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Article publié
le 29 octobre 2007

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Le début et la fin. Roman, théâtre, B.D., cinéma2007

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Marion François

Le début et la fin dans le roman policier : variations sur un strip-tease

1Si « nous n’avons plus de commencements », pour citer le début célèbre d’un livre de Georges Steiner – qui s’offre ainsi paradoxalement un magique incipit –, le roman policier nous permet de commencer, lui aussi paradoxalement mais solidement, par la mort. Calvino, qui comme Steiner, comme Sartre1, constatait que la vie n’a ni début ni fin, appréciait les récits qui empruntent à la littérature populaire, ces « formes », disait-il, « éprouvées par un long usage qui fait d’elles des structures quasi mythiques »2 et qui nous offrent les délices de la répétition.

21. À l’initiale du texte, le cadavre, en tant qu’événement absolu, permet une entrée dans le récit in medias res vraisemblable, à l’image des faits divers des journaux, favorisant le processus d’« embarquement » du lecteur. Phénomène d’ailleurs curieux : le cadavre figure crûment la violence souvent voilée de l’incipit, dont le caractère arbitraire transparaît dans ce corps mort de « mort non naturelle », victime tombée dans le piège de la confiance, comme le lecteur. Cependant l’idée de la mort nous habite plus que l’idée de notre naissance, elle nous semble à la fois arbitraire et absolument vraisemblable – et pour certains d’entre nous, aussi terrifiante que le cadavre décrit souvent complaisamment par les auteurs actuels. Par ailleurs, la violence de l’assassinat et de l’incipit est atténuée par le rituel de l’écriture policière, puisqu’un lecteur de roman policier attend ce mort dans les premières lignes et que celui-ci va en rejoindre bien d’autres sur les rayonnages de la bibliothèque.

3Même si l’on considère comme Paul Ricœur que tout récit est celui d’une quête3, ou que tout texte pose une interrogation, et en cherche la résolution, aucune question ne saurait être plus précise, plus fondée et plus brûlante que celle que pose la découverte d’un crime. Cette question nécessite une réponse qui, l’ayant close, terminera le texte simultanément et naturellement. La structure policière classique, dont Brecht disait qu’elle avait la santé d’un schéma4, offre une légitimation parfaite à la nécessité de découpage narratif. Ce cadre permet d’instaurer une circularité qui contente à la fois l’auteur dans son désir d’élaborer un objet  fini  – en même temps qu’un récit ayant rempli un programme clairement énoncé – et le lecteur, dans son désir de complétude et de redondance. En effet, au mort/problème correspond idéalement le mort/solution, c’est-à-dire le coupable que le récit se borne à identifier mais dont l’élimination est sous-entendue, au moins dans le roman-problème, qui prend ainsi pour Jacques Dubois des allures de rituel5. Ou de formule, tant semble grand le goût géométrique chez des auteurs comme Poe, souvent décrété inventeur du genre policier, et dont Steiner notait (je cite) « la sensibilité mathématique »6.

4 Les premières lignes du roman policier portent ainsi en elles la forme même et la cohérence de l’œuvre : on a pu, lors de la période faste du genre, demander à plusieurs auteurs de poursuivre un roman à partir d’un premier chapitre identique pour tous7. Les solutions trouvées étaient différentes, sans que rien ne vînt menacer, dans aucune version, la téléologie fondamentale commandée par le début, « la situation paradoxale dont tout le reste sortira »8, disait Narcejac. Dans la perspective de Poe, le début contient déjà la fin ; Iouri Lotman insiste sur (je cite) la « fonction modélisante déterminante » du commencement du texte, arguant du fait (je cite) qu’« expliquer un phénomène, – cela veut dire indiquer son origine »9, démarche influencée par le modèle scientifique. Dans le texte policier, le mort initial est à la fois l’origine du raisonnement qui constitue le développement, et l’aboutissement chronologique de la reconstruction opérée par ce raisonnement : tout part du cadavre, et tout aboutit à lui. Ce n’est donc pas un cadavre exquis : on voit bien qu’il y a, entre le commencement textuel et le commencement génétique le temps d’une programmation complète. Cette organisation structurelle extrême, typique du roman-problème anglais10, fait du début d’un récit le lieu de la plus grande domination auctoriale sur le lecteur. Ce dernier sent que tout est prévu et agencé, qu’il n’y aura qu’une solution, que tout est écrit dès le début. Il peut donc se sentir enfermé dans une histoire qui n’est qu’un  « raisonnement pétrifié »11, d’après Narcejac, où la science limite les excès de l’inspiration – et donc dans une certaine mesure l’imagination du lecteur, qui ne peut entretenir l’illusion de cheminer aux côtés du narrateur ; il se sait postérieur aux faits, arrivé irrémédiablement trop tard, comme le détective devant le cadavre.

5À moins que l’auteur place d’abord son cadavre entre lui-même et sa peur de la page blanche, pour que du cadavre naisse l’écriture, ce qui est quand même une belle revanche sur la mort ! Les vertus créatrices du début sont indéniables puisque certains, comme Simenon, ont affirmé ne pas avoir la moindre idée de la fin en commençant leur roman12. Invenire, découvrir le cadavre, invenire, trouver ce qu’il y a sous le blanc de la page. Mourir, c’est disparaître, mais la mort, dans un récit, fait apparaître : le cadavre n’est donc pas non plus mortifère, au contraire, il fait venir au monde un texte, et une lecture des plus actives, jusqu’au bout. C’est dans ces conditions que la morbidité amenée par la présence du cadavre peut être le lieu d’un plaisir, – pas seulement celui d’une scène à faire, d’un tableau apéritif. Cette complicité se manifeste parfois par la jubilation, par le biais de descriptions détaillées du mort, ou de mises en scène grotesques, carnavalesques, l’humour contenu dans l’allusion mettant à distance le corps sacrifié au jeu littéraire, comme la Gloria décapitée qui ouvre Possessions de Julia Kristeva. Car il y a aussi, chez le lecteur, un plaisir de l’incipit reconnu, ce qui explique en partie la compulsion de répétition du lecteur de romans policiers, et même le désir de lire tous les livres du même auteur. En effet, ce dernier module légèrement ou de façon plus notable l’amorce traditionnelle, mais en instaurant des constantes dans les ouvertures de l’ensemble de son œuvre, comme une note liminaire reconnaissable entre toutes, et en même temps unique à chaque fois13.

6Derrière l’auteur classique commençant par la naissance du héros pour symboliser avec confiance la genèse de sa propre création se profile son double maudit, qui préfère la figure du mort pour se lancer, comme s’il lui fallait d’abord tuer quelque chose (ses vanités ?) ou quelqu’un (ses prédécesseurs ?) pour accoucher de son livre14. Ou comme s’il fallait dire ainsi la vérité du commencement, entre néant et être15, la proximité entre la création et la mort16. Dire tout haut ce que le roman blanc dissimule….

7D’ailleurs, le choix thématique de la mort, motif évident de terminaison, comme événement introductif, place le récit policier parmi l’immense ensemble des œuvres littéraires au pré-texte obscur, tel Œdipe-roi, l’ancêtre du genre. En tant que littérature populaire, le roman policier a simplement le mérite de poser les choses plus clairement, d’une manière théoriquement et pratiquement figée (il faut un cadavre à l’initiale), mais il rejoint quantité de livres depuis l’antiquité, aux composantes œdipiennes ou marquées par le mythe de la Chute, qui font peser sur le récit le poids d’un crime ou d’un forfait antérieur, idée qui fonde également bien des courants psychanalytiques17 et philosophiques18. 

8Par la nature pseudo-scientifique, théorisée et sûre de son raisonnement, le héros policier laisse transparaître plus clairement que les autres le besoin fondamental de régler le problème et de se débarrasser du poids du crime ; c’est d’ailleurs pourquoi le sort du criminel est finalement si peu évoqué. On sort ainsi du Chaos originel, de ces ténèbres qui sont l’héritage de l’humanité, grâce à l’illumination du détective. Le roman policier classique manifeste explicitement l’exigence de rétablissement de l’ordre plus encore que de celui de la vérité, dont la fatale incomplétude est masquée par l’euphorie du retour à l’harmonie antérieure à la Chute.

9 D’autant plus qu’en fait, commencer par la mort, c’est l’affronter, en inversant le cours des choses, le déroulement inexorable du temps et de la chronologie. En ouvrant un roman policier, le lecteur sait qu’il va être invité à remonter le temps, activité des plus réjouissantes, à rétablir ce qui a été oblitéré. Le roman policier classique fait donc à l’évidence partie de ces fictions de la fin consolatrices. Dans de nombreuses enquêtes, on a le sentiment, par le fait d’une curieuse ellipse, qu’en triomphant du criminel, le détective a vaincu la mort. Elles se soumettent en cela aux préceptes religieux et mythiques, qui veulent encourager la marche vers l’avant et la lutte contre ce qui pour Freud est la plus primitive des pulsions : la pulsion de mort19. 

10Choisir la mort pour débuter, c’est donc commencer par la fin ce qui est de toute façon la nature de tout récit20: le roman policier s’affiche comme récit à rebours, narration à partir de l’événement, à l’image des premiers récits de chasse. La découverte du cadavre diégétise la découverte du texte par le lecteur placé dès lors en position d’attente active, stimulé par la curiosité, moteur des policiers classiques, mais dans un désir de savoir confortable, grâce aux garanties offertes par le contrat de lecture policier. L’aspect accompli du texte et la sensation de circularité ont sûrement une fonction importante dans ce que le lecteur trouve dans le livre pour lutter contre les agressions de la réalité et suturer les béances qu’elle provoque en lui21. En outre, le lecteur, en général, a le plaisir de se reprendre et de sortir du monde du livre22  dont la fin correspond au moment où la tension de l’attente se résout, la faim de savoir étant alors comblée23.

11Cette restauration du lecteur est d’autant plus efficace dans le cas de la structure policière classique parce que la clôture, extrême (dans le droit fil des exigences de Poe), opère de surcroît à un double niveau, comme le remarquait Guy Larroux, au plan du récit et à celui du discours, par la prise de parole du détective à la fin du roman24, constituant sans doute la forme la plus accentuée de cette sorte de diktat auctorial qui s’exerce sur le lecteur chaque fois qu’un auteur termine son texte, acte autoritaire en tant que tel. L’auteur le délègue au personnage du détective, dont les paroles sont sans réplique possible : les personnages sont réduits au silence (et notamment le criminel, d’une façon remarquable) et, derrière eux, le lecteur. Il est évidemment crucial pour le genre qu’il en soit ainsi, cette univocité cachant mal l’arbitraire du récit (passant de tout récit), la solution du détective étant plaquée artificiellement comme la seule issue possible au mystère, et donc au texte. Il ne reste plus au lecteur, depuis la clausule, qu’à faire retour, au niveau du texte lui-même, sur ce qu’il a lu, pour récupérer et prendre conscience des indices textuels et de la manipulation du narrateur, c’est-à-dire, au fond, à réaliser combien le genre policier fait culminer la « fonction modélisante de la fin »25, d’après les termes célèbres de Iouri Lotman. Les rébellions comme celle de Pierre Bayard, qui a réécrit la fin du Meurtre de Roger Ackroyd d’Agatha Christie, demeurent l’exception26.

12La clôture policière rend ainsi lisible l’ensemble du texte, à deux niveaux : d’abord en tant que clé du mystère, ouvrant à l’unité du texte entier, ensuite pour Philippe Hamon en tant qu’« opérateur d’intertextualité »27 ; dans les textes fortement génériques, la clôture renvoie à un ensemble de textes, dont la lecture antérieure prépare celle du texte lu. Ce plaisir de la reconnaissance, offert au lecteur par l’auteur, est un des signes que ce qui se passe ici relève surtout de la fonction phatique, au rebours de ce que l’on s’imagine habituellement, à savoir qu’on lirait un roman policier uniquement pour connaître la fin28.

13Philippe Hamon, à propos des textes à structure question/réponse, « où sens (comme signification) se confondrait avec sens (comme orientation) »29, rapproche notamment le roman policier du strip-tease, caractérisé par l’attente et le dévoilement suspendu, escamoté. C’est plus précisément le discours final qui prend la forme de ce dévoilement successif et lacunaire, triangle noir posé sur une vérité toute nue absolument indicible. Et le lecteur, parvenu au terme du roman30, connaît la même déception inconsciente que l’auteur31, masquée par la satisfaction de la conscience face au triomphe de la ratio. C’est cette déception qui enfermerait l’auteur et le lecteur de romans policiers dans la compulsion de répétition32, comme Abel, dans Le Méridien de Greenwich de Jean Echenoz, lit et relit le grimoire où il espère trouver la vérité sur la strip-teaseuse Carla, secret « qui se livrait et se dérobait à lui […] comme elle avait toujours fait »33. Jacques Dubois, parmi d’autres, énonce l’idée que le lecteur, animal triste, passe d’un livre à l’autre, en quête de nouvelles satisfactions, liées à la connaissance d’un secret longtemps préservé, en proie je cite au « désir d’un autre dévoilement »34. Il s’agit moins d’un besoin de réduplication que du désir inconscient d’un dévoilement autre que celui qui nous est proposé, le dévoilement de cet autre contenu interdit de séjour et toujours recouvert, à l’image du criminel qui avance toujours masqué35.

14Par ailleurs, Philippe Hamon dit de toute clausule valorisée qu’elle constitue une « maquette » de l’énoncé : le récit policier entier ne serait que l’extension de cette unité qu’est le discours final, en tant que contournement de la vérité, et c’est cette  « durée du dévêtement », comme disait Barthes, qui fait le roman36 et le lecteur/voyeur – comme il est à l’origine du plaisir procuré par le strip-tease. « Le secret, écrit Echenoz dans le même roman, n’est pas le dernier voile qui dissimule un certain objet au bout d’un certain parcours, il est ce qui anime la totalité de ce parcours »37.

152. En effet, ce plaisir du contournement et même de l’évitement, du travestissement, voilà ce que valorisent des auteurs actuels travaillant le schéma policier, pratiquant la surenchère de ses principes plus encore que la déviation. Le roman policier, porté par l’optimisme de la science naissante, a représenté par son bouclage parfait la complétude idéale ; remanié par la modernité, il en signifie de façon frappante les errements. Ruinant l’économie du roman policier classique, tous les égarements de l’enquête autorisent et justifient avec largesse les détours du récit, qui s’inscrivent dans la stratégie du suspens et sont perçus comme ce qui prolonge le plaisir de l’attente avant la révélation. L’enquête, vecteur de sens, n’existe plus, ou n’aboutit pas. La répétition, le jeu sur la structure cyclique, seraient alors la marque d’une remise en question de la fin d’un récit policier, machine conçue pour étouffer le pour quoi, afin de rétablir une linéarité accessible par la concaténation des liens de causalité 38. 

16L’incertitude du sujet moderne ébranle naturellement les deux points d’ancrage du roman policier : les débuts et les fins s’exhibent comme subterfuges là-même où ils étaient le plus garants de l’illusion de réalité et de la non-contingence, puisque la structure cyclique du roman policier (mort/mort, question/réponse) est démystifiée ou subvertie. Les débuts sont hétérogènes : le romancier peut jouer avec le rite d’entrée du roman policier, créer une nouvelle attente, celle de l’événement criminel, le suspense portant parfois sur le genre, comme dans L’Enfer de René Belletto où le futur enquêteur, suicidaire, s’offre comme seul cadavre possible. L’auteur peut aller jusqu’à lancer à son lecteur une sorte de « contre-invitation à entrer dans l’univers fictionnel » (Genette) comme  dans Le Méridien de Greenwich où un film raconté se laisse passer tout un chapitre pour l’incipit du roman, jusqu’au dernier paragraphe où Jean Echenoz désigne énergiquement la fiction par un « Point de roman donc ; un film c’était »39.

17Cependant, d’après Guy Larroux, c’est dans la clôture d’un roman en général que l’on repère au mieux la contestation du genre et des modèles. Amputer la structure classique du discours final, déjà, limite la clôture ; les auteurs parodiques tels Mendoza produisent donc une version délirante du discours conclusif – toujours délirant pour Pierre Bayard –, d’autres commuent ce discours en rapport à produire, dont l’angoissante nécessité, souvent mentionnée dès l’incipit et souvent rappelée, métaphorise la nécessité d’écrire, de produire un récit. L’absence du criminel, sa dispersion, son anonymat, marquent l’impossibilité de clore le roman, fonction classiquement dévolue au bouc-émissaire, rituellement expulsé pour assainir le climat social et édifier le lecteur. On peut aussi disjoindre la question initiale de la réponse finale, pour garantir l’impact de son récit. De cette façon, l’auteur joue avec un des prérequis du genre : surprendre. Mais dans le cas d’auteurs novateurs, si la fin est imprévisible, c’est parce qu’elle est déplacée, puisqu’on ne répond pas à la question de départ, par une infraction au code herméneutique. L’altération maximale se trouve dans le choix d’une fin ouverte, c’est-à-dire d’une suspension définitive de la révélation, confiée à la charge du lecteur comme souvent chez l’Américain Paul Auster, ou dans le dernier Philippe Claudel, Les Âmes grises. Cette infraction au code herméneutique vise à contester la coïncidence classique entre une forme close, c’est-à-dire achevée, avec un sens clos, clairement formulé. Alors que le policier classique propose une fin des plus « euphoriques », certains auteurs imposent une « dysphorie » d’autant plus frappante du fait de la prégnance hypotextuelle. À la triade harmonieuse fin/finition/finalité, selon les termes de Philippe Hamon, pour qui la sensation de finir une lecture de roman est liée à la prise de conscience de la corrélation et de la complicité entre ces trois paramètres40, l’œuvre moderne oppose l’infinitude41 : le temps n’est plus pensé comme une avancée vers quelque chose, linéarité, progrès ou Apocalypse, mais comme une circularité ; d’où l’attirance de certains écrivains pour des formes circulaires42 et la disparition de la téléologie romanesque. Le roman-machine (Narcejac) trouve une autre vérité à travers l’étrange machine créée par l’ingénieur faussaire dans Le Méridien de Greenwich: « Mais cet inachèvement était si flagrant, si insistant, si parfait en tant qu’inachèvement, que l’on pouvait penser qu’il constituait le principe même de la machine, puisqu’il en était la fin en soi […] on pouvait considérer que dès lors toute amélioration que l’on apporterait à la machine ne saurait plus consister qu’en un perfectionnement de son inachèvement même »43.

18Bien sûr, la valorisation de l’incomplétude coïncide avec une vision du monde perturbée, propre à notre époque parmi d’autres. Dans ce contexte, les auteurs vont avoir tendance à amplifier ce que Thomas Pavel appelle « l’inévitable incomplétude des mondes fictionnels »44, au lieu de la nier ou de l’obscurcir. L’incertitude nouvelle qui apparaît dans le roman policier moderne le rend dès lors tellement proche d’autres œuvres que la frontière générique se trouble, la taxinomie classique se trouvant dès lors grandement perturbée.

19Mais ce choix de l’ouverture peut être aussi conçu comme la réponse à la déception effective et souvent notée par les critiques :  le nom du coupable ne suture pas les questions posées par le texte, parce que, notait Ernst Bloch, « aucun Œdipe n’a su répondre à la question que pose la cause, la raison pour laquelle il y a un monde, cette seule énigme digne du Sphinx, aucun Œdipe n’a su la résoudre »45. Les derniers mots de L’Enigme de Rezvani, ce roman dont la fable se met sans cesse en relation avec « l’énigme universelle »46 sont : « déchiffrer sans fin », l’un des enquêteurs s’opposant au « point final » qui anéantirait la curiosité qui le maintient en vie47. Car la révélation identitaire n’enraye pas tous les affects amenés par le « pôle émotif », indispensable à la survie du genre pour Thomas Narcejac48. L’imaginaire du lecteur joue un rôle essentiel dans l’activité interprétative. Pierre Bayard a montré combien la théorie de la clôture était illusoire, et en particulier dans le roman policier, où la subjectivité du narrateur est si visible ; la rétention de savoir qui s’exerce par définition dans le genre ne peut que mettre à contribution le lecteur dans l’après-texte, débouchant parfois sur une seconde lecture 49. Ajouter à cela une fin ouverte, c’est rendre le genre à sa vérité, puisqu’il est le roman du lecteur, et que la fin ouverte est un appel explicite à la coopération interprétative du récepteur.

20Chandler disait que « Le roman policier idéal serait celui qu’on lirait même en sachant qu’il manque le dernier chapitre »50. Il y aurait alors pour Charles Grivel51 une attente essentielle du lecteur, un quatrième besoin à ajouter aux désirs de croire, de posséder la vérité et d’être consolé, le prolongement d’une ignorance jouissive, qui n’est pas absente dans le genre policier initial : le lecteur de roman policier jouit de l’échec de tout son travail d’élaboration du sens, parce que ce qu’il valorise dans cette lecture, c’est la surprise ; fût-ce au prix d’une humiliation.

21 Cette surprise consiste pour les œuvres novatrices en une délivrance, le lecteur échappant à tout ce qui le conditionne, l’amenant à ne produire que des raisonnements imposés. La fin véritable de l’œuvre, suggère Iouri Lotman, serait alors le moment où le lecteur cède au monde de l’œuvre, renonçant au préfabriqué52. Par cette mutation, le roman policier peut vraiment entrer dans une esthétique du secret, chargée d’érotisme. Reprenons l’image du strip-tease : il ne s’agit plus de couvrir puis de dévoiler progressivement, mais d’exprimer une ambiguïté à tout instant. Lever l’ultime voile rendrait la démarche de dévoilement monosémique en ne faisant que montrer l’objet du mystère en surface, ce qui correspondrait sans doute à une désexualisation53, c’est-à-dire à une perte irrémédiable du caractère érotique de la lecture. L’attention aux signes, qui caractérise le lecteur, le rapproche, on l’a dit souvent, du voyeur. La vérité dans l’énigme classique, recouverte artificiellement – par la narration elle-même, se présente simplement telle la femme nue comme un « objet déguisé » (Barthes). Le « mystère ingénieux »54, une fois déshabillé, « se banalise »55, alors que le texte peut échapper à l’obscène de l’explicite s’il ne recouvre pas la séduction du hors-scène implicite et du langage intransitif (il ne parle plus, il est parlé).

22Sortir du domaine du cliché, c’est condamner l’euphorie touchant à la lisibilité du texte, et amener un autre type d’euphorie, envisagé par Philippe Hamon, procuré par l’« effet de surprise » sans « économie d’énergie liée à la reconnaissance du déjà-vu »56 ; ce qui rend la surprise inconfortable, le strip-tease plus tease (agacer, taquiner) que strip (déshabiller), n’aboutissant pas au défoulement des affects et des tensions engendrés par le texte. Piégé par la curiosité que le début avait encouragée, le lecteur doit reverser cette attention sur le texte, qu’il avait précédemment recousu et fléchi dans son sens57. De l’avis de Raymonde Debray-Genette, il faut « fermer la diégèse, ouvrir la réflexion »58 ; ainsi dans de nombreux policiers espagnols, où la vraie-fausse question de départ dévoile à l’arrivée de véritables interrogations, rouvrant de vraies plaies historiques. Le roman policier n’est plus alors de nature homéopathique ; il échappe à l’opération Astra dénoncée par Barthes, ou à la « positivité archétypale » dont parle Charles Grivel.59

23 Finalement, les auteurs novateurs peuvent écrire franchement ce que le genre classique sous-entend, avec sa fin téléphonée qu’on oublie très vite, processus sans accomplissement possible et qui finit par « se perdre en fumée », disait Kracauer60. Processus là encore révélateur de tout récit. Dans Enquête d’hiver, Jacques-Pierre Amette laisse mourir subitement son inspecteur Demange d’une mort tellement immotivée qu’elle se laisse passer pour un simple subterfuge61, visible dans son extrême maladresse, pour se débarrasser du personnage et du roman, pour faire une fin. Amette rend ainsi l’excipit à sa vérité, à ce qu’il constitue pour l’écrivain de nécessité de finir, pour, comme le disait Raymonde Debray-Genette, non pas « parachever le texte qui précède, mais simplement signifier qu’il n’y a plus rien à dire, qu’il ne peut ou ne veut plus rien dire »62. L’effeuilleuse laisse seulement tomber une dernière feuille, qui ne tombe pas forcément sous le sens…

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notes

1 J.P. Sartre, La Nausée, Paris, Gallimard, coll. « NRF », 1965 (éd. orig. 1938), p. 62, cité par A. Montandon, « Introduction », dans Le Point final, Actes du Colloque international de Clermont-Ferrand, Association des Publications de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Clermont-Ferrand, 1984, p. 5 : « Quand on vit, il n’arrive rien [...] Il n’y a jamais de commencements ».
2I. Calvino, Leçons américaines, Paris, Seuil, coll. « Points » 2001 [1988]. Cf. R. Belletto, interview à Écrivain Magazine, 2, janv. 1996, p. 46 : « Là, c’est un autre monde, quelque chose qui se détache de soi, qui a un début et une fin, comme une autre vie. C’est extrêmement agréable, un vrai sentiment de libération. Et en même temps, c’est angoissant car ce dont on se libère, c’est d’un morceau de soi-même ».
3 P. Ricœur, Temps et récit II, la Configuration dans le récit de fiction, Paris, Seuil, coll. « L’Ordre philosophique », 1984. 
4 B. Brecht, cité par F. Evrard, Lire le roman policier, sous la direction de D. Bergez, Paris, Dunod, 1996, p. 10
5 J. Dubois, Le Roman policier ou la modernité, Paris, Nathan, coll. « Le Texte à l’Œuvre », 1992, p. 141.
6 G. Steiner, Grammaires de la création, Paris, Gallimard, coll. « NRF Essais », 2001, p. 112. À propos de Poe notamment : « Ils appliquent l’ordonnancement du numérique et du géométrique à la naissance des formes imaginatives ».
7 On peut penser aussi au développement, dans les années 20 et 30, des concours policiers (par exemple, les lecteurs devaient imaginer la solution et terminer seuls le texte, ou bien des auteurs devaient proposer leurs solutions à une énigme proposée par un lecteur), ou même à la vogue des crimes dossiers, où l’on demandait au lecteur de se raconter tout seul l’histoire !
8 Th. Narcejac, Le Roman policier, une Machine à lire, Paris, Denoël/Gonthier, coll. « Bibliothèque Médiations », 1975, p. 149.
9 I. Lotman, La Structure du texte artistique, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Sciences humaines », 1973 (éd. orig. 1970), p. 304 : « La question fondamentale n’est pas “par quoi cela s’est terminé ”, mais “d’où cela est venu” ».
10 Ce type de roman trouve son prolongement dans une certaine écriture policière française, cf. par exemple J. Lahougue, B. Peeters, A. Bello ; pour impliquer le lecteur, dit Jean Lahougue, il faut qu’il puisse faire des prévisions et élaborer des stratégies. Cf. R. Belletto, Entretien au magazine Écrivain, p. 47 : « Quoi que je fasse, j’ai toujours besoin de savoir ce qui se passe jusqu’au bout pour commencer.[…] Et je ne vois pas comment je pourrais commencer d’écrire trois mots si je ne sais pas exactement ou si je ne crois pas tout savoir ». L’Enfer est exemplaire de ce souci de construction, dont Benoît Peeters dit qu’il rapproche les auteurs policiers de romanciers comme Henry James, et qu’il constitue l’innovation littéraire la plus marquante par rapport au roman balzacien – le roman noir constituant dès lors un retour en arrière. Cf. B. Peeters, « la Bibliothèque et ses cadavres », dans Les Cahiers de la Paralittérature, « Agatha Christie et le roman policier d’énigme », Actes du 5ème colloque international des Paralittératures de Chaudfontaine (nov. 1991), textes réunis par J.M. Graitson, Liège, Bibliothèque des Paralittératures de Chaudfontaine, CEFAL, 1994, p. 155. 
11 Th. Narcejac, op. cit., p. 42 et p. 57 : « L’histoire, telle qu’elle existe dans la pensée de l’auteur, c’est l’histoire à l’endroit ; et telle qu’elle va être présentée aux yeux du lecteur, c’est l’histoire à l’envers ».
12 Cf. Pierre Véry, cité par J.P. Colin, Le Roman policier français archaïque, Berne, Francfort-s. Main, New-York, Peter Lang, 1984, note 2, p. 278 : « J’écris instinctivement comme les champignons poussent. Certains ont dit que les romans policiers se commencent par la fin. Pour ma part, je n’en ai jamais écrit un en en sachant l’issue ». Même le grand initiateur, Poe, connu pour ses exigences finalistes, a été remis en cause sur ce point, par Borges notamment, qui montre la part de l’inspiration dans ce qui structure l’œuvre du père de Dupin. Cf. J.L. Borges, « le Conte policier », dans U. Eisenzweig, Autopsies du roman policier, Paris, U.G.E., 10/18, 1983, pp. 295-296.
13 Cf. Cl. Duchet, « Pour une socio-critique ou variation sur un incipit », Littérature, 1, Littérature, idéologies, sociétés, fév. 1971, p. 8.
14 Van Dine exigeait dans ses règles la présence d’un cadavre, sans laquelle, prétendait-il, le lecteur serait volé et la lecture superflue. Le cadavre initial ne doit donc rien au hasard ; l’anti-roman place à l’amorce de texte ce qui termine classiquement le roman.
15Cf. G. Steiner, op. cit., p. 145, citant Hegel: « Le commencement est encore néant et il faut que quelque chose soit ».
16 Cf. ibid., p. 266: « Le mouvement créateur est aussi individuel, retranché dans la citadelle du moi que l’est sa propre mort, jamais interchangeable ». G. Steiner rappelle l’idée baroque de « minuit de l’âme », selon laquelle « la naissance de l’œuvre produit soit la lumière soit une ténèbre encore plus épaisse ».
17 Cf. S. Freud, Essais de psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1981, pp. 30-31 : « L’obscur sentiment de culpabilité qui écrase l’humanité depuis les origines et qui dans maintes religions s’est condensé en l’hypothèse d’une faute originelle, d’un péché héréditaire, est vraisemblablement l’expression d’un crime de sang, dont s’est chargée l’humanité originaire ». Ce crime consisterait en un « parricide, le meurtre du père originaire de la horde humaine primitive, père dont l’image mnésique a été transfigurée en divinité ».
18 E. Bloch, « Aspects philosophiques du roman policier », dans Autopsies du roman policier, op. cit., p. 278 : « Mais ce qui est vrai dans toutes les métaphysiques œdipiennes, au-delà de leurs mythologèmes, c’est que, même si elles ne reflètent pas quelque crime produit par l’imagination, elles reflètent pourtant un point sombre, un incognito du commencement. De ce point de vue toute recherche de causes reste apparentée à la forme œdipienne qui ne se contente d’ailleurs pas de traiter d’une simple inconnue de nature logique, mais aussi de quelque chose de suspect qui inquiète, qui peut même s’ignorer soi-même ».
19 S. Freud, op. cit., p. 82 : « S’il nous est permis d’admettre comme un fait d’expérience ne souffrant pas d’exception que tout être vivant meurt, fait retour à l’anorganique pour des raisons internes, alors nous ne pouvons que dire : le but de toute vie est la mort et, en remontant en arrière, le non-vivant était là avant le vivant ».
20 Comme le sent le narrateur de La Nausée : « Mais quand on raconte la vie, tout change [...] On a l’air de débuter par le commencement [...] Et en réalité c’est par la fin qu’on a commencé.[...] Mais la fin est là, qui transforme tout [...] Et le récit se poursuit à l’envers : les instants ont cessé de s’empiler au petit bonheur les uns les autres, ils sont happés par la fin de l’histoire qui les attire et chacun d’eux attire à son tour l’instant qui le précède » (J.-P. Sartre, op. cit., p. 63, cité par A. Montandon, art. cit., p. 5).
21 Cf. M. Picard, La Lecture comme jeu, Paris, Minuit, coll. « Critiques », 1980, pp. 25-26. Cf., par exemple, P. Auster, Le Diable par la queue, Arles, Actes Sud, 1996, p. 150. P. Auster, à une période très difficile de sa vie, a lu de nombreux romans policiers, « un remède efficace, un baume contre le stress et l’anxiété chronique […] ».
22 « Parce que – suggère Alain Montandon – sa curiosité est assouvie et qu’il est doux de prendre congé » (A. Montandon, « Introduction », Le Point final, op. cit., p. 7.
23 J. Dubois, op. cit., p. 26: « Nous ne sommes pas allés jusqu’au bout pour rien ».
24 G. Larroux, Le Mot de la Fin, Paris, Nathan, coll. « Le Texte à l’Œuvre », 1995, p. 130.
25 I. Lotman, op. cit., p. 307.
26 P. Bayard, Qui a tué Roger Ackroyd?, Paris, Minuit, coll. « Paradoxe », 1998.
27 Cf. Ph. Hamon, « Clausules », Poétique, 24, Narratologie, Seuil, 1975, p. 501.
28 Ibid., note 30 p. 506. « Mais il est possible que, comme pour la devinette, la fonction « phatique » (Malinowski, R. Jakobson) de tels textes l’emporte sur la fonction informative, sémantique, leur but étant avant tout d’assurer et de renforcer euphoriquement un lien ou un consensus social implicite ».
29 Ibid., p. 505.
30 Cf. Y. Reuter, Le Roman policier, Paris, Nathan Université, coll. « 128 », 1997, pp. 111-112 : « Le détective comme le lecteur tentent de réécrire le bon texte, le « chapitre manquant », et cette écriture, en quête du sens, manifeste ses ratures, ses hésitations, ses réécritures […] ».
31 Jean-Claude Vareille, dans L’Homme masqué, le Justicier et le Détective, Lyon, P.U.L., coll. « Littérature et Idéologies », 1989, p. 182, assimile le processus de la fin de l’écriture chez Simenon à un accouchement, particulièrement douloureux et exténuant. Reste que Simenon sortait de cette épreuve apparemment insatisfait, comme si tout n’avait pas été dit, comme si son désir s’était heurté à sa volonté et avait perdu le combat : d’où le besoin de défoulement extrême ressenti par Simenon, à la fin de l’écriture de chaque roman policier.
32 Cf. S. Freud, Métapsychologie, Paris, Gallimard, coll. « Folio/Essais », 1968, pp. 52-53 : « Il ne faut pas se représenter le processus de refoulement comme un événement unique suivi d’un succès durable […] au contraire, le refoulement exige une dépense persistante de force ; si elle venait à cesser, le succès de celui-ci serait mis en question, un nouvel acte de refoulement deviendrait alors nécessaire ».
33 J. Echenoz, Le Méridien de Greenwich, Paris, Minuit, 1979, p. 123.
34 J. Dubois, op. cit., p. 145. « Et si l’objet véritable du secret se dissimulait bien ailleurs que dans ce moment final toujours si ponctuel ? A y bien regarder, livrer le mot de la fin est-ce autre chose qu’obturer la faille par où s’écoulait le flux des interrogations anxieuses sur la signification, la cause, l’identité ? Ce qui revient à dire que l’objet secret du romanesque reste pris dans ce flux, en habite la profondeur ».
35 Cf. U. Eisenzweig, Le Récit impossible, Forme et sens du roman policier, Paris, Christian Bourgois, 1986, p. 216 : « Dans l’univers policier, le masque représente à la fois le bouclier du criminel et l’identité inquiétante de l’Autre, en tant qu’Autre ».
36 R. Barthes, « Strip-tease », dans Mythologies, Paris, Seuil, coll. « Points », 1957, p. 147. Cf. Ch. Grivel, « Observation du roman policier », dans Entretiens sur la paralittérature, sous la direction de Noël Arnaud, Francis Lacassin, Jean Tortel, Centre culturel international de Cerisy-la-Salle (sept. 1967), Paris, Plon, 1970, p. 237 : « Romanesque est le détour ». 
37 J. Echenoz, op. cit., p. 116.
38 M.L. Bardèche, « Répétition, récit, modernité », Poétique, 111, Seuil, sept. 1997, p. 284. « Celle-ci [la répétition] se manifeste dans des récits qui ne cherchent pas à faire oublier le pour quoi à l’aide du parce que. Prenant pour objet l’être dans le temps, l’être-pour-la-mort, ces récits mettent en question la clôture même de l’œuvre. La terminaison textuelle s’y présente comme une répétition de l’origine ou comme une ouverture sur un possible narratif indéfiniment poursuivi ».
39 J. Echenoz, op. cit., p. 13.
40 Ph. Hamon, art. cit., p. 495 sq.
41 Cl. Duchet, « Fins, finition, finalité, infinitude », dans Genèse des fins, de Balzac à Beckett, de Michelet à Ponge, textes réunis par Cl. Duchet et I. Tournier, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, coll. « Manuscrits Modernes », 1996, p. 14.
42 On pense ici à Borges, bien sûr, mais aussi à Perec, dont le roman d’enquête 53 jours, Paris, P.O.L., Gallimard/Folio, 1989, combine spécularité et circularité : « C’est dans un livre que le soi-disant Serval trouve la solution de l’affaire Rouard. C’est dans un livre que le malheureux narrateur de 53 jours est censé trouver la clé de l’énigme que constitue la fausse disparition de Serval. C’est dans un livre que lui, Salini, est aussi aller chercher les raisons de la mort bien réelle de Serval » (p. 146).
43 J. Echenoz, op. cit., p. 100.
44 Th. Pavel, Univers de la fiction, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1988 [1986], p. 136-137.
45 E. Bloch, art. cit., p. 278.
46 Rezvani, L’Énigme, Arles, Actes Sud, 1995, p. 121.
47 Ibid., p.163.
48 Th. Narcejac, op. cit., p. 233. G.K. Chesterton, dès 1925, dans « Comment écrire un roman policier », dans Autopsies du roman policier, op. cit., p. 45, se plaint de l’artificialité de la fin policière :  « Le dénouement ne doit pas être un antidénouement ; il ne doit pas simplement consister à mener le lecteur dans la danse, pour ensuite le laisser en plan ». Dans le même recueil, E. Wilson, dans « Que nous importe le meurtre de Roger Ackroyd ? » (1945), p. 98, dit de la fin qu’« elle ne réussit pas à justifier l’excitation produite par la construction élaborée d’événements pittoresques et sinistres, et l’on ne peut s’empêcher de se sentir floué ».
49 P. Bayard, op. cit., p. 145. « Porte ouverte vers l’extérieur des œuvres littéraires, le mensonge par omission […]  en vient à désigner l’ensemble de ce que les personnages ne savent pas d’eux-mêmes, une Autre Scène qui invalide par ses effets toute adéquation de la parole à la réalité et, par cette corruption radicale de l’acte de la référence, toute possibilité pour le texte d’atteindre à une forme de complétude. » Cf. aussi p. 130.
50 R. Chandler, « L’Art simple d’assassiner », dans Autopsies du roman policier, op. cit., p. 77.
51 Ch. Grivel, art. cit., p. 235-236.
52 I. Lotman, op.cit., p. 395.
53 Cf. R. Barthes, op. cit., p. 147 : « Le strip-tease – du moins le strip-tease parisien – est fondé sur une contradiction : désexualiser la femme dans le moment même où on la dénude ». R. Barthes parle d’un procédé « qui efface la chair aussi sûrement que le vaccin ou le tabou fixent et contiennent la maladie ou la faute ». Ce qui n’est pas sans évoquer la stratégie idéologique du roman policier conventionnel.
54 C.-F. Ménestrier, « Poétique de l’énigme », Poétique, 45, p. 40.
55 J. Dubois, op. cit., p. 145.
56 Ph. Hamon, art. cit., p. 504.
57 M. Butor, Répertoire III, Paris, Minuit, coll. « Critique », 1968, p. 9 : « L’œuvre se dédouble. Tout lecteur non seulement constitue à partir des signes proposés une représentation, mais entreprend de réécrire ce qu’il lit ».
58 R. Debray-Genette, Métamorphoses du récit, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1988, p. 112.
59 Ch. Grivel, Production de l’intérêt romanesque, un état du texte (1870-1880), un essai de constitution de sa théorie, La Hague, Paris, Mouton, 1973, par exemple p. 287. 
60 S. Kracauer, Le Roman policier, un traité philosophique, Paris, Petite Bibliothèque Payot, coll. « Critique de la Politique », 1971, p. 168. Cf. p. 174 : « Le roman policier s’accorde avec la philosophie de l’immanence, philosophie close, en ce qu’il comprend la fin sans la réalité. Comme il élimine la tension, il fuit le paradoxe existentiel ; et comme la ratio y manifeste sa puissance, la victoire finale qui la confirme est prédestinée […] au lieu d’en rester au stade de la question, elle se présente comme une certitude excluant toute remise en question […] ».
61 Cette fin invraisemblable constitue une véritable provocation à l’égard du lecteur puisqu’elle heurte son exigence de vérité. Ce choc devrait l’inciter à laisser derrière lui son désir de croire. Son envie de vérité doit alors l’amener à se départir de son aspiration à être consolé, puisque ces deux besoins ne peuvent plus faire semblant de s’accorder.
62 R. Debray-Genette, op. cit., pp. 85-86. En note 1, p. 87, R. Debray-Genette note justement que « le roman moderne cherche à échapper à toute forme nette d’excipit. Pourtant, souvent, il ne peut s’empêcher de faire allusion aux modèles évités ». Chez Amette, cette allusion prend l’allure d’un pied de nez au code et au topos de la mort conclusive.

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pour citer cet article

Marion François, « Le début et la fin dans le roman policier : variations sur un strip-tease », Fabula / Les colloques, Le début et la fin. Roman, théâtre, B.D., cinéma, URL : http://www.fabula.org/colloques/document680.php, page consultée le 16 août 2022.

auteur

Marion François

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