Colloques en ligne

Christian Jouhaud et Jean-Christophe Abramovici

Introduction

1Le présent recueil rassemble les communications données lors du colloque « Michel de Certeau et la littérature » qui s’est tenu à Paris du 19 au 21 avril 2017.

2Le projet du colloque était né d’un constat simple et d’une série de questions qui en découlait. Littérature, littéraire, roman, fiction, poétique sont des mots qui apparaissent fréquemment sous la plume de Michel de Certeau, avec ou sans guillemets. Mais dans cette œuvre aux multiples facettes, allant de la mystique du « Siècle des saints » aux cultures contemporaines, de l’écriture de l’histoire à celle de la psychanalyse, que désignent-ils exactement, de quoi sont-ils les noms ou les opérateurs ? Quel « pratiquant » de la « littérature » révèlent-ils ? Et quel écrivain ?

3Les communications ont donc affronté ces questions, et, ce faisant, tenté d’identifier, de cartographier et de traverser un certain nombre de lieux du littéraire dans le travail et l’écriture de Michel de Certeau.

4Il convenait de dresser d’abord, autant que faire se peut, un état des lieux du littéraire chez Certeau. Ces lieux sont-ils comme des îles renfermant leurs trésors ? Instaurent-ils des frontières, ou infiltrent-ils par capillarité la pensée et l’écriture de Michel de Certeau ?

5Cette écriture relève d’une poétique : elle demande et permet d’identifier des manières de faire singulières. Des opérations plutôt, jouant sur plusieurs « terrains » : rapports de la littérature aux arts du langage (modus loquendi) ; rencontre des voix éteintes, des voix citées, et des voix actuelles que scrutent les recherches contemporaines sur l’oralité (la fabula, de fari, parler) ; rapports entre expérience spirituelle et expérience d’écriture ; « style » propre de Michel de Certeau et son contexte, celui des œuvres les plus engagées sur le terrain sémiologique et sémiotique puis de leur orientation « littéraire » dans les années 1970.

6Historien, Michel de Certeau a constamment envisagé l’historiographie comme littérature. Le passé ne nourrit pas un savoir comme un autre, qu’on pourrait posséder. « Présence manquante », il marque et altère l’écriture où il s’établit. Comment se rencontrent une technique requise par l’exercice scrupuleux d’un métier et le récit de voyages au pays des morts ? Longuement travaillé, le concept de fiction se présente comme l’outil privilégié de ce franchissement, des dérives et des transgressions qui sont aussi bien celles de l’objet passé que de l’écriture – quand elle s’en saisit dans sa singularité. En deçà de cette expérience, l’historiographie institue du réel, l’histoire littéraire transforme le texte en institution. Michel de Certeau nous invite à étudier non seulement l’historiographie comme littérature mais aussi la discipline de savoir « littérature » comme historiographie.

7Le lecteur, la lecture comme activité dessinent des figures constamment présentes dans les écrits de Michel de Certeau. Il n’y va pas seulement de pratiques organisatrices : « Robinson d’une île à découvrir », le lecteur peut s’avérer bouleversé par le surgissement, dans son île, de l’autre, sous la forme « d’un pied nu parfaitement empreint dans le sable ». Ainsi peut-on comprendre l’éthique politique de la quête certalienne dans son rapport à une esthétique. S’opère alors un déplacement du lecteur selon Certeau à Certeau-lecteur : études de la présence dans ses écrits d’auteurs lus, d’échos, ou plutôt de traces d’actes de lire ; la mobilisation aussi de manières de lire retournées en actes de persuasion, vers les lectures à venir de ceux à qui il s’adresse. Ces manières de lire transformées en actes d’écriture, productrices de « fictions », peuvent être considérées comme autant de gestes « littéraires ».

8Poétique certalienne, historiographie et littérature, lecture et lecteur ont été tenus ensemble par toutes les contributions, fondus en une seule basse continue de ce colloque, avec, bien sûr, des inflexions différenciées. À partir de là les vingt communications ont pu être réparties en cinq partitions, en conservant la double acception du terme, logique (partie d'un ensemble organisé) et musicale : « Fable », « Historio-graphies », « Écritures », « Fiction », « Traces ».