Colloques en ligne

Simona Gîrleanu

La ville au pluriel. Présentation

1 Ces articles représentent les versions remaniées des interventions réalisées dans le cadre du séminaire doctoral « Regards croisés sur les villes à l'époque moderne », que j’ai organisé à l'Université Lille 3, au premier semestre de l'année universitaire 2006/2007. Les séances ont été conçues sous la forme d’un tandem (unidisciplinaire ou pluridisciplinaire) entre un doctorant et un enseignant – chercheur confirmé.

2 La réflexion menée pendant plusieurs mois par des intervenants relevant de disciplines différentes s’est nourrie de ce véritable dialogue interdisciplinaire sur l’objet d’étude à facettes multiples qu’est la ville. Hétéroclite par nature, la ville se situe à la croisée de plusieurs disciplines : la littérature (comparée), l’histoire de l’art, l’histoire de l’urbanisme et de l’architecture, l’esthétique/ l’intérêt philosophique pour la ville, l’histoire culturelle, l’histoire des sciences, la géographie, la sociologie.

3 Au départ, la problématique générale du séminaire a pivoté autour de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, car c’est le moment qui marque le passage à une vision plus dynamique du phénomène urbain. La conception moyenâgeuse de la cité, protégée par ses murailles, cède la place à l’idée d’agglomération urbaine. Cette véritable rupture est valable pour les grandes villes occidentales, Paris, Londres en tête. Le point de départ de la réflexion a été donc cette « mutation des mentalités et des formes urbaines » (Pierre Lelievre), visible déjà au niveau de la définition de la « ville » dans l’Encyclopédie (Bernard Lepetit), afin de mettre au jour comment les différentes disciplines rendent compte de ce moment charnière.

4 En réalité, les limites chronologiques ont été assez souples, les interventions allant du XVIIe au XXe siècle. Pour ce qui est de la localisation géographique, l’accent a été mis sur les grandes villes occidentales, à l’exception de l’intervention d’Alejandro Saldarriaga qui a proposé une étude de la ville de Cartagena en Colombie.

5 Ces réflexions invitent à comprendre la variété des manifestations de la ville : structure signifiante, champ des projets architecturaux et urbanistiques, lieu défini par les pratiques de ses habitants.

  1. L'esthétique urbaine

6 Joëlle Prungnaud propose une analyse de la sublimation de la ville en objet littéraire à travers une étude comparée de Paris et de Londres au tournant du XIXe sècle. Zola et Arthur Machen décrivent, avec des techniques différentes, l'expérience de la métropole.

7 Dans mon article, j’essaie de mettre au jour les mécanismes qui sous-tendent les descriptions urbaines dans un récit de voyage à Londres. L'écriture hétéroclite d'un voyageur inconnu, mais fort intéressant, de la fin des Lumières fait émerger le lien intime entre la vue et les mouvements de l'âme dans la perception de la grande ville.

8 Quant à Alison Boulanger, elle se penche sur les bouleversements produits par la ville, d'une part dans le rapport avec la campagne, comme dans le roman Humphry Clinker et, de l'autre, comme lieu du non-sens, chez Albert Cohen. En revanche, pour Eliot, Döblin, Dos Passos, la ville, cet espace-temps paradoxal, devient une structure signifiante à travers la lecture mythique des couches superposées de l'histoire, enfouies dans la profondeur de l'espace urbain.

  1. Les pratiques

9 Stéphane Van Damme s'attaque également à la conception de la ville palimpseste, mais dans la perspective de l'histoire culturelle. Cette réflexion, encore à l'étape de work in progress, vise à mieux cartographier les pratiques et les enjeux de l'archéologie urbaine à Paris, Londres, Lyon et Edimbourg du XVIIe au XIXe siècle. Le nouvel espace intellectuel qu'est l'archéologie urbaine cadre l'analyse de ces véritables objets-frontières qui réunissent collectionneurs et pouvoirs publics dans le but de rendre visible le passé de ces quatre métropoles romaines.

10 L’architecte Alejandro Saldarriaga s'intéresse à d'autres types de pratiques. Il propose ainsi une étude du palenque comme paradigme habitationnel opposé à celui des grandes villes de l'intérieur andin. Le San Basilio de Palenque, près de Cartagena, illustre le mieux ce type d'habitat dit consonnant, qui se définit avant tout par sa musique : la champeta. Les habitants ont adopté cette musique venue d'ailleurs et l'ont fait rentrer dans une logique du lieu (Augustin Berque) qui s'inscrit dans la relation ville/campagne.

  1. Les projets : théorie et pratique

11 À travers une lecture suivie des Méditations cartésiennes, Sarah Tessé fait une mise au point sur les concepts essentiels du discours sur la ville : lieu, espace, étendue. La leçon volontariste du philosophe, responsable (ou non ?) des « villes à la Descartes », continue de hanter les urbanistes jusqu'au XXIe siècle.

12 Mais au XVIIIe siècle, comme le montre Antoine Picon, les ingénieurs parisiens se tournent vers un idéal de composition, opposé à la table rase de Descartes, et conçoivent une ville fonctionnelle, en trois dimensions, bien articulée avec le territoire.

13 Selon Steeve Sabatto, on retrouve la trace de la pensée cartésienne au XIXe siècle, dans le cas exemplaire de l'urbanisation de Barcelone par Ildefonso Cerdà, le père de l'urbanisme en tant que discipline autonome. À cette différence près que Cerdà combine la tradition des projets ex nihilo avec une double perspective historique et morphologique (Françoise Choay). Ainsi, il propose pour la ville médiévale de Barcelone un projet d'extension linéaire polycentrique.

14 Fortes de ses intuitions, l'œuvre de Cerdà le place parmi les fondateurs de la géographie et de la morphologie urbaines. Le point de mire de ses réformes est le projet radical de la Ville Radieuse de Le Corbusier, analysé par Marc Perelman.

15 Messieurs Marc Perelman, professeur d’esthétique à l’Université Paris X, et Antoine Picon, professeur d’histoire de l’architecture à l’Université Harvard, ont renoncé à la mise en ligne de leurs interventions.

16 C'est au carrefour des approches que la ville se laisse appréhender. Au terme des cinq séances prévues dans le programme initial, le bilan positif encourage de poursuivre ce projet dans les années à venir, soit sous la forme d’un autre séminaire, soit sous la forme d’une journée d’études qui favoriserait davantage l’échange entre les différentes disciplines concernées. De même, il serait souhaitable de convoquer les domaines absents de cette première réflexion, à savoir la sociologie ou l’histoire de l’art. Tout projet de collaboration serait donc le bienvenu.

17 Ce séminaire doctoral a pu être organisé grâce au soutien de l'équipe de recherche ALITHILA (Analyses Littéraires et Histoire de la Langue) et de l'École doctorale « Sciences de l'homme et de la société » des universités de Lille 3 et « du Littoral et de la Côte d’opale » (ULCO). Ma reconnaissance va vers madame Joëlle Prungnaud, professeur de littérature comparée, madame Marie-Madeleine Castellani, directrice de l’équipe ALITHILA, et madame Joëlle Caullier, directrice de l’École Doctorale « Sciences de l'homme et de la société ».