Colloques en ligne

Christine Noille-Clauzade, université Stendhal (Grenoble III)

« Le crime en son char de triomphe » : à quoi servent les mauvais exemples ?

1La fiction du XVIIe siècle aime les monstres, et pas seulement à la période dite hâtivement « baroque » : aux monstres de chair succèdent des monstres de vice, et de la poésie à la prose romanesque, du poème dramatique à la tragédie lyrique et à l’opéra, le motif du monstrueux exemplaire persiste par-delà les multiples options poétiques d’un siècle foisonnant. Notre projet ici est de nous demander selon quel modèle conceptuel penser une exemplarité susceptible d’autoriser son application à la monstruosité.

2Pour ce faire, nous commençons par répertorier quelques grands modèles épistémologiques qui ont pris en charge la pensée de l’exemplaire (le modèle rhétorico-logique, le modèle homélitique), avant d’en expérimenter les limites pour l’objet paradoxal et extrême qui nous occupe, et de proposer, à titre d’hypothèse, un contre-modèle rhétorique, issu d’une tradition rhétorique étrangère à la tradition « centralisatrice » aristotélo-cicéronienne. Car il est toujours possible d’appréhender le singulier non seulement en le mesurant comme écart par rapport à un mode de pensée dominant, mais en l’ouvrant à des régulations épistémiques alternatives, ce qui est une façon de renouveler la production des modèles eux-mêmes, pour aborder, dans sa diversité, un siècle trop souvent encore nivelé – y compris par notre pensée « médiane » de ce que peut être « la » rhétorique.

3A quoi servent en effet les mauvais exemples ? Nous proposons de rapprocher le fonctionnement rhétorique et herméneutique des mauvais exemples du régime général de l’épidictique (en tant qu’il vise à « persuader ceux qui pensent comme nous », pour reprendre une formule de H. U. Gumbrecht) : car pour les mauvais exemples aussi, il existe bien une dimension pragmatique seconde, moins visible et moins lisible que celle qui prévaut à l’exemplarité de la similitude et à la théologie de la reproduction qui lui est associée. Le singulier, le malheureux, le monstrueux emblématisent l’exemplarité paradoxale d’un monde sans exemples, où l’inouï est de nouveau possible : l’exemplarité du singulier aboutit à la confortation d’une épistémè de la séparation et de la perte des repères.