Colloques en ligne

Arianna Fabbricatore

L’expression de la danse et le livret de ballet. Questions d’esthétique au XVIIIe siècle

1La question de l’expressivité du corps, de sa capacité à exprimer des passions ou à « raconter une histoire » a interrogé de façon presque subversive notre culture occidentale traditionnellement fondée sur un dualisme platonicien décrétant la supériorité de l’esprit sur le corps, de l’intellect sur les sens et centrée sur l’écriture verbale. Dès l’Antiquité, la question du langage du corps a été traitée dans le cadre de l’activité de l’orateur où le spectacle muet ou aspectus sine voce était considéré comme extrêmement dangereux parce que capable de dépasser la parole et de la rendre inefficace1. Aussi dans l’histoire de la pensée occidentale, un discours théorique s’est développé soutenant ou infirmant la légitimité du langage du corps et par la même occasion la capacité de la danse à communiquer autant que la parole. La danse, que peut-elle exprimer ? Peut-elle « raconter » ? Est-elle intelligible, traduisible ? Est-elle un langage à l’instar du verbal ? Ce sont les questions qui, à travers les siècles, ont sans cesse interrogé la relation entre la danse et le verbal. Dans ce cadre et de façon significative, le « livret de ballet », interface entre la danse et la parole, représente un point privilégié pour étudier cette relation.

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2Dans l’histoire du livret de ballet, la période relative au XVIIIe siècle est particulièrement intéressante. C’est alors qu’émerge en effet un nouveau genre chorégraphique prétendant exprimer des passions et des actions à l’instar de la poésie : c’est le ballet-pantomime, genre hybride qui conjugue la danse mécanique et la gestualité de la pantomime. Dès lors, un débat théorique se développe pour répondre à la question de savoir si la danse (devenue « pantomime ») peut effectivement raconter une action sans le secours de la parole. L’enjeu est de taille car il s’agit d’établir la place de la danse au sein des arts d’imitation et d’arriver à saper la supériorité de la parole. Dans ce débat, le pouvoir expressif du corps est crucial, tout comme l’est son analogie avec la parole. Plusieurs expérimentations émergent au même moment partout en Europe prenant des formes différentes : elles ont en commun la volonté de démontrer la puissance expressive du geste dansé.

3Dans ce contexte bouillonnant de changements, le « livret de ballet » occupe une place de choix. La publication de ces supports, appelés aussi « programmes », est une pratique qui se généralise au fur et à mesure que ce nouveau genre – dont le nom oscille entre ballet-pantomime et ballet en action – monte en puissance sur les scènes, jusqu’à devenir le spectacle presqu’incontournable dans les théâtres européens de l’époque. Proposé au public pour présenter l’action dansée, il prend une place cruciale dans le débat sur l’intelligibilité de la danse et soulève des questionnements problématiques mettant en jeu la relation entre le spectateur et le spectacle, le rôle du verbal et sa relation au langage du corps.

4En effet, le postulat de base de ce nouveau genre présuppose que le geste soit considéré comme la substance d’un langage compréhensible, déchiffrable et parfaitement intelligible. Or la présence d’un programme de ballet est perçue comme la preuve matérielle de l’inefficacité du langage pantomime. Comment peut-on soutenir d’une part que la danse peut s’exprimer avec des moyens qui lui sont propres, et en même temps proposer aux spectateurs un livret pour en démêler l’action ?

Pour moi il me semble – commente Ange Goudar, détracteur des ballets pantomimes – qu’on me dise en me les présentant : Monsieur, je vous avertis d’avance que vous n’entendrez rien à cette pantomime ; mais tenez voilà un petit livre, qui vous mettra au fait. Lisez-le ce petit livre, et vous saurez de quoi il est question. Il vous apprendra à voir le ballet : sans lui il est impossible que votre imagination toute seule puisse démêler tant d’objets2.

5L’affirmation de la nécessité d’un « petit livre » pour « démêler » l’intrigue du ballet revient à affirmer l’exigence d’interposer entre le spectateur et le spectacle un texte verbal qui fasse office d’interprétant. Le programme fonctionnerait donc comme un « topic » : un texte qui sert à resserrer le champ des interprétations possibles, un code qui interprète un autre code pour le spectateur qui est dans l’impossibilité de « démêler » à lui seul l’opacité du langage gestuel. En pratique le texte visuel,un texte fait de danse que l’on nommera choréotexte3, ne contient pas en soi le mécanisme de son interprétation et doit recourir à un paratexte verbal, le logotexte. Le programme de ballet figure ainsi, aux yeux de la critique, comme une interface qui pose un filtre entre le spectacle et le spectateur : « C’est comme si un peintre, qui aurait fait un tableau », explique Goudar, « en me le montrant me présentait une paire de lunettes pour le voir4 ». La métaphore des lunettes, souvent utilisée, est en effet très efficace pour désigner ce rôle médiateur du programme entre deux codes. La conséquence de telles observations mène la critique à la négation du fondement théorique du ballet-pantomime : l’éloquence du corps et ses capacités expressives.

Sulzer : l’expression de la danse et le modèle verbal

6La notion d’expression est considérée au XVIIIe siècle comme le fondement esthétique et le caractère essentiel des arts d’imitation, car toucher les émotions du spectateur permet d’atteindre le but classique de l’art : plaire et enseigner. Or, l’expressivité de la danse n’est pas une évidence : considérée traditionnellement comme un divertissement, elle n’a pas vocation à être expressive. C’est grâce à une analogie avec la poésie qu’on tente d’élever le statut de la danse : l’ancien ut pictura poesis étant converti pour l’occasion en ut saltatio poesis devait garantir à la danse – étant comme la poésie – le statut d’art d’imitation. Le fondement de l’analogie réside dans l’idée que tous les arts sont « réduits au même principe », à savoir le principe d’imitation. C’est la thèse soutenue par Charles Batteux dans son monument de philosophie esthétique Les Beaux-arts réduits à un même principe (1746). Toutefois, dans son appareil théorique, Batteux pose des limites quant à la danse et à la musique en les distinguant de la poésie : si cette dernière peut tout imiter, la danse et la musique doivent se limiter à l’expression des passions et non pas des actions, autrement dit elles ne peuvent pas raconter5.

7La supériorité de la parole sur les autres arts est une thèse soutenue également par le philosophe Sulzer qui, dans son article « expression » de l’Encyclopédie, souligne le rôle de cette notion comme concept clé de l’esthétique pour une hiérarchie fondée sur ce critère. L’artiste, qu’il soit poète, musicien, peintre ou chorégraphe et dont le travail « se réduit à inventer des idées heureuses, et à bien les exprimer6 », doit se confronter aux « moyens » spécifiques de son art, c’est-à-dire aux « expressions » qui lui sont propres : mots, sons, traits, gestes. C’est à partir de leurs différentes capacités expressives que les arts sont placés dans une hiérarchie qui voit sans surprise l’expression verbale au sommet de l’échelle :

Le langage [verbal] est de toutes les inventions de l’esprit humain la plus importante, au prix duquel toutes les autres ne sont rien. C’est d’elle que dépendent la raison, les sentiments, les mœurs qui distinguant l’homme de la classe des êtres matériels, l’élèvent à un rang supérieur. Perfectionner les langues, c’est placer l’homme un échelon plus haut. Quand l’éloquence et la poésie n’auraient que cet avantage, ces deux arts méritaient déjà la plus grande considération7.

8La position de Sulzer s’inscrit dans la tradition philosophique considérant le langage verbal comme le chiffre de l’homme et de sa rationalité. Dans ce cadre théorique, la danse se heurte à un préjugé majeur qui lui nie la légitimité d’appartenir aux arts d’imitation. Cela apparaît de façon claire dans la suite de l’article de Sulzer : lorsqu’il s’agit de définir l’expression pour l’art de la danse, le philosophe ne manque pas de souligner les défauts d’un art imparfait qui fait sauter les hommes en les réduisant à un plan plus proche des animaux. En s’appuyant sur une métaphore qui propose l’analogie classique avec le verbal, il préconise alors que l’expression de la danse se fasse sur le modèle du verbal, en développant un code non ambigu comme l’avait proposé Charles Le Brun pour les expressions du visage en peinture8 :

L’ouvrage d’un danseur, vraiment danseur, doit être de découvrir ces éléments ; de les représenter par des mouvements réguliers et bien liés, et de savoir, à l’aide de leur diversité et de leur combinaison, composer un ballet entier qui exprime une action bien déterminée9.

9Le problème majeur des nombreux « philosophes de la danse » de l’époque se situe entre l’exigence de contrer ces types de préjugés d’un point de vue théorique et la nécessité de démontrer pratiquement que la danse est un art qui peut exprimer autant que la parole, ce qui revient à démontrer son identité de langage.

Procédés analogiques : la danse entre la parole et le geste

10Dans la réflexion théorique sur la danse au XVIIIe siècle, l’analogie avec le verbal joue un rôle essentiel. Pour défendre l’idée que le corps peut exprimer des passions et des actions, on puise dans les références à l’Antiquité, que l’abbé Du Bos avait remise au goût du jour, et qui faisaient de la danse un discours : « Les gestes de la danse antique devaient dire, ils devaient signifier quelque chose. Ils devaient, pour user de cette expression, être un discours suivi 10».

11La définition de pantomime formulée dans le premier livret du chorégraphe italien Gasparo Angiolini témoigne de cette conception : la pantomime était un art capable d’imiter par des moyens spécifiques « propres à exprimer ce qu’on avait dessein de représenter ». Elle devait ainsi former « un discours suivi » fait pour les yeux que les spectateurs pouvaient comprendre « par le moyen de la musique qui variait ses sons11 ». Cette définition est paradigmatique de ce genre nouveau : le ballet-pantomime prétendait représenter de façon intelligible une action à l’instar de la parole, en remplaçant les mots par des gestes et en substituant la voix humaine par la musique. Elle réfute ainsi un deuxième préjugé de l’époque : le fait que la danse ne puisse exprimer que des passions. C’est la position soutenue par exemple par Engel pour qui, le pantomime « n’a point d’autre langage que celui du sentiment12 ».

12Mais cette analogie entre les gestes et les mots se révèle en fin de compte une arme à double tranchant : si elle permet de donner un fondement aux capacités expressives de la danse qui, avec ses pas, peut « dire » autant que les paroles, elle emprisonne l’expressivité de l’action dansée dans les modalités analytiques du verbal. L’absence d’une codification des gestes est perçue comme un défaut d’expressivité du corps car il n’adhère pas au modèle verbal. Face à « l’obscurité insupportable13 » des gestes tant critiquée, on s’évertue alors à établir des signes gestuels capables d’exprimer des idées de façon claire et non ambiguë à l’instar de la parole14. En d’autres termes, on tente de modeler le langage du corps en imitant le langage verbal qui est tenu comme un « système de modélisation primaire », selon l’expression de Yuri Lotman. C’est ainsi qu’on voit se cristalliser certains segments de codification comme toucher le doigt pour signifier le mariage ou indiquer la tête pour signifier la couronne : des procédés métonymiques qui ont laissé une trace dans les scènes pantomimes du ballet romantique. Toutefois, malgré ces truchements et peut être à cause d’eux, les « moyens » de la danse ne pouvaient pas rivaliser avec ceux de la poésie et la précellence de cet art demeurait presque incontestée.

13On peut bien se figurer comment, dans le contexte que nous venons d’esquisser, l’émergence des livrets de ballet pouvait être perçue comme extrêmement problématique : l’analogie avec le verbal était considérée comme un engagement à la réversibilité, autrement dit, si l’on affirme que la danse peut parler autant que la parole, elle doit être traduisible et cette traduction doit être vérifiable.

14C’est sur ces principes de réversibilité que le livret assume une fonction d’interface entre le spectacle et le spectateur autorisé à vérifier la correspondance entre le ballet et le livret, et à juger de l’adéquation entre le spectacle et sa représentation verbale. L’exigence de correspondance entre le choréotexte de la danse et le logotexte du livret devient ainsi le principe d’évaluation de l’œuvre et le critère de validité de sa traduction intersémiotique.

« Quel mal un programme fait-il à un ballet ? » Pietro Verri et la danse

Quel mal un programme fait-il à un ballet ? Sans doute que le ballet ne vaudrait rien en fait de pantomime si on ne pouvait le comprendre qu’à l’aide d’un programme ; mais si un programme me fait mieux sentir les beautés de la représentation, rien n’est plus raisonnable que ce programme15 .

15Le philosophe italien Pietro Verri s’intéresse à un moment donné au ballet-pantomime lorsque l’étoile française Jean-Georges Noverre arrive à Milan en 1774 pour remplacer son rival italien Gasparo Angiolini. Dans la Lettre à M. Noverre qu’il rédige très probablement à la fin du séjour milanais de Noverre en 1776, Verri s’appuie sur son expérience des spectacles de Noverre pour exposer ses idées sur l’art à partir de la relation entre l’écriture verbale de la danse et sa représentation. D’emblée il soutient leur indépendance respective : le « programme » est comparé à un livre « d’une galerie des tableaux » ayant la fonction de faire « remarquer l’expression, le touchant, les attitudes » dignes de l’attention du spectateur. De ce fait, le livret n’est qu’un outil critique pour mieux saisir les beautés du ballet, mais il ne doit pas suppléer à l’intelligibilité de la danse.

16En se présentant en « amateur des beaux-arts », le philosophe compare implicitement le ballet à un tableau et entreprend une analyse détaillée des ballets noverriens auxquels il a assisté. Sa critique lui offre l’occasion d’exposer ses idées sur le jugement d’une œuvre et certains principes de sa théorisation sur les arts16. Toutefois, il n’est pas question pour Verri de chercher dans le ballet une analogie avec la parole, il se soucie plutôt de la clarté de la signification qui doit émerger grâce à la seule efficacité expressive du geste naturel. Verri considère la danse comme autonome et capable de s’exprimer par ses propres moyens et surtout dans des modalités qui lui sont spécifiques.

17Lorsqu’il confronte le livret à la représentation, c’est surtout pour souligner les mauvais choix de l’artiste qui n’avait pas tenu compte de la spécificité de sa matière artistique. En dépassant la logique de la hiérarchie, le philosophe sépare donc la danse de la poésie comme des arts « différents » : chacun possède des capacités et des modalités d’expression spécifiques.

18Enfin, il est intéressant de souligner que Verri ne s’arrête pas à la critique, mais qu’il se laisse tenter par l’écriture d’un livret de ballet, L’arrivée d’Enée à Carthage17. À la lecture de ce programme, on découvre alors bien mieux comment Verri conçoit l’écriture de ce support écrit : il s’agit d’un scénario chorégraphique dont la fonction devait se limiter à « mettre en présence » du lecteur les scènes représentées à travers une description qui trace de façon efficace et essentielle le dessin de la représentation, en tenant compte des possibilités matérielles de la danse. Ce type d’écriture vise l’effet de l’enargeia de la description, à savoir l’évidence, la clarté, la lisibilité. Aucune velléité littéraire n’émerge de ces textes décharnés : pour le philosophe, la finalité esthétique d’un ballet ne réside pas dans sa description, mais dans son exécution. Verri marque une différence essentielle entre spectacle théâtral et spectacle chorégraphique : « Un poète peut faire se juger par sa pièce indépendamment, l’auteur d’un ballet est censé être l’approbateur et l’auteur de l’action18 » - et non pas du programme. Noverre n’était pas vraiment d’accord.

Noverre et l’implication du verbal

19Jean-Georges Noverre a considérablement marqué l’histoire de la danse par ses écrits, en particulier par les Lettres sur la Danse publiées en 1760, dans lesquelles il confère à la danse un nouveau statut fondé sur ses capacités expressives à l’instar de la poésie. Toutefois, lorsqu’on considère l’ensemble de ses écrits, on mesure combien sa conception de la danse demeure assez ambiguë : la danse est-elle intelligible ? La réponse de Noverre n’est pas claire, mais ses idées sur l’écriture des livrets de ballet sont révélatrices. Les livrets sont pour Noverre « une chose nécessaire à l’intelligence du Ballet19 ». Comment peut-on soutenir d’une part les capacités expressives de la danse et de l’autre tenir pour essentielle à son intelligence la lecture d’un livret ? Noverre justifie le recours à la parole en déclarant que la danse étant à ses premiers pas, elle nécessite un « secours » pour « suppléer à la faiblesse de son expression ». En arguant que le programme doit « servir d’interprète20 » et en soutenant sa publication, Noverre nie très clairement l’autonomie de la danse par rapport à la parole. Il arrive à dire des programmes qu’ils sont « les truchements de la pantomime au berceau » et qu’ils « expriment clairement ce que la danse ne dit que confusément21 ». Par ailleurs, Noverre dresse une véritable apologie du programme considéré non seulement comme utile et nécessaire au spectateur pour juger l’œuvre, mais surtout comme représentant « un engagement » de l’artiste avec son public.

20En réalité, Noverre utilise le livret comme un outil ayant un effet double. Premièrement, Noverre mise sur l’effet de l’energeia de la description, à savoir l’énergie et la vivacité du récit qui fait imaginer ce qu’on dit à travers des procédés rhétoriques : amplifier, développer, illustrer, enrichir. Il est évident que l’effet visé par Noverre est d’ordre esthétique et que ses textes s’éloignent de la pure description de l’action autant qu’ils ambitionnent à la reconnaissance d’une valeur artistique indépendante de la représentation dansée.

21Deuxièmement, l’artiste français utilise le livret comme un outil pour orienter la compréhension du spectacle mettant en place un dispositif de co-implication du verbal et du visuel. En effet, même si la lisibilité du ballet était faible, le spectateur pouvait compléter les vides en lisant le livret à l’avance.

22Enfin, Noverre considère le ballet et le programme comme deux objets artistiques distincts qui visent des effets esthétiques différents : néanmoins, séduit par le statut supérieur de la parole, Noverre ambitionne d’accéder au statut d’homme de lettres qu’il vise à travers l’écriture.

Angiolini et le triomphe de l’expressivité du corps

23En guise de conclusion de notre étude, dont l’objectif était de faire émerger les enjeux du livret de ballet à partir de la notion d’expression, nous voudrions souligner la position extraordinaire du maître de ballet italien et théoricien de la danse, Gasparo Angiolini22. La modernité de ses expérimentations apparaît comme particulièrement intéressante dans le contexte que nous venons d’esquisser. Intimement convaincu que la danse peut s’exprimer de façon efficace sans aucune explication verbale, Angiolini en était arrivé à mettre à l’épreuve son art en créant des comédies en danse de son invention dont l’intrigue devait apparaître évidente au spectateur23. S’opposant farouchement à Noverre sur la question de la publication des programmes, il avait consacré un opuscule entier au sujet, les Riflessioni sopra l’uso dei programmi nei balli pantomimi, dans lequel il s’attache à démontrer que le langage de son art est totalement autonome de la parole et qu’il peut donc être compris par le spectateur sans un « secours extérieur24 », sans programmes.

24Ses théorisations s’inscrivent dans une démarche qui tente de défendre la spécificité de la danse et de dépasser la « fonction modélisatrice du verbal » en allant chercher des solutions dans les modalités globales et syncrétiques de l’expressivité du corps. Autrement dit, dans ses ballets, l’artiste italien tente de s’affranchir de l’imitation du verbal et d’exploiter la force iconique du geste capable de dire, comme Diderot l’avait affirmé, ce que l’éloquence oratoire ne sera jamais en mesure d’exprimer25. Pour Angiolini – inspiré par le philosophe français – le geste théâtral ou chorégraphique est un geste sublime qui fait tableau, qui sait parler directement au cœur sans passer par l’artefact linguistique. C’est un hiéroglyphe emblématique qui n’est pas traduisible car il tient à son langage spécifique. Ces idées prônent l’autonomie de la danse. C’est le dépassement de la précellence de la parole, et le triomphe de l’expressivité du corps.