Colloques en ligne

Gaspard Seconde et Cécile de Bary

Commentaires de la proposition de Bernard Magné

Protester, mais de quoi ? par Gaspard Seconde

1La Préface aux Œuvres complètes de Sally Mara constitue-t-elle une protestation de fictivité ou de non-fictivité ? « Je ne suis jamais née » s’indigne la signataire, qui refuse en outre la maternité du « maracryphe » final, et se présente comme « un auteur prétendu imaginaire » par opposition au « soi-disant réel » Queneau...

Par Bernard Magné

2Je rangerai plutôt la préface de Sally Mara dans une autre catégorie du péritexte, en utilisant le critère simple de l’énonciateur explicite. Tous les contrats de fictivité sont assumés par l’auteur et proférés comme tels. Le jeu entre fiction et non-fiction porte uniquement sur l’énoncé. Au contraire la préface de Sally Mara porte sur l’énonciation et le statut problématique de l’énonciateur. Mais l’effet pragmatique sur le lecteur reste globalement celui de la fictivité, notamment avec la parodie des avertissements habituels du type : manuscrit retrouvé, mémoires authentiques, etc.

Ressemblance & faire-semblant, par Cécile de Bary

3Cher Bernard Magné,

4Tu m’excuseras si je ne m’attarde pas sur l’essentiel de ton article — cette exploration des protestations de fictivité qui permet de percevoir la variété et la fréquente ambiguïté des « pactes » fictionnels (et réalistes) énoncés par le péritexte. Tu m’excuseras de m’adresser encore au spécialiste de G. Perec : ton étude de l’indication liminaire de La Vie mode d’emploi démontrant une fois encore la pertinence de tes analyses. Et le brouillage perecquien des frontières de la fiction, et de ses origines. De fait, j’ai toujours naïvement lu la fin d’Un cabinet d’amateur autrement que tu ne sembles le faire dans ta note 37 : pour moi, dans ce passage, le plaisir du « faire-semblant » — concernant un récit désigné comme « fictif » — a toujours été le plaisir de la fiction. (Le « faire-semblant » caractérisant en général autant le trompe-l’œil que la fiction écrite, selon des modalités différentes). Je suis d’accord sur le fait que l’usage de la fiction joue chez Perec sur des mécanismes qu’on peut assimiler à certains fonctionnements du trompe-l’œil. Je l’ai même écrit. Mais j’aimerais bien que tu précises ta lecture de ce passage. (Cette question étant conçue dans le but de lire une de tes analyses — source d’un plaisir de lecteur qui n’a rien à voir avec la fiction !). À propos de trompe-l’œil, je me permettrai de critiquer un point de détail de ta communication. Tu sembles assimiler ce que tu appelles le « leurre » réaliste au « leurre » figuratif auquel se laisse prendre l’animal (note 14). Pourtant les signes d’un texte réaliste ne ressemblent en rien à leur référent, sauf à mimer du langage, comme l’a remarqué P. Hamon. C’est l’univers désigné par le texte — effet de son discours — qui est susceptible d’être rapporté à l’univers réel — ou les signes d’une fiction à des signes référentiels.

Par Bernard Magné

5Chère Cécile De Bary

61) C’est gentil de me lire, même quand ce que je donne à lire a été écrit un peu dans l’urgence, et donc sûrement pas avec toute la rigueur théorique requise.

72) Concernant le plaisir de la fiction et le plaisir du faire-semblant, matérialisé dans les deux discours : celui de Jouet, celui de Perec. C ‘est évidemment un problème de réception, qui met en jeu plusieurs éléments : a) Jouet annonce d’emblée le caractère fictif de son feuilleton. Avant même que le récit commence, le lecteur sait qu’il se trouve dans « l’inauthentique ». Et il y restera vraisemblablement jusqu’à la fin : j’ignore évidemment comment tout cela va finir, mais jusqu’à preuve du contraire je n’imagine pas un renversement final annonçant que tout ce qui avait été donné comme faux soit déclaré (et démontré) vrai. Il y a donc une cohérence à la fois spatiale et temporelle chez Jouet : le récit est « inauthentique » d’un bout à l’autre (même les détails concrets assurant un minimum d’effet de réel ne remettent pas en cause cette homogénéité : le récit est un bloc homogène de « menteries ») et du début à la fin (sous réserve de ma remarque supra). On est à la fois dans le compact (spatial) et dans le constant (temporel). Et on se régale (enfin, à mon avis de moins en moins, en ce qui me concerne, mais ce n’est pas le problème) d’y patauger en toute connaissance de cause. C’est ce que j’ai appelé le plaisir de la fiction, mais je veux bien trouver une autre formule : ça relève de ce que André Green appelait le « je sais bien mais quand même ». b) Perec ne dit rien hors texte (pas de contrat ni dans un sens ni dans l’autre), et il installe un narrateur hétérodiégétique anonyme qui va multiplier les preuves d’authenticité de son discours : dates, allusions historiques, noms propres et titres attestés, etc. Les indices de fictivité sont fort ténus, surtout pour un lecteur non perecquien : on doit pouvoir compter sur les doigts de la main d’un lépreux en phase terminale les malins alertés par « Fitchwinder » ! C’est seulement à la fin du récit, et de l’intérieur de celui-ci, que le narrateur (et non l’auteur, ce qui complique encore un peu les choses par rapport à Jouet) dénonce la fictivité (partielle, ce qui n’arrange encore rien) de son récit. Ce n’est donc pas ici « Je sais bien (que c’est faux) mais (ça me plaît) quand même », mais quelque chose comme « J’ai cru que c’était vrai, finalement je me suis fait avoir, mais en plus il y a un peu de vrai et je n’arrive pas à savoir où ». Le frisson, c’est cette hésitation, ce tremblement, cet indécidable qui ne fonctionne que dans un effet d’après-coup, quelque chose comme « je ne sais jamais (si c’est vrai ou faux) et c’est très bien comme ça ». Ou encore « je sais bien (que je ne sais pas si c’est vrai ou faux) mais quand même ».

83) Quant au leurre (d’accord, la page feuilletée pur leurre, c’est pas terrible comme calembour, mais je n’ai jamais su résister à ce genre de mauvais goût), il est évident que ce que j’appelle « fidélité pur leurre » désigne bien une ressemblance entre discours : ce n’est pas la ressemblance du discours du narrateur avec l’univers de référence du texte, mais bien la ressemblance de ce discours avec celui qu’un locuteur pourrait tenir sur un univers référentiel de même type. Pour prendre l’exemple caricatural emprunté à Robbe-Grillet : « La porte de l’appartement est entrebaîllée, la porte de l’appartement est grande ouverte en dépit de l’heure tardive, la porte de l’appartement est fermée », ce n’est pas par rapport à l’état d’une « porte réelle » (?) que ce discours est problématique, mais par rapport au discours qu’un locuteur réel produirait devant une porte réelle s’il devait en préciser l’état d’ouverture. Tel est mon avis et je le partage.