Acta fabula
ISSN 2115-8037

2021
Décembre 2021 (volume 22, numéro 10)
titre article
David Lombard

Aux origines du nature writing : découvrir, écrire & penser la wilderness américaine aux XVIIIe et XIXe siècles

At the origins of nature writing: discovering, writing & thinking about American wilderness in the 18th and 19th centuries
Sébastien Baudoin, Aux origines du nature writing, Marseille : Le mot et le reste, 2020, 348 p., EAN 9782361396473.

1Comme l’avait souligné Pierre Schoentjes en 2015 dans son Essai d’écopoétique, l’ecocriticism, ou « l’étude de la littérature dans ses rapports avec l’environnement naturel », tire ses racines aux États-Unis, là où le peuple Américain profitait déjà d’une abondance d’œuvres de nature writing et d’un paysage naturel éblouissant qui avaient contribué à l’établissement d’un sentiment identitaire national1. Dans la continuité de P. Schoentjes, Sébastien Baudoin entreprend avec Aux origines du nature writing une étude cosmopolite du genre de « l’écriture de la nature », en y inscrivant deux auteurs français, François-René de Chateaubriand (1768-1848) et Alexis de Tocqueville (1805-1859), aux côtés de deux figures déjà largement étudiées dans le vaste et florissant domaine des humanités environnementales, à savoir William Bartram (1739-1823) et Henry David Thoreau (1817-1862).

« Colons » ou « penseurs » ?

2En trois denses chapitres, S. Baudoin examine minutieusement ce qui constitue l’approche esthétique de chacun de ces écrivains de la nature en y révélant points communs et idiosyncrasies. Tout d’abord, par rapport à l’habillage contextuel chargé de la nature, l’auteur souligne à juste titre la complexité de traduire ou de définir le terme wilderness en français, finalement utilisé « pour désigner l’espace sauvage américain tel qu’il se présente dans sa dimension désertique, terre à conquérir pour le colon », dans ce cas fortement influencé par l’idéologie de la frontière et la conquête de l’Ouest, « ou à appréhender de manière esthétique par le voyageur épris de grands espaces » (p. 11). Plus que « pionniers », les quatre auteurs sont « penseurs » et envisagent la nature comme laboratoire de « réflexions profondes », surpassant la rhétorique du colon dans leur volonté de transformer la wilderness en « espace foncièrement politique » (p. 12-13)2. Au sein de la wilderness, les auteurs du corpus de S. Baudoin voient également une « chimère », celle de « la pureté du wild » (p. 16) ou de la nature dans son état le plus sauvage, qui demeure un aspect prépondérant dans les textes de nature writing. Cette idée d’une nature pure ou intacte, non souillée par la main de l’homme, sert aussi à renforcer une dichotomie entre civilisation et nature, entre le monde corrompu de l’humain et le paradis terrestre offert par la nature, qui rappellera pourtant « l’impasse et l’illusion de la wilderness » (p. 17)3. Le continent américain, comme le souligne l’auteur, est aussi le paysage idéal pour ces penseurs, étant le véritable symbole de cette idée que l’historien de l’environnement Donald Worster définit comme le jardin d’Éden restauré, une vision beaucoup moins crédible aujourd’hui qu’à l’époque de l’expansion coloniale4.

« Parcourir » : un premier contact avec l’Éden américain

3Le premier chapitre, intitulé « Parcourir », envisage les rencontres des quatre auteurs avec le monde naturel américain, chacun à la suite de l’autre en commençant par Bartram et en terminant par Thoreau – structure limpide répétée dans les deux chapitres suivants.

4La section « Figuration du voyageur » annonce l’importance de cette notion de « voyage », de découverte, ou encore de cette volonté de mieux appréhender « ce lien fondamental qui lie l’homme à la nature » (p. 41). Bartram y est décrit comme le naturaliste qui tente de rassembler, dans ses Voyages (1791), les pôles empiriques et idéalistes ou « spirituel et scientifique » (p. 22) en étant à la fois « attentif et sensible » (p. 21)5. Il s’agit d’un premier cas qui sert déjà à mettre en exergue une série d’aspects importants dans la démarche du nature writing, c’est-à-dire l’isolement et la solitude en tant que prémices du développement d’une « connaissance intime » (p. 23) de la nature ainsi que l’aspect du « pittoresque » ou de la « réappropriation du visible en lisible » (p. 24) à travers l’écriture6. Outre le pittoresque, S. Baudoin cite brièvement la notion de « sublime », et en particulier son interprétation burkienne (en référence au philosophe irlandais Edmund Burke [1729-1797]) comme suscitant la terreur, l’horreur ou un sentiment d’insécurité chez le spectateur, qu’il liera également à l’expérience thoraldienne du monde naturel, mais sans se heurter à des considérations scientifiques hasardeuses qui sont développées plus loin7.

5Voyage en Amérique (1828) et Mémoires d’outre-tombe (1848) sont les premiers livres de Chateaubriand dont traite l’auteur. En offrant un certain « panorama historique » (p. 25), S. Baudoin souligne que Chateaubriand adopte non pas une position de naturaliste mais une « fonction d’historien » (p. 27). Comme Bartram, Chateaubriand ne s’en tient pourtant pas aux faits historiques ou scientifiques et se risque à des descriptions poétiques novatrices qui visent à rendre compte, dans la mesure du possible, de son ressenti face à une nature sublime, étrange et imposante. La « tristesse du bonheur » est un parfait exemple oxymoronique du rôle assumé de poète de Chateaubriand et qui trahit une volonté de se livrer « pleinement à l’âme » et de « se sentir vidé de la civilisation » (p. 29), ce que l’auteur identifiera dans le troisième chapitre comme sa « déception à l’égard des hommes qui détourne Chateaubriand d’eux et le tourne volontiers vers son paradis intérieur de la nature américaine » (p. 244).

6Les œuvres Quinze jours dans le désert (1861) et Course au lac Oneida (1861) de Tocqueville suivent la même transition du rôle d’historien à celui de poète. D’abord rigoureux dans les détails, et dans sa recherche de compréhension du monde sensible, Tocqueville voyage « pour voir » et « constater de visu ce qu’est la wilderness » (p. 31). Tocqueville évitera néanmoins la solitude ou l’immersion dans la nature et se contentera, du moins pour l’instant, d’une observation distante, elle aussi typique de l’esthétique du sublime.

7Appartenant à un contexte culturel et philosophique différent, Thoreau se rapproche de son mentor, Ralph Waldo Emerson, en recherchant la transcendance dans le milieu naturel. À cause de cette influence, l’auteur défend que Thoreau préconise le visuel pour l’appréhension de la wilderness8. Comme l’auteur le souligne, Thoreau est aussi « poète-marcheur » (p. 38) dans la mesure où la marche devient pour lui un véritable exercice philosophique dans la nature, qui permet « le mouvement de l’esprit » vers une vérité, une compréhension du « soi » toujours plus « profonde » (p. 70).

8La marche n’est néanmoins pas le seul moyen de découvrir la nature sauvage. La section suivante, « Des itinéraires balisés ? », présente le fleuve et la navigation comme alternatives pour sortir des sentiers battus tout en s’immergeant dans la nature sauvage, permettant ainsi une « expérience de communion avec le monde naturel » pour Chateaubriand et Thoreau alors que Tocqueville y voit une « épreuve » ou une « accumulation de difficultés » (p. 66). Pour Bartram, la wilderness préserve un « caractère indomptable » (p. 42), et c’est lui qui expose les divers « moyens employés par le voyageur naturaliste pour [la] traverser » (p. 43). Le moyen qui est le plus fréquemment cité et qui demeure le plus poétique est la navigation, et il resurgira dans les analyses des trois autres auteurs. Dans son « Journal sans date », par exemple, Chateaubriand discute de « la réalité géographique des lieux », d’abord des fleuves et des courants, puis des sommets et de la vue panoramique (p. 52-53). Chateaubriand, à travers cette expérience, frôle le péril du « sublime épique » (p. 55) et amène S. Baudoin à interpréter « la navigation fluviale » chez Chateaubriand comme « la modalité par excellence de la traversée de l’espace, de l’euphorie cosmique » (p. 56). Cette approche permet à Chateaubriand de se mêler aux dimensions harmonique et rythmique du monde naturel dans l’optique d’abaisser les frontières cartésiennes établies entre le mental ou l’esprit et le corps. Pour Thoreau, la marche se convertit également en dérivation alors qu’il prend les éléments naturels comme guides de son expérience empirique qui devient aussi symbolique. En effet, S. Baudoin lit Un Yankee au Canada (1866) de Thoreau comme une démonstration que les frontières nationales peuvent s’abaisser dans la mesure où l’américain ou « yankee » est « noyé parmi tant d’autres » (p. 78), chez lui partout dans la nature.

« S’ensauvager » : polysémie du wilderness primitif

9Tantôt désert dans la Bible, tantôt lieu « où vivaient les bêtes sauvages » (p. 86) si l’on considère son étymologie, le concept de wilderness reste difficile à traduire dans la langue française, et à cerner parfaitement dans toutes les langues. L’auteur rappelle dans le deuxième chapitre, « S’ensauvager », que la wilderness est souvent liée à l’idéologie de « frontière » ou de conquête et de domestication de l’espace naturel ou alors, quand l’aspect « spirituel » intervient, ce qui est souvent le cas avec les auteurs étudiés, à l’« idéal pastoral » de « communion harmonieuse avec la nature » (p. 88). Les auteurs emploient aussi des termes variés pour définir les notions de « sauvagerie » mais aussi de nature et de wilderness, une typologie qu’il convient d’examiner dans une étude comparative de leur esthétique du monde naturel.

10La définition de wilderness comme « désert » est d’abord analysée par l’auteur. Comme il l’évoque, le désert signifie la « parfaite solitude » (p. 91) pour ces écrivains de la nature, mais aussi un lieu sauvage ou « inculte » (p. 92) car il n’a guère encore été domestiqué. Synonyme d’« angoisse de l’égarement et du vertige », le désert est aussi un « espace vide à combler » soit par une présence physique, par la colonisation, ou par l’« imaginaire et l’esprit » (p. 94), grâce à l’interprétation et à la production de sens. Faisant écho à Chateaubriand et à sa « tristesse du bonheur », Tocqueville crée, par exemple, un autre oxymore, celui des « déserts fleuris », qui illustre les produits de cette imagination de l’esprit, de l’admiration du « charme » ineffable du désert de la wilderness dans la mesure où ces déserts possèdent des « beautés originales » capables de compenser son caractère « inculte » (p. 100-101).

11Le désert suscite également un attrait pour la solitude chez les quatre auteurs. Par exemple, Chateaubriand associe sa recherche d’une expérience optimale du milieu naturel sublime à une recherche de la « quiétude absolue » (p. 102). Ce sentiment de tranquillité est souvent accompagné du silence, élément paradoxal car il procure tantôt l’appréciation du voyageur, tantôt la naissance de « la terreur burkéenne du sublime » (p. 105), c’est-à-dire tantôt le « locus amoenus » ou « lieu agréable » du pastoralisme, tantôt « l’enfer du soi pour soi, du soi contre le monde » (p. 108) ou contre un sentiment d’impuissance et d’insignifiance face à un vaste monde naturel qui relève de l’œuvre divine.

12Dans la dernière section intitulée « Des sauvages et de la sauvagerie », l’auteur compare les représentations des Indiens d’Amérique, lesquelles s’éloignent de la vision coloniale euro-américaine. En effet, les auteurs suggèrent une opinion progressiste à laquelle le lecteur d’aujourd’hui ne restera pas insensible. Par exemple, S. Baudoin remarque que, pour Chateaubriand, la sauvagerie est synonyme d’une « primitivité de l’Amérique » (p. 110), mais que la pure sauvagerie n’est que chimère car « ce qui est sauvage ne l’est que pour l’homme civilisé » (p. 111). Dans cette argumentation, l’Indien ne pourrait pas voir la nature comme « sauvage » car il n’est pas « civilisé » aux yeux des Euro-Américains, ce qui laisse entendre que Chateaubriand s’intéresse au sort des Indiens d’Amérique. Assumant sa position d’« esthète », Tocqueville ne sera pas non plus dégoûté par la nature sauvage mais émerveillé alors qu’il adopte une position d’« ethnologue » (p. 129) en observant et décrivant les Indiens. Côté thoraldien, enfin, S. Baudoin rappelle que l’idéal de la wilderness est une nature « inhabitée » ou « désolée » (p. 117). Cependant, Thoreau semble abaisser les barrières ontologiques séparant la nature de la civilisation ou, autrement dit, l’être civilisé de l’être naturel ou sauvage. Son procédé de déconstruction du mythe du « sauvage » entend que l’homme fait inéluctablement partie de la nature, et ne peut en être exclu, ce qui permet de démystifier par la même occasion l’opposition problématique entre nature et culture9. Ce qui intéresse davantage Thoreau, c’est la « quête du primitif », c’est-à-dire chercher les signes de la nature dont le poète devient « traducteur » (p. 121). Le sauvage pour Thoreau est aussi symbole de « liberté naturelle » (p. 130), c’est un « alter ego », un « hors de lui » dont il fait pourtant aussi partie (p. 132). Pour lui, ce ne sont pas les Indiens qui sont sauvages car la nature, et donc l’ensemble de la civilisation et du monde naturel, est elle-même « sauvage ».

« Rêver » ou (ré-)imaginer forêts, déserts, fleuves, & lacs

13Le dernier chapitre comporte trois axes d’analyse correspondant à trois paysages et à trois sections spécifiques : « La forêt », « Le désert », et les « Fleuves [et] lacs ».

14Chez Bartram, la forêt symbolise le « gigantisme » (p. 133) exprimé principalement à travers l’esthétique du sublime, et c’est dans « l’association heureuse de la forêt et de la plaine » qu’il découvre une certaine « harmonie » (p. 136). D’une manière similaire, Chateaubriand voit dans la forêt « un lieu qui catalyse la vie sauvage et exprime sa parfaite symbiose » (p. 143), mais il prêtera une attention particulière à d’autres aspects tels que les « inflexions chromatiques » (p. 144) qui enrichissent la beauté de la nature. Déjà saillante à travers l’ouvrage, l’approche comparative et dialectique de S. Baudoin est d’autant plus remarquable lorsqu’il observe certains points communs tels que le « motif bartramien de l’arbre-colonne comme analogie de référence pour désigner les beaux arbres qu’il croise sur son chemin », aussi utilisé par Chateaubriand, ou cette « poésie chromatique » qui sera aussi répétée par Thoreau. Thoreau, Tocqueville et Chateaubriand partagent aussi à leur tour les métaphores et les comparaisons reliant nature et architecture, qui préfigurent la notion de « sublime technologique » ou ce que l’auteur décrit comme « une transposition de la beauté du monde civilisé » (p. 184)10. Chateaubriand se démarque peut-être davantage dans sa perception de la forêt comme symbolisant un retour « aux sources de l’Ancien Monde » (p. 148), ou un moyen de frôler « les limites de l’existence » (p. 150). Alors que Tocqueville réitère ses descriptions du sublime burkien avec, par exemple, un silence synonyme d’absence du créateur et d’« angoisse » (p. 155), Thoreau trouvera dans la forêt de Walden (1854) un « refuge », ou « un lieu de parcours » comme dans l’essai Marcher (1862). Loin d’être un « espace hostile » (p. 162), la forêt apporte à Thoreau un moment de liberté et une « reconnexion avec l’essentiel » (p. 166). Dans cette redécouverte de l’essentiel, Baudoin souligne également l’indéniable apport du transcendantalisme émersonien et plus précisément de son concept individualiste de « self-reliance » pouvant se traduire par une recherche d’émancipation et d’autonomie dans la nature11. La nature devient alors pour Thoreau un tremplin vers l’épanouissement intellectuel et spirituel.

15Il est aussi question du thème du sublime, décidément récurrent dans les œuvres des quatre auteurs, dans la section dévouée au désert. Bartram, par exemple, parle de « l’horreur sublime » (p. 212) qui est rendue possible dans des solitudes qui peuvent finalement s’avérer « dangereuses » (p. 204). Dans les explications de S. Baudoin, le sublime devient presque une stratégie utilisée par l’« homme cultivé » qui est présenté comme l’unique personne capable de percevoir « l’originalité d’une nature dont il est totalement étranger » (p. 201). Dans le cas de Chateaubriand, la solitude n’est pas « subie » (p. 218) mais appréciée, bien que cet attrait ne soit « qu’un rêve » (p. 223). Plus qu’une stratégie, la nature sublime pour Chateaubriand devient une « leçon d’humilité » (p. 224) face à des proportions démesurées entre un spectateur minuscule et une nature immense. Le langage et les descriptions de la nature sont alors employés, comme par Bartram, pour sublimer les ruines du désert de la nature et leur donner une apparence onirique et rassurante. Dans cette expérience d’humilité, où le langage n’est pas suffisant pour traduire l’œuvre merveilleuse du divin, l’auteur prend pourtant le risque de parler de « naissance du nature writing » lorsque cet intérêt pour la description de la nature surpasse les considérations et craintes coloniales par rapport à une nature pas encore dominée. Tocqueville ne voit pas non plus l’horreur dans ses « déserts fleuris », mais bien un sublime « plus calme et lumineux » qui pourrait laisser présager, selon l’auteur, une pensée proto-écologique, et plus certainement « une marche vers la démocratie » lorsque « les eaux de la Saginaw » se déversant dans le désert sont utilisées comme métaphore pour « l’avancée de la civilisation » (p. 257). Thoreau évite quant à lui la politique et opte à nouveau pour l’esthétique avec ses oxymorons de « désert séduisant » et de « belle désolation » (p. 270) alors qu’il persiste à ne pas discriminer la nature dans ses variations les plus étranges.

16Les fleuves et les lacs n’apportent pas de résolution harmonieuse pour Bartram et Chateaubriand comme ils le font pour Thoreau. Si Bartram poussera l’exercice poétique à son paroxysme en représentant la « pureté morale autant que physique » de la wilderness à travers le symbolisme d’une « rivière transparente » (p. 281) ou encore l’idée du « visible passant à l’invisible » (p. 287), l’auteur maintient que le sublime chez Bartram démontre un « rapport de force inégal » (p. 293) entre l’être humain impuissant et dominé par un fleuve qui ravage les rives12. Chateaubriand, lui, tente de s’approprier ce « gigantisme par l’écriture » (p. 297), une esthétique qui se rapproche de celle des romantiques. La nature dévoile alors un « double visage » qui, comme l’explique S. Baudoin, ne relève pas d’une contradiction mais complète les descriptions poétiques dans l’optique de minimiser la victoire écrasante du sublime naturel sur l’humanité. Davantage politisé, Tocqueville juxtapose les registres du sublime et du beau pour forger une « métaphore d’un état social » entre Indiens et Européens civilisés qui deviennent « deux fleuves parallèles » (p. 313), pas si différents mais qui ne se mêleront probablement jamais. Le lac de Walden incite également Thoreau à rêver lorsqu’il fait office de « miroir » (p. 335), poussant le jeune transcendantaliste à l’introspection dans son refuge naturel.

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Marcher & naviguer vers d’autres « Perspectives »

17Aux origines du nature writing répond à l’appel de Pierre Schoentjes, qui souhaitait pallier une lacune dans les études écocritiques, à savoir un manque d’attention portée aux œuvres francophones d’écriture de la nature. Si inclure Bartram et Thoreau est inévitable dans une analyse se voulant centrée sur la genèse du genre de nature writing, le pari de joindre Chateaubriand et Tocqueville à ses canons est convaincant et réussi.

18Cependant, l’absence de critique à l’égard du genre de nature writing, surtout dans le contexte actuel d’une crise écologique globale où les notions de nature ou de wilderness deviennent de plus en plus problématiques et où les représentations idéalistes viennent à manquer de cohérence, rattache l’ouvrage au domaine de l’histoire de la littérature plutôt qu’aux humanités environnementales ou à l’écocritique.

19Par ailleurs, alors que les œuvres de nature writing se multiplient dans le monde, et dans les littératures tant anglophones que francophones mais aussi écrites en d’autres langues, il pourrait être perçu comme regrettable que les pistes d’approfondissement mentionnées par l’auteur n’envisagent pas un corpus plus large et plus varié. En effet, dans les « Perspectives » présentées à la fin de l’ouvrage, seul Théodore Pavie (1811-1896) est cité comme ayant potentiellement contribué au développement de la tradition de l’écriture de la nature, ainsi qu’une pléthore d’autres auteur.e.s américain.e.s, de John Muir (1838-1914) et Aldo Leopold (1887-1948) à Jim Harrison (1937-2016) et Sue Hubbell (1935-2018).

20De manière générale, l’étude proposée reste innovante, même lorsqu’elle s’attaque à des auteurs complexes comme Thoreau sur lesquels les œuvres critiques sont abondantes, écrite avec une plume précise et élégante, et constitue une addition non négligeable à la bibliothèque des ouvrages francophones sur le nature writing.