Colloques en ligne

Guillaume Cingal

 « Improvisée, improductive » ? Retour sur 32 mois de traduction vidéo (discontinue)

Avant-dire

1Entre mars 2016 et novembre 2018, j'ai produit quelque 170 « traductions sans filet »1, diffusées sur YouTube sans reprise ni correction avant publication, et, pour la moitié d'entre elles, un montage minimal. Le projet n'est pas clos. Il semble toutefois nécessaire de dresser un premier bilan de cette pratique, que je qualifie de discontinue car il y a eu de longues périodes sans vidéos de traduction.

2Qu'est-ce qui se produit ? voilà la question fondamentale, il me semble, pour aborder la dimension créatrice de la pratique vidéo. Ce qui se produit (et donc ce qui est produit), c'est ce qui advient au cours et à terme d'une improvisation vidéo consacrée à une traduction. Cette production-là, elle pourrait donner lieu à une trace écrite, voire rejoindre un cahier de traductions comme celui dont Roubaud a donné le modèle dans Traduire, journal : produire en vidéo n'est donc pas exclusif d'une éventuelle publication a posteriori. Il faut toutefois dresser la liste de tout ce qui serait perdu dans une telle publication écrite.

3Mais se produire a d'autres sens : au cours de cette expérience, le traducteur s'est mué en improvisateur face caméra. Il se produit, comme on le dit d'un acteur de stand-up. Ce sens-là rejoint l'autre, évidemment : déroulement dans le temps que rien d'autre ne peut saisir que le flux filmé. La pratique de la vidéo permet donc de repenser la traduction, non seulement comme acte mais plutôt sous ses deux versants productifs : la traduction comme production (ce que l'improvisation met en évidence), et la traduction une fois achevée comme produit (fini ? infini?). En fin de compte, la traduction improvisée sur YouTube est-elle un « nouveau genre » comme l'a dit André Markowicz, ou une continuation de la lutte sous d'autres formes ?

Le format, la production

4Au fil du temps, et au prix donc de quelques hésitations2, la traduction sans filet (TSF) a trouvé son format : texte bref, en anglais ou en français, parfois dans une autre langue (allemand), avec un impératif de ne pas dépasser, autant que faire se peut, les dix minutes. Dans la mesure où ni le sujet (un universitaire traduit des textes littéraires), ni les moyens techniques (quasi-absence de montage) ni l’aura ou le physique du vidéaste ne garantissaient le caractère divertissant des TSF, il a semblé judicieux de restreindre la durée. Le format, encore soumis à des variations, produit des effets, et notamment en matière d’improvisation. Le choix d’intituler ces vidéos « Traductions sans filet » ne s’est opéré qu’au bout de quelques jours, ce qui montre que le caractère central de l’improvisation dans ces vidéos n’était pas absolument évident. Pourtant, choisir le support de la vidéo, et particulièrement de la vidéo amateur, pour mettre en place une pratique de traduction récurrente, implique en soi le recours à l’improvisation. Cet acte n’a pas été réfléchi en tant que tel, car il a seulement été question de déclencher la caméra, de s’asseoir en face et de prendre un texte pour le traduire sans l’avoir préparé au préalable. Toutefois, c’est bien parce que ça allait de soi : traduire un poème de manière traditionnelle, puis lire cette traduction dans une vidéo n’aurait guère d’intérêt, sauf à vouloir renouer avec le caractère oral de toute poésie et à penser que la diffusion sous forme de vidéo est plus vaste que sous forme de texte (dans un blog, par exemple).

5Ce qui était intéressant, donc, ce qui fondait le projet, c’était de se mettre en danger, de montrer, en vidéo donc sans tricherie, comment un universitaire également traducteur pratiquait la traduction, c’est-à-dire quels problèmes se posent dans la confrontation d’un lecteur/traducteur à un texte devenu (devenant) texte à traduire.

6Quelques éclaircissements sur ce qui vient d’être dit :

7Sans tricherie. En effet, pendant les premiers mois, il y avait montage, mais pas pour tricher, seulement pour gommer des hésitations, des bafouillements. Le montage permet l’ajout de sous-titres, ou plutôt de surtitres (qui se nomment « légendes » dans le logiciel de montage employé), et donc de corriger des erreurs. Dans la première série de vidéos, l’internaute était en mesure d’accéder simultanément aux erreurs de l’improvisateur et à une forme d’erratum dans les surtitres, c’est-à-dire à regarder/écouter l’improvisateur hésiter puis se tromper même légèrement, et en même temps à pouvoir lire une version améliorée ou corrigée de la traduction. Ce dispositif a été abandonné car le montage lui-même était chronophage pour une pratique qui se veut résolument aux marges de l’activité principale de l’improvisateur. Sur 170 TSF à ce jour, il y en a donc plus d’une centaine qui démontrent, au prix d’une certaine monotonie voire de l’ennui presque certain du maigre public des internautes, le caractère foncièrement brouillon, balbutiant et balourd de la pratique traductive en temps réel.

8Pratique de la traduction. Il s’agit plus précisément d’une pratique de la lecture débouchant éventuellement sur des traductions au débotté. Le titre général de Traductions Sans Filet – outre la tentation d’un sigle aux connotations technologiques diachroniques fortes – vient métaphoriser l’idée d’improvisation en la substituant à celle d’infaillibilité, et la notion de texte en devenir (work in progress) à celle de texte-cible figé dans sa finitude pseudo-parfaite. Là où les TSF ne relèvent pas d’une pratique classique de traduction professionnelle, mais plus de ce que Roubaud illustre dans son Traduire, journal, à savoir une pratique quotidienne, exercitatoire, de la traduction, c’est que les textes choisis sont presque systématiquement empruntés à tel livre en cours de lecture ou à tel livre tombé de l’étagère, en quelque sorte. Rappelons, à ce stade, plusieurs éléments de la « Présentation » de Traduire, journal par Roubaud lui-même : « Ce livre rassemble un certain nombre de poèmes, qui sont des essais d’approximation de poésie, disposés selon l’ordre chronologique. [… Tout cela représente une partie d’un journal de compositions-traductions, en somme.3 » Le fait que le livre soit l’aboutissement d’une accumulation (rassemble) rejoint le caractère accumulatif des TSF ; de même, le respect de l’ordre chronologique et l’analogie avec la forme-journal se retrouvent dans les TSF. En revanche, les TSF demeurent presque entièrement non écrites, et surtout, le texte-source y est donné avec (avant) l’ébauche de texte-cible (traduction). Elles relèvent donc d’une pratique sans contrainte extérieure. Il n’y a pas de chantier de traduction comme pour une traductrice ou un traducteur professionnel·le passant quelques mois de sa vie dans le dialogue complexe avec une même œuvre, c’est-à-dire pas de contrat ni d’échéancier. Outre l’absence de contrat, le travail sur une seule et même œuvre sur du long terme aurait été tout à fait possible, et n’est d’ailleurs pas exclu : prendre un texte long et le traduire par fragments sous forme de journal vidéo.

9Devenu (devenant). Sans que j’en aie eu conscience dans les premières semaines du projet, l’improvisation repose fondamentalement sur le fait que le texte a été choisi très vite par un lecteur-pas-encore-traducteur. Je m’explique : pour préserver le pacte d’improvisation, il fallait ne pas commencer à traduire au moment de choisir le texte4. Ainsi, la vidéo capte la mue d’un improvisateur-lecteur en un improvisateur-traducteur, c’est-à-dire qu’un texte déjà découvert se découvre d’une autre façon. Le répertoire en serait trop fastidieux, mais il y a bien des exemples de moments où l’on me trouve, dans les TSF, en train de dire « ah, je n’avais pas anticipé ça » ou « ah, en fait, il y a un jeu de mots que je n’avais pas vu ». En d’autres termes, et même s’il est assez grandiloquent et peu modeste de le dire ainsi, les TSF montrent de façon récurrente en quoi l’acte de traduire relève d’une nouvelle lecture – pas d’une relecture, mais d’un décryptage du texte qui permet de lire différemment. La traduction sans filet met en évidence la scriptibilité des textes au sens que Roland Barthes donne à l’opposition entre textes lisibles et textes scriptibles5. Il semble d’ailleurs que la difficulté d’improviser ou la découverte de significations multiples et contradictoires grâce à l’acte traductif puissent être considérées comme des indices de scriptibilité.

 L’improductivité

10Pour en revenir à ce que produit le format-TSF (ou la forme TSF ?), il faut bien noter, tout d’abord qu’à l’aune d’une carrière universitaire, il ne produit absolument rien de quantifiable ou d’acceptable par l’institution. On imagine aisément l’incrédulité des collègues du Conseil Scientifique ou de la 11e section du Conseil National des Universités si je m’avisais de mettre les TSF dans la liste de mes publications afin d’obtenir un quelconque avancement, voire, ce qui serait plus pertinent, en vue d’un semestre sabbatique. C’est pour cette raison que j’annonce, dès le titre de cet article, en quoi l’improvisation est, de facto, improductive, et ce triplement. Elle est improductive selon les critères de la plateforme d’hébergement YouTube, qui ne rendra jamais les TSF monétisables. Elle est également improductive selon les critères de l’institution universitaire, engluée dans une course folle au publish or perish. Elle est improductive, d’une manière peut-être moins négative, selon des modalités qui se rapprochent du concept de perte de temps dans l’essai magistral de Kenneth Goldsmith, Wasting Time on the Internet6.

11Pourtant, si peu visionnées soient-elles, les TSF ont une audience très supérieure à la majorité des articles dits « scientifiques » ou de recherche publiées dans des revues spécialisées. Peut-on pour autant en conclure qu’elles relèvent de la vulgarisation, seule autre catégorie prévue dans les C.V. d’universitaires ? Oui, si on constate que le public de ces vidéos7 ne correspond ni à celui des experts ou collègues traductologues croisés dans les colloques spécialisés, ni à celui des étudiants qui subissent mon enseignement d’année en année. Non, ce n’est pas, ce ne peut pas être de la vulgarisation si on note que seules les interventions dans des émissions de radio ou de télévision classiques et les conférences « grand public » sont assimilables à cette catégorie.

12En fait, pour être entièrement honnête, les TSF ne sont pas même productives8 pour l’improvisateur/auteur/vidéaste : elles ne participent pas d’un chantier plus vaste qui aboutirait à une publication, et ne lui permettent même pas (sauf à en faire la démonstration) de s’améliorer en tant que traducteur. Ce qu’elles produisent, c’est, parfois, une meilleure compréhension des mécanismes d’écriture de tel texte, mais c’est surtout une archive en devenir permanent.

13En fin de compte, cette improductivité paradoxale – paradoxale car elle a permis d’accumuler 170 vidéos en 32 mois – vaut par son caractère marginal : la traduction sans filet, en tant que genre, se situe à la marge de la traduction universitaire (dont elle ne rejoint qu’incidemment les principes), de la traduction professionnelle (qui, par ses impératifs économiques, ne peut se permettre ce genre de butinage) mais aussi de la recherche universitaire (comme il a été dit plus haut). À une échelle tout à fait modeste voire dérisoire, ces productions improductives et marginales relèvent de ce que Bell Hooks et d’autres depuis ont nommé « espace de résistance »9. Cette dimension rejoint le lien qu’établit Gilles Bonnet entre l’essai et ce qu’il nomme l’e-ssai, les deux genres partageant « une scène primitive […] où l’écriture de soi se prend au jeu de la lecture des autres »10. Plus loin, Gilles Bonnet insiste sur ce caractère marginal fondamentalement politique de l’e-ssai, en notant que « [l]’énonciation propre au web permet donc d’accentuer encore la lutte contre la doxa, ce qui constituait déjà un objectif central de l’écriture essayistique »11.

14Genre discursif qui se caractérise par son improductivité, la traduction improvisée se retrouve, accidentellement, embarquée dans un bricolage antidoxologique. Bien entendu, comme cela vient d’être indiqué, cette accumulation à la marge n’est possible que parce que son auteur a une activité professionnelle régulière compatible avec ce genre même, et qui l’autorise à perdre du temps à traduire pour du beurre (et pas celui qu’on met dans les épinards, justement). Tout autant que d’une résistance à la norme universitaire et éditoriale, elle relève donc aussi de la définition libérale du loisir : faire des vidéos de traduction est donc l’équivalent, peu ou prou, de Candy Crush ou du scrapbooking pour d’autres.

15L’idée que les TSF constituent un espace de résistance est donc avancée with a pinch of salt, comme on dit en anglais, c’est-à-dire en toute conscience des nombreuses objections qui peuvent être formulées. Un fonctionnaire de l’État peut-il prétendre qu’il développe un espace de résistance hors système quand cette configuration n’est rendue possible, économiquement, que par son appartenance au système ? De même, il est plaisant d’entendre évoquer les concepts de marginalité ou de décroissance pour une série de vidéos hébergée par YouTube, donc au sein des terribles GAFA, et dont l’empreinte carbone (cartes SD, batteries de la caméra, électricité, utilisation des réseaux et de la fibre pour la mise en ligne et la diffusion) n’est pas neutre.

16Avant d’en venir à la question de la performance, et pour en terminer – momentanément, car tout ici est provisoire – de la question de l’accumulation improductive, indiquons simplement certains de ses modes. Si l’on en propose une typologie objective (donc que chacun peut vérifier), les TSF ont accumulé :

17des traductions. Il peut paraître inutile de le souligner, mais si on se mettait en tête de transcrire intégralement sous forme de livre les TSF, on obtiendrait un livre qui, même sans les textes-source, ne serait peut-être pas si éloigné des 290 pages de Traduire, journal.

18un corpus. En vue de cet article, j’ai établi un répertoire alphabétique des noms d’auteur, qui se trouve sur mon blog Touraine sereine et qui est appelé à se développer12.

19des lieux de tournage. Ces lieux relèvent d’une autobiographie filmée et sont souvent choisis délibérément. La majorité des lieux sont les multiples pièces de ma maison à Tours, mais il y en a d’autres : square du bout de la rue (#135), parc de la Cousinerie (#32), rond-point (#150), 5e étage de la B.U. (#99), bureau(x) de l’Université bien sûr, maison de vacances, fronton de pelote du village de Cagnotte dans les Landes (#114), jardins landais (#111 et #117), sur un échafaudage (#87 et #91).

20des pratiques théâtrales. Outre la diversification recherchée des lieux de tournage, il est arrivé de tenter des performances : en étendant le linge (#62) ; sous la neige (#135) ; en surveillant la cuisson d’un plat (#148) ; dans l’obscurité totale d’un amphithéâtre pendant une panne de courant (#55).

Où est passé le montage ?

21Ce n’est pas par un simple effet de jeu de mots que, dès l’introduction, l’improductivité a été reliée au fait de se produire face caméra, donc à un genre que l’on pourrait nommer, pour faire bref, le stand-up, ou à une forme floue (une catégorie ?) généralement désignée par référence à celles/ceux qui la pratiquent : les YouTubeur·euse·s13. Cette catégorie (ou forme, j’y insiste : la prise de parole face caméra avant diffusion via une plateforme qui est aussi réseau social) regroupe des genres très divers. Ainsi, le genre inventé, qu’on nommera traduction improvisée pour conserver à l’expression de « traductions sans filet » leur spécificité auctoriale en quelque sorte, relève d’une tautologie : rien d’autre n’est produit que le fait de se produire14. Quant à savoir si les internautes qui regardent ces vidéos en retirent quelque chose, c’est un effet qui échappe au créateur, et qui nécessite une autre enquête. Ce qui compte ici, c’est que, même sans audience, le genre existe et persiste15. Comme tout genre, il peut être repris par qui le désire, dans les langues et les pays les plus divers, et selon des modalités nouvelles. Les invariants du genre sont :

22choix préalable, le plus rapide possible mais hors caméra16, d’un texte qui n’a fait l’objet d’aucune tentative de traduction

23prise de parole face caméra

24lecture du texte dans le cadre de la vidéo, avec digressions éventuelles sur l’auteur, le contexte, tel élément du texte, la raison du choix, etc.

25traduction en temps réel, sans outils lexicographiques, de l’extrait lu

26Les TSF avec montage permettent l’ajout de surtitres donnant le texte-source et une version corrigée, reprise après coup, du texte-cible. Sans montage, il demeure possible d’ajouter dans le descriptif de la vidéo sur YouTube (par ex. TSF #169), le texte-source et le texte-cible ; parfois, la publication d’une traduction plus aboutie se trouve dans la rubrique “Darts on a slate” du blog MuMM.

27Le montage qui importe, dans les TSF, n’est donc pas le montage dans son sens technique cinématographique, mais la façon dont se monte la traduction elle-même au sein du dispositif en 4 temps (choix – discours – lecture – traduction), et qui se rapproche peut-être du bricolage, dont Patrice Maniglier, un des spécialistes des théories de Lévi-Strauss, a écrit qu’il constituait « le modèle même d’une logique de l’hétéroclite »17. Ce montage seul, avec sa logique limitant au maximum la perte de temps, est donc l’envers du montage au sens cinématographique, trop souvent chronophage, de sorte qu’il permet seul l’accumulation : une activité de vidéaste qui s’ajoute à une vie professionnelle et personnelle déjà chargée ne peut se pérenniser que dans l’économie des moyens et surtout du temps. Le montage discursif auquel procède le genre de la traduction improvisée est donc un anti-montage, un refus du montage au sens conventionnel, pour des raisons pragmatiques, certes, mais au point de devenir in fine une forme d’impératif esthétique.

28L’accumulation elle-même est productive, mais, là encore, ce qu’elle produit est sans valeur économique. Ainsi, l’archive (c’est-à-dire le premier produit manifeste de cette accumulation) est une sorte de déchet qui n’a de valeur que pour son auteur, à la façon d’un journal intime sans intention littéraire.

29De même, le genre est un autre produit de l’accumulation des TSF, car les invariants listés ci-dessus se sont figés, d’une certaine manière, au fur et à mesure des vidéos. Il suffit, pour se convaincre de cela, de visionner une des vidéos atypiques et d’imaginer quel genre radicalement autre eût été produit si c’était cette vidéo qui s’était imposée comme modèle. À bien y regarder, donc, le genre de la traduction improvisée, sans résonance culturelle et sans épigones (c’est-à-dire sans réappropriation) est également un déchet. Comme tout déchet, il demeure susceptible de recyclage, donc de réappropriation18.

Après dire (à prédire)

30Cette communication aussi est un déchet.

31En anglais, l’article universitaire, comme la communication qui en est normalement le brouillon ou la première mise en forme, se dit paper. To give a paper, to write a paper : dans les deux cas, produire un déchet, peut-être recyclable. Dans la sphère universitaire, recycler sa thèse ou recycler tout ou partie d’un article est très mal vu, quoique de pratique habituelle. La sphère universitaire serait-elle un des rares lieux où le recyclage est mal vu ? La communication que je viens de donner est-elle du recyclage ? non, car j’ai dû travailler et écrire des choses inédites sur un contenu encore mouvant, fluctuant ; oui, car j’ai fait glisser une pratique improductive et ludique – le genre de la traduction improvisée, mon scrapbookingcandycrushing à moi – dans la sphère universitaire, répondant à ma façon à l’injonction du publish or perish. Bricolage, détournement, ruse, ironie : tout cela à la fois, et rien de tout cela.

32Le genre de la traduction improvisée n’est qu’à ses débuts, d’où l’impossibilité de conclure tout à fait. Pourtant, ce genre même – dans sa pratique – démontre qu’un certain nombre de traits caractéristiques se retrouvent dans l’acte de traduire, tout en mettant à mal la frontière entre œuvre et performance, lecture et traduction, production et improductivité. Dans l’improductivité paradoxale qui consiste à accumuler une archive-déchet, le genre de la traduction improvisée, jamais forclos, toujours in progress, a certes aboli le principe d’échéance, mais en se constituant fabrique de déchets – déché-ance.