ce « besoin invétéré » (p. 17) d’appropriation, Le Monde plausible s’y réfère sans cesse car il n’y a aujourd’hui personne pour dire qu’elle ne constitue pas « l’une des marques de fabrique de l’Occident » (p. 17).

10Pourtant, l’ouvrage ne porte aucun regard moral sur l’Histoire. S’y retrouve plutôt une manière virevoltante qui cherche à faire coïncider ou tout au contraire opposer sur un même plan des références qui sont autant de manières différentes de voir l’espace. Du résultat se dégage une manière joyeuse de multiplier les histoires, de sonder les paradoxes et de superposer, quand les circonstances le permettent, les références qui ailleurs auraient du mal à coexister. La stratification de l’espace et du temps, empruntée  aux auteurs de Mille plateaux, est suffisamment sérieuse pour s’en jouer. Ainsi de Hereford, on apprend qu’il est le nom de trois lieux différents : un petite ville du Texas y naquit Ron Ely, acteur qui « interpréta un petit rôle dans la série The Life and Legend of Wyatt Earp » ; « la bourgade de l’Arizona où se réunit un bande de cow-boys qui défia » le même Wyatt Earp ; et la ville anglaise dont la cathédrale possède « l’une des merveilles cartographiques de l’époque médiévale » (p. 65). Le rapport ? Entre les deux Hereford américains on le voit bien. Avec le troisième, il faut attendre d’en savoir un peu plus sur cette carte extraordinaire qui favorise « la coprésence de références temporelles peu ou prou compatibles » (p. 66), et donc l’énumération dont elle fait partie. L’auteur se laisse ainsi aller à de nombreuses reprises à de légers détours dans l’argumentation, détours qui l’oblige à recentrer son propos mais sans jamais rien perdre du plaisir qu’il a eu à bifurquer.

La géocritique, nouveau lieu de la lecture

11Le Monde plausible fait suite à La Géocritique, essai publié en 2007 par les mêmes éditions de Minuit. La géocritique peut, en quelques mots, être définie comme « l'examen  des interactions entre espaces humains et littérature5 ». Elle tente plus précisément de déterminer les diverses manières dont les arts mimétiques appréhendent le monde6 et comment les récits sous‑jacents que contiennent entièrement ou par fragments nos cosmogonies, nos mythes, et aujourd’hui nos romans et nos films, disent et contredisent le regard et la parole géographique. Le Monde plausible reprend les analyse de La Géocritique et sert de prolongement et de tremplin à quiconque soucieux de définir les enjeux de ce qui a été ailleurs — et en anglais à l’origine — qualifié de tournant spatial, et qui aujourd’hui fait l’objet de travaux de plus en plus nombreux dans le domaine de la littérature et de la géographie culturelle7.

12Le sous-titre de La Géocritique désignait trois termes : le réel, la fiction, et l’espace. Celui du Monde plausible invite à définir une articulation entre l’espace, le lieu et la carte. C’est ici en grande partie la carte qui sert à comprendre comment peut s’inventer un lieu. Mais carte et fiction, si elle ne sont interchangeables, se répondent, puisque la fiction est « elle‑même un lieu, le “terrain mixte de la production et du leurre”, comme dit Michel de Certeau. Un terrain dont la page est la carte. Ou une page dont le terrain est la carte » (p. 221). La cartographie accompagne donc l’évolution de notre manière de voir le monde, à la manière d’une fiction. Elle retrace le récit de sa découverte en feignant de n’être pas palimpseste, de découvrir tout d’un seul regard et de tout nommer d’une manière qui se veut évidente. Son rôle ne se cantonne pas à dessiner le contour de terres et des territoires. Elle permettait également, grâce au tracé de lignes invisibles sur le sol, de déterminer au degré près la présence des êtres sur Terre, quelle que soit leur position. Elle dessine en projection des données permettant de calculer toujours en faveur d’un centre qui est celui du cartographe (sa culture, sa nation), et transmue en récit « une vision rêvée de l’environnement humain » (p. 242).

13Après avoir été grec, le nomos, qui « fixe la configuration des territoires et l’équilibre politique, social et religieux » (p. 210) s’est fait européen. Son point central était évidemment un omphalos du même continent. La maîtrise du territoire passant par la « métrise » de ses coordonnées géographiques, les cartes servaient alors tout autant que les drapeaux à instaurer un ordre. Peu importe si, vu du petit bout de la lorgnette, en fonction du côté de la frontière où l’on se trouvait, les référents géodésiques se faisaient une très rude concurrence. « Aux heures de pointe », rappelle B. Westphal, « on recensa jusqu’à quatorze méridiens zéro » (p. 214). De même, il est probable qu’aux yeux des populations indigènes d’une île ou d’un continent, devant l’un ou l’autre des explorateurs, arborant des couleurs différentes, c’est « blanc bonnet et bonnet blanc » (p. 98). Tout est relatif du côté de ceux qui savent où ils se trouvent. Ces vues de loin se ressemblent, de telle sorte qu’on peut parler d’elles comme d’une vision « monofocale de la géographie humaine » (p. 227). Les écrivains de l’ère post-coloniale n’hésiteront pas à « s’emparer de la thématique cartographique pour mettre en exergue toutes les anomalies d’un point de vue qui n’était pas acceptable de partager » (p. 227). La carte, et le récit, deviennent l’enjeu d’une remise en cause des formes et du contenu des continents. Ils constituent un instrument politique et, comme la géographie, peuvent aussi servir à faire la guerre.

14Le Monde plausible revient longuement sur le rapport dynamique et contradictoire de l’espace et du lieu qui a formé la vision géographique par l’Occident. Là où La Géocritique s’attardait sur le dernier demi‑siècle où se tient notre postmodernité, celui‑ci veut prendre en compte la profondeur historique de son sujet en se penchant principalement sur le monde antique, le Moyen Âge et la Renaissance. Mais pour revenir à la dichotomie espace‑lieu, dans un cas comme dans l’autre elle demeure essentielle. À première vue, elle est aussi aisé à saisir : l’espace est lisse et ouvert, le lieu strié et clos. L’espace échappe à l’œil, le lieu se matérialise par le regard. L’espace est fantasme, le lieu connaissance. Christophe Colomb était à la recherche d’un lieu référencé (l’Asie), et non celle d’un espace à découvrir (p. 147). Une fois rendue à sa nudité, la machine anthropologique se met vite en branle pour accélérer « la transformation d’un espace indicible en un lieu commun » (p. 171). La géographie de la nostalgie décrit par Jacques Le Goff est réservée à l’élaboration de l’espace du rêve ; elle préfère conserver fermé le lieu de référence et investir dans la fiction. La géographie du désir, elle, « est tournée vers l’ouvert. Le pur espace est vertigineux ; il est excessivement “fascinant” » (p. 155). Certains territoires font converger les deux visions. Ainsi l’Orient des pèlerins prend‑il « une coloration singulière. Il constitue à la fois un espace authentiquement exotique et l’espace absolument familier des Écritures » (p. 47). En géographie comme en littérature, comme le rappelle B. Westphal, la porte n’est jamais tout à fait fermée, ou complètement ouverte. Les exemples qu’il multiplie évitent le piège d’une définition trop rigide, trop conceptuelle, ou trop simple et par là trop peu satisfaisante8 (p. 68).

15La relecture de L’Odyssée semble mieux valoir qu’une définition. On sait que Pénélope, dans l’attente du retour d’Ulysse, ne dispose d’aucune marge de manœuvre spatiale. Prisonnière de ses prétendants, elle ne peut aller nulle part pour leur échapper. Elle reproduit alors sur le métier à tisser le mouvement d’Ulysse, tout en sachant que la vitesse à laquelle progresse son ouvrage est nettement plus rapide que celle de son mari à venir la rejoindre. Il lui faut donc ruser avec le temps. Elle subit Ithaque par les conditions qui lui sont imposées, mais déploie « un espace symbolique à l’aide de son métier à tisser » (p. 69). Elle use du temps comme d’autres useraient de l’espace. Ulysse, quant à lui, « ouvre un espace nouveau, en marge de l’écoumène grec, mais ne réussit pas à l’intégrer dans une géographie intelligible » (p. 69). Il convoite le retour au lieu (ce qu’en anglais on appelle home) qui, fantasmé, devient espace quasi-pur, impossible pour très longtemps à atteindre. Ce qui explique sans doute pourquoi, une fois revenu, personne ne le reconnaisse. « La géographie intime des deux conjoints est donc inverse et par la même se révèle complémentaire. Pour se reconnaitre, il leur faudra trouver un lieu commun, une expression qui n’est pas toujours péjorative » (p. 70).

16Ainsi, même si lieu et espace constituent des notions trop vastes pour être du point de vue épistémologique suffisamment stables, elles entrent sans cesse en résonance dans cet essai et trouvent dans la carte le moyen de figurer leur incessante interaction. La carte se situe comme la fiction, devant les contradictions recensées Jacques Rancière. Elle dispose d’un langage qui tait une partie de son sens. L’époque actuelle, située à un demi-siècle du moment le plus ample de la décolonisation, offre au lecteur des moyens d’un déchiffrement qui lui échappaient jusqu’alors. Le monde ne se conforme donc plus au principe de l’unicité, ni de la possibilité, mais de la plausibilité. Est plausible ce qui se présente sans s’imposer, une manière d’être « oscillatoire dont l’humilité serait empreinte d’une certaine élégance » (p. 17). Est plausible aussi ce qui vaut d’être applaudi.