
Partir d’un album photographique de la fin du XIXe siècle comme d’une sorte de ready-made et en révéler la force poétique par un poème intercalé entre les photographies, voilà le geste radical de cet album inédit de Ghérasim Luca. Il témoigne d’une pratique importante dans l’oeuvre du poète, celle du livre-objet qui s’étend des années 1960 au début des années 1980.
Fidèle à la tradition surréaliste inaugurée par André Breton et revendiquée dans Nadja, il glane journaux et livres aux Puces de Saint-Ouen, à la recherche de reproductions de peintres classiques pour ses cubomanies ou, comme c’est le cas ici, d’albums de photographies anciennes sur lequel il intervient, créant un décalage entre l’objet originel et le poème.
À partir d’une matière première, d’une trouvaille qui existe et possède en elle-même une signification, Luca va « remotiver » entièrement l’objet ou l’oeuvre en la redynamisant par une contestation des formes poétiques habituelles et une condensation extrême du slogan. La poésie sans langue est l’un de ces albums revisités qui, dans le décalage entre les photographies délavées aux présences quasi-spectrales et la portée révolutionnaire du poème, dynamite les lieux devenus communs du surréalisme et impose la force subversive de son geste poétique.