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Nouvelle parution
Filip Brunea-Fox, Un pogrom à Bucarest, récédé de Cinq jours chez les lépreux et autres reportages

Filip Brunea-Fox, Un pogrom à Bucarest, récédé de Cinq jours chez les lépreux et autres reportages

Publié le par Marc Escola

Dans ses reportages, F. Brunea-Fox s'intéresse, sur un ton volontairement polémique, voire pamphlétaire, aux marges et aux exclus de la Grande Roumanie entre les deux guerres mondiales. Les textes choisis, parmi les plus célèbres de l'auteur, évoquent des mondes disparus : les lépreux de Bessarabie, l'île turque d'Ada Kale, les juifs du Maramures... Ce talent de reporter, comparé à celui d'Albert Londres, se retrouve encore dans Orasul macelului, son témoignage sur le pogrom de 1941 à Bucarest, qui constitue un document historique de premier ordre.

Ce texte avait été publié dès 1944 préfacé par A. L. Zissu, l'écrivain et journaliste porte-parole de la communauté juive roumaine. Il est pour la première fois traduit en français.

On peut lire sur en-attendant-nadeau.fr un article sur cet ouvrage :

"La destruction des Juifs de Roumanie (264 900 sur 604 900) pendant la Seconde Guerre mondiale a été principalement l’œuvre, de 1940 à 1944, des Roumains non juifs, de leurs bandes fascistes et du dictateur Antonescu allié à Hitler. L’événement a été documenté en détail, dès 1946-1948, par l’avocat Matatias Carp, mais son rapport, Cartea Neagra (Denoël, 2009), a immédiatement été étouffé par les communistes. Il a fallu attendre les années 1990 pour que ça change et que d’importantes recherches mettent au jour la réalité du génocide.

Après d’intenses persécutions dès septembre 1940, la Shoah commence par un grand massacre, à Bucarest les 21-23 janvier 1941, perpétré par les fascistes de la Garde de fer. Plusieurs récits l’ont décrit, celui du journaliste Filip Brunea-Fox publié dans ce livre est exceptionnel. Juif, grand journaliste de l’entre-deux-guerres, apprécié pour la qualité de ses reportages (plusieurs sont publiés dans ce volume), ami de Benjamin Fondane, Brunea-Fox se trouve chez lui, au cœur du quartier juif ravagé par la fureur des pogromistes. Il tient un journal, entend ce qui se passe sans pouvoir sortir, puis découvre l’ampleur des pillages et de la tuerie. Les commerces sont saccagés et vidés de leurs marchandises, les commerçants assassinés. Devant la férocité des tueurs, les cadavres torturés, les visages défigurés à coup de massues ou de pieds de biche pour récupérer les dents en or, il ne cesse de se répéter : « D’où peuvent venir une telle haine et une telle cruauté ? Dans quels tréfonds préhistoriques ces gestes cannibales, cette soif inextinguible du sang, cette passion féroce devant le spectacle d’une déchirante agonie, tourmentée, prennent-elles racine ? »

Il découvre des dizaines de corps nus, éventrés ou défigurés, abandonnés dans la neige de la forêt de Jilava. Il y reconnaît des amis, des proches. Il constate la passivité ou la complicité des voisins, notamment cette « distinguée professeure de l’école de filles du quartier » qui, « venue avec un landau et une domestique », pille les rayons d’une épicerie. « Pendant trois jours et deux nuits, conclut le journaliste, la population juive de la capitale fut abandonnée aux pillages et aux crimes. » Un document à ne pas oublier lorsqu’on réfléchit à la fureur antisémite. — Jean-Yves Potel