Colloques en ligne

Julien Claparède-Petitpierre

Grammaires humaines et animales de l’interaction : une approche sémiotique

Human and animal grammars of interaction: a semiotic approach

Introduction

1Dans Les fondements oubliés de la culture Dominique Guillo (Guillo, 2019) revient de façon critique sur les théories contemporaines (Latour, 2004 ; Descola, 2005 ; Kohn, 2013) qui, en sciences sociales et en philosophie, entendent dépasser la fracture nature-culture qui résulterait de la « constitution des modernes » (Latour, 2004) ou de « l’ontologie naturaliste » (Descola, 2005) occidentale. À rebours de ces thèses, Guillo soutient que ce prétendu « grand partage » est récent et n’a précisément pas eu lieu ailleurs que dans ces disciplines des sciences sociales qui prétendent le résorber ou le dépasser. Mieux, il montre que les travaux récents qui entendent formuler une anthropologie et une philosophie « par-delà nature et culture » continuent à sécréter une telle partition. En effet, l’origine du départ entre l’ordre de la nature et l’ordre de la culture ne doit être cherchée, selon Guillo, ni dans la constitution ontologique de la philosophie moderne, ni dans le cadre épistémologique de la science moderne, ni même dans le développement historique de la Révolution Industrielle, mais dans le schisme opposant les Behavior Sciences à une anthropologie qui, à partir des années 1930, se définit par-delà la diversité de ses théories par un rejet commun du réductionnisme. Ainsi, note-t-il, une distinction épistémologique ferme s’établit entre les études du comportement qui conceptualisent l’animal à partir du schéma behavioriste stimulus-réponse et celles qui font de l’humain un être évoluant dans un monde de structures symboliques. Cette trop rapide description permet néanmoins de saisir comment la position générale du problème dessinée par Guillo offre une façon nouvelle de comprendre pourquoi les tentatives récentes de dépassement du dualisme nature-culture ne laissent que deux options possibles : les tentatives, dites réductionnistes, visant à intégrer le comportement humain au sein d’un type de modèle behavioriste et les tentatives, dites anthropomorphiques, tendant (dans des proportions variables) à accorder aux animaux des compétences mentales aussi similaires que possible à celles des humains. Si ces deux voies ne sont pas nécessairement illégitimes pour peu qu’on accepte les limitations de méthode qu’elles induisent a priori, elles ne semblent pas en mesure de surmonter l’opposition que leurs circonscriptions respectives ont contribué à ériger.

2Dans son ouvrage, Guillo décrit une troisième voie susceptible de neutraliser ce dualisme en s’extrayant des deux cadres antagonistes qui l’organisent. En partant de l’analyse des interactions — intra mais aussi interspécifiques — il est possible de montrer que des humains de cultures différentes, des humains et des animaux, des animaux d’espèces différentes ou des animaux de même espèce mais de groupes différents négocient les termes d’une forme de compréhension mutuelle qui, pour imparfaite qu’elle soit, fonctionne et s’établit à partir des différences respectives d’interactants plus ou moins hétérogènes. Ainsi, on peut expliquer qu’un chien de chasse et un chasseur interagissent de façon complexe et efficiente sans que le canidé ne soit anthropomorphisé ni intégrer le comportement du chasseur à un cadre behavioriste. Cette troisième voie ainsi identifiée par Guillo n’est néanmoins pas tout à fait neuve et certains travaux du xxe siècle souvent jugés hétérodoxes — ont commencé à en poser les jalons depuis un demi-siècle, notamment ceux de Gregory Bateson.

3Il peut être dès lors utile de revenir sur une certaine convergence qui s’est dessinée au xxe siècle entre l’étude de l’éthologie animale et l’anthropologie de la communication qui, de son côté, s’est développée à partir d’une réflexion interactionnelle et sémiotique menée sur les méthodes et les objets de l’ethnographie. Ces deux types d’enquêtes se sont d’abord développés de façon disjointe avant que deux chercheurs importants — Konrad Lorenz et surtout Gregory Bateson  réfléchissent à leur articulation. Cette articulation est rendue possible, selon nous, par le fait que ces deux types d’enquêtes convergent en une réflexion sur la sémiotique interactionnelle non-verbale.

4Bateson  anthropologue et théoricien de la communication britannique du xxe siècle  ne voit pas dans l’usage humain de la sémiotique non-verbale une forme de communication primitive mais y reconnaît au contraire un aspect majeur et universel de la socialité. Il s’intéresse au fait que la communication kinésique se retrouve autant chez les animaux dépourvus de langage articulé que chez les humains de toutes cultures, constituant un mode d’intelligibilité transculturel, voire trans-spécifique. Il est ainsi l’un des premiers à ratifier la parenté qui unit l’éthologie animale et l’anthropologie de la communication.

5Bateson considère que la vie sociale humaine repose largement sur des aspects cognitifs liés à la sémiotique non-linguistique et cherche à élucider les phénomènes à l’œuvre dans les interactions humaines et animales. Il observe ainsi l’omniprésence de la communication non-verbale chez l’être humain qui permet d’établir un plan de familiarité non anthropomorphique entre l’humain et, a minima, les autres mammifères terrestres :

Nous, les mammifères terrestres, sommes familiers avec la communication paralinguistique : nous l’utilisons nous-mêmes quand nous grognons et gémissons, quand nous rions ou sanglotons, jusque dans les modulations de notre souffle quand nous parlons, etc. Pour cette raison les bruits paralinguistiques des autres mammifères sont loin de nous être totalement opaques. Nous apprenons facilement à reconnaître en eux certains types de salutations, de pathos, de rage, de persuasion et de territorialité, quoique nos interprétations puissent souvent être fausses (Bateson, 1966).

6L’incursion de Bateson dans le champ de l’éthologie lui permet de mettre en lumière le fait de la lisibilité du comportement animal qui permet la communication interspécifique. Certes il n’est pas rare de se tromper face à un mammifère mais ses attitudes sont toutefois loin d’être totalement opaques. Les humains sont habitués à rencontrer des chiens, des chats, des équidés ou des bovidés et à interpréter leurs manifestations kinésiques. Si les néophytes peuvent se tromper, il reste que les attitudes de ces animaux deviennent vite compréhensibles pour ceux qui les fréquentent.

7Le modèle de Bateson sur ce point est son ami Konrad Lorenz dont il lit avec attention les travaux et dont il admire la capacité à communiquer avec les animaux. La familiarité de l’éthologue allemand avec les animaux, notamment les oies, fascine Bateson et l’incite à se pencher sur les aspects communicationnels communs à l’humain et aux autres animaux.

8L’hypothèse est simple : si Lorenz et les gens qui vivent, travaillent et interagissent quotidiennement avec des animaux  notamment des mammifères et des oiseaux peuvent parvenir à une compréhension réciproque, alors il faut que le mammifère humain partage avec eux des modalités communicationnelles. Or, si une telle forme de socialité est disponible dans le commerce avec les animaux, il serait bien étonnant que les humains n’en usent également entre eux. Bateson suppose donc qu’une large part de la communication sociale humaine repose sur ces aspects non linguistiques de son comportement qu’il partage avec d’autres animaux :

Comme de nombreux mammifères terrestres, nous communiquons essentiellement à propos de nos [relations] au moyen de signaux kinésiques et paralinguistiques tels que les gestes corporels, les tensions involontaires des muscles volontaires, les changements de l’expression faciale, les hésitations, les changements de rythmes de la parole ou du mouvement, les modulations de la voix, les irrégularités de la respiration. Si vous voulez savoir ce que l’aboiement d’un chien « signifie », regardez ses lèvres, les poils sur la partie supérieure de son cou, sa queue et ainsi de suite (Bateson, 1966).

9Loin de se limiter au langage articulé, la communication humaine s’enracine dans une sémiotique animale qui nous rappelle à notre condition de mammifère et, plus largement, d’animal. Ainsi le monde sans langage articulé n’est pas le lieu d’une instinctivité aveugle où le comportement serait réduit au réflexe. Le behaviorisme lui-même ne peut d’ailleurs réduire les comportements animaux à la manifestation de certains réflexes (comme la salivation) qu’à condition d’éluder les aspects sémiotiques donc, dans une certaine mesure sémantiques, du contexte expérimental. La socialisation animale et interspécifique montre que le comportement non-linguistique des êtres vivants est signifiant, même s’il intègre une gestuelle dont certains aspects relèvent du réflexe, soit conditionné par apprentissage, soit spontanément intégré de façon phylogénétique au répertoire des gestes et des signes d’une espèce. Ce n’est pas anthropomorphiser les animaux dans leur diversité et leurs différences que de noter que leurs réflexes s’intègrent dans des interactions sémiotiques dotées d’une certaine valeur sémantique, ni « réduire » l’être humain à un automate que de montrer comment la gestuelle réflexe qu’il déploie  qu’elle soit acquise ou innée entre pour large part dans les phénomènes de communication quotidiens. En effet, comme l’ont très tôt reconnu les ethnographes, et en premier lieu Edward Sapir, la signification linguistique des énoncés grammaticaux et apophantiques n’entre que pour une part limitée dans la richesse intermodale de la communication quotidienne.

10L’intérêt de l’approche élaborée par Bateson pour étudier de la communication humaine, animale et interspécifique est majeur puisqu’elle permet, en premier lieu, de ne pas réduire l’étude des animaux aux strictes approches behavioristes en intégrant le phénomène des réactions réflexes dans un cadre sémiotique et sémantique plus vaste. Elle invite dès lors, en second lieu, à aborder le problème de la cognition humaine, et notamment de la cognition sociale, à partir ce même cadre sémiotique sans limiter l’étude de la communication humaine et de l’esprit humain à leurs aspects linguistiques et symboliques les plus intellectualisés.

11De façon préliminaire, il faut encore préciser que nous faisons la distinction nette entre l’approche symbolique en anthropologie (que l’on trouve notamment dans le structuralisme de Lévi-Strauss) et l’approche sémiotique dont il est question dans cet article. De façon très rapide, on peut caractériser l’approche symbolique comme une approche allégorique  les signes renvoyant à un plan abstrait et systématique de signification — tandis que l’approche sémiotique se présente comme relevant de la métaphore ou de la synecdoque : il s’agit d’abréger des interactions et de les réduire à une de leurs parties à des fins de communication, ou encore de déplacer certains motifs gestuels afin de produire des analogies signifiantes. Par exemple, lorsqu’un chien montre les crocs, il manifeste son animosité en dénotant une morsure qui n’a pas lieu. En effet, retrousser les babines et sortir les crocs a une fonction pragmatique qui est de permettre la morsure dans une séquence d’attaque complète. Ainsi, en montrant les crocs il isole un fragment de la séquence complète à des fins de communication.

1. La ritualisation en éthologie

1.1. Définition de la ritualisation en éthologie

12La ritualisation est un phénomène majeur mis au jour par les travaux d’éthologie au xxe siècle. Le terme de ritualisation est forgé par Julian Huxley qui le décrit ainsi en 1966 dans un texte rédigé pour l’Unesco :

La ritualisation en éthologie animale désigne le processus par lequel l’expression d’états de motivation, souvent impliquant le conflit, est modifiée afin d’améliorer sa fonction de communication (signalétique) (Huxley, 1966).

13Huxley observe que, chez certains animaux, certains comportementaux interactionnels d’abord labiles peuvent devenir des signaux reconnus des autres membres de l’espèce ou du groupe. Il note que nombre d’attitudes liées à l’agression sont ritualisées, ce qui permet de minimiser l’usage de la violence dans un groupe. Le renforcement des aspects stylistiques des messages par l’exagération des signes kinésiques permet une clarification accrue de la signification : « [Une attitude] est formalisée ou stéréotypée afin de réduire l’ambiguïté du comportement-signal esthétisé comportant une information pour un autre individu (Huxley, 1966). Le terme de ritualisation désigne donc, selon Huxley, la mise en forme stéréotypée et exagérée d’un motif comportemental à des fins de communication. Un comportement ritualisé est un comportement dont la fonction est dès lors sémiotique et non plus pragmatique.

1.2. L’incitation chez le canard documentée par Lorenz : genèse d’une grammaire sémiotique

14En 1963, Lorenz publie De l’Agression et s’intéresse à la question de la ritualisation chez les canards au chapitre V. Il décrit ainsi comment chez certaines espèces de canard — notamment le colvert européen — le comportement d’agressivité de la cane a été ritualisé de façon phylogénétique.

15Lorenz montre que l’on observe fréquemment, chez les anatidés, des querelles entre deux couples. Il ajoute que les canes font souvent un mouvement de va-et-vient, d’attaque et retraite, en chargeant la tête basse le couple ennemi puis en faisant volte-face, battant en retraite pour rejoindre le mâle assez immobile. Une fois la retraite effectuée la tête haute, la cane baisse à nouveau son cou et dirige sa tête menaçante vers les ennemis avant d’entreprendre une nouvelle charge.

16Chez de nombreuses espèces de canards, ce mouvement est fluide et la cane tourne toujours la tête en direction de son ennemi pour le menacer. Chose intéressante, il est assez fréquent que, à la suite de sa retraite la cane tourne le dos à ses rivaux et dirige donc sa tête vers l’arrière, son cou abaissé et tiré par-dessus son épaule. Ce geste, tout à fait justifié par le positionnement réciproque des protagonistes chez de nombreux canards, est néanmoins ritualisé chez certains, notamment le colvert qui nous est si familier. En d’autres termes, lorsque la cane du colvert menace des rivaux, elle tord son cou vers l’arrière sans que cela ait un rapport avec la position effective des ennemis (qui peuvent être devant elle) :

Chez les canards qui se nourrissent en surface, en incluant notre colvert, l’ancêtre du canard domestique, menacer vers l’arrière par-dessus l’épaule est devenu le seul et unique motif gestuel possible et obligatoire (Lorenz, 1963).

17Lorenz remarque une étape intermédiaire de fixation phylogénétique de ce motif gestuel (ou réflexe moteur) chez la tadorne rousse : il rappelle avoir observé une cane de cette espèce menacer un couple rival, d’abord de façon mesurée en orientant la tête en direction des ennemis placés devant, puis avec un excitation accrue qui induisait une modification de son comportement. À mesure que sa colère montait, sa tête était comme tirée en arrière par le réflexe moteur ritualisé ce qui la conduisait — malgré elle — à détourner la tête de ses rivaux :

On observe mieux cela quand la cane commence à accomplir le mouvement dans un état d’excitation modéré puis, graduellement, devient de plus en plus furieuse. Si l’ennemi se tient juste devant elle, elle commencera par le menacer directement d’un mouvement vers l’avant mais, de façon directement proportionnelle à l’accroissement de son agitation, une force irrésistible semble tirer sa tête en arrière, au-dessus de son épaule. Pourtant, la réaction orientée est encore effective et elle s’efforce de diriger sa menace vers son ennemi. Cela est lisible dans ses yeux qui demeurent résolument fixés sur l’objet de sa colère tandis que le nouveau mouvement fixé par ritualisation tire sa tête dans une autre direction. Si elle pouvait parler, elle dirait : « je veux menacer ce mâle étranger qui m’est odieux mais ma tête est tirée dans une autre direction » (Lorenz, 1963).

18L’amusant discours de la cane proposé par Lorenz à la fin de cet extrait illustre un trait décisif de la ritualisation : les signes kinésiques sont involontaires. Inscrits comme des réflexes dans la gamme comportementale de l’animal qui les manifeste, ces mouvements sont marqués et incontrôlables, ce qui les rend sémiotiquement lisibles et interactionnellement fiables.

19Ces « displays », c’est-à-dire ces mouvements signifiants involontaires ritualisés, permettent une précision accrue dans la communication rendant possible l’évocation préventive des intentions d’agression sans pour autant engager une démarche d’attaque. Autrement dit menace et violence sont plus nettement distinguées. Avec la ritualisation, la sémiotique s’inscrit dans le comportement animal, le signe se distingue de l’acte, « la carte se détache du territoire » selon la formule de Bateson. Cette distinction du champ actanciel et du champ sémiotique est réalisée par la fixation d’une séquence motrice devenue réflexe incontrôlable. Que l’attitude soit fixée génétiquement ou passée dans le registre des habitudes, la valeur sémiotique du comportement ritualisé résulte d’un accroissement de la stéréotypie gestuelle, c’est-à-dire d’une coordination corporelle extraite du registre des mouvements consciemment maîtrisés.

20Né des hésitations interactionnelles composant le ballet des négociations comportementales, le geste s’inscrit dans le registre des réflexes moteurs en se schématisant au gré des répétitions. La fixation du comportement ritualisé fait alors du geste stéréotypé un signe auquel peuvent répondre les autres animaux. D’abord labile et interactionnel, le motif ritualisé se détache du contexte actantiel pour devenir un signe inscrit dans les montages réflexes de l’individu. Ainsi, la relation bipolaire disparaît progressivement au profit du signe et les tractations interactionnelles laissent place à ce qui ressemble de plus en plus à une expression individuelle. Chose notable, le signe est adhérent au comportement d’un corps devenu sémiotique. Dès lors, quelles que soient les modalités d’inscription physiologique du réflexe moteur — phylogénétiques ou coutumières —, le corps se révèle comme support sémiotique de la communication. On observe donc une stéréotypie accrue et une sémiotique qui naît par synecdoque : le motif gestuel est arraché à la séquence interactionnelle complète pour devenir un signe.

1.3. Métaphores comportementales en éthologie animale

21Pour Bateson, l’enjeu théorique du détour par la communication animale est de comprendre comment un comportement admettant une accessibilité tendanciellement immédiate peut devenir une grammaire comportementale qui se ritualise et se codifie dans les cas des cultures animales et des cultures humaines diversifiées. Cette codification est difficile à saisir car elle pose la question de la définition des types de relations qu’entretiennent les individus en l’absence d’explication linguistique des termes. Autrement dit, comment la grammaire des attitudes peut-elle à la fois générer des signifiants et des signifiés de façon purement interactionnelle, sans aucun détour par le langage articulé ?

22Dans l’article “Problems in Cetacean and Other Mammalian Communication” de 1966, Bateson montre que des mammifères sociaux comme les loups échangent des messages complexes permettant l’établissement d’un certain type de structure sociale dans leur communauté. Il faut entendre ici par structure sociale une certaine division relativement stabilisée des rôles sociaux, souvent hiérarchique, se caractérisant par l’adoption de normes comportementales interactionnelles et par la mise en place d’un ensemble de signes disponibles permettant aux individus en interaction de manifester et de rappeler les règles comportementales qui s’imposent aux autres et à eux-mêmes.

23Bateson s’intéresse donc à la façon dont les loups peuvent gérer avec subtilité des situations sociales délicates. Il rapporte une observation filmée effectuée sur les loups du parc zoologique de Chicago. Pour décoder la situation rapportée il revient sur l’existence d’un moment typique chez les canidés à savoir le moment du sevrage.

Chez les canidés le sevrage est accompli par la mère. Quand le chiot demande du lait, elle appuie avec sa gueule ouverte sur le dos de son cou et le plaque au sol. […] Chez les loups cette fonction n’est pas réservée à la mère mais est accomplie par les adultes des deux sexes (Bateson, 1966).

24Bateson rappelle que, chez les loups, les deux sexes sont en charge du sevrage car les mâles — quoique dépourvus de lait contribuent aussi à nourrir les louveteaux en régurgitant de la nourriture dans leur bouche. Bateson en vient ensuite à l’anecdote observée : il y avait au zoo de Chicago un grand mâle adulte qui était le dominant, un certain nombre de louves et quelques jeunes mâles. Un jour l’un des jeunes mâles s’accouple avec l’une des femelles, ce qui est strictement réservé au mâle dominant. Le grand mâle dominant ne le voit pas immédiatement mais le jeune mâle reste coincé dans la femelle et est vite repéré par le grand mâle qui accoure alors. Bateson rapporte la suite :

Que fit [le dominant] au jeune mâle acculé qui avait osé enfreindre les règles ? […] Le film montre qu’il a pressé vers le bas la tête du mâle offenseur quatre fois avec sa gueule ouverte et s’en est simplement allé. Quelles sont les implications de cette anecdote pour notre recherche ? Ce que le chef de la meute a fait n’est pas descriptible, ou est insuffisamment décrit, en termes de stimulus-réponse. Il n’a pas « négativement renforcé » l’activité sexuelle de l’autre mâle. Il affirme ou impose la nature de la relation entre lui et l’autre. Si nous traduisions l’action du chef de meute en mots, ces mots ne seraient pas « ne fais pas cela ». L’on traduirait mieux la dimension métaphorique de l’action par : « je suis ton ainé adulte, espèce de louveteau ! » (Bateson, 1966).

25Par l’usage conjoint de métaphores et de synecdoques comportementales, le chef de meute utilise des formes de relations stéréotypées et des signes quasi-ritualisés afin de statuer sur la relation de domination qu’il instaure avec le jeune loup. En mimant un segment de la relation de nutrition et sevrage entretenue par les loups adultes et les louveteaux, le mâle adulte renvoie le jeune mâle à un statut puéril. Il décide donc de qualifier la relation à partir du modèle de la hiérarchie des rapports caractéristiques entretenus entre les loups adultes et leurs petits quand il aurait pu choisir de classer la relation différemment en agressant violemment le jeune individu. Cette autre forme de réaction aurait également pu être qualifiée de « domination », mais ce même terme eût alors dénoté une relation complètement différente. S’il avait attaqué le jeune mâle, le chef de la meute l’aurait alors implicitement reconnu comme un concurrent adulte qu’il faut soumettre, ou tuer, et non comme un jeune qu’il faut rappeler à l’ordre. La relation de sevrage présente cet avantage qu’elle permet d’instaurer un rapport d’obligation clair tout en prévenant une escalade de l’agressivité. Le placage du jeune individu typique du sevrage est à la fois ferme, non discutable, humiliant et mais peut-être aussi bienveillant. L’intelligibilité d’une telle stratégie de communication et d’établissement des hiérarchies sociales implique néanmoins de bien connaître les motifs interactionnels stéréotypés et formalisés mobilisés par les loups, ceux-ci pouvant être déplacés et réutilisés afin de caractériser par analogie d’autres relations :

Le motif d’action dans la communication du chef de la meute de loups est immédiatement intelligible dès que l’on dispose des données concernant les pratiques de sevrage de l’animal, car ces pratiques sont elles-mêmes des signaux kinésiques et analogiques (Bateson, 1966).

26L’usage métaphorique que les canidés proposent de certains signes stéréotypés se présente comme une stratégie communicative qui, pour Bateson, est riche d’enseignements sur la sémiotique comportementale. Par la mise en lumière d’un tel usage, Bateson montre que les membres d’une communauté peuvent classer de façon non-verbale une relation en proposant, ou imposant, un segment de relation à un autre individu. Le déplacement métaphorique d’un motif comportemental ritualisé permet d’établir une relation clarifiée par analogie avec la relation première dont la teneur est clairement établie. Il s’agit ici d’une logique typiquement sémiotique parce qu’un détail comportemental  ou segment interactionnel est une synecdoque qui renvoie à l’intégralité de la relation dont il n’est qu’une partie, ce qui contribue à proposer une caractérisation de la nouvelle relation en cours par métaphore et synecdoque.

27Cette description de la communication des loups est intelligible pour des humains, puisqu’il n’est pas besoin de savoir ce que cela fait d’être un loup   what it is like to be (Nagel, 1974) tout en échappant au reproche d’anthropomorphisme. Bateson insiste sur le fait qu’il ne faut pas rendre le message du loup adulte par l’énoncé « ne fais pas cela », mais par l’énoncé « je suis ton aîné adulte, espèce de louveteau ! ». La seconde formulation, quoique tout aussi linguistique que la première, est pourtant moins anthropomorphe car elle ne consiste pas dans l’énoncé non contextuel d’un interdit, contrairement à la première. La seconde formulation restitue la stratégie sémiotique du loup qui détache un signe ritualisé d’une séquence actancielle stéréotypée afin de requalifier normativement et socialement une situation. Le loup dominant impose un contexte de lecture à l’acte du jeune : il choisit d’y voir l’incartade mineure d’un jeune, non le défi d’un rival. En mobilisant un signe enraciné dans le contexte du sevrage, le mâle adulte transfère ce contexte : il propose  ou impose une inférence sémiotique allant du signe au contexte. Le signe, quand il est compris, impose une contextualisation qui se définit en premier lieu par certaines règles de conduite générales et, en second lieu, par un type hiérarchisé de relation. C’est seulement ce second aspect du contexte de sevrage qui est ici dénoté analogiquement puisque le loup n’est pas en train de sevrer le jeune adulte mais de rappeler sa position dominante.

2. De l’ethnographie à l’étude de la communication sémiotique humaine

2.1. Ethnographie, sémiotique et ritualisations culturelles : le « code social » de Sapir

28La situation d’un ethnographe est délicate, surtout quand il ne parle pas encore aisément la langue d’une société qu’il entreprend d’étudier. Il peut néanmoins, dans ce cas, regarder les colères, les exclamations, les rejets. Une certaine familiarité doit toutefois s’installer pour qu’il comprenne la subtilité de signes non-détectables pour le néophyte : ainsi il faut savoir que, dans telle culture, il est normal que deux individus se saluent en telle ou telle circonstance pour saisir l’animosité qui se manifeste par l’omission d’un salut que le nouvel arrivant ne percevra pas mais qui sonnera comme un défi cinglant pour tout observateur averti.

29Pour comprendre l’intérêt que Bateson porte à la communication kinésique interspécifique, animale et humaine, il faut revenir à l’influence d’Edward Sapir sur son travail. Dès la fin des années 1920, l’anthropologue et ethnographe américain entreprend de se pencher sur le phénomène de la gestualité interactionnelle dont il remarque l’omniprésence et l’efficace chez les humains (Sapir, 1927 ; 1931). Lorsqu’il observe le monde social selon cet angle, un code sémiotique se déploie devant ses yeux. L’ethnographe remarque que l’extrême réactivité des individus à ce code se double d’une ignorance presque totale de son existence. Sapir y voit l’un des champs les plus féconds de la recherche ethnographique dans la mesure où la finesse et la précision des attitudes sociales idiomatiques d’une société permet de comprendre la raison du malaise ressenti par un étranger placé dans un contexte culturel exotique. Dans ce cas, l’ensemble des référents sémiotiques qui constituent le vocabulaire kinésique normal de sa communauté se trouve remplacé par un code différent fait de gestes inédits ou d’attitudes qui, pour similaires qu’elles paraissent, sont néanmoins dotées de significations différentes dans un contexte culturel nouveau :

Prenons l’exemple des gestes, […] nous y sommes extrêmement sensibles, et nous y réagissons comme d’après un code, secret et compliqué, écrit nulle part, connu de personne, entendu par tous. Mais ce code ne se résume pas à de simples réponses organiques. Au contraire, il est aussi artificiel, aussi redevable à la tradition sociale que la religion, le langage et la technique industrielle. Comme toute conduite, le geste à des racines organiques, mais les lois du geste, le code tacite des messages et des réponses transmis par le geste sont l’œuvre d’une tradition sociale complexe. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer d’autres sociétés. Le haussement d’épaules d’un Italien est un modèle de comportement ; celui de l’Américain en est un autre. [...] Il n’y a pas de différence raciale, biologique. La différence réside dans la façon dont sont construits les modèles sociaux qui recouvrent les comportements respectifs d’où on les a extraits pour les comparer artificiellement. L’impassibilité du visage est une recherche à New York ou à Chicago, c’est la moindre des politesses pour un Japonais. Il faut bien comprendre la relativité du geste et ne pas oublier l’existence des modèles sociaux, faute de quoi on risque de prendre pour des traits individuels ce qui appartient à une culture étrangère (Sapir, 1927).

30Anxieux d’être taxé de réductionnisme et d’être accusé d’animaliser à outrance l’être humain, Sapir insiste sur la dimension culturelle des comportements humains qui, loin d’être de « simples réponses organiques », déploient ce « code secret et compliqué, écrit nulle part, connu de personne, entendu par tous » qui constitue selon lui la grammaire sémiotique culturellement fixée  donc variable des groupes humains. Sapir note que les modalités formelles des comportements quotidiens sont chargées d’une valeur sémiotique décisive pour la vie sociale. L’expressivité du visage, l’amplitude des gestes, le ton de la voix, le rythme des paroles ou encore les distances proxémiques adoptées lors des interactions avec autrui font l’objet d’un étalonnage précis et signifiant pour une société donnée. La communication sociale se présente ainsi comme un phénomène éminemment paradoxal puisqu’elle suit un code à la fois secret et compris de tous. Sapir révèle ainsi une frange périphérique de l’attention et de la cognition humaines échappant analytiquement aux individus engagés dans des interactions quotidiennes familières.

31De son côté si l’ethnographe sur le terrain peut être désorienté par des signalétiques sociales qu’il ne maîtrise pas, il s’aperçoit toutefois qu’après un certain temps il est en mesure de comprendre les comportements indigènes sans être en mesure d’expliciter le processus au moyen duquel il y parvient. Pour Sapir l’expérience du déracinement culturel permise par l’expérience ethnographique permet de prendre conscience de l’omniprésence de ce code ni écrit ni formulé. Les linéaments d’un problème anthropologique nouveau, quoique central, se dessinent alors : comment les individus parviennent-ils à s’inscrire aussi habilement et aussi inconsciemment au sein de l’espace sémiotique d’une société ? Le déplacement de la question sociale sur un plan cognitif est ici décisif.

32L’observation de la sémiotique gestuelle ouvre un vaste champ d’exploration pour l’anthropologie et la sociologie interactionniste enracinant son projet dans l’analyse minutieuse des données d’une ethnographie caractérisée par une granularité très fine.

2.2. Ritualisations phylogénétiques chez les humains

33Malgré ce que nous dit Sapir sur l’aspect « non-organique » et purement « culturel » de la sémiotique sociale humaine, celle-ci s’inscrit au sein de grammaires sémiotiques dont l’apparition est également phylogénétique comme le montrent notamment les travaux des spécialistes de sciences cognitives portant sur les expériences de blindsight, c’est-à-dire la vision subliminale selon le réseau périphérique du colliculus (de Gelder, 1999, Whalen, 2004). Comme l’explique Lionel Naccache dans Le nouvel inconscient (Naccache, 2006), les travaux de Paul Whalen et de son équipe ont mis en lumière un circuit visuel émotionnel inconscient fonctionnant selon un réseau périphérique à celui de la vision consciente. Whalen a en effet montré des images de visages à des personnes aveugles en raison d’une lésion du circuit visuel principal mais qui ne présentaient pas de lésion oculaire ni de lésion du système colliculaire. En analysant les réactions physiologiques de ces personnes et notamment le fonctionnement de leurs amygdales, Whalen a montré que les personnes aveugles réagissaient émotionnellement aux affects manifestés par les visages présentés qu’ils ne voyaient pas consciemment. L’un des éléments déterminant apparu à la suite de l’analyse des résultats expérimentaux obtenus concerne la visibilité du blanc de l’œil : des manifestations physiologiques du stress étaient déclenchées de façon régulière dès que le blanc des yeux du visage présenté était nettement visible. Ces réactions physiologiques étant corrélées avec l’état émotionnel du sujet de l’expérience, Whalen soutient donc que dès que le blanc des yeux est exagérément visible, une réaction émotionnelle s’en suit chez le sujet de l’expérience de blindsight. On peut conclure de cette expérience que l’augmentation perceptible du blanc des yeux chez un sujet humain s’apparente à un signe ritualisé de peur (ou d’agitation) qui immédiatement perçu — même de façon inconsciente — par un interactant, déclenche une réaction émotionnelle. Cette ritualisation à tous les traits d’une fixation phylogénétique.

34Dans les années 1970 déjà, Eibl-Eisenfeld (Eibl-Eisenfeld, 1974) défendait l’idée d’une éthologie humaine et avait identifié « le déclic du sourcil » comme geste ritualisé de l’expression faciale humaine lors des interactions de salutation. Il y a donc tout à fait lieu de penser que les ritualisations culturelles s’ajoutent chez l’humain aux ritualisations phylogénétiques, voire qu’elles les modalisent mais ne s’y substituent aucunement. Il est d’ailleurs probable que les variations culturelles humaines s’appuient sur les universaux sémiotiques de l’espèce ce qui explique que les variations culturelles des codes sémiotiques humains ne sont jamais insurmontables pour l’ethnographe et l’étranger. De même, les variations phylogénétiques et les différences marquées des comportements n’interdisent pas nombre de phénomènes de communication interspécifique comme le processus de domestication tend à le montrer (Miklosi, 2014 ; Guillo, 2019).

2.3. Sémiotique, behaviorisme et communication

35Afin de clarifier la différence entre l’approche sémiotique interactionniste du comportement et l’approche behavioriste, il faut encore souligner l’ambiguïté de la notion de signal ou signalétique : si un signe peut engendrer une réaction réflexe d’ordre moteur chez un interactant comme la salive du chien de Pavlov face à la nourriture ou à la sonnette, comme la torsion du cou de la cane face à une menace identifiée ou comme l’accroissement du blanc de l’œil chez un humain effrayé, il ne faut pas abuser du vocabulaire de l’automatisme, du stimulus ou du réflexe.

36En effet, s’il y a bien automatisation de certains réflexes moteurs qui, pour cette raison, sont susceptibles de devenir des signes ritualisés, il ne faut pas oublier que l’ensemble de la réaction n’est pas strictement automatisé mais aussi thématisé. Comme l’explique Ruyer dans son ouvrage sur le symbolisme (Ruyer, 1964), un animal qui fuit face à un danger ou une menace ne fuit pas de façon automatisée mais, selon la formule consacrée, « par tous les moyens ». L’intention de la fuite est bien un acte mental qui dirige de façon thématique une action dont les moyens moteurs ne sont pas a priori surdéterminés : l’animal peut choisir de courir, de sauter, de nager, de ramper voire de voler si cela est possible.1

37Il existe bien entendu des mouvements « réflexes » automatisés, ceux-ci revêtent une utilité pragmatique ou une valeur sémiotique : parmi ces séquences motrices réflexes se trouvent les gestes (et les mimiques) ritualisés. Cela ne doit pas conduire à réduire la description d’un comportement sémiotique à un strict automatisme. Le signe ne « déclenche » pas seulement des séquences complètement automatisées.

38Il ne suffit donc pas de noter, comme Von Uexküll (Von Uexküll, 1934), que les actions de certains animaux ne sont pas téléologiques pour les considérer comme intégralement automatisées. Certes, la limite peut être étroite et Uexküll présente ainsi deux variétés de papillons d’une même espèce ayant développé des réponses distinctes à un même signe : à l’audition d’un bruit puissant les membres d’une variété se figent quand ceux de l’autre variété s’égaillent dans les airs. Il y a donc bien deux « plans » suivis et fixés d’avance2. Néanmoins, on peut noter que chez l’être humain une telle dualité comportementale est encore présente puisque l’on peut se figer face à un danger ou « prendre ses jambes à son cou », pourtant le déclenchement d’un plan stéréotypé ne surdétermine pas les modalités de l’action. On remarque bien entendu que les variations thématiques et le contrôle réflexif sont incomparablement plus développés chez l’humain par rapport au comportement du papillon. Pourtant, les travaux de Bateson montrent qu’il y a déjà dans la réaction stéréotypée et incontrôlée du papillon un potentiel sémiotique permettant de tracer un continuum entre ce comportement très déterminé — proche du montage réflexe — et les réactions sémiotiques d’un être humain à des signes de danger.

39La prise en compte de la différence entre production réflexe d’une sémiotique automatisée, donc ritualisée, et réaction thématique (quasi-intentionnelle) à l’information marque la distinction entre une attitude behavioriste classique et une approche plus spécifiquement sémiotique telle qu’on peut la trouver dans l’éthologie de Lorenz ou dans l’anthropologie de la communication de Bateson. Cette approche n’est pas réductionniste car elle n’invite pas à réduire les comportements observés aux stricts montages réflexes dont ils sont — de façon plus ou moins large — émaillés. Néanmoins, celle-ci n’implique pas non plus l’attribution de compétences cognitives et mentales anthropomorphes : comme le note Ruyer, le comportement d’un protozoaire comme l’amibe peut déjà être vu comme quasi-intentionnel car non surdéterminé, donc non assimilable à un mécanisme rigide et automatisé au sens strict. On peut toutefois ajouter que la maîtrise consciente et réflexive de la production des signes est aussi une possibilité que l’on observe dans le jeu de certains animaux ou dans les parties de poker des humains comme l’explique Bateson dans “A theory of Play and Fantasy” (Bateson, 1955). Il note néanmoins qu’une telle maîtrise du comportement sémiotique est difficile à obtenir et nécessairement limitée, même pour l’être humain.

Conclusion

40L’approche sémiotique des comportements humains et animaux permet de tracer un domaine intermédiaire et distinct entre l’étude physiologique des automatismes réflexes et une anthropologie culturelle s’intéressant spécifiquement au travail allégorique des symbolismes culturels. L’approche sémiotique trace les linéaments d’un domaine épistémique susceptible d’inclure sans scandale le plan comportemental du papillon, les signes kinésiques des oiseaux et des mammifères jusqu’aux codes gestuels subtils, complexes et élaborés des cultures humaines. Ainsi, le travail sur la sémiotique non-verbale permet d’intégrer un large panel de travaux d’éthologie, de biologie, de sciences cognitives, d’éthologie, de sociologie interactionniste et d’ethnographie culturelle.

41Ce domaine commun — que Guillo (Guillo, 2019) compare à ce milieu ni terrestre ni marin qu’est l’estran — ouvre la perspective d’un naturalisme non-réductionniste, c’est-à-dire qu’il trace les contours épistémiques d’un ensemble d’études communes à l’humain et aux animaux qui ne prétendent ni réduire les comportements à des modèles simplifiés d’automatisme, ni proposer des modèles d’explications exhaustifs, ni surmonter les barrières phénoménologiques induites par l’incommensurable diversité des expériences vécues, ni anthropomorphiser l’animal. En partant d’une approche sémiotique des comportements, il est toutefois possible de saisir les stratégies interactionnelles déployées par les animaux et les humains afin de communiquer avec d’autres individus parfois très différents d’eux. Ce lieu commun sémiotique partagé par l’humain et l’animal semble ouvrir les voies d’une reconfiguration stimulante et féconde des sciences sociales, des sciences biologiques et des sciences cognitives.