Colloques en ligne

Mohamed Berrezzouk et Aude Matignon et Dimitri Shibaeff

Commentaires des propositions d’Alexandre Gefen données en introduction

La gageure de Roland Barthes par Mohamed Berrezzouk

À propos de Il/je (les « biographèmes ») (Alexandre Gefen)

1Roland Barthes était, sans aucun doute, un hérétodoxe anti‑doxéique et réfractaire qui sapait toute les évidences et toutes les normalités(dans la littérature comme dans la vie).Il était un écrivain du « romanesque » sans être un romancier au sens classique du terme, un critique qui échappait aux ornières asphyxiantes de l’appareil méta-textuel, un « mythologue » qui cherchait à démystifier la société petite‑bourgeoise, un sémiologue qui refusait la pensée obéissant à la logique purement rationnelle et positiviste d’où son écriture fragmentée, hachurée et parcellaire, un auteur qui s’aventura dans la tradition de l’autobiographie tout en mettant en cause ses fondements archaïques. C’est dans ce sens qu’il faudrait lire son ROLAND BARTHES PAR ROLAND BARTHES : c’est « le roman barthésien » où Barthes, par le biais de la « lice pronominale » (il, je, vous, tu), au travers du fragment, par le moyen des « biographèmes » (des récits touchant aux points futiles de la vie), le type de pacte qu’il tisse d’emblée avec son lecteur depuis le début (« tout ceci doit être considéré comme dit par un personnage de roman »), les pensées et les idées qui rythment et scandent son texte, Barthes déroge aux normes des genres littéraires et donne naissance à un texte a-topique et dysgénérique. LA gageure de Barthes, c’est d’écrire un roman moderne, un texte où se déploie « la mort de l’auteur », une œuvre sans nom où l’intertextualité triomphe, un livre dans lequel l’écriture devient génératrice de plaisir et de jouissance, à la fois, pour le scripteur et pour le lecteur. Barthes reste et restera toujours un écrivain moderne. Perec avoue qu’il a écrit ses deux « autobiographies » (s’agit-il vraiment d’autobiographie ?) W OU LE SOUVENIR D’ENFANCE et JE ME SOUVIENS dans la même perspective de Barthes.

À propos de « Le neutre, le moderne » d’Alexandre Gefen

Par Aude Matignon

2Enchantée de découvrir par hasard cette notule : il semble en effet que l’antithèse neutre/baroque chez Barthes mérite attention. Rien de plus beau, neuf, fécond, que son essai sur « Tacite et le baroque funèbre ». Rien de plus émouvant que son attachement aux « Mémoires d’outre-tombe ».

Par Dimitri Shibaeff

3Scruter dans le corps textuel ce qui se dérobe à la catégorie du signe social, ce qui s’offre comme en-deçà de la communication, se désinscrit du champ opératoire d’une culture, c’est là une des focalisations barthiennes. La question qu’elle dévoile est celle du sens finalement : une écriture de la neutralité, de l’asocialité, où le mot n’a plus valeur de connexion entre telle catégorie culturelle et tel objet particulier, n’est-elle pas avant tout une écriture « in-sensée » ? Se traçant en bordure du sens, de son dehors extra‑linguistique, le langue ne cesse de « questionner » le sens à partir de son altérité. Ce mouvement de retrait par quoi l’écriture devient un geste neutre, voue le mot à une indétermination idéologique qui en retour fixe l’élément hermétique de la langue, appelle à une reconfiguration de la ligne de partage entre le dicible et l’indicible à l’intérieur du langage.