La comparaison des arts dans les Études philosophiques de Balzac, ou le paragone énergétique
1La question de l’énergie est une problématique centrale de la pensée et de la poétique balzaciennes1 : pour le romancier, chacun naît avec une somme d’énergie fixe qu’il s’agit d’utiliser et de gérer au mieux, en la dépensant stratégiquement pour réaliser ce que la volonté propose, sans la dissiper vainement ou de façon prématurée. Ce principe, qui gouverne dans leur ensemble les « forces humaines » auxquelles Balzac voulait consacrer un traité2, représente un enjeu tout particulier pour le créateur, appelé à manipuler ces champs énergétiques pour produire une grande œuvre qui, parce qu’elle sollicite trop son auteur, risque toujours de le conduire à la dissipation sans retour de ses ressources vitales. Balzac développe ainsi dans ses jeunes années une réflexion métapoétique sur les conditions de la création dans ce système énergétique : il s’agit de déterminer comment l’œuvre peut produire un surcroît assimilable d’énergie, sans pour autant en balayer le créateur ou le consommateur – les destinées du génial penseur Louis Lambert, qui connaît une fin pathétique, ou du philosophe et artiste raté Raphaël de Valentin avertissent à ce titre contre les dangers d’une exposition trop radicale à l’énergie créatrice.
2C’est en effet aux Études philosophiques, auxquelles appartiennent ces deux textes et qui sont rédigées pour la plupart au début de la carrière de Balzac, dans les années 1830 à 18373, que l’auteur confie la tâche de résoudre cette équation complexe : à l’instar des Études de mœurs, qui recomposent un état social de la France, ce pan de la Comédie humaine propose un tableau des énergies, de leurs modes de dissipation et de concentration, en déclinant des cas de conservation maniaque, de gaspillage incontrôlé ou de décharge subite. Or, ce tableau incorpore une forte dimension intermédiale, qui l’assimile à un paragone : par la comparaison avec la musique ou la peinture, Balzac propose dans un premier temps d’examiner la manière dont les autres arts mettent en circulation cette énergie et d’évaluer la manière dont ils peuvent disposer de qualités létales, mais aussi thérapeutiques, en fonction du type d’action sur la circulation énergétique qu’ils permettent. Mais pour autant, il ne s’agit pas pour Balzac d’aller chercher ailleurs dans la sphère artistique la clé d’un usage raisonné de l’énergie esthétique susceptible d’éclairer en retour comment construire une œuvre littéraire énergétique qui bénéficierait au lecteur. Cette comparaison débouche en effet moins sur la possibilité de copier les mécanismes à l’œuvre dans les autres arts que sur l’exhibition d’un mystère de leur fonctionnement, mystère qui devient à son tour galvanisant par sa capacité de fascination : si l’auteur comme le lecteur font ainsi l’expérience des limites de cette comparaison, c’est pour mieux communiquer une énergie produite par le contact entre les arts. Au-delà de la construction d’un paragone statique qui évaluerait les mérites respectifs et distincts de chaque pratique artistique, c’est donc bien à une comparaison créatrice que se livrent les Études philosophiques, à la fois parce qu’elle met en perspective les différentes manières dont l’œuvre peut produire de l’énergie esthétique et parce que cette comparaison en elle-même devient source d’énergie.
Les Études philosophiques, ou la problématique de la création en contexte de dissipation énergétique
Naguère, le public ne voulait plus sympathiser avec les jeunes malades, les convalescents et les doux trésors de mélancolie contenus dans l’infirmerie littéraire. Il a dit adieu aux Tristes, aux Lépreux, aux langoureuses élégies. Il était las des Bardes nuageux et des Sylphes, comme il est aujourd’hui rassasié de l’Espagne, de l’Orient, des supplices, des pirates et de l’histoire de France walter-scottisée. Que nous reste-t-il donc ? (Chasles, [1831] 1979, p. 1195)
3En 1831, dans son introduction aux Romans et contes philosophiques de Balzac, Philarète Chasles présente le romancier français comme l’auteur qui rompt avec la valorisation des états maladifs typiques d’un certain romantisme morbide, anémié ou évanescent, fétichisant le sentiment esthétique de sa propre impuissance, pour promouvoir un romantisme de l’énergie, qui agit sur le monde et revendique sa capacité transformatrice : le portrait d’un Balzac réagissant au « mal du siècle » et se présentant comme le médecin de la « grande pathologie sociale » a depuis été complété par les travaux de Pierre Barbéris (1970) et José-Luis Diaz (2016). Mais cette énergie est d’emblée caractérisée par son ambivalence : d’un côté, elle est la marque du créateur génial, capable de régénérer la société et d’affirmer sa maîtrise du monde et de soi ; de l’autre, cette activité suscite l’image, très présente chez Balzac, de « la pensée qui tue » (Bardèche, 1964, p. 16), car elle produit une dissipation dangereuse pour le sujet.
4Les Études philosophiques témoignent de cette ambivalence fondamentale : Balzac y explore les difficultés de concilier volonté et énergie, notamment dans le domaine de la création, qui mobilise les deux sphères à un haut degré. Inspiré par les conceptions médicales développées à l’époque par un Joseph Virey (voir Virey, 1823), Balzac considère que la force vitale est un principe fondamental mais circulaire et que, doté d’un capital d’énergie qui ne peut en aucun cas s’accroître durant l’existence, mais au contraire se dissipe dans chaque action de la vie, chacun est confronté au dilemme de la labilité de cette énergie. Il n’est pas anodin que, pour poser le problème d’une énergie qui risque toujours de se disperser sans revenir, Balzac mette en tête des Études philosophiques le roman La Peau de chagrin (1831), où, outre l’image très parlante du morceau de cuir qui rétrécit à chaque fois que Raphaël de Valentin réalise ses désirs, on trouve énoncée de manière très claire l’alternative qui se présente au sujet comme corps énergétique : « Tuer les sentiments pour vivre mieux ou mourir jeune en acceptant le martyre des passions, voici notre arrêt » (Balzac, 1979, p. 118).
5À ce titre, les Études philosophiques constituent un laboratoire : l’auteur y explore de manière générale les effets de cette circulation énergétique, la manière dont elle se déploie, et le rythme de ce déploiement. Balzac y est particulièrement attentif aux cas de décharge soudaine et à leurs conséquences, mettant en valeur « la puissance homicide des émotions fortes » (Le Yaouanc, 1959, p. 222), mécanisme capable d’annihiler un être de l’intérieur (c’est le cas pour la Madame Bouju des « Martyrs ignorés » (1837), qui meurt comme foudroyée par la terreur que lui inspire l’adultère qu’elle a commis – voir Lefèbvre, 2016) ou de l’abattre en l’exposant à une stimulation trop grande (ainsi de Stéphanie de Vandières dans « Adieu » (1830), corps atone qui périt d’avoir été un instant galvanisé par la reconstitution de la débâcle de la Bérézina, où la jeune femme a perdu son vieil époux et a été séparée de l’homme qu’elle aimait4). À l’inverse, Balzac explore aussi en détail dans ces nouvelles les cas où l’énergie perdure, qu’elle se conserve de manière prolongée (on ne s’étonnera pas de voir apparaître dans le massif des Études philosophiques la figure de Melmoth à travers la nouvelle de 1835, « Melmoth réconcilié ») ou qu’elle se transmette dans un acte de création entendu dans un sens élargi, comme le suggère la thématique de l’engendrement et de la transmission présente dans « L’Enfant maudit » (1831-1836) ou dans le diptyque « El Verdugo » (1829) et « Un drame au bord de la mer » (1834). Cette partie de La Comédie humaine s’organise donc en une déclinaison de cas qui se répartissent entre deux modes extrêmes de conservation ou de consommation énergétiques – « élixir de longue vie » ou « peau de chagrin ».
6Si le jeune romancier affronte la question de l’énergie dans ces textes, c’est qu’il doit, avant de se lancer dans la grande œuvre qu’il prévoit, examiner de près cette configuration des forces vitales qui a des conséquences fondamentales pour l’acte créateur. En effet, tout acte constitue une dépense d’énergie vitale, et celle-ci se fait en général sous le signe d’un passage sans retour dans les travaux nécessaires pour la convertir en action, quand ce n’est pas dans des passions qui la gâchent avant même qu’elle ait pu s’incarner dans un geste concret. Mais celui qui veut réaliser ce que sa volonté lui dicte ne peut se permettre ce gâchis : c’est même un signe d’élection qui distingue sans ambiguïté les hommes supérieurs, « ceux qui mettent au service de leur force vitale une volonté très grande, [de savoir] concentrer leurs forces, les rassembler en vue d’une action très précise, au lieu de laisser l’usure de la vie les émietter, les disperser », et qui sont « seuls capables, grâce à une volonté puissante, d’effectuer cette concentration intense de la force vitale, qui est à l’origine de toute création » (Ambrière, 1984, p. 46). Ce problème se pose ainsi tout particulièrement pour le créateur, qui doit trouver un juste milieu entre les dépenses d’énergie que requiert son grand projet et l’épargne d’une ressource qui ne peut en aucun cas se reconstituer, même si, nous le verrons plus loin, elle peut « se réparer » (Ambrière, 1984, p. 44).
7En effet, les émotions ne sont pas les seuls vecteurs de ces décharges énergétiques, et la pensée entre elle aussi dans ce système circulatoire, comme « une puissance toute physique5 » qui peut apparaître comme un « élément destructeur6 » (Balzac, 1976, p. 12). De fait, si toutes les nouvelles des Études philosophiques ne mettent pas en scène des figures de créateur, c’est bien là le centre de toute l’interrogation déployée dans cet ensemble, ainsi que Philarète Chasles l’avait perçu dès 1831 : « Le désordre et le ravage portés par l’intelligence dans l’homme, considéré comme individu et comme être social : telle est l’idée primitive que M. de Balzac a jetée dans ses contes » (Chasles, [1831] 1979, p. 1187). La pensée géniale exige en effet pour se réaliser une forte consommation d’énergie qui met en péril le créateur et en même temps est la seule chose qui donne sens à son existence terrestre. C’est dans ce contexte que Balzac s’intéresse aux autres arts, qui lui permettent d’illustrer « la puissance d’action que possède la Pensée sur la Matière » : « Massimilla Doni, Gambara, Le Chef-d’œuvre inconnu7 […] sont des œuvres qui continuent pour ainsi dire La Peau de chagrin, en montrant le désordre produit dans l’âme de l’artiste, en expliquant par quelles lois arrive le suicide de l’Art8 » (Balzac, 1976, p. 271).
8C’est donc bien un paragone énergétique que cherche à reconstituer Balzac : un texte comme « Gambara » (1837) contient par exemple huit fois le terme « énergie », alors que son usage est plutôt rare à l’échelle de La Comédie humaine, ainsi que le remarquent à la fois Madeleine Ambrière (1984, p. 43) et Arlette Michel (1984, p. 49). L’auteur reprend la thématique, traditionnelle pour les Künstlernovellen du romantisme européen, de l’artiste maudit, dévoré par sa création, mais l’intertextualité est ici à notre sens moins forte que la dimension métapoétique que prend le traitement de cette figure chez notre auteur. En explorant les cas de friction où, au contact de l’art, l’énergie vient affleurer dans des corps qu’elle menace de sa force, Balzac cherche moins à montrer que la création provoque la combustion du créateur qu’à sortir du dilemme posé par l’organisation des forces humaines : aux cas du compositeur Gambara ou du peintre Frenhofer, qui apparaissent brisés par l’exercice de leur art, répondent ceux des chanteurs Genovese ou Clara Tinti, chez qui la voix est capable de restaurer une circulation énergétique déficiente et de vivifier des corps émolliés. L’énergie ne fait donc pas que détruire, elle peut aussi réparer, et potentiellement se réparer, ouvrant la possibilité d’un retour des forces.
La comparaison intermédiale dans les Études philosophiques : de la décharge létale à une thérapeutique de l’énergie
9« La pensée est plus puissante que ne l’est le corps, elle le mange, l’absorbe et le détruit ; la pensée est le plus violent de tous les agents de destruction, elle est le véritable ange exterminateur de l’humanité, qu’elle tue et vivifie, car elle vivifie et tue9 » (Balzac, 1836, p. 314) : l’image frappante de l’ange exterminateur rappelle la dimension létale de l’énergie qui galvanise par une décharge insoutenable avant de laisser le corps sans vie, comme cela se produit pour Stéphanie de Vandières dans « Adieu ». Mais cette figure capable de tuer comme de sauver et qui revient à plusieurs reprises dans les textes de cette période10 permet de repérer chez Balzac une ambition qui excède le simple constat de la condition malheureuse et exposée de l’artiste et du créateur : si les Études philosophiques mettent en scène la menace que constitue toute création artistique en contexte énergétique, Balzac tient à compléter cette vision en mettant au jour un fonctionnement différent, mystérieusement thérapeutique, de l’énergie.
10Un certain dédain a longtemps entouré les nouvelles de Balzac consacrées aux figures d’artistes, parfois considérées comme peu originales pour l’époque et regardées comme de simples œuvres de commande pour la Revue et Gazette musicale de Maurice Schlesinger. Toutefois, tout un courant critique a tenté de les réintégrer à la poétique de l’auteur en les instituant en faire-valoir du roman balzacien, qui, « comparé à la musique et à la poésie, […] prend toute son ampleur et son poids de vérité » (Michel, 1984, p. 53). Pour notre part, il nous semble inutile d’entrer dans un tel processus de mise à l’écart ou de hiérarchisation : dans le cas des Études philosophiques, les arts jouent un rôle fondamental dans la compréhension du problème de la création, entre volonté et énergie, entre désir de faire et danger d’être débordé par sa propre puissance ou de finir épuisé dans son être. On peut ainsi faire le pari, avec Pierre Laubriet, d’une « intelligence [balzacienne] de l’art » (voir Laubriet, [1958] 1980), entendue à la fois comme un désir de comprendre comment les autres médiums artistiques fonctionnent et comme une conviction que l’art a bien quelque chose à apprendre au romancier. La représentation des arts constitue à ce titre une mise en abyme – terme que nous réifierons dans un premier temps : cette représentation fait descendre dans les affres de la création, en montrant des cas concrets d’artistes balayés par l’impossibilité de trouver un équilibre entre déploiement de leur volonté et gestion de leur énergie.
11C’est en effet sur le danger de la vocation artistique que ces nouvelles insistent d’abord : les « suicidés de l’Art » que sont Gambara ou Frenhofer en attestent, et c’est là le versant le plus connu des représentations d’artistes dans les Études philosophiques, qui participent dans une large mesure au mythe de l’artiste maudit, incapable de réaliser son destin, mais moins parce que la société le rejette qu’en raison du trop grand pouvoir de l’art sur celui qui l’exerce. Les deux artistes provoquent en effet la stupéfaction de leurs congénères ou de leur public par leurs œuvres problématiques, un opéra cacophonique et incompréhensible pour le musicien italien, une toile illisible d’où émerge seul un pied de femme pour le vieux maître. Ces deux figures extrêmes incarnent de manière exemplaire la capacité désorganisatrice de la pensée : absorbés par leur ambition de réaliser une œuvre idéale, ils sombrent dans une folie qui prend la forme d’une absence totale à la sensation concrète11. Mais ce qui perd les deux artistes est moins une dissolution dans un monde où seul règne l’art pur qu’une exposition trop grande à une forme d’énergie intérieure ou extérieure. « L’eau est un corps brûlé » (Balzac, 1979, p. 516), conclut en effet Gambara à la fin du récit : la réalisation de l’œuvre, faite dans la sueur et les larmes, est présentée comme une combustion qui mine l’artiste, à l’image du grand incendie qui ravage l’atelier de Frenhofer et dans lequel l’artiste périt avec ses toiles ; mais le risque est aussi de produire une œuvre qui devienne elle-même le vecteur d’une énergie incontrôlée, capable d’abattre celui qui l’a créée comme celui qui la consomme.
12De la mort de Stéphanie de Vandières devant la reconstitution du passage de la Bérézina à la fin tragique de Frenhofer, on trouve ainsi dans les Études philosophiques plusieurs cas d’images artificielles fulgurantes qui anéantissent celui qui les contemple et qui soulignent la responsabilité du créateur dans le contrôle des forces particulièrement actives déployées par l’activité de représentation. Désireux de produire une peinture vivante, une image agissante, Frenhofer voit son vœu s’accomplir pour son plus grand malheur : l’énergie vitale qu’il espérait communiquer à sa toile lui revient sous une forme impossible à supporter et l’expose soudainement à la violence de son art, sous la forme d’une décharge mortelle. Ainsi Frenhofer n’apparaît-il pas tout d’abord comme un être dérangé, à l’inverse de Gambara : au contraire, dans le triptyque des âges de la vie composé du vieux maître, de l’homme mûr Porbus et du jeune artiste impétueux et impatient Nicolas Poussin, Frenhofer apparaissait d’abord comme un homme engagé dans un processus de contrôle efficace de son énergie créatrice et était présenté comme une figure de maîtrise à la fois sur le plan de l’esthétique et sur celui de la technique. Lors de la scène inaugurale de la visite de l’atelier de Porbus, Nicolas Poussin devinait dans le vieillard un « prince de l’art » : il lui suffisait d’esquisser une simple tête de vierge pour qu’éclate aux yeux de tous son « faire impérial » (Balzac, 1979, p. 426), entendu ici au sens de « savoir-faire ». Mais, par un renversement troublant introduit dans la seconde partie de la nouvelle (constituée par la visite à l’atelier de Frenhofer), c’est l’œuvre, et non l’artiste, qui s’arroge une forme de pouvoir performatif, un « faire » auquel le peintre ne peut résister en dépit de toute sa maîtrise technique : devant la contemplation de la toile censée représentée Catherine Lescault, les deux observateurs remarquent le fameux pied qui « appara[ît] là comme le torse de quelque Vénus en marbre de Paros qui surgirait parmi les décombres d’une ville incendiée » (Balzac, 1979, p. 436). Cette image de la toile comme ville qui flambe est programmatique de la fin de Frenhofer, qui périt la nuit suivante dans l’incendie de l’atelier, qu’il a sans doute lui-même provoqué, ne pouvant survivre à l’échec de son œuvre qu’il contemple véritablement pour la première fois12. Le déséquilibre provoqué par la pensée, faisant verser Frenhofer dans le registre de l’idéal aux dépens de la sensation concrète, a pour corollaire de l’exposer à un écoulement brutal et incontrôlé de l’énergie provoquant la dissipation vitale sans retour : mais ici, c’est l’œuvre qui provoque la décharge létale auquel le sujet ne peut pas résister.
13Créer en contexte énergétique, ce n’est donc pas seulement prendre garde à bien utiliser son capital de forces, mais être attentif aux dangers de la communication incontrôlée de l’énergie mobilisée par la pensée : ainsi, la réflexion métapoétique de Balzac ne concerne pas uniquement les conditions de création, mais aussi la possibilité d’une transmission en direction de celui qui doit recevoir l’œuvre. Et les nouvelles artistiques des Études philosophiques permettent de compléter cette investigation du jeune Balzac en montrant que ce moment de foudroiement produit par l’art peut avoir d’autres effets. Ce qui unifie les différentes nouvelles sur l’art est qu’elles présentent toutes des moments de décharge, qui peuvent entraîner la perte de celui qui la subit, mais aussi sauver celui qui la produit ou la reçoit. Ainsi, les représentations des figures d’artiste n’ont pas une simple valeur d’illustration ou de contre-modèle, mais peuvent servir à réfléchir à une thérapeutique de l’énergie, à une dépense qui servirait à vivifier, et pas seulement à anéantir : le créateur s’arrogerait dès lors les pouvoirs de ce mystérieux ange exterminateur qui est l’une des figures reparaissantes des Études philosophiques, tandis que l’œuvre d’art prendrait le statut de la monstrueuse panthère d’« Une passion dans le désert » (1830), qui, en dépit du danger objectif qu’elle peut représenter, rend la vie au soldat égaré et près de mourir.
14Ainsi, la perspective intermédiale présente dans les Études philosophiques n’est pas uniquement commandée par la nécessité d’un avertissement contre les nombreux dangers liés à la réalisation des grands projets créateurs et du déséquilibre qu’ils causent dans la relation entre volonté et énergie. Certes, l’œuvre d’art peut devenir parfois le lieu où s’accumule une puissance énergétique qui peut se retourner contre son créateur, mais elle peut aussi agir de manière positive sur celui qui la consomme, en rétablissant une circulation optimale de l’énergie. S’il s’agit pour Balzac d’étudier les effets concrets et souvent délétères de la création sur le physique dans ce groupe de nouvelles artistiques, il tient aussi à en montrer l’autre versant, ce qui le conduit à faire des différences entre les arts, et en particulier à distinguer la musique des autres arts.
15C’est la nouvelle « Massimilla Doni » (1837-1839), consacrée aux vertus de l’opéra, qui montre le mieux comment l’investigation balzacienne conduit à mettre au jour un potentiel thérapeutique, et non plus létal, de la décharge énergétique liée à l’œuvre d’art : la musique y est décrite comme « une sombre énergie » qui « gagne13 » le sujet, mais cette fois pour produire l’effet inverse de celui que subit Frenhofer. Le personnage masculin central, Emilio Memmi, vit en effet un déséquilibre équivalent à celui qui cause la perte de Frenhofer ou de Gambara, puisqu’il dépérit auprès de la femme trop idéale qui donne son titre à la nouvelle et avec laquelle il ne parvient pas à consommer un amour pourtant réciproque. Cette union de facto platonique est décrite par Balzac dans des termes qui évoquent un défaut dans la circulation de l’énergie vitale :
Ton cœur grossi a reçu tout ton sang, et s’est heurté à ta gorge. Il s’est développé là, dit-il en lui posant la main sur la poitrine, des sensations enchanteresses. La voix de Massimilla y arrivait par ondées lumineuses, sa main délivrait mille voluptés emprisonnées qui abandonnaient les replis de la cervelle pour se grouper nuageusement autour de toi, et t’enlever, léger de ton corps, baigné de pourpre, dans un air bleu au-dessus des montagnes de neige où réside le pur amour des anges. Le sourire et les baisers de ses lèvres te revêtaient d’une robe vénéneuse qui consumait les derniers vestiges de ta nature terrestre. (Balzac, 1979, p. 600-601)
16On retrouve les principes physiologiques évoqués par le vieux médecin de Tours des « Martyrs ignorés », selon qui les désordres de la pensée s’apparentent à l’obstruction du flux sanguin et ne peuvent être guéris que par une décharge mettant fin à cet engorgement :
Pour moi, la pensée était un fluide de la nature des impondérables qui a en nous son système circulatoire, ses veines et ses artères ; par son affluence en un seul point, il agit comme une bouteille de Leyde, et peut donner la mort ; un homme peut le tarir dans sa source par un mouvement moral qui dépense tout, comme on peut tarir celle du sang en s’ouvrant l’artère crurale. (Balzac, 1981, p. 745)
17Or dans « Massimilla Doni », c’est à la musique qu’est confiée cette vertu curative, en raison de caractéristiques propres lui donnant un pouvoir d’action renforcé sur les êtres : « Là où les autres arts cerclent nos pensées en les fixant sur une chose déterminée, la musique les déchaîne sur la nature entière qu’elle a le pouvoir de nous exprimer » (Balzac, 1979, p. 588).
18Balzac donne une traduction très concrète de ce pouvoir de « décharge » en l’associant dans sa nouvelle à une guérison de l’impuissance réelle ou symbolique des personnages, qui grâce à la musique vont reconquérir leurs capacités de jouissance. L’action physique de la voix chantée14 a en effet dans la fiction un effet curatif qui se manifeste à plusieurs reprises : elle permet d’abord de guérir Emilio Memmi, qui noue une relation physique avec la cantatrice Clara Tinti, et parvient enfin à consommer son amour avec Massimilla Doni au terme d’une soirée à l’opéra où se superposent le chant de la sensuelle cantatrice et les commentaires de la femme aimée. Mais en réalité, ils sont trois à faire l’expérience de ce pouvoir de guérison : outre Emilio Memmi, il y a le duc de Cataneo, le mari de Massimilla Doni, vieillard rongé par les maladies, qui ne reprend vie, notamment sur le plan sexuel, que lorsqu’il accompagne Clara Tinti au violon lors de leurs ébats ; et le ténor Genovese lui-même, qui perd tous ses moyens devant la Tinti, dont il est amoureux, et ne parvient à les recouvrer que lorsqu’il chante pour ses amis un air du Giulietta e Romeo de Zingarelli – s’il s’agit d’un air de castrat évoquant l’union des amants seulement dans la mort, la performance exceptionnelle produite ici par un Genovese qui vient le soir même de s’attirer sur la scène les huées de la foule rend pourtant possible sa conquête de la Tinti.
19Ici, on n’est pas seulement dans le cas d’une énergie qui déraille, mais d’une énergie positive, qui, en raison même de ses qualités de décharge, redonne la vie et réengage une circulation harmonieuse des forces. On retrouve l’idée, esquissée par Madeleine Ambrière, d’une énergie qui, incapable de s’accroître, peut néanmoins « se réparer » lorsqu’elle connaît des engorgements et même, nous dit Balzac, réparer lorsqu’elle s’adresse à un sujet qui connaît un dérèglement de sa puissance vitale. Ainsi, la comparaison avec les autres arts n’a pas uniquement pour fonction de servir de contre-modèle en présentant des cas de créateurs qui échouent dans leurs tentatives de réaliser les projets dictés par leur volonté : on peut lire la présence des arts dans les Études philosophiques comme une tentative plus générale de tester les différents modes d’action énergétique liés à la création artistique, en introduisant des différences d’usages, d’effets et de supports qui contribuent à faire de la représentation des arts un véritable paragone énergétique.
20Pourtant, si Balzac alimente par cette comparaison sa réflexion sur les relations entre création et énergie, il n’est pas question pour lui d’élaborer un simple mode d’emploi qui emprunterait à la peinture ou à la musique pour composer le récit : puisque cette réflexion énergétique lie les questions de création et de communication, il s’agit pour l’auteur d’utiliser la comparaison avec les arts pour susciter une énergie assimilable par le lecteur. Cette énergie produite par le contact avec les arts, Balzac va ainsi la transmettre en en accentuant le mystère et le caractère fascinant : ce que l’écrivain cherche dans la comparaison des arts qu’il a lui-même produite au sein des Études philosophiques, c’est finalement la limite de cette comparaison, condition nécessaire pour que la nouvelle artistique soit elle-même capable de produire une énergie.
« Décomposer n’est pas créer » : vers l’incomparaison créatrice
21La phrase prononcée par Joséphine Claës dans La Recherche de l’Absolu (1834 – voir Balzac, 1979, p. 720) peut en effet servir d’emblème à l’usage que fait Balzac de ce paragone énergétique destiné, non à être copié, mais à vitaliser en retour les nouvelles par son pouvoir de fascination. Certes, en se plaçant du côté des effets de l’art et non de l’art lui-même, l’auteur tend à égaliser les différences et à souligner l’unité de toutes les pratiques artistiques : « L’Art peint avec des mots, avec des sons, avec des couleurs, avec des lignes, avec des formes ; si ses moyens sont divers, les effets sont les mêmes », lit-on dans « Massimilla Doni » (Balzac, 1979, p. 377). Mais puisque son projet, en composant les Études philosophiques, est de se positionner comme un créateur énergétique qui sait maîtriser ces flux sans se laisser dominer par eux, il cherche à ce que la « sombre énergie » mise au jour dans ses fictions se communique à son tour au lecteur. Or, pour cela, il choisit de mettre en relief les limites de la comparaison des arts, en laissant dans l’ombre les mécanismes propres à l’action de ces forces destructrices ou thérapeutiques : rendues à leur mystère, elles exercent sur le lecteur un pouvoir d’attraction qui assure la transmission de la précieuse énergie.
22Balzac procède donc en accentuant la dimension énigmatique et fascinante de l’action de l’art. Selon un procédé isolé en son temps par Michel Butor15, les nouvelles des Études philosophiques se trouvent souvent organisées en diptyque contradictoire, ce qui accentue l’étrangeté des processus à l’œuvre. Ainsi, au sein d’un même groupe de nouvelles sur la musique, on observe des dissemblances frappantes : dans « Gambara », la musique est perçue comme un médium qui fait trop basculer du côté de l’idéal, tandis que dans « Massimilla Doni », elle est capable d’avoir une action physique toute concrète sur les corps et sur les fonctions vitales les plus triviales. On objectera que cette différence recoupe la distinction entre musique allemande et musique italienne chez Balzac, mais en réalité, le caractère idéal de la musique est également présent dans « Massimilla Doni », au moment où le ténor Genovese chante l’air qui doit le guérir. Cet aria a pour effet d’élever les auditeurs dans une sphère supérieure, ainsi que le précise le texte. Le duc de Cataneo « croit avoir quitté sa vieille enveloppe » et être parvenu « au milieu de la sphère lumineuse où la pensée peut convoquer le monde entier » (Balzac, 1979, p. 582), et Capraja se sent « dégagé de [ses] liens corporels » sous l’effet de la roulade « angélique » (Balzac, 1979, p. 583) du ténor Genovese, qui lui-même est en train de se guérir de son impuissance :
Ces quatre esprits si différents, dont les espérances étaient si pauvres, qui ne croyaient à rien ni pour eux ni après eux, qui se faisaient à eux-mêmes la concession d’être une forme passagère et capricieuse, comme une herbe ou quelque coléoptère, entrevirent le ciel. Jamais la musique ne mérita mieux son épithète de divine. (Balzac, 1979, p. 612)
23Ici, c’est la dimension spirituelle de la musique qui produit cet effet bénéfique, par opposition à sa dimension sensuelle lorsque c’est la Tinti qui chante : cette tension idéale était pourtant la source du mal d’Emilio Memmi, qui « ne se [sentait] même pas avoir un corps » (Balzac, 1979, p. 579) en présence de Massimilla. La musique s’apparente ainsi à un pharmakon, dont les effets peuvent être très différents, tantôt poison, tantôt remède, et qui défie toute tentative de rationalisation par la médecine – c’est ce que montre le cas particulièrement intéressant de Gambara.
24En effet, l’étiologie du mal dont souffre le musicien reste largement dans l’ombre au cours de la nouvelle : le comte Marcosini s’improvise médecin, mais c’est avant tout pour séduire la femme de Gambara, dans un dispositif qui rappelle les comédies du XVIIe siècle où le prétendant se déguise en docteur ou en professeur de danse pour avoir accès à la dame qu’il convoite. Le remède qu’il propose à Gambara comporte lui aussi une forte charge burlesque : pour soigner la tendance du compositeur à trop verser dans l’idéal, Marcosini le fait boire, ce qui a pour effet que le pauvre homme se révèle enfin comme le « génie de la musique » (Balzac, 1979, p. 503) qu’il est. Le remède lui est administré une seconde fois, lors de la grande scène à l’opéra, où Gambara assiste avec Andrea Marcosini à une représentation de Robert le Diable de Meyerbeer : le « miracle » du souper festif se reproduit et Gambara produit une interprétation sensée et éclairante de l’œuvre qu’il entend. Il semble donc bien que l’alcool joue un rôle thérapeutique en ramenant le compositeur en direction d’une sensualité et d’une incarnation charnelle qui lui manquaient, et les personnages en sont d’autant plus surpris de voir qu’au terme de cette soirée, Gambara renonce à jamais à la boisson, ce que sa femme interprète comme un refus de guérir16.
25Mais il nous semble que cette « singulière guérison » (Balzac, 1979, p. 498) tentée par Marcosini peut être interprétée différemment, dans une perspective qui viendrait souligner, moins les atermoiements et les rechutes du malade, que la mécompréhension par les philistins du véritable pouvoir de la musique17. En effet, les deux scènes d’ivresse de Gambara nous paraissent en réalité marquées par la différence plutôt que par la répétition. Dans la première, non seulement Gambara est clairement présenté comme ivre, mais une présence narratoriale formellement identifiée comme supérieure aux personnages de la fiction isole l’alcool comme un médicament : « le bon sens semblait lui revenir en sens inverse de sa sobriété » (Balzac, 1979, p. 474). Mais la scène chez le logeur de Gambara comporte une dimension carnavalesque marquée, où les génies sont rabaissés à l’état de saoulards, devant un repas infect servant à dissimuler une scène de séduction crapuleuse. Il en va tout autrement de la scène à l’opéra, qui présente deux différences marquantes : d’une part, il s’agit d’une scène sérieuse, où Balzac développe une véritable analyse musicale, selon le cahier des charges imposé par Maurice Schlesinger pour La Revue et Gazette musicale de Paris, où les nouvelles doivent servir à familiariser le lecteur avec les nouveautés de la scène et à développer son sens musical (voir Ellis, 2004). Présenter la critique musicale comme le produit des divagations d’un ivrogne apparaît dans ce contexte déplacé, et nous incite à aller voir plus loin que cette première image. D’autre part, un second indice nous engage à relire cette scène au-delà de l’interprétation traditionnelle qui met en relief l’ébriété salvatrice de Gambara : contrairement à ce qui se passe lors du souper burlesque, la musique semble ici dissiper les effets de l’alcool et permettre l’apparition d’un discours sérieux portant justement sur la musique. Alors qu’avant la représentation, « Gambara déjà ivre se plaisant[e] lui-même avec beaucoup de grâce », « [son] ivresse par[aît] se dissiper […] aux premières notes de l’introduction » (Balzac, 1979, p. 499). Ici, c’est bien la musique qui fait effet, en l’occurrence l’effet d’un révélateur qui agit « comme un éclair qui sillonn[e] la nuit profonde » (Balzac, 1979, p. 499) où le personnage vit. Mais l’auteur s’emploie à brouiller la perception de la chaîne causale qui explique les analyses géniales de Gambara, en faisant interférer, non seulement l’image de la première scène d’ivresse, mais aussi une perception qui possède déjà son schème explicatif en attribuant, à l’instar du comte Marcosini, à l’alcool les propos de Gambara. En effet, alors que la fiction balzacienne est riche en interventions d’un narrateur surplombant qui impose son avis avec autorité (voir Couleau, 2007), cette voix est ici singulièrement absente, et c’est à des points de vue extérieurs et périphériques qu’il est confié de regarder la scène et de conclure que l’extase de Gambara est liée à son ivresse, alors que c’est la musique qui l’a produite : « jusqu’à minuit et demi Gambara resta si profondément immobile, que les habitués de l’Opéra durent le prendre pour ce qu’il était, un homme ivre » (Balzac, 1979, p. 500).
26La burlesque tentative de guérison opérée par Marcosini nous semble donc moins servir d’élucidation du comportement du compositeur que de révélateur de l’effet profondément mystérieux et inconnaissable de la musique : le faux parallèle entre les deux scènes et le fait que la musique balaie en réalité les effets de l’alcool et parvient à s’imposer, non à cause de l’ivresse, mais en dépit de celle-ci, viennent consolider l’idée qu’elle est une puissance incompréhensible. Et si le personnage refuse désormais de boire, n’est-ce pas aussi pour résister à une thérapeutique dangereuse, puisqu’elle consiste à lui faire dépenser dans la boisson une énergie précieuse ? Gambara est en effet cité dans « Massimilla Doni », où il apparaît comme une figure de maîtrise des effets de la musique, là où l’alcool le prive de ses capacités de contrôle :
Capraja s’est lié avec un musicien de Crémone, logé au palais Capello, lequel musicien croit que les sons rencontrent en nous-mêmes une substance analogue à celle qui engendre les phénomènes de la lumière et qui chez nous produit les idées. Selon lui, l’homme a des touches intérieures que les sons affectent, et qui correspondent à nos centres nerveux d’où s’élancent nos sensations et nos idées !
27Le compositeur apparaît donc comme une figure profondément ambiguë, marquée à la fois par une dimension grotesque et par un caractère exemplaire : cette double nature étrange renforce en réalité l’action du personnage sur les autres, qui apparaissent « ébranl[és par] la communication magnétique des idées » (Balzac, 1979, p. 492) du musicien, comme le lecteur doit l’être par la lecture de la nouvelle. L’art de Gambara apparaît bien pour lui comme un ange exterminateur, capable de tuer et de vivifier, de vivifier et de tuer, sans que l’on sache exactement lequel de ces effets va s’imposer. C’est dans ce mystère de l’énergie que se rejoignent les conceptions médicales de Balzac et sa conception de l’art : de même que le vieux médecin de Tours qui domine « Les Martyrs ignorés » par sa maîtrise des flux énergétiques pratiquait le magisme, « Massimilla Doni » ne cesse de parler du « pouvoir magique » de la musique ou de la « magie de son faire » (Balzac, 1979, p. 582 et p. 592).
Conclusion
28« On s’aperçoit qu’il y a une rupture complète [...] entre la production et les préoccupations des années précédentes et celles des années 1829 à 1837. Ce n’est pas assez de dire que Balzac fait peau neuve. En réalité, c’est une naissance » : Maurice Bardèche (1964, p. 144) rappelle ici le rôle fondamental joué par les Études philosophiques dans la pensée et la poétique balzaciennes. Ces figures d’artistes analysées par Balzac dans les nouvelles sur l’art présentes dans cet ensemble font en effet l’expérience dans leur chair que « tout mouvement exorbitant est une prodigalité sublime18 » (Balzac, 1979, p. 293) : il s’agit là d’un dilemme de l’énergie que Balzac se doit de résoudre avant de se lancer dans son grand œuvre. Mais en explorant comparativement les pouvoirs des arts sur les corps et les esprits, Balzac découvre aussi l’inutilité d’en copier les instruments : il s’emploie à n’exposer que le mystère à l’œuvre dans les arts, ce qui se traduit sur le plan esthétique et poétique. D’une part, il s’agit de souligner le caractère réversible de l’énergie – force même de la vie et pouvoir de la création, celle-ci possède à la fois « une faculté de détruire, de désorganiser et de défaire » (Michel, 1984, p. 49) et une vertu thérapeutique. D’autre part, cette double valence est présentée sous un jour profondément mystérieux, ce qui permet de communiquer sans l’altérer cette précieuse énergie appelée à devenir la matière même de la production balzacienne.