Colloques en ligne

Sarah TESSE

Les « villes à la Descartes » sont-elles imputables à Descartes ?

1 En novembre 1619, les premiers froids de l’hiver ont arrêté René Descartes sur les bords du Danube alors qu’il rejoignait l’armée du Duc de Bavière. Il est alors soumis à une retraite forcée, reclus dans son « poêle » c'est-à-dire dans une pièce chauffée. Profitant de cet isolement, il décide de mettre de l’ordre dans ses pensées. L’une d’elles servira de préambule à l’énoncé des règles de la méthode dans le Discours du même nom :

L’une des premières [pensées] fut que je m’avisai de considérer que souvent il n’y a pas tant de perfection dans les ouvrages composés de plusieurs pièces, et faits de la main de divers maîtres, qu’en ceux auxquels un seul a travaillé. Ainsi voit-on que les bâtiments qu’un seul architecte a entrepris et achevés, ont coutume d’être plus beaux et mieux ordonnés, que ceux que plusieurs ont tâché de raccommoder, en faisant servir de vieilles murailles qui avaient été bâties à d’autres fins. Ainsi, ces anciennes cités qui, n’ayant été au commencement que des bourgades, sont devenues, par succession de temps, de grandes villes, sont ordinairement si mal compassées, au prix de ces places régulières qu’un ingénieur trace à sa fantaisie dans une plaine, qu’encore que, considérant leurs édifices chacun à part, on y trouve souvent autant ou plus d’art qu’en ceux des autres; toutefois, à voir comme ils sont arrangés, ici un grand, là un petit, et comme ils rendent les rues courbées et inégales, on dirait que c’est plutôt la fortune, que la volonté de quelques hommes usant de raison, qui les a ainsi disposés. Et si on considère qu’il y a eu néanmoins de tout temps quelques officiers, qui ont eu charge de prendre garde aux bâtiments des particuliers, pour les faire servir à l’ornement du public, on connaîtra bien qu’il est malaisé, en ne travaillant que sur les ouvrages d’autrui, de faire des choses fort accomplies1.

2 Cette métaphore de l’architecte permet à Descartes d’illustrer clairement l’une de ses idées fondamentales : l’unité du corps des sciences à partir d’une méthode unique inspirée des mathématiques. Le vrai ne s’obtient pas en superposant des affirmations tenues pour vraies.

3 De plus, elle met en avant l’autonomie, la liberté de penser du philosophe, qui ne peut compter que sur lui-même pour réformer ses pensées.

4 N’est-ce qu’une métaphore destinée à éclairer le choix de nouvelles règles de recherche de la connaissance ? Ou bien peut-elle nous renseigner sur la forme urbaine que souhaite ou que valorise Descartes ?

5 Il n’est pas sûr que ce ne soit qu’une anecdote.

6 D’abord, cette référence cartésienne à la ville n’est pas isolée.

7 La métaphore de l’architecte, qui doit construire un édifice sur des fondements solides, est reprise dans les réponses aux septièmes objections2. Et une remarque dans les Méditations métaphysiques inclut le narrateur dans le dispositif de la ville. Nous savons que là encore, Descartes narrateur se trouve dans une pièce chauffée3. Mais la situation géographique est vague, si ce n’est que le doute méthodique conduit le philosophe à sa fenêtre : après avoir considéré que c’est par « inspection de l’esprit » et non par la connaissance sensible que l’on peut savoir que la cire reste la même quand elle fond, il regarde par la fenêtre « des hommes qui passent dans la rue, à la vue desquels [il] ne manque pas de dire qu’[il voit] des hommes, tout de même qu’[il] dit qu’[il] voit de la cire », pour conclure : « et cependant, que vois-je de cette fenêtre , sinon des chapeaux et des manteaux, qui peuvent couvrir des spectres ou des hommes feints qui ne se remuent que par ressorts ? ». Cette référence à la rue, sur lequel le philosophe a une vue plongeante, indique qu’il se trouve dans une ville (rue et ville ont longtemps été tenues pour synonymes). Enfin, dans la Lettre à Balzac, Descartes vante les vertus de la ville, et en particulier de celle d’Amsterdam où il vit alors : il lui plait de vivre anonyme dans cette grande ville étrangère, marchande et confortable, car cela lui permet de ne pas être importuné et de réfléchir en paix4.

8 Ensuite, ces métaphores ou ces exemples ne sont certes pas à mettre au premier plan de la philosophie cartésienne. Mais ils ne relèvent pas non plus d’un choix arbitraire. Si Descartes a jeté un coup d’œil par la fenêtre, s’il a observé quelques mutations des villes européennes, il n’était pas obligé d’en rendre compte dans l’exposé de ses méditations. Il a choisi de le faire parce que ces références illustratives étayaient sa pensée, étaient en correspondance avec elle.

9 À tel point qu’en référence au fameux extrait du Discours de la méthode où le philosophe critique les villes médiévales désordonnées et stratifiées de façon incohérente, pour faire la louange des édifices construits par un seul architecte, selon un plan rationnel, et ensuite des villes fortifiées par un seul ingénieur, on a appelé « villes à la Descartes » des villes construites ex nihilo selon un idéal de rationalité, sous les ordres d’une puissance politique souveraine5. Tel fut le cas du port du Havre ou de Vitry-le-François sous François 1er, ou encore la ville de Richelieu construite par décision du Cardinal.

10 Cette expression (« ville à la Descartes ») accorde-t-elle trop de crédit à ce qui n’est qu’une métaphore du travail du philosophe ? Les villes à la Descartes sont-elles imputables à Descartes ? C’est ce qui sera examiné ici.

11 Le texte du Discours de la méthode est très court, certes, et les autres références plus encore. Bien sûr, Descartes n’a pas pu y produire une théorie de la ville moderne, ni y poser des principes urbanistiques. Mais le concept cartésien d’étendue qui consomme la rupture avec la notion aristotélicienne et scolastique de lieu est en accord avec ces remarques sur la ville qui commence à émerger. Surtout, les grands concepts de la pensée cartésienne doivent être sollicités pour saisir l’idéal qui anime la construction des « villes à la Descartes », créations du XVIIe siècle.

12 Mon projet est d’articuler ces grands concepts avec les quelques lignes du Discours de la méthode, et avec les créations de villes contemporains ou immédiatement postérieures à Descartes. Pour autant, il importe de ne pas trop charger le philosophe et l’accuser trop vite des maux de ces villes nouvelles.

13 Pourquoi avoir choisi Descartes ? Parce qu’il intègre la ville dans son dispositif de pensée, par intérêt pour elle. Parce qu’il propose une pensée forte, parce qu’il systématise et condense une transformation de la pensée qui a commencé avant lui, en particulier la pensée de l’espace et du rapport entre l’homme et le monde. Parce que ses idées sur la ville, aussi courtes soient-elles, devancent les théories et les constructions des XVIIe et XVIIIe siècles. Il est en phase avec cette époque de transformation de la ville.

14 Je ne retiens que la conception aristotélicienne de l’espace parmi celles de l’antiquité grecque, pour la seule raison que la dernière scolastique s’est tournée vers l’aristotélisme (après le platonisme) et qu’elle est restée une doctrine puissante sur la question de l’espace jusqu’au XVIe siècle.

15 Aristote ne propose pas une théorie de l’espace (chora) à proprement parler. Il propose une théorie du lieu, ou des positions dans l’espace, plutôt qu’une théorie de l’espace en général.

16 Ainsi, dans sa Physique, il pose les quatre prémisses fondamentales à la définition du lieu6 :

171° Le lieu d’une chose n’est aucune de ses parties, mais il est plutôt ce qui la comprend.

182° Le lieu immédiat d’une chose n’est ni plus grand ni plus petit qu’elle.

193° Les choses peuvent quitter le lieu où elles se trouvent. Par conséquent, les choses sont séparables des lieux.

204° Tout lieu implique un haut et un bas. Tout corps a une tendance naturelle à se déplacer vers son propre lieu, et une fois celui-ci atteint, à y rester.

21 On en déduit alors que le lieu d’une chose est la limite interne du premier corps immuable qui le contient. Ainsi, la place du marin est dans le bateau, celle du bateau est dans la rivière, celle de la rivière est dans son lit, et le lit est le dernier réceptacle au repos. Pour reprendre les termes de J.Moreau le lieu d’un corps n’est rien d’autre que son « logement » parmi les autres corps qui l’environnent, il est la limite du corps enveloppant7.

22 Si on s’inquiète maintenant de l’astronomie, il faut généraliser le système de référence : l’univers est limité par la frontière intérieure de l’ultime sphère, mais elle-même n’est contenue dans aucun réceptacle. Ce qui signifie que toute chose dans l’univers a un lieu, mais l’univers lui-même n’est nulle part, ou du moins la question de savoir ce qui se passe à l’extérieur de l’espace n’a pas de sens.

23 La philosophie naturelle italienne met en place la formulation d’une nouvelle physique. Elle émancipe le concept d’espace des catégories d’Aristote. L’espace devient le nécessaire substrat des processus physiques. Il est peu à peu dépourvu de toute différenciation ou de force : le lieu n’affecte plus la nature des choses.

24 Descartes reprend des éléments de la philosophie italienne et propose une analyse de ce qu’il appelle « étendue ». Celle-ci s’oppose au lieu aristotélicien.

25 Il faut d’abord comprendre que Descartes revendique face à ses correspondants l’originalité de ce que l’on a appelé ensuite son dualisme, c'est-à-dire la distinction entre deux substances. Hors des choses relevant de la pensée (substance pensante), toute chose est faite de matière (substance corporelle).

26 L’étendue est l’attribut principal de la substance corporelle ou matérielle, appelée parfois directement « substance étendue », car la substance ne peut être connue que par ses qualités mêmes. Cependant, Descartes fait la distinction entre l’attribut principal et les autres (les modes), tels que la figure et le mouvement, qui dépendent de l’attribut principal.

27 La seule caractérisation de l’étendue est qu’elle est une quantité continue, qui se déploie selon les trois dimensions que sont la longueur, la largeur, la profondeur. Il reprend par là une définition déjà proposée dans la philosophie italienne, et par Giordano Bruno en particulier8.

28 Peut-on dire que l’étendue est le cadre immobile, l’espace vide qui permettrait le mouvement des corps ? Non, selon Descartes, qui nie l’existence du vide dans les Principes9. En effet, qu'est-ce que l’on appelle un espace vide ? Du néant. Mais un néant ne peut avoir de propriétés, et il n’a pas de dimensions non plus. S’il y avait vraiment du vide entre les corps, ils seraient séparés par du néant. Autrement dit, ils se toucheraient. Donc parler d’un espace vide est une absurdité. Ce n’est qu’une façon de parler : une cruche est « vide » quand elle est pleine d’air alors que l’on attend de l’eau.

29 Donc l’étendue est identifiée à la matière, au sens où ne peut y avoir un espace distinct de la matière. On peut par abstraction distinguer ces deux notions, mais elles ne le sont pas en réalité. L’espace que les corps occupent n’est pas quelque chose de différent d’eux.

30 Ainsi, un corps se distingue de l’ensemble de la matière, non par un espace vide, mais du fait qu’il est une partie de matière transportée ensemble. Les corps sont des parties de la matière dont seuls les mouvements peuvent les distinguer.

31 Ce qui suppose que Descartes ne propose pas de pensée de l’espace, comme entité indépendante des corps mais qu’il propose d’étudier plutôt de la matière, homogène et divisible à l’infini, pure étendue ou quantité continue.

32 Descartes est réputé pour une proposition lourde de conséquences pour la modernité : la géométrisation de la matière. Ainsi, il écrit dans les Principes de la philosophie :

La nature de la matière, ou du corps pris en général, ne consiste point en ce qu’il est une chose dure, ou pesante, ou colorée, ou qui touche nos sens de quelque autre façon, mais seulement en ce qu’il est une substance étendue en longueur, largeur et profondeur […]. D’où il suit que leur nature ne consiste pas en la dureté que nous sentons parfois à leur occasion, ni aussi en la pesanteur, chaleur et autres propriétés de ce genre, car si nous examinons quelque corps que ce soit, nous pouvons penser qu’il n’a en soi aucune de ces qualités, et cependant nous connaissons clairement et distinctement qu’il a tout ce qui le fait corps, pourvu qu’il ait de l’extension en longueur, largeur et profondeur10.

33 La variété de notre palette sensorielle et les changements qui viennent dans notre monde s’expliquent par les variations de la matière. Cette dernière ne peut être une forme arrêtée et immobile, sinon le mouvement serait impossible. Elle doit donc être pensée comme divisible. Les parties de la matière ont les formes de figures mobiles : en vertu du mécanisme, tout changement naît des mouvements de ces parties les uns contre les autres (lois des chocs). Des corps on ne retient, comme pour la matière, que ce que Locke appelle les qualités premières : la figure, la grandeur, le mouvement et la divisibilité.

34 Avec l’homogénéisation de la matière et la reconnaissance du seul mouvement local, la différence entre le mouvement et le repos, les lieux naturels et les directions (c’est-à-dire les présupposés aristotéliciens) est rejetée hors de la science.

35 Ainsi, Descartes semble développer, sans l’affirmer explicitement, une conception relativiste de l’espace : c’est-à-dire qu’il définit les contours d’un espace homogène et isotrope, où tout corps peut être dit en mouvement ou en repos selon le référentiel utilisé.

36 Il participe en ce sens au passage d’un cosmos hiérarchisé, polarisé, où les êtres reviennent à leurs lieux naturels à un monde unifié par une étendue homogène, continue, indéfinie.

37 Il est vrai que le concept d’étendue cartésienne, pris en son sens strict, n’a pas vraiment connu de postérité. Il s’effacera vite devant la notion d’espace absolu de Newton, qui est un espace distinct de la matière.

38 Mais il reste de ce concept certaines caractéristiques fortes, qui demeureront même dans la théorie newtonienne, et que l’on peut mettre en parallèle avec les mutations de la ville aux XVIIe et XVIIIe siècles.

39 Le but de cette partie est de mobiliser le système de pensée cartésien pour justifier les textes sur la ville et comprendre l’aspect volontariste et rationnel de ce que l’on a appelé les « villes à la Descartes », et, plus largement pour éclairer les mutations de la ville moderne.

40 Il faut revenir en arrière. Descartes doit beaucoup à Galilée. Pour Husserl, c’est ce dernier qui a orienté la science vers la mathématisation du monde et la mise au ban de la connaissance scientifique des qualités sensibles11.

41 Certes, Galilée a lui-même hérité d’une certaine manière de la géométrie antique, qui distinguait les corps expérimentés dans la vie quotidienne des formes pures de la géométrie. Dans la vie courante, nous faisons l’expérience des corps, auxquels nous attribuons des propriétés approximatives : « c’est assez droit », ou « c’est assez rond », qui semble osciller autour d’un type. Notre intérêt pratique est satisfait par ce genre d’approximations. Cette expérience induit l’idée d’un perfectionnement possible : le trait peut être de plus en plus droit, la bille de bois de plus en plus ronde.

42 La géométrie, quant à elle, correspond à une pensée pure qui a affaire avec des formes limites, comme la ligne ou le cercle. Nous sommes ici dans le domaine de l’exactitude. De plus, à partir des structures élémentaires remarquables et d’un certain nombre d’opérations, le géomètre peut obtenir toutes les formes idéales imaginables.

43 Cette démarcation entre deux domaines a dû inspirer Galilée. La tradition grecque pose la géométrie comme modèle : partout où l’on applique sa méthode, on dépasse la relativité et la subjectivité inhérentes à l’expérience. Au lieu d’une approximation, on atteint une vérité objective, que l’on attribue à l’étant en lui-même. Malgré tout, la mathématisation ne peut s’appliquer directement aux qualités sensibles : « c’est lisse » ou « c’est rude » « c’est chaud » ou « c’est froid » sont des jugements qui résistent au souci d’exactitude.

44 Qu’a apporté Galilée, qui ait ainsi inauguré la science moderne? Avant tout, l’extension de l’élaboration des méthodes de mesure aux données de l’expérience. Galilée reconduit la distinction entre les deux domaines, mais elle opère désormais dans le contexte de la mathématisation.

45 La mathématisation du monde consiste d’abord en une objectivation du monde de l’intuition sensible, qui permet de produire des formules numériques générales, qui à leur tour permettent d’objectiver les cas singuliers que l’on peut subsumer sous elles. Ainsi, elle reconduit sans cesse la confirmation de l’hypothèse de départ, qui est que les mesures opérées sur le sensible peuvent se rapprocher de plus en plus de ce qu’est la « vraie nature ».

46 L’hypothèse de Galilée pose que le seul monde réel est le monde mathématique des formes idéales, alors que le monde sensible est illusoire et relatif.

47 Descartes confirme cette opposition. Le véritable sens de la célèbre « analyse du morceau de cire », dans la seconde méditation métaphysique est là12. Pour aller vite sur ce passage célèbre, on peut dire Descartes se demande ce qui fait qu’il sait que la cire reste la même cire après avoir fondu, bien que toutes ses caractéristiques sensibles se soient métamorphosées. La fin de l’examen ne permet pas de conclure ce qu’est la cire, car le propos n’est pas de définir les propriétés de la cire à la manière du physicien. Ce que l’on retient finalement de la cire, c’est qu’on la conçoit comme capable de revêtir une infinité de formes, de figures et d’extensions, et de demeurer la même cire, rien de plus. L’essentiel est dans la conclusion que l’on ne peut imaginer cette possibilité, mais qu’on la conçoit. L’analyse de la cire apprend à l’esprit humain ce que c’est que l’esprit. Elle nous apprend que l’étendue est conçue par l’esprit.

48 Descartes a consommé la rupture qui existait déjà entre espace immédiatement perçu et espace théorique. La matière étendue a pour caractéristiques essentielles d’être homogène, continue et « indéfinie ». Mais ce n’est pas une nouveauté radicale : cet espace rationnel, c'est-à-dire infini, continu et homogène, est présupposé par la représentation en perspective qui gomme l’impression visuelle subjective. En effet, l’illusion perspectiviste doit supposer que : notre vision est le fait d’un œil unique et immobile, et que le plan d’intersection de la pyramide visuelle peut à juste titre passer pour une reproduction adéquate de l’image visuelle. Descartes a théorisé cette nouvelle approche de l’espace.

49 Selon Ernst Cassirer, ces trois qualités (infinité, continuité, homogénéité) ne peuvent pas être des données immédiates de l’intuition sensible13.

50 La perception sensible ne connaît pas la notion d’infini : elle est restreinte par la faculté de perception.

51 De plus, elle n’est pas homogène : elle admet les distinctions entre haut et bas, droit et gauche, devant et derrière et même entre corps solides et espace vide.

52 Donc ces qualités sont de « purs caractères logiques », qui nous introduisent déjà au sein de la mathesis universalis.

53 Même si le concept d’étendue n’a pas été conservé dans l’élaboration de la pensée scientifique, il nous en reste l’essentiel : l’idée que l’espace est homogène, continu et infini, et qu’il doit être conçu. Les formes de spatialité que nous expérimentons ne nous permettent pas d’accéder à son être.

54 On peut alors opérer un premier parallèle avec les rues en damier, à l’extension indéfinie, de la ville de Versailles : la ville est conçue selon un plan entièrement ouvert, non délimitée par une enceinte, susceptible de s’étendre à l’infini selon une trame orthogonale qui remplit l’espace entre les trois avenues d’une largeur inusitée et au-delà, en ménageant des places carrées ou octogonales qui sont accessibles par le milieu de leur côté (symétrie).

55 Descartes distingue le sujet pensant et les corps étendus : c’est cette distinction qui est la plus caractéristique de sa démarche. Ce qui a des répercussions directes sur sa compréhension de l’espace, car ceci l’amène à placer le sujet hors du monde, voire face à lui.

56 Comme le montre Maurice Merleau-Ponty, ceci est particulièrement visible dans la définition cartésienne de la profondeur, qui se ramène à la distance entre mon corps et les choses, pour un spectateur convenablement situé14. Il n’y a pas de différence entre elle et la largeur pour un spectateur ayant un point de vue latéral, c'est-à-dire qui peut observer les objets les uns à côté des autres et non les uns derrière les autres.

57 Pourtant, il est vrai que dans mon expérience quotidienne je ne peux percevoir la profondeur comme une largeur. Ceci tient au fait que mon corps a une place déterminée dans l’espace objectif, ce qui limite et obscurcit ma connaissance des choses du monde. Un spectateur extérieur pourrait saisir comme largeur ce qui est pour moi une profondeur. Mais toute conscience spectatrice est assignée à un corps localisé qui voit une profondeur là où d’autres voient une largeur.

58 Seul un point de vue ubiquitaire, c'est-à-dire l’inspection d’un esprit désincarné, peut accéder au point de vue sans perspective, pour lequel toute profondeur est une distance entre un homme et une chose. Ce point de vue en surplomb, hors-monde, justifie pour Descartes la relégation de la profondeur au rang des illusions de la perception.

59 Merleau-Ponty reproche à Descartes d’avoir ramené la pensée du voir à la pensée de la vision, c'est-à-dire à la pensée d’une pensée. Tenter de penser l’espace, c’est lui conférer la transparence qui caractérise la pensée elle-même. D’où la nécessité d’imaginer un point de vue de nulle part, le point de vue d’une pure pensée, en surplomb, observant un espace sans recoin ni cachette, une étendue sans opacité ni épaisseur.

60 Descartes privilégie donc le point de vue en surplomb du sujet par rapport au monde. Cette approche est également celle de l’art. Hubert Damisch nous explique que les vues des villes qui avaient cours à cette époque étaient encore tributaires du dispositif de la perspective mis en place au quattrocento en Italie15. Mais les vues à vol d’oiseau, c'est-à-dire en surplomb par rapport à la ville, remplacent peu à peu les silhouettes des villes. Par exemple, Jacques Callor grave la place du Baptistère à Florence en introduisant dans l’angle de sa composition un personnage observateur, dressé sur un monticule artificiel. Les premiers dessins en perspective privilégiaient une vue horizontale : le petit trou percé au lieu du point de fuite plaçait l’observateur à hauteur d’homme et l’impliquait dans le paysage. Puis l’observateur a pris du recul en même temps que de la hauteur. Car la vue en surplomb, qui se développe, permet une vision plus compréhensive, plus intellectualisée de la ville. Les peintres et les architectes n’ont pas attendu l’invention de l’aéroplane : les vues « à vol d’oiseau », depuis une colline ou une tour, permettent à la ville de se ménager un regard panoramique sur elle-même.

61 Les techniques qui émergent à la ville renaissante participent de ce mouvement de recul : le télescope inventé par Galilée, les techniques cadastrales et cartographiques, introduisent un point de vue distant sur le monde.

62 Les villes elles-mêmes se mettent en scène en autorisant les vues plongeantes (par les tours, les clochers) sur elles-mêmes ou les effets de perspective (rues ou places). Par exemple, en Italie la composition des places s’ordonne autour d’un axe de symétrie. Aussi voit-on la place aux angles fermés et accessible par le milieu des côtés se substituer progressivement à la place médiévale accessible par les angles. En France, il faut attendre le XVIIe siècle pour que la nouvelle esthétique de la ville soit visible, notamment avec la construction des places royales.

63 On se souvient que le philosophe regardait des chapeaux et des manteaux par sa fenêtre. On peut dès lors se demander si l’exemple du coup d’œil « en surplomb » à la fenêtre, permettant de voir – et de s’interroger – sur la nature de ce qui se cache sous les chapeaux et les manteaux, a bien été choisi au hasard par Descartes.

64 Le texte de la deuxième partie du Discours de la méthode cité en introduction défend une attitude volontariste dans la construction urbaine. Si on reprend le texte, on remarque que Descartes oppose :

651° Les bourgades qui sont devenues des villes au fur et à mesure de l’histoire des populations, selon la « fortune », sans ordre préétabli d’une part ; les « places » c'est-à-dire les « places fortes » (connotation militaire) établies selon le projet rationnel d’un ingénieur d’autre part.

662° Le raccommodage fragmentaire, partiel, la ville « palimpseste », qui fait avec des bâtiments prévus pour des fonctions trop diverses d’une part ; la construction sortie de terre, sans précédent, que l’ingénieur fait surgir « dans une plaine » d’autre part.

67 Ainsi, il privilégie l’organisation planifiée et rationnelle, qui permet de coordonner un projet de construction et lui donner une unité. Au lieu du hasard, des volontés multiples et mal mobilisées, il met en valeur la volonté d’un seul.

68 On peut établir un lien avec le concept de volonté établi dans sa philosophie. En effet, l’idée principale du texte cité est que la bonne forme d’une ville ne peut être que le résultat d’une volonté unique, qui dépasse les volontés individuelles : soit un ingénieur prend tout en charge, soit des fonctionnaires vérifient l’alignement.

69 De plus, Descartes est célèbre pour avoir énoncé un nouveau rapport entre l’homme et la nature, qui peut passer pour une position extrêmement volontariste. Il propose à l’homme d’utiliser la connaissance pour être « comme maître et possesseur de la nature ». Par ailleurs, dans les Méditations métaphysiques, il explique l’erreur humaine par le décalage entre l’entendement limité et la volonté infiniment grande : « Il n’y a que la seule volonté, que j’expérimente en moi être si grande, que je ne conçois point l’idée d’aucune autre plus grande et plus étendue16…. » On retrouve cette volonté de maîtrise dans la figure de l’ingénieur qui crée une ville artificielle sur un milieu naturel sans aspérité.

70 Revenons aux villes nouvelles du XVIIe siècle…

71 Lewis Mumford avait proposé l’hypothèse suivante : il y a eu une révolution copernicienne de l’architecture dans le monde renaissant. L’architecte ne se soumet plus à l’histoire, mais va au-devant de la nature pour lui imposer ses lois.

72 Or, les « villes à la Descartes », ou d’autres villes créées au XVIIe siècle se caractérisent bien par la transformation radicale de la géographie naturelle sur laquelle elles reposent.

73 Par exemple, les « places fortes », appelées « villes à la Descartes », sont construites sur un sol vierge de toute habitation. Ces places de guerre sont fidèles au projet de la ville rationnelle car leur fonction est fixée avant toute implantation de la population. On pense à Vitry-le-François ou Villefranche-sur-Meuse, dont on a décidé la construction en 1545, ou encore aux fortifications de Vauban (qui devient commissaire fédéral des fortifications en 1678).

74 Autre type de construction du XVIIe siècle : les ports. Quatre nouveaux ports ont été décidés par Louis XIV et Colbert : Sète, Lorient, Rochefort et Brest à partir de 1664-1665. Les fondations ont été implantées en terrain vierge ou sur un noyau pré-urbain.

75 Les villes-résidences comme Richelieu ou Versailles sont des constructions d’une ville nouvelle à côté d’un château. Richelieu a décidé des agrandissements à partir de 1625. Le pouvoir royal décide de porter les efforts sur le château de Versailles : le parc et le trident principal de 1661 à 1671, puis à partir de 1671, par la construction d’une ville neuve. En, 1682, la cour et des organes du gouvernement peuvent s’y installer. Il n’est pas étonnant que ces villes nouvelles aient été imposées par une volonté monarchique : la puissance politique peut ainsi manifester sa puissance.

76 Selon les auteurs de l’histoire de la France urbaine, les théoriciens de la Renaissance estiment que la ville idéale ne peut pas résulter d’un travail sur les organismes urbains en place mais qu’elle doit surgir ex nihilo : certaines villes ont émergé de la plaine, d’autres ont été reconstruites grâce…à un incendie ! Celui qui ravage Rennes en 1723 permet son plan de reconstruction : la ville est désormais organisée en quadrillage avec des voies longitudinales, transversales et diagonales au lieu d’arrangements désordonnés, avec évidemment une place centrale de la forme d’un rectangle17.

77 Un dernier exemple : contrairement à Richelieu, la construction du château de Versailles et de ses jardins, comme celle de la ville, nécessite un bouleversement complet du paysage et de son occupation. Les anciens villages sont déplacés, les terrains drainés et asséchés, les buttes nivelées, le paysage naturel entièrement recomposé au prix d’immenses et pénibles travaux de terrassement.

78 Or, il existe dans la philosophie de Descartes un lien entre la volonté infinie et la liberté humaine, qui expliquerait l’attitude moderne du philosophe par rapport à la grande ville. Descartes est l’un des premiers intellectuels à vanter le déracinement géographique et intellectuel, à aimer la solitude du penseur au milieu de la foule indifférente, garantie de la liberté de penser, ce qu’il exprime très bien à Balzac dans sa lettre sur Amsterdam18.

79 On trouve une dernière opposition dans le texte extrait du Discours de la méthode. Elle distingue : les formes irrégulières et « mal compassées » des villes médiévales d’une part ; la perfection géométrique des tracés des architectes, l’ordre et la régularité qu’ils imposent aux monuments d’autre part.

80 Or l’ordre, la mesure et la géométrie caractérisent « l’esprit cartésien ». La méthode cartésienne est ce qui a le plus frappé les contemporains. Elle se définit par la soumission à l’évidence et la progression ordonnée selon un modèle mathématique. Elle s’oppose à la tradition scolastique rattachant la diversité des sciences à celle de leurs objets. La première règle du Discours de la méthode fonde le principe de l’unité du savoir sur la lumière naturelle de la raison. Elle expose le privilège des mathématiques, modèle de connaissance. Quant à l’ordre et à la mesure, ils sont essentiels à la mathesis universalis (connaissance universelle), exposée dans la règle quatre19.

81 On peut faire un parallèle avec les constructions géométriques des villes nouvelles: les villes à la Descartes, construites sur des plaines ou des terrains arasés, sont caractérisées par des formes géométriques pures : ainsi, Neufbrisach dans la plaine du Rhin (Vauban), entreprise en 1698 est un octogone parfait, divisé en îlots rectangulaires.

82 Ainsi, la philosophie de Descartes et les rares textes qu’il propose sur la ville sont bien en accord avec les idées des théoriciens de la Renaissance, qui exigent un dessin régulier pour la ville parfaite, seul capable de réaliser une adéquation réussie entre des différents espaces urbains et leurs fonctions (militaire, commerciale, artisanale, résidentielle ou politique). Réglée, harmonieuse, belle à voir, et bonne à vivre, la cité idéale suppose un espace vide où, sans obstacle, elle impose son plan géométrique. Elle ne peut pas se réaliser dans les villes anciennes où l’histoire et les mœurs ont déjà sédimenté des espaces désordonnés aux fonctions confondues.

83 Ces quelques textes, intégrés dans un système de pensée qui sépare le sujet et le monde, qui valorise l’ordre et la raison, qui consacre la volonté humaine, ont eu un écho, comme le témoignent les villes créées au XVIIe siècle.

84 Pour autant, ces villes nouvelles peuvent être considérées comme des erreurs, de mêmes que les théories modernistes du XXe siècle qui se réclament de Descartes : peut-on lui reprocher l’excès de rationalisation et de géométrisation de certaines villes ? Quelles voies la force de la pensée de Descartes a-t-elle ouvert, quelles voies a-t-elle fermé ?

85 Repérons les critiques que l’on a pu adresser à sa conception de l’espace :

86 D’abord, la ville rationnelle peut mener à des « géométrisation à outrance ». Souvent, elle n’est que la matérialisation d’un plan construit selon le modèle du damier. C’est un projet volontariste, qui ne s’intègre pas toujours avec le paysage ni les coutumes des habitants.

87 D’ailleurs, pour les villes construites sur ce modèle au XVIIe siècle, la greffe n’a pas pris. Le Havre fondé en 1535, et plus tard un centre politique sorti d’un village (Versailles) enregistrent un essor rapide. Mais c’est exceptionnel. Les autres créations ont une origine voisine : ce sont les fruits de politiques précises, avant tout commerciales et militaires. Il s’agit de créer une place forte, un port d’attache, un entrepôt, plus rarement un simple marché ou une capitale régionale. Mais elles percent mal. Parce que ce sont des corps imposés de l’extérieur, elles s’intègrent difficilement dans le réseau existant. Faute d’influence locale profonde, elles restent dépendantes des fonctions qui leur furent assignées lors de leur fondation et dont elles subissent la contingence.

88 Ainsi, les Gonzagues partis, Charleville n’arrive pas à détrôner Mézières. Lorient demeure un entrepôt et ne revêt un aspect urbain qu’à la mort de Louis XIV. Les places militaires (Mont-Louis, Neuf-Brisach, Montdauphin) ne parviennent pas à s’imposer. Le cardinal disparu, la ville de Richelieu n’a plus guère d’importance.

89 Le succès de Vitry-le-François en Champagne semble un contre-exemple, mais cette ville n’est pas vraiment une création ex nihilo, elle a été construite en 1545 sur un site nouveau d’une ville détruite par les troupes de Charles Quint. Certes, on peut noter le succès de Versailles. Mais on peut y lire surtout le signe d’une victoire royale, celle d’une monarchie absolue très volontariste, en expansion.

90 Ainsi, les quelques villes créées aux XVIe et XVIIe siècles s’avèrent incapables de bouleverser sensiblement un réseau déjà élaboré et fixé en 150020.

91 Descartes critique la sédimentation de la ville médiévale, qui la rend informe et compliquée. Cette opinion a été vite répandue au XVIIIe : des villes qui ont gardé leur cachet médiéval comme Rouen servent de repoussoir, pour l’architecte comme pour l’homme de la rue. Mais ce que Descartes rejette, ce qui « encombre » la vue et tord les voies d’accès, ce sont les habitations, les magasins, les églises, les monuments, auxquels se rattachent toute une trame d’habitudes, de coutumes, de relations sociales, c'est-à-dire « l’esprit de la ville ».

92 Pourtant, si on reprend l’exemple de Richelieu, son originalité tient au fait que les hôtels particuliers destinés aux nobles sont sur un pied d’égalité. C’est ce qui a causé la fuite de ces derniers: la hiérarchie étant au centre de leur système social, ces maisons égales ne leur permettaient pas de se positionner. Cet esprit montre la distinction entre la matérialité de la ville et sa représentation, son idée.

93 Selon une analyse d’Hubert Damisch, la ville ne se laisse pas réduire à quelque chose d’étendu, de flexible et de muable, comme le morceau de cire21. Il y a comme une « âme » de la ville (pour reprendre l’idée du dualisme) dont il faut rendre compte. Cette représentation de la ville a partie liée avec la spatialité expérimentée par le corps, mais la distinction entre le sujet pensant et l’étendue ne permet justement pas de la saisir.

94 Les villes à la Descartes, construites à l’équerre, paraissent bien plus rationnelles que les rues sinueuses et dénivelées de Poitiers, où Descartes a fait des études. Mais il y a une rationalité pratique, un bon sens, qui préside à ce choix : la disposition des maisons tient compte du soleil et des mauvais vents…

95 Les œuvres de Le Corbusier relèvent en partie d’une logique cartésienne, il y a en effet une parenté avec la volonté de raser pour reconstruire, avec le projet radical d’une construction ex nihilo, avec la valorisation de formes simples géométriques…Et le reproche d’une trop grande abstraction qu’on leur a adressé.

96 On a reproché aux urbanistes22 d’avoir un point de vue sur la ville qui n’est pas celui du passant qui l’arpente : plan vu de haut, globalisation, recherche d’un ordre, réduction à l’aspect visuel, etc. à opposer à la ville saisie dans la marche, la multisensorialité, qui fait la spatialité du passant. Or cette coupure peut être repérée dès Descartes.

97 Par exemple : l’extension dénoncé comme anarchique des grandes métropoles peut-elle être contrôlée, voire planifiée, de façon rationnelle ? Suffit-il de quelques opérations ponctuelles pour donner à la ville le dynamisme nécessaire ?

98 Ce sont des questions qui ont été formulées depuis la fin du XIXe siècle. On mesure à quel point l’opposition marquée par Descartes entre les deux types de villes n’a rien perdu de son actualité.

99 De plus, à la différence des urbanistes du XXe siècle, Descartes n’a jamais prétendu proposer un projet collectif ou politique : chacun a la liberté d’ériger sa maison selon un plan plus rationnel, de manière à la rendre plus belle. Mais en aucun cas il s’agit de l’imposer à une ville entière déjà construite.

100 Faut-il reprocher à Descartes ce que l’on reproche au modernisme, c'est-à-dire l’excès d’abstraction qui rend inhumains les espaces habités ? Comme on vient de le voir dans les points précédents, ces reproches pouvaient déjà être adressés aux villes nouvelles du XVIIe siècle. Mais les quelques réflexions de Descartes ont le mérite de faire réfléchir à de vrais problèmes urbanistiques : l’architecture et l’urbanisme doivent-ils prendre des mesures radicales et rationnelles pour permettre à une de respirer, ou peut-on se satisfaire de solutions ponctuelles et contextualisées ?

101 D’ailleurs, il n’a pas écrit sur l’architecture ou la forme de la ville dans un traité. On peut faire un parallèle entre sa théorie de la connaissance et la forme des villes, mais on ne peut tirer de sa métaphysique des préceptes pratiques sur la manière de construire des villes.

102 Selon J.L Marion, Descartes défend la thèse d’une représentation du monde par un sujet qui lui est extérieur et qui ne s’approprie l’être que par l’objectivation, la construction d’objets, c'est-à-dire par la représentation selon des idées innées23.Car on n’accède pas aux choses mais aux représentations. La correspondance avec ce qui est est garantie par Dieu et les idées innées.

103 L’objectivité du savoir a-t-elle un sens en architecture ? Cette dernière n’a pas affaire à l’étendue pure, mais à l’être humain habitant un lieu. La construction des villes ne vise pas la représentation exacte, et il est aberrant de vouloir construire des bâtiments à partir des représentations qui garantissent la connaissance vraie. L’histoire n’est pas la géométrie.

104 Peut-on imputer à Descartes les villes à la Descartes ?

105 S’il avait voulu théoriser sur l’architecture, il l’aurait fait ! Il ne faut pas confondre théorie de la connaissance et traité d’architecture.

106 Mais Descartes s’est trouvé au premier plan d’une pensée moderne qui valorise la raison, l’ordre, la volonté, la géométrie et qui s’appuie sur un espace conçu comme entité homogène, continue, infinie. Il a théorisé plus nettement que d’autres ces nouveaux concepts. Il a même pris un peu d’avance sur son époque et sur la ville : au XVIIIe siècle encore, des voyageurs expriment leur attente face à la ville du XVIIIe siècle, qui à leurs yeux ne se conforme pas assez vite à ces nouvelles idées.