Colloques en ligne

Stello Bonhomme (Nice)

La fiction jouée, les émotions en action

1Ne serait-ce que pour fonctionner, signale Bentham dans sa Théorie des fictions toute entité fictive doit être considérée comme réelle pour le temps de la fiction, et rester dans ses strictes limites pour le reste. La fiction est de l’ordre du transitionnel, un espace qui se situe entre l’intérieur et l’extérieur. Comme le suggère l’étymologie, l’illusion (in-luso : entrée en jeu) est un procédé actif, une entrée volontaire dans un espace particulier où il y a du jeu, où la fiction devient réalité, un espace et un temps où, pour aller vite, il s’agit de faire « comme si ». En ce sens, le faux joueur le plus dangereux n’est pas nécessairement le tricheur qui s’arrange avec les règles, mais le joueur froid, le cynique qui a cessé d’y croire et se contente d’opérer des actions sans éprouver la moindre émotion.

2Il existe de nombreuses classifications des jeux, la plus célèbre, tout à la fois la plus simple et la plus aboutie étant celle de Caillois dans Les Jeux et les hommes1 et sa partition Âgon/Alea/Mimicry/Ilinx, comme une analogie de la ligne inversée qui va de la lutte entre prétendant, saine dialectique, au délire pur, choc de la sensibilité du derviche tourneur, de l’enfant qui se frotte les yeux, exerce une pression sur le scope, juste pour voir les figures lumineuses se détacher un instant au dos de ses paupières. Il existe d’innombrables définitions des jeux, de théorie des jeux, théorie des règles, du gain et du profit. Ce qu’il en ressort, c’est qu’il s’agit d’un concept à l’état gazeux, dont le mouvement brownien est difficile à retenir, à contenir dans de solides limites. Sous ses apparences de futilité, c’est un concept qu’il ne faut pas négliger, en lui sont contenus de nombreux nœuds problématiques, qui concernent le vivant dans son ensemble, sa dimension d’apprentissage de la survie bien sûr, mais aussi une certaine idée du sentiment esthétique qui se prolonge dans les activités de territorialisation que signale Deleuze, pas seulement les fèces et les urines auxquelles on pense tout de suite, précise-t-il, mais la succession de poses, de chants, de couleurs (on pense au rouge du postérieur de certains singes). Une large partie du monde animal joue, au moins pendant une certaine période de sa vie, et joue à délimiter des terrains de jeu et de chasse toute sa vie. Il est donc nécessaire d’agir avec prudence avec cette notion, si forte qu’elle peut contenir l’un des plus beaux renversements philosophiques du xxe siècle, à savoir du premier Wittgenstein et son monde aux dimensions d’un effort de clarification logique au second pour lequel je cite le paragraphe 499 de ses Investigations philosophiques :

Lorsqu’on trace une limite, on peut le faire pour diverses raisons. Délimiter un emplacement par une barrière, une ligne ou n’importe quoi d’autre peut avoir pour but d’empêcher quelqu’un d’en sortir ou d’y entrer, mais peut aussi faire partie d’un jeu dans lequel par exemple les joueurs doivent passer par-dessus la limite2

3Le jeu, presque au sens où il y a du jeu entre les pièces d’un mécanisme, lui permet d’illustrer sa fameuse notion de Familieenwissenshaft/d’ « Air de famille » où l’unité d’un concept n’est plus assurée par une unique colonne vertébrale, un fil isolé reliant tous les états de choses, mais est à l’image de fibres différentes qui se chevauchent comme s’il s’agissait d’une corde, une tresse. En termes de condition suffisante et nécessaire, il est impossible de définir analytiquement le jeu, de dire que telle activité est, à coup sûr, un jeu et que telle autre non. En revanche, il est possible de l’attraper par quelque bout, quelque mèche de la tresse.

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4Force est donc de constater qu’une des caractéristiques essentielles du jeu est l’émotion qu’il procure, l’émotion que le joueur se procure devrions-nous presque dire, puisque, sans sa participation, il n’y a rien. Le fun anglais, le grad néerlandais chers à Huizinga le montrent bien, on ne peut jouer sans éprouver de la joie. La classification de Caillois insiste sur le caractère plus ou moins normé de l’activité qui se situe toujours entre Paîda, joie gratuite, autotélique comme une décharge extatique, un fou rire et Ludus comme la stratégie quasi politique du jeu d’échecs. Il ressort que, généralement, tout jeu, vidéo ou non, procure un cocktail d’émotions fortes qui composent avec la joie et la peur (« loup y es tu ? »). Comment pourrait-il y avoir de jeu si les joueurs agissaient froidement, dénués de toute passion ou d’intérêt, sans feintise ni attitude ludique ? En absence d’investissement émotionnel du joueur, le jeu vidéo n’est qu’un objet technologique froid, un amas numérique informe, comme le jouet délaissé par l’enfant n’est plus l’imposant monstre ou héros de ses fantasmes et retrouve son statut de matière.

5L’essentiel du jeu repose sur le joueur et ses émotions, non sur le jouet. Ce qui importe, ce n’est donc pas ce que le joueur fait effectivement dans le jeu, là où il est aisément remplaçable par des robots3 informatiques chargés d’œuvrer sa place, mais ce qu’il croit faire. Non pas les mouvements physiques qui apparaissent à l’écran, mais les mouvements intérieurs, psychologiques. Il n’est pas rare, à ce propos, de voir un enfant manipuler une borne d’arcade qui ne s’est pas mise en route et répète incessamment une même séquence de démonstration faute d’argent introduit dans le monnayeur. Bien qu’il ne joue pas vraiment au sens où ses actions sur le joystick et les boutons n’altèrent pas les images, il en a l’illusion, et, par là même, il est entré en jeu. Avant toute possibilité effective d’interaction avec le logiciel, l’essentiel du jeu est apporté par le joueur qui veut bien se rendre dupe d’images et croire aux entités fictives qui, sans lui, ne sont rien de plus que de l’information sans vie.  

6Mais attardons-nous de nouveau sur la classification de Caillois, où placerions nous les jeux vidéo ? Les images vidéoludiques sont des simulacres et donc relèvent de la « Mimicry ». Mais le programme informatique n’est pas un simple jeu de marionnettes, il est une partition, son caractère allo graphique au sens de Goodman (pour rappel autographique = peinture/allo graphique = partition/schéma) lui confère un statut sinon d’art, au moins d’œuvre, d’ouvrage. Les jeux vidéo relèvent de la représentation. Le programme informatique est un fantasme d’architecture où se répondent les mécanismes des algorithmes, et emporte avec lui les images, les graphismes qui apparaissent à l’écran, seules règles pour le joueur, une règle à la touffeur de l’image.

7Le graphisme, la musique, le rythme ainsi que, parfois, l’histoire qui nous est racontée dans le jeu ou au travers des cinématiques, sont, bien sûr, capables de véhiculer des émotions. Le jeu vidéo réinvestit pleinement les codes de la fiction narrative, passe à la moulinette topoi et clichés, pour se les approprier et faire naître des émotions plus subtiles que celles liées au gain et à la perte. C’est leur caractère actif qui distingue, néanmoins, les jeux vidéo des autres fictions. Le monde fictionnel n’est pas seulement décrit au moyen de textes ou d’images, mais d’un certain nombre d’actions possibles, prescrites par le logiciel. L’émotion fondamentale d’un jeu vidéo, d’où découlent toutes les autres, réside dans cette possibilité presque magique d’altérer les images à distance, d’agir en un monde fictionnel :

Ce  besoin de modifier les choses extérieures est déjà inscrit dans les premiers penchants de l’enfant ; le petit garçon qui jette des pierres dans le torrent et admire les ronds qui se forment dans l’eau, admire en fait une œuvre où il bénéficie du spectacle de sa propre activité4.

8Il s’agit d’un basculement important de la fiction, du scopique – où l’image lointaine ne peut qu’être contemplée – au tactile, où l’image n’a de cesse d’être manipulée. Le spectateur se fait acteur ; il est en immersion dans l’image. L’émotion du joueur n’est pas un simple mouvement en son âme, le joueur peut y répondre, et elle devient le moteur d’une réaction. C’est la raison pour laquelle on ne peut pas concevoir de jeu vidéo sans une interface minimale, push start. Les images ne se déroulent pas sans la présence effective d’un joueur attentif. Au cinéma, on attend que l’image se mette à bouger, après le générique et les logos de productions. Au contraire, le joueur attend la fin de la cinématique, le moment où l’image se fige enfin pour qu’il puisse en prendre le contrôle.

9Bien entendu, le joueur ne peut pas avoir une influence directe sur toutes les images, il en existe pourtant une, particulière, que nous pourrions appeler son corps, ou avatar, au moyen de laquelle il peut agir sur toutes les autres. Les sensations de ce second corps sont des données, elles-mêmes traduites au joueur au moyen d’images (barre de vie, de vigueur etc.), et de sons – gratifiants, lorsqu’ils le comblent ou le soignent (la prise d’un objet redonnant de la vie par exemple), alarmants lorsqu’ils le blessent ou le mènent à la mort (dans la série de Legend of Zelda5, une alarme se met en route lorsque Link, le héros, n’a plus beaucoup de cœurs). Le joueur fait pleinement machine avec son avatar et devient organe d’un corps plus vaste. Ainsi, comme le soulignent Jean-Baptiste Clais et Mélanie Roustan,

contrairement à l’idée reçue selon laquelle le joueur de jeu vidéo serait un « zombie » à qui un bon bol d’air frais ferait du bien, la pratique vidéoludique requiert une activité physique, et surtout un engagement total du corps perceptif6.

10Dans les jeux vidéo, lors des séquences de jeu intenses et rythmés, le joueur trouve une excitation d’ordre physiologique, une émotion au sens animal, qui n’est même pas un sentiment, davantage de l’ordre du pré-sentiment, l’explication darwinienne, téléologique des émotions, notre set physiologique qui nous prépare à la fuite ou au combat (fight or fly) dans la vie réelle, mydriase oculaire, diminution de la salive, transpiration etc., séquences qui alternent avec d’autres plus lentes ou des haltes (niveaux, séquences cinématiques) où le joueur peut se relâcher et voir son système parasympathique activé. Nous retrouvons ici les émotions proches de celles que procurent les attractions de fête foraine et leur jeu permanent sur la tension et la détente. Il faut donc prendre garde à ne pas aller trop vite et avancer cette équation : jeu vidéo = cinéma +action en négligeant l’autre filiation des jeux vidéo : non plus le spectacle mais le spectaculaire, le vertige de l’ « Illinx ». Les jeux de fêtes foraines, ceux qui peuvent faire vraiment mal, assommer le joueur sont aussi les ancêtres du jeu vidéo et illustrent sa volonté de proximité tactile, physique avec le joueur. Comme le remarque David Parisi7, on connaît dès le xixe siècle des jeux électriques, la Vénus électrifiée de Mathias Bose, où il s’agissait de résister à un baiser chargé d’un courant électrostatique, l’impérial shocker8 au début du xxe siècle et la gamification de plus en plus importantes d’une électrothérapie de choc avec la borne Spear The Dragon9.

11Le mouvement vidéoludique est nécessairement dirigé vers un but, pour qu’il y ait quelque ressort au jeu bien sûr, mais ne serait-ce que pour comprendre le mouvement qui va de A à B. Je cite Deleuze dans L’Image mouvement :

Si je considère des parties ou des lieux abstraitement A et B, je ne comprends pas le mouvement qui va de l’un à l’autre. Mais [je le comprends] si je suis en A affamé et qu’en B il y a de la nourriture10.

12Les jeux vidéo ont ainsi de grandes affinités avec le schéma de production du travail. Le joueur trouve alors toutes les émotions liées à l’exécution d’une tâche, le plaisir à être absorbé, tout tendu vers un but, la frustration de l’échec et la gratification du succès, ponctuée à grand renfort de sons et d’images. La plupart des jeux vidéo de rôle épousent en ce sens la forme générale de la Bildung. Le héros, faible au départ, doit augmenter sa puissance en réalisant des quêtes et en se battant contre des monstres ou d’autres joueurs, ce qui lui rapporte pièces d’or, objets magiques et autres points d’expérience (XP) ou d’honneur. Ce plaisir, lié à l’accumulation de richesse et de puissance, fournit une image rassurante de la progression et explique pour partie l’addiction à certains jeux vidéo qui n’en finissent jamais, où il est toujours possible d’obtenir un peu plus, d’augmenter la puissance de son avatar. Les travaux de Bluma Zeigarnik en psychologie dans les années trente11 montrent qu’une tâche inachevée laisse une trace plus importante dans la mémoire, un sentiment d’inachevé, d’incomplétude qu’il s’agit de résoudre. L’émotion du jeu ne réside pas dans le voir, mais dans le faire. Ce que les jeux vidéo représentent, ce sont donc aussi des actions, des « faire machine avec », l’image devenant outil, vecteur prescriptif fermé plutôt que contemplation ouverte.

13La technologie qui permet d’emmagasiner les données du joueur et, donc de sauvegarder la partie, a permis de développer des jeux qui se construisent au long cours. Il est possible de jouer – on pourrait dire « construire » – pendant plusieurs centaines d’heures, voire consacrer le temps libre de plusieurs années dans le cas des MMORPG, à un même jeu, un même avatar. L’investissement affectif est donc d’importance, ce qui explique que la perte des données peut être un événement traumatisant, comme si un important travail s’effondrait en quelques instants. Il existe dans le jeu Diablo III12un mode de jeu « hardcore » où quand le joueur perd, son avatar meurt « vraiment », c’est-à-dire qu’il n’est plus possible de rejouer avec lui. On peut voir sur Internet la partie d’un joueur particulièrement aguerri à ce jeu (Krippi), qui avait réussi à monter à force de temps et de concentration son personnage jusqu’au niveau 60 dans ce mode, et lire l’infinie détresse sur son visage lorsqu’il est finalement abattu d’une flèche13. De même, le célèbre concepteur de jeu vidéo Kôichii Ishii raconte, dans un documentaire récent14, que la seule chose qui fonctionne pour inciter son fils à arrêter de jouer consiste à le menacer d’écraser toutes ses données.

14L’implication forte du joueur sur la fiction peut le rendre davantage réceptif et à fleur de peau que le spectateur d’un film, qui se trouve plus à distance. Le joueur est plongé dans le cercle magique du jeu et tend à oublier l’espace et le temps « profane ». Cela ne veut pas dire qu’il existe un danger plus important de confondre fiction et réalité, comme l’accident qui guette le spectateur d’une éclipse, mais que l’émotion se transmet différemment que dans les autres fictions. Le travail mené en psychologie par Vanessa Lalo s’attache à montrer l’important transfert que font certains joueurs de MMORPG sur leur avatar, ou plutôt la complexité de leur relation quasi symbiotique. Un joueur qu’elle interroge a du mal à contenir ses émotions à la simple évocation de ses années à jouer à Final Fantasy xi15, un MMORPG où il affirme avoir ressenti de l’amour pour d’autres avatars.

15Sans aller jusque là, jusqu’à la limite pathologique, il est vrai que les jeux nous ont prouvé qu’ils étaient capables de faire passer des émotions plus fines que l’excitation de la violence, ou le plaisir fugace de manipuler quelques instants une machine électronique. En accouplant les codes des fictions au Gameplay vidéoludique, le joueur devient partie prenante des émotions qui sont suscitées en lui.

16L’effroi produit par la ritournelle chantée par une petite fille et le brouillard enveloppant, topos du genre au cinéma, est décuplé dans Silent Hill 216 car le joueur ressent le danger au plus près. Le ressort qui consiste à tuer un personnage principal au milieu de la narration est également largement exploité dans le jeu vidéo comme dans Final Fantasy vii17où la marchande de fleurs, Aerith, se fait tuer par le diabolique Séphiroth. Le sentiment de vengeance sera d’autant plus important que le joueur aura fait progresser ce personnage jouable.

17De nombreux joueurs ont éprouvé de la tristesse à la fin de Ico18, lorsque le héros est finalement contraint de lâcher prise et de laisser la petite fille (Yorda) qu’il était chargé de protéger, se sacrifier pour lui. Cette émotion n’est pas seulement le résultat de la dernière cinématique mais également, comme Eric Viennot l’a soutenu lors d’une conférence19, le produit de toutes les heures de jeux occupées à tenir par la main Yorda pour la protéger des ombres.

18Plus encore, ce peut être une définition du post-modernisme : l’image tactile. L’image performée. En un mot, dans un jeu, ce n’est pas ce qui est dit qui fait sens, mais ce que je fais, la carte que je joue, l’instant où je commande à Mario de sauter. Dès lors, ce sont tous les rapports qui s’inversent, de l’image qui permet une contemplation, nous passons à l’information, au signal, qui prescrivent une opération.

Au moment où le toucher perd pour nous sa valeur sensorielle, sensuelle (le toucher est une interaction des sens plutôt qu’un simple contact de la peau et d’un objet), il est possible qu’il redevienne le schéma d’un univers de la communication – mais comme champ de simulation tactile et tactique, où le message se fait « massage », sollicitation tentaculaire, test20.

19Les jeux vidéo remplissent une fonction de conte, mais ce n’est plus la voix, ce ne sont plus le texte, les images, le spectacle de lanterne magique, c’est le programme. Et un programme ne traite pas avec des images, mais avec des données. La représentation, se faisant numérique, modelable comme une pâte, les signes se démocratisent, s’échangent comme dans une bourse, s’accumulent, se capitalisent, et Baba Yaga de côtoyer Thor, Mario et Dracula. Le vidéoludique est une désacralisation de l’image, une profanation du noli me tangere qu’elle a écrit fort lisiblement sur son front. Une image devient une étiquette aux significations diverses, combien de vie, combien de points, une coordonnée dans un espace 3D. L’équivalence des données, la quantification permet de tout représenter, de tout faire avec trois boutons. Les actions du joueur ont des conséquences, le dilemme éthique n’est pas un jugement mais reste tributaire d’une décision, d’un choix effectif qui change le cours de la narration. Dans Heavy Rain21 où l’on change le karma de l’avatar, et les réactions des PNJ (personnages non joueurs marchand, sorcier, ami, ennemi etc.) dans Fallout 322.

20Mais ce que le jeu vidéo est le plus à même de représenter, c’est lui-même en tant qu’espace, étendue ou architecture virtuelle comme l’image d’un monde flottant. Si les signes ont cessé de signifier pour opérer, ils finissent inévitablement par devenir signes d’eux mêmes comme le montre le mouvement de rétro-gaming. Les références qui se font de plus en plus lointaines et subtiles concernent de plus en plus le genre vidéoludique lui-même plutôt que la mythologie des clichés post-modernes. C’est le refus de la texture réaliste qui imite la continuité de la perception, l’image filmée, mais le pixel, le bout insécable, l’atome d’information assumé. Le jeu vidéo est avant toute chose un sentiment d’architecture, un trajet, une promenade dans des forêts d’information aux perspectives diverses, 2D, isométrique, à scrolling, 3D, etc. Les petits bouts d’information comme des outils ou vecteurs, sens et direction.

21Joueur c’est parcourir des étendues désertiques,  des plaines d’information où l’on peut se faire interrompre/attaquer à tout moment (on pense au système de combat de final fantasy) par un troll (World of Warcraft23) ou au besoin un colosse (Shadow of collossus24).

22L’émotion d’un agencement de figures géométriques simples hantées par Myst25 et Tétris26 dans  FEZ est en ce sens admirable, l’espace se découvrant au fur et à mesure que le joueur en dévoile les plis, toujours plus nombreux.

23D’autres jeux encore proposent d’autres représentations mémorables de l’espace comme le célèbre Flower27, dans lequel le joueur incarne le vent qui pousse les pétales de fleurs, qui nous fait ressentir toute la dimension du paysage et nous procure, aidés par la musique, un sentiment de plénitude. Le studio qui a produit ce jeu est connu pour essayer de mettre au centre de l’expérience vidéoludique la poésie. Ils examinent ainsi l’importance de la mécanique de jeu, ou gameplay, qui suggère au joueur d’adopter tel ou tel comportement. Ils ont dû, en ce sens, faire quelques ajustements sur le gameplay de leur dernier jeu important Journey28, afin de mettre pleinement l’accent sur la communication et non sur la destruction,  cette possibilité, non désirée par le concepteur, étant apparue comme une stratégie possible, exploitée par les joueurs. Le gameplay seul est capable de changer les comportements du joueur et de susciter des émotions. Dans Ico par exemple, son originalité, que David Jerome29 résume par le terme de holding, suffit à faire naître un fort sentiment de responsabilité et de protection. C’est le résultat d’un gameplay subtil qui représente quelque chose du care, du réflexe de grasping primordial

24Au-delà de l’émotion esthétique, les possibilités de narration vidéoludique, permettant une forte implication émotionnelle, intéressent de plus en plus les concepteurs désireux de partager une expérience difficile ou d’aborder des sujets complexes avec réalisme, comme le cancer (That dragon, cancer30), la dépression (Depression Quest31) ou encore l’alcoolisme (Papo & Yo32). Ces jeux vidéo, dits « d’empathie », remplacent les témoignages poignants et autres récits autobiographiques, le média vidéoludique apparaissant de plus en plus naturel pour transmettre une émotion, aussi complexe soit-elle.

25C’est que, et ce sera notre conclusion, l’émotion joue tout à la fois le rôle d’ « impulse » (sans joie pas de jeu) et se trouvent décuplée dans l’illusion d’agir, l’illusion de choisir, de construire, l’impression de créer. La création d’un espace fragmentaire dans laquelle le montage ne se fait pas simplement temporel mais aussi spatial, et fonction des actions, des réactions d’un spectateur-acteur, d’un joueur.