Acta fabula
ISSN 2115-8037

2022
Mai 2022 (volume 23, numéro 5)
titre article
Christophe Cosker

En Arcadie, la littérature

In Arcadia, literature
Franck Collin, L’Invention de l’Arcadie. Virgile et la naissance d’un mythe, Paris, Honoré Champion, 2021, EAN 9782745357328, 852 p.

Le noyau de l’Arcadie virgilienne est donc un lieu rustique, en marge ou en amont de la violence de l’Histoire, composé d’un petit nombre de composants [sic] invariables : une grotte creusée dans un rocher, une source ou une fontaine, de l’herbe : niché dans ce microcosme, un berger, disciple de Pan, produit sur la flûte un chant.

(Laurent Fourcade, Préface, p. 14)

1Franck Collin publie ici un ouvrage extrait de sa thèse de doctorat soutenue en 2005 sous le titre : Pan etiam Arcadia mecum si iudice certet. Virgile et l’esthétique arcadienne dans la poésie latine. Mais le présent ouvrage se trouve à la fois réactualisé et étoffé pour répondre à l’ambition qui est la sienne de proposer une synthèse sur l’Arcadie littéraire ou, plus conceptuellement, l’arcadicité. Plongeant ses racines en Grèce, et même si son nom est principalement associé à Virgile, le mythe arcadien combine trois dimensions : philosophique, politique et enfin poétique. En effet, la cristallisation romaine du mythe s’explique à la fois par l’influence philosophique de la simplicité épicurienne ainsi que par la nécessité d’un refuge lyrique après les guerres civiles qui marquent la fin de la République. Bien qu’il soit un idéal naturel, le mythe arcadien ne se comprend jamais sans le contexte duquel il participe en s’infléchissant dans une perspective utopique. Afin de le reconnaître, il suffit d’être sensible aux invariants du locus amoenus : une grotte ou un abri, de la végétation, de préférence une herbe tendre, sans oublier un point d’eau, fontaine ou source. Dans son essai, Franck Collin propose une relecture de l’œuvre intégrale de Virgile, faisant de l’arcadicité la clef de voûte d’une entreprise littéraire qui va des Géorgiques à l’Énéide en passant par les Bucoliques. Dans cette perspective, nous souhaitons faire écho à un mot présent dans le titre de la thèse de doctorat, puis absent de celui de l’essai qui en est issu : l’esthétique. Loin d’y voir une gratuite quête du beau, l’auteur rejoint ici le sociologue de la littérature Alain Viala qui, dans La Culture littéraire (2009), propose une problématique de l’adhésion qui fait de l’esthétique un système de valeurs reliant ce que l’on appelait, dans l’Antiquité, le bien, le beau et le vrai :

Comme le mot « adhésion » peut être mal entendu, quelques précisions logiques s’imposent. Les adhésions peuvent être réalisées (« je crois à ceci ou à cela, je soutiens ceci ou cela ») ou proposées (« telle chose n’est pas admirable, désirable ? — ou au contraire regrettable voire méprisable ? ») Il en est de mûrement réfléchies, et d’autres spontanées ; il en est qui se font par raison, d’autres par nécessité ; il en est qui s’accomplissent dans le plaisir et d’autres bon gré mal gré… Il y en a d’enthousiastes, il y en a de tièdes, il y en a de forcées. […] Ce processus instaure donc un jeu d’échanges : des idées, des croyances, des goûts en commun, mais aussi des différences, voire des oppositions avec d’autres, fondent les communautés auxquelles chacun de nous appartient. (p. 40)

2Ainsi l’essai de F. Collin réfléchit‑il sur l’ensemble des adhésions liées au mythe arcadien. Pour rendre compte de cet ouvrage volumineux, nous commencerons par remonter aux origines grecques du mythe, origines détaillées au début de l’essai avant de suivre l’auteur dans son analyse de l’œuvre de Virgile en relevant les motifs et en liant le texte à ses contextes politiques et philosophiques.

Découverte grecque de l’Arcadie

Arcadie naturelle

3L’Arcadie est d’abord et avant tout une région réelle de la Grèce, dans le Péloponnèse, région aride qui plus est. Au seuil de son essai, F. Collin propose de distinguer quatre Arcadies dont la première est géographique :

Contrée rigoureuse, décrite comme un espace encaissé et isolé de montagnes, sans accès, dans l’Antiquité, à la mer, et propice à l’existence de microsociétés indépendantes, réputées sauvages, car tissant peu de communications et de liens avec leurs voisins. (p. 24)

4L’auteur en trouve la trace dans la Périégèse (8) — ou Description de la Grèce — de Pausanias et l’on commence à voir émerger certains traits du futur mythe, à savoir l’isolement qui rend possible l’utopie ainsi que la réflexion sur la sauvagerie. Cette Arcadie géographique est complétée par une Arcadie historique « qui nous renseigne sur l’âpreté belliqueuse des Arcadiens, de leurs relations conflictuelles avec les états voisins, Laconie et Messénie au premier plan, et le rôle fédérateur de Mégalopolis dans la Ligue achéenne, pendant la période hellénistique » (p. 26). Les sources sont alors Polybe, Tite‑Live et Plutarque. Le thème arcadien offre l’occasion d’une réflexion sur la guerre et la violence, sans doute en lien avec le trait précédent de la sauvagerie. Le lecteur observe, non sans surprise, le trajet effectué entre la réalité violente et guerrière et le mythe de la douceur idéale auquel il aboutit. Nous indiquons enfin que Polybe mentionne la pratique musicale des Arcadiens, motif promis à une grande fortune.

Arcadie surnaturelle

5Après avoir rapproché la première et la dernière des Arcadies distinguées par F. Collin, à savoir la géographique et l’historique, considérées comme formant une Arcadie naturelle, nous pouvons nous intéresser aux deux autres aspects offerts par cette région grecque qui inspire les poètes :

Puis, il y a l’Arcadie mythique, qui dispose d’un fonds riche et ancien, où alternent les récits de thériomorphie et de protohumanité, lesquels ont passionné les poètes, des Hymnes homériques à Callimaque, et les mythographes, tels Pseudo‑Apollodore ou Denys d’Halicarnasse. La marque propre de ces mythes est de montrer à la fois l’ancienneté de l’autochtonie arcadienne, rivalisant avec celle de la Crète, et de la frontière floue existant, dans ce pays, entre l’animalité et l’humanité, ce dont le dieu Pan, seul dieu duel, mi‑bête, mi‑homme, est l’expression prophylactique. (p. 25)

6Dès le substrat grec, le thème arcadien offre la possibilité d’une réflexion sur les origines, réflexion d’autant plus radicale qu’elle associe humanité et animalité. Le motif de la thériomorphie, c’est‑à‑dire de la forme d’une bête sauvage, est fréquent dans les tableaux de cette humanité originelle. C’est ici qu’intervient le dieu Pan, un dieu dont la complexité se lit dès le mélange des formes humaine et animale. L’Arcadie mythique nous plonge donc dans le surnaturel et nous initie au sacré :

Dans la continuité de la précédente, notons l’Arcadie rituelle, dont les pratiques paraissent, pour certaines, étranges aux Grecs eux‑mêmes, en particulier celle d’anthropophagie et de lycanthropie sur le mont Lycée, qu’évoquent encore de plus rares auteurs, Platon, Pline, ou Pausanias. C’est aussi à la fin de la période classique que le culte de Pan prend corps, que l’Arcadie apparaît unanimement comme le berceau de sa naissance (p. 25)

7Platon, Pline et Pausanias font de l’Arcadie une terre sacrée où prend naissance un certain nombre de rituels qui entourent et développent le succès de Pan. On note en particulier la lycanthropie, liée au mot lycée, origine grecque qui trouve une nouvelle fortune à Rome sous les espèces du mythe de la louve (capitoline), sans oublier les fêtes lupercales dont l’auteur analyse par le menu l’instrumentalisation politique, particulièrement celle du 15 janvier 44 avant notre ère, où César refuse, de façon ostentatoire, une couronne royale qu’on lui propose.

Le chant du bouvier chez Théocrite

8C’est Théocrite qui, en Grèce, propose la forme la plus aboutie de bucolique. Le chant du bouvier met en scène un type de personnage qui est à la fois berger et poète. Lorsqu’il rencontre l’un de ses semblables, ils s’entretiennent alors de ses troupeaux, de ses mésaventures et de ses amours. Dès l’origine, la bucolique comporte une dimension didactique, agricole, que Virgile exploitera à son tour ultérieurement. Mais ce qui consacre la forme du chant du bouvier, c’est sa dimension poétique, sublimation du fond par la forme :

Théocrite introduit, ou réinvestit, dans sa poétique, un trait capital : au caractère descriptif de l’épigramme, il ajoute le chant, sous forme monodique ou amébée, que ses bouviers, devenus poètes virtuoses, prononcent ou échangent, souvent pour se mesurer (Id5, Id6, Id8). De là le qualificatif boukolikas aoidas, de « chants de bouviers » pour désigner ce chant pastoral. Virgile retiendra le terme, en nommant par Bucolica (au neutre) à la fois les « chants » et les « occupations » des bouviers. (p. 30)

9Comme plus tard les paysans du Lignon dans L’Astrée (1607‑1627) d’Honoré d’Urfé, les bouviers de Théocrite n’ont rien de rustique dans leur langage, notamment lorsqu’ils parlent d’amour. Le thème arcadien est en effet propice à une méditation sur l’amour qui est d’abord un amour malheureux comme celui du cyclope de la onzième idylle. La réflexion s’affine surtout lorsqu’un personnage refuse l’amour et sur les conséquences de ce refus. À la suite de Pan, les personnages bucoliques sont des bergers, des amants malheureux et des musiciens.

Invention romaine du mythe de l’Arcadie par Virgile

Une analyse par le menu des Bucoliques

10Dans sa minutieuse analyse des Bucoliques, F. Collin distingue des triades, place chaque pièce sous le signe d’un personnage et la résume d’une formule. Ainsi la première triade se comprend‑elle comme une introduction. La première bucolique, celle de Tityre, propose « l’art de vivre d’un Arcadien en cisalpine » (p. 259), la deuxième est, avec Corydon, « la panodie d’un Arcadien » (p. 279) et la troisième et dernière de ce premier cycle, liée à Ménalque, propose un « chant amébée de la conciliation » (p. 298). La deuxième triade est celle de la voluptas conçue comme plaisir d’exister dans la perspective épicurienne de la simplicité. La quatrième bucolique, placée sous le signe du Vates, articule Âge d’or et Arcadie, point sur lequel nous reviendrons plus en détail. La suivante, liée à Daphnis, est une sorte d’acmé prenant la forme d’un hymne à la voluptas. La sixième bucolique — et la dernière de cette triade — propose, avec Silenus, une prise de conscience arcadienne. À ce double mouvement euphorique succède un double mouvement dysphorique. La troisième triade est placée sous le signe du déséquilibre. Dans la septième bucolique, liée à Mélibée, on suit « Deux Arcadiens au bord du Mincio ». La septième pièce apparaît, avec Damon, comme une tragibucolique qui évoque la « tristesse de l’amour en Arcadie » (p. 393). La neuvième bucolique, placée sous le signe de Lycidas, consiste en un « tombeau de l’Arcadie » (p. 408). La dixième bucolique, mettant en scène Gallus, signe la fin du rêve arcadien. Dans ce monde décomposé, qui rencontre l’ombre et le noir, le chant est devenu impuissant. Triomphant dans les Bucoliques, le thème arcadien est abandonné dans l’Énéide, épopée placée sous le signe de la guerre.

Dissimilitude entre Âge d’or & Arcadie

11Contrairement à ce qu’une lecture superficielle et un examen trop rapide pourraient faire croire, le mythe de l’Âge d’or et celui de l’Arcadie ne se confondent pas et sont même profondément dissemblables, ainsi que la simplicité pastorale diffère de la prospérité agricole. L’auteur en oppose ainsi les critères. Dans l’âge d’or, la nature fournit tout d’elle‑même en abondance alors que, dans le mythe arcadien, la subsistance est le fruit d’une agriculture raisonnée avant la lettre. Du point de vue des symboles négatifs, l’âge d’or ne connaît ni la propriété ni le danger alors que dans le mythe arcadien, la borne est un élément important, de même que rôdent serpents et loups. L’âge d’or apparaît comme une époque de léthargie sans nul déplacement. Les premiers hommes se délectent du miel offert par les dieux de même que des fleuves de vin. Le mythe arcadien est, au contraire, un mythe technique. On se déplace par la navigation et on observe les étoiles (développement de la science astronomique). On chasse, on pêche et on cultive. Ainsi ces deux mythes se rejoignent‑ils dans l’idéal, mais on voit plus clairement à présent que les idéaux qu’ils prônent diffèrent. Le premier mythe est un mythe de la passivité au service de la nature tandis que le second est un mythe de l’activité au service de l’homme. C’est surtout dans les deuxième et troisième géorgiques que Virgile s’éloigne du mythe de l’Âge d’or avec lequel il prend ses distances, au profit du mythe arcadien, qu’il reconfigure en fonction du contexte historique des guerres civiles et du contexte politique qui tend au principat.

L’Invention de la poésie du couchant

12Les lecteurs familiers du texte antique se souviennent de « l’aurore aux doigts de rose » évoquée par Homère dans L’Odyssée notamment. Moins connue est en revanche l’autre personnification effectuée, cette fois‑ci, par Virgile pour le soir, dans le personnage d’Hesperos. F. Collin prend soin de déployer le vocabulaire lié à cette divinité tel le jardin appelé des Hespérides. Il rappelle ensuite la thèse de l’invention de la poésie du couchant :

Le soir apporte la sérénité, après une journée ponctuée de tâches rustiques, mais Virgile lui ajoute une touche mélancolique face au temps qui passe. Si Melibée voit sa peine recevoir une consolation, la crainte que ce soit sa dernière nuit en Arcadie cisalpine demeure latente. Les couchants de Théocrite n’occupent presque pas d’espace et n’ont pas cette intensité. Aussi Panofsky (1955, p. 283) pouvait‑il dire avec justesse que Virgile a « découvert la tombée du jour », soulignant toute l’importance que cette innovation prendra pour la peinture occidentale. (p. 464)

13Ainsi le soir n’est‑il pas seulement pour le poète un moment climatique, mais aussi un moment symbolique lié au thème de la fuite du temps. Faisant dialoguer les arts, l’auteur indique que la poésie du couchant passe ensuite de la littérature à la peinture, art sur lequel nous achèverons ce compte rendu. En analyste scrupuleux, F. Collin rappelle que six des dix bucoliques se terminent par l’évocation du crépuscule du soir — maioresque cadunt altis de montibus umbrae (Première bucolique, v. 83).

Contextualisation & mise en perspective du mythe arcadien

Le contexte philosophique : Arcadie & épicurisme

14En apparence, le mythe arcadien rejoint l’esprit de la philosophie épicurienne dans son goût de la simplicité. Mais les affinités sont plus profondes si l’on considère la formation philosophique reçue par Virgile. Entre 50 et 44 avant notre ère, Virgile est formé à l’épicurisme par le cercle de Campanie. Depuis 58 avant notre ère, César, gouverneur de la Gaule cisalpine, favorise cette région sur laquelle il compte pour appuyer ses ambitions futures. Virgile fait sans doute partie des jeunes gens prometteurs qu’il protège et envoie à Rome. Mais c’est à Naples que le poète reçoit l’enseignement du philosophe épicurien Siron. En effet, la traversée du Rubicon par César en 49 avant notre ère menace la paix et fragilise le triumvirat. Les thèses de la philosophie épicurienne, telles qu’elles apparaissent notamment dans le De natura rerum de Lucrèce, rencontrent donc un grand succès en ces temps troublés. Moins que les objets d’une discussion philosophique, la recherche de la paix et du bonheur sont des thèmes à la mode.

Premier contexte politique : César

15F. Collin montre que les Bucoliques peuvent se comprendre comme favorables à l’idéologie césarienne. L’arcadisme littéraire tente de réconcilier les Romains avec la royauté, conformément aux ambitions de César. Mais il faut pour cela faire oublier la mémoire damnée de Tarquin le Superbe, dont la déchéance fut aussi celle du système monarchique. César récupère les symboles hellénistiques de la royauté : costume de pourpre, chaise curule dorée, couronne d’or sertie de pierres précieuses, bottes rouges. Sur les deniers qu’il fait frapper, il arbore la couronne de lauriers. On peut aussi penser à la façon dont il rattache sa gens à Ascagne, Énée et, suprêmement, à Vénus. L’œuvre de Virgile suit la politique des gens au pouvoir sans la défendre. Elle en apparaît plutôt comme une forme homologique complexe. Ainsi, dans le cadre qui nous intéresse ici :

Les Lupercales ont donc été instrumentalisées par César comme moyen de se propulser et de se légitimer dans la fonction royale aux yeux du peuple. Des monnaies ont peut‑être reproduit le diadème qu’Antoine avait offert à César le 15 février - 44 pour symboliser l’avènement souhaité du nouveau roi. Que la cérémonie ait été une réussite, ou non, l’idée de la fonction régalienne était lancée. Pourquoi les Lupercales se prêtaient‑elles à ce point à être une « machine royaliste » ? Parce qu’elles articulent les deux temps sacrés de la fondation de Rome, ceux de la légende arcadienne et de la légende troyenne, et soulignant ses liens avec deux royautés primitives. (p. 108)

16L’arcadisme littéraire, par sa référence à Évandre, sert le césarisme politique en transcendant la royauté de Romulus et en proposant un récit pacifié des origines par opposition au fratricide.

Réinvention moderne du mythe

17Nous terminerons notre analyse du mythe arcadien par une mise en perspective avec la modernité. Plongeant ses racines en Grèce, le thème arcadien est ensuite romanisé par Virgile dans un contexte philosophique et politique précis où il répond à des attentes précises, tant de la part des dominants que de celle des dominés, l’idéal d’un havre de paix étant désiré par tous, mais de façon différente. Le thème du retour aux sources de la simplicité devient donc plus complexe en contexte romain. Mais sa base, à savoir le locus amoenus, se comprend comme un lieu commun transhistorique réinventé au seuil du xvie siècle :

Mais une fois la période augustéenne passée, la sensibilité arcadienne ne semble plus, au même titre que l’Âge d’or, qu’une référence lointaine. Un certain silence l’entoure durant tout le Moyen Age, où l’on apprécie toutefois le thème du locus amoenus qui lui est attaché. L’Arcadie n’est plus investie comme un sujet d’inspiration poétique et il faut attendre le tournant moderne des poètes du Quattrocento, principalement l’Arcadia de Jacopo Sannazar (1502), œuvre à la fois bucolique, élégiaque et utopique, pour retrouver un intérêt renouvelé pour la pastorale à la mode antique. L’Arcadia symbolise un monde meilleur, accessible, en rupture avec le monde de l’histoire contemporaine, où le narrateur Sincero aime se réfugier, mais où finalement il choisit de ne pas rester pour des raisons assez semblables à celle de Gallus en B10. Sannazar n’invente‑t‑il pas cette utopie, très dans l’air du temps, si l’on songe que l’Utopia de Thomas More (1516) paraît quelques années plus tard, tout comme la fabrication de ce mot ? (p. 33‑34)

18Jacopo Sannazar ressuscite le mythe arcadien qui replace l’homme au centre, à la défaveur de Dieu, tout en renouant avec les antiquités.

***

19L’Arcadie est une région grecque qui mêle âpreté et mystère, ce qui explique peut‑être qu’elle devienne une source d’inspiration. Mais une véritable alchimie poétique s’opère à partir du moment où ce lieu originel, aride et violent, devient un idéal de douceur, de paix et de tranquillité. Cet idéal coïncide, à Rome, avec la philosophie épicurienne et offre un contrepoint désiré aux malheurs du temps, à savoir les guerres civiles qui marquent la fin de la République. Mais selon une lecture qui n’est pas inédite, mais cependant extrêmement fouillée et détaillée, Franck Collin montre comment l’œuvre de Virgile est organique et se fait l’écho des préoccupations de l’air du temps sans oublier d’accompagner les fictions politiques. Terminons par l’ekphrasis que le préfacier donne d’une représentation picturale célèbre du mythe arcadien :

Je veux parler du tableau de Poussin, Et in Arcadia ego ou Les Bergers de l’Arcadie (1637‑1638, musée du Louvre). On y voit des bergers découvrant sur un tombeau, en pleine campagne, l’inscription « Et in Arcadia ego », qu’on traduit par « Moi (qui suis mort), je vécus ici en Arcadie » et qui signifie quelque chose comme « Même dans ce pays idéal qu’est l’Arcadie, la mort est inévitable ». Une autre interprétation possible serait « Moi aussi (qui suis mort), j’ai goûté aux délices de l’Arcadie. (Laurent Fourcade, Préface, p. 20)