Acta fabula
ISSN 2115-8037

2022
Mars 2022 (volume 23, numéro 3)
titre article
Christophe Cosker

L’Âme des guerriers (1990) d’Alain Duff : un succès de scandale en Nouvelle‑Zélande

Once Were Warriors (1990) by Alan Duff: a scandal hit in New Zealand
Sylvie Largeaud-Ortega, Orientalisme ou défi postcolonial ? Le cas de L’Âme des Guerriers d’Alan Duff, Paris : Honoré Champion, coll. « Bibliothèque de littérature générale et comparée », 2021, 270 p., EAN 9782745355867.

Tui, tui, tuituia1

1Dans la république mondiale des lettres, la littérature issue de Nouvelle‑Zélande est faiblement visible. C’est l’une des raisons pour lesquelles Sylvie Largeaud‑Ortega propose une lecture de l’œuvre d’Alain Duff qui connut un succès de scandale — à la fois en raison de sa date de publication et du portrait des Maoris —en Nouvelle‑Zélande dans les années 1990 : L’Âme des guerriers. Cette étude, qui contextualise l’œuvre, s’inscrit dans la relecture postcoloniale de l’orientalisme et fournit un grand nombre de données sur la Nouvelle‑Zélande à laquelle son nom vernaculaire est accolé, à savoir Aotearoa. Voici le demonstrandum que l’auteur se fixe :

J’affirme que ce roman se range parmi les chefs‑d’œuvre de la littérature anglophone. Dès sa parution, il avait lui aussi rencontré un succès retentissant, tout à fait inattendu de la part d’un auteur strictement inconnu, et d’une petite maison d’édition néo‑zélandaise jusqu’alors quasi confidentielle. J’espère ici faire la démonstration des qualités d’écriture de Duff dans L’Âme des Guerriers. Je souhaite contribuer à réhabiliter le texte en soi, en tentant de le dissocier des antagonismes souvent réducteurs que provoque son titre.

2Si cette profession de foi peut sembler davantage apologétique et hagiographique que scientifique, la lecture de l’essai prouve qu’il n’en est rien. Aussi, pour en rendre compte, commencerons‑nous par reconstruire les contextes pertinents, notamment sociopolitique et biographique, de L’Âme des guerriers et de son auteur, avant de nous appesantir sur la déconstruction du stéréotype éponyme du Maori en guerrier, ce qui nous permettra, en dernier lieu, de suivre les éléments de lecture allégorique du texte proposés par S. Largeaud‑Ortega.

Contextes pertinents de L’Âme des guerriers (1990)

Contexte sociopolitique : le cent cinquantième anniversaire du traité Waitangi

3Le traité de Waitangi occupe une place centrale pour comprendre l’histoire, coloniale et postcoloniale, de la Nouvelle‑Zélande. En effet, c’est par ce traité que les Européens — en l’espèce les Britanniques — s’approprient la Nouvelle‑Zélande le 6 février 1840. Il donne ensuite lieu à l’instauration, en 1975, d’un tribunal qui tente de réparer les spoliations dont les Maoris ont été victimes. Il est enfin à l’origine de la formation des deux groupes précédemment mentionnés dont les noms mêmes méritent réexamen. En effet, Maori est le nom d’une tribu avant de servir, par métonymie — voire amalgame — à désigner tous les autochtones de Nouvelle‑Zélande. D’autre part, le terme Pakeha est celui dont les Maoris se servent pour désigner, et discréditer, l’autre européen. Le roman L’Âme des guerriers d’Alan Duff paraît dans ce contexte global, mais en outre à un moment crucial :

L’intrigue se déroule en une Aotearoa‑Nouvelle-Zélande héritière d’un passé colonial douloureux : traité historique entre Maori et Britanniques bafoué, décennies de guerres meurtrières, immigration massive de colons, acquisition abusive de terres par les Pakeha, dépossession des Maori. Puis sans répit, au fil des ans, l’oppression politique, culturelle, sociale, de ces derniers. Les plaies du passé s’avèrent toujours ouvertes au temps de la narration, à la fin des années 1980‑début 1990. Les ethnies sont souvent divisées, entre une petite minorité maori et une forte majorité pakeha. La crise économique de cette époque frappe en priorité une force de travail maori que l’Histoire coloniale a cantonnée à un prolétariat sous‑qualifié. (p. 11)

4Le roman paraît donc à l’occasion d’une commémoration officielle dont le but est de faire nation en effaçant le clivage entre Maori et Pakeha. Mais on peut aussi lire cet événement comme une violence symbolique de plus exercée par l’ordre pakeha et qui, de ce fait, rate son but, à savoir restaurer la fierté d’être maori. L’Âme des guerriers montre précisément l’envers de ce mythe.

Contexte biographique I : légende dorée

5Ce contexte historique et socio‑culturel global s’assortit d’un contexte biographique particulier à l’auteur et qu’il est nécessaire d’élucider tant les questions du rapport de l’auteur à son sujet sont cruciales dans le cas des littératures postcoloniales. C’est la raison pour laquelle Spivak en fait l’un des fondements de l’attitude scientifique postcoloniale qui rejoint ici un idéal d’honnêteté intellectuelle. Nous faisons se succéder deux récits biographiques d’Alan Duff dont le premier se comprend comme une légende dorée :

Alan Duff est né en 1950, de Kuia Hinau, des lignées Ngati Rangitihi et Ngati Tuwharetoa, et de Gowan Duff, d’origine anglaise et écossaise, chercheur en sciences botaniques. Son grand‑père, Olivier Duff avait déjà inscrit le nom de famille dans les annales d’Aotearoa‑Nouvelle-Zélande en tant qu’homme de lettres, et fondateur du plus important hebdomadaire du pays, The Listener. Sa grand‑mère paternelle, Jess Whitworth, était romancière et amie de la célèbre écrivaine Janet Frame. Son oncle, Roger Duff, contribua à l’éducation du romancier : anthropologue de renom, ce fut un précurseur de théories qui font toujours autorité sur l’Histoire des premiers Maori. (p. 14)

6Alan Duff possède à la fois, par la naissance, des origines maorie et européenne. Si l’on considère son ascendance, il n’est pas un autodidacte du livre, étant donné que sa famille compte plusieurs hommes de lettres. C’est donc dans ce creuset favorable qu’il grandit.

Contexte biographique II : légende noire

7Pour autant, cette légende dorée ne coïncide pas avec l’ensemble du récit de ses origines et cohabite avec une légende noire liée à sa trajectoire :

Alan Duff fait état d’une enfance difficile dans des logements sociaux à Rotorua. Il grandit au milieu des livres, dans une famille cultivée, mais cette enfance fut sacrifiée par la violence, l’alcoolisme et l’absentéisme de sa mère. Suite à l’abandon du domicile par cette dernière, à dix ans il fut confié à sa famille étendue maori, à Whakarewarewa. Mais rebelle, fugueur, expulsé de l’école, à l’âge de treize ans il était consigné dans un foyer de garçons. À quinze ans, ce fut la maison de correction. Adolescent, Duff travailla comme ouvrier manuel, d’abord en Aotearoa‑Nouvelle‑Zélande, puis en Angleterre où il émigra à la fin des années 1970. En 1979, il fut condamné à dix‑neuf mois de prison ferme pour fabrication et usage de faux. De retour au pays, il entreprit de se réformer, et se consacra à l’écriture à partir de 1985. Un premier roman, publié en 1990 : L’Âme des Guerriers. (p. 14)

8Abandonné par sa famille proche, Alan Duff devient un marginal. Il se montre rebelle à l’institution scolaire dont il est renvoyé. Attiré par la délinquance, il se retrouve en maison de correction, puis commence des travaux manuels. Il part vivre ensuite en Angleterre où il subit également une condamnation qui motive son retour au pays et sa reconstruction par l’écriture.

La déconstruction du stéréotype du Maori en guerrier

Au début était la sauvagerie cannibale…

9S. Largeaud‑Ortega propose de comprendre L’Âme des guerriers en le replaçant dans le temps long de l’histoire de la Nouvelle‑Zélande :

Le tout premier Européen qui approche l’île est Abel Janszoon Tasman, navigateur néerlandais. En 1642, il dirige une expédition à la recherche du continent austral, jette l’ancre à l’extrémité nord‑ouest de l’Île du Sud, et fait l’objet d’une observation scrupuleuse de la part des Ngati Tu‑mata‑kokiri : qui étaient ces envahisseurs irrespectueux du protocole des rencontres ? À la première opportunité, les autochtones lancent l’assaut, tuent trois membres de l’équipage et s’emparent de l’un des corps, probablement pour le consommer en signe de mépris face aux envahisseurs. (p. 21‑22)

10Cette mise en perspective passe par la découverte de l’île par les colonisateurs européens au premier rang desquels Abel Janszoon Tasman. Cette première rencontre et son issue cannibale font naître un mythe, celui de la sauvagerie originelle du Maori. On peut esquisser un rapide parallèle avec notre propre terrain de recherche et signaler que les Comores apparaissent eux aussi comme L’Archipel aux sultans batailleurs (1961) sous la plume de l’historien Urbain Faurec. Ce mythe de la guerre originelle et perpétuelle se comprend comme un moyen de discréditer les autochtones par le truchement du désordre tout en évacuant d’autres récits plus neutres et proches de la vérité sur l’histoire du peuplement ou encore des récits idéalisateurs.

Les couleurs des Maoris

11Parmi les clefs que donne l’auteur pour comprendre la Nouvelle‑Zélande, on trouve notamment la typologie racialisante suivante :

Belich décline une panoplie de mythes à propos des Maori. Ces mythes couvrent, au cours des contacts avec l’Occident, une palette de teintes ; parcourons‑la brièvement. Les Maori Blancs trônent au sommet de l’échelle raciale érigée par les Européens : ces derniers choisissent de voir en eux leurs semblables des antipodes, au fort potentiel de conversion et d’assimilation à leurs propres valeurs. Les Maori Gris sont ceux que les Occidentaux croient frappés par l’« impact fatal » : décimés par le contact, son cortège de maladies et autres maux, ils sont les membres fantomatiques d’une race inférieure, moribonde, appelée à disparaître. Les Maori Bruns représentent une race soumise, subalterne, destinée à servir, et cependant peu digne de confiance. Les Maori Rouges sont fondamentalement sanguinaires : féroces, toujours en guerre, cannibales, redoutables mais méprisables. Le mythe du Maori Vert est étonnamment flatteur : c’est le Bon Sauvage — en parfaite harmonie avec la nature — mais il sert surtout de contrepoint à une Europe décadente ; héritier de Rousseau, il est une variante du Tahitien mis en scène par Denis Diderot dans son Supplément au Voyage de Bougainville (1796) ou par Jean Giraudoux dans son Supplément au Voyage de Cook (1935). Le Maori Noir, enfin, se situe tout au bas de l’échelle raciale : sauvage, cruel, à peine humain, c’est une créature des ténèbres, de la couleur même des tatouages qui, pensent les Européens, le défigurent. (p. 22‑23).

12Ainsi le Maori ne coïncide‑t‑il pas seulement avec l’homme noir par opposition au Pakeha blanc. Il y a, selon le terme de Barthes, une bathmologie, c’est‑à‑dire un nuancier chromatique qui distingue des Maoris Blanc, Gris, Brun, Rouge et Noir. Cette typologie racialisante est également raciste dans la mesure où elle s’apparie à une hiérarchie dont nous venons de rappeler l’échelle descendante, du blanc vers le noir. Ce classement permet, à l’auteur, au cours de son analyse, d’indiquer la valeur associée au Maori, la seule couleur absente de L’Âme des guerriers étant le vert d’axiologie positive :

Les deux premiers romans publiés par un auteur maori, Tangi (1973) et Whanau (1974) d’Ihimaera, dévoilaient la douceur de vivre d’une communauté maori pastorale, la solidité des liens qui les unissaient. Les incursions du héros‑narrateur dans les milieux urbains de Wellington ou Gisborne ne servaient qu’à mieux l’en extraire, l’inciter à un retour aux sources rurales. (p. 132)

13Alan Duff ne s’intéresse pas au Maori positif lié à la nature, mais au Maori urbain dont il met en scène la déchéance, en particulier celle du Maori rouge qui descend des guerriers par opposition au Maori gris aliéné, au brun assimilé et assujetti et au noir marginalisé.

Fonction du cliché guerrier

14L’Âme des guerriers repose sur l’image éponyme centrale, à savoir le mythe du Maori en guerrier. Le roman étant notamment défini comme une dégradation de la forme épique, Jake, le protagoniste, ressemble dès lors relativement peu à ses glorieux ancêtres qui résistent au colon étant donné qu’il ne fait que se battre dans des pubs, après consommation d’alcool. L’une de ses confidences suggère d’ailleurs une origine servile peu valorisante. Pour S. Largeaud‑Ortega, le mythe de la bellicosité maorie constitue une « arme pakeha ». En effet, la valorisation du guerrier maori est un piège que lui tend le colon qui le construit en adversaire valeureux, ce qui rend sa coloniale victoire plus triomphale. En outre, le guerrier apparaît davantage comme un homme du corps plutôt que de l’esprit, ce qui permet au colon de le détourner du travail intellectuel et d’exploiter sa force physique. La déconstruction de ce stéréotype par l’auteur n’est pas sans faire penser à celle de la paresse, attribuée au colonisé par le colon afin de mieux l’exploiter, comme le montre Albert Memmi dans Portrait du colonisé (1957).

Lecture allégorique de L’Âme des guerriers (1990)

La responsabilité de la victime

15S. Largeaud‑Ortega combine lecture postcoloniale et allégorique afin d’explorer les sens du roman. En plus de la déconstruction du stéréotype du Maori belliqueux, elle applique à L’Âme des guerriers le concept de victim blaming :

Lorsqu’il dénonce le laisser‑faire des Maori, leur paresse, la part active qu’ils prennent à leur propre déchéance, l’auteur verse dans ce qui, pour beaucoup de Maori et un nombre croissant de Pakeha, relève du victim blaming. L’expression, qui a gagné la langue française, fut créée en 1971 par le sociologue William Ryan pour dénoncer les postures qui, aux États‑Unis, consistaient à légitimer racisme et misogynie, en en imputant la faute respectivement aux Afro‑Américaines et aux femmes. Ryan s’inscrivait en faux contre l’adage bien connu selon lequel, si des victimes étaient lésées ou agressées, c’est qu’elles l’avaient bien cherché. (p. 119‑120)

16Le concept de victim blaming s’avère pertinent en contexte raciste et misogyne, ce qui permet de l’appliquer à notre œuvre. Le concept souligne la façon dont la responsabilité du discours critique sur le Noir ou la femme est imputée, non pas à celui qui en est l’auteur, mais à celui qui en est l’objet. Il en va ainsi de l’association entre échec social maori et dénuement culturel de même qu’entre échec social et instabilité familiale. Il s’agit de ne pas en rester à des évidences qui relèvent du paralogisme et du déterminisme. La reprise d’un tel discours par l’auteur lui a valu le qualificatif de traître :

En développant le mythe du Maori Brun incapable de se prendre en mains, Duff faisait, quant à lui, figure de Maori Blanc : endossant une position éminemment agonistique, il prônait l’assimilation des Maori au système de société et aux valeurs pakeha. (p. 123)

L’Allégorie de la pieuvre

17Dans cette perspective, l’auteur propose une lecture allégorique de l’un des cauchemars de Jake, à savoir celui qui le met aux prises avec une pieuvre :

Jake rêve qu’il est sur un bateau, et qu’on lui jette une grosse pieuvre qui se colle à lui, l’enveloppe de toutes parts. Chaque ventouse lui suce le sang, et les tentacules repoussent à mesure qu’il les arrache. Recouvert d’une bave dégoûtante, il ne parvient à s’en défaire qu’au prix d’efforts extrêmes. (p. 114)

18L’auteur met en regard ce cauchemar de la pieuvre avec les symboles de la médecine traditionnelle maorie recueillis par Ragnimarie Rose Pere. La pieuvre est parfois appelée Te Wheke dans la culture maorie et ses tentacules contiennent une substance vitale qui se décline de la façon suivante :

Les huit tentacules de la pieuvre représentent Wairua (le monde spirituel), Taha Tinana (le monde physique), Ha Taonga Tuku iho (les trésors transmis par la culture), Mana (le pouvoir divin), Whanaungatanga (le lien à la terre et à l’humain), Hinengaro (le monde mental), Ranga Whatumanawa (le monde des émotions) et Mauri (le principe de vie). (p. 114‑115)

19Cette interprétation suggère que Jake est aux prises avec sa propre culture qui l’étouffe. De façon plus picturale, l’image de l’homme recouvert par une pieuvre fait penser à un homme privé de visage et donc de parole ou, de façon positive, à un homme illustré par ses tatouages.

Grace, un personnage qui symbolise son pays

20Parmi les autres protagonistes de L’Âme des guerriers, on trouve la fille de Jake — dont il a peut‑être abusé — à savoir Grace :

Je propose de suivre le parcours de Grace, depuis sa première apparition dans le roman lors de cette visite au Tribunal jusqu’à la scène du suicide, et de lire ce parcours comme une métaphore de l’Histoire d’Aotearoa‑Nouvelle‑Zélande. Je considère en effet qu’à travers ce personnage‑clé, L’Âme des guerriers revisite cette Histoire, des premiers contacts avec les Européens jusqu’à nos jours. Critiques et lecteurs ont souvent négligé ceci : c’est la confrontation de Grace avec cette Histoire coloniale qui la conduit au suicide. Ainsi, l’œuvre oppose un antagonisme métaphorique à son propre discours colonial. Le parcours métonymique de Grace est certes fondamental à l’intrigue du roman ; je soutiens que son parcours métaphorique, à travers l’Histoire, à charge contre les Pakeha, est lui aussi fondamental. Il énonce, en profondeur, la responsabilité collective coloniale vis‑à‑vis du suicide du personnage et par extension, vis‑à‑vis de la déchéance des Maori telle que la dépeint le roman. (p. 164)

21Grace connaît donc un destin tragique qui se termine par un suicide. Le personnage intéresse notamment l’auteur en raison du point de vue qu’elle offre sur le pays qu’elle contemple, et qu’elle incarne aussi. S. Largeaud‑Ortega distingue souvent deux niveaux de lecture, à savoir le métonymique qui coïncide avec l’histoire dans son sens littéral et le niveau métaphorique qui offre des perspectives allégoriques. Dans cette perspective, la fin de Grace illustre ce que la colonisation a fait à — et de — la Nouvelle‑Zélande.

22La lecture que Sylvie Largeaud-Ortega propose de L’Âme des guerriers (1990) d’Alan Duff se fonde sur une connaissance extensive de l’histoire de la Nouvelle‑Zélande dont le contexte colonial est la clé de voûte du texte. À partir et au‑delà de sa trajectoire — notamment la connaissance des gangs — Alan Duff brosse une fresque de la Nouvelle‑Zélande qui lui a valu la réputation sulfureuse d’homme le plus détesté du pays. Le texte propose pourtant une déconstruction du cliché du guerrier maori et refuse les facilités du victim blaming. Tout en reproduisant des discours stéréotypés qu’il oppose, l’auteur propose, à travers ses personnages, des portraits humains saisissants de la Nouvelle‑Zélande. Au‑delà de la lecture spécifique du texte au succès retentissant dans le pays, L’Âme des guerriers peut intéresser le lecteur curieux des problématiques postcoloniales ainsi que celui qui, comme tout un chacun a pu être impressionné par les haka des All Black, danse devenue produit publicitaire, et dont l’origine est la suivante :

À l’origine, « Ka Mate » ne jouissait d’une dimension mythique que chez certains Maori — très exactement auprès de la tribu, ou iwi, des Ngati Toa. C’est leur chef, Te Rauparaha, qui en composa le chant. Cela se passa au cours des guerres intertribales qui émaillèrent les quatre premières décennies du xixe siècle, dans les circonstances que Timoti Sam Karetu relate ainsi : Te Rauparaha devait battre en retraite devant l’embuscade montée par les Ngati Te Aho, qui eux‑mêmes cherchaient à se venger de défaites antérieures. Il demanda protection au chef Te Wharerangi. Ce dernier dissimula Ta Rauparaha […]. Depuis sa cachette, alors qu’il écoute les échanges entre ses poursuivants et son protecteur, Te Rauparaha contemple son sort. Il murmure à part soi : « Aha ha. Ka mate, ka mate, ka ora, ka ora. Ka mate ka mate. » ou « Je meurs, je meurs, je vis, je vis. Je meurs, je meurs. » (p. 70)