Barbey d’Aurevilly, moraliste des temps modernes
1Le dernier ouvrage de Pierre Glaudes, dont le titre Esthétique de Barbey d’Aurevilly n’est pas sans rappeler celui du colloque organisé en 2008 par Pascale Auraix-Jonchière « Barbey d’Aurevilly et l’esthétique », s’inscrit dans un renouvellement de la critique aurevillienne qui, sous la double impulsion du bicentenaire de sa naissance et de la réédition de son œuvre critique, d’ailleurs codirigée par Pierre Glaudes, tente de redéfinir les liens qui unissent sa pensée religieuse, politique et morale à son œuvre romanesque.
2La redécouverte par la critique de l’œuvre de Barbey d’Aurevilly depuis une cinquantaine d’année a donné lieu à une véritable effervescence des études narratologiques qui se sont délectées des récits enchâssés, mais qui ont aussi souvent conduit à l’interprétation excessive d’une modernité de l’œuvre de Barbey, qui participerait d’une véritable disqualification du réel (p.11) et d’« une défection du sens ».
3Parallèlement à cette approche formaliste, c’est à l’imaginaire de l’œuvre que se sont intéressés les critiques, témoignant ainsi d’une véritable « fantasmatique » (p. 12) des récits aurevilliens au sein desquels se déploie une « énergie archaïque » à la fois transgressive et fascinante.
4Pourtant, si l’œuvre aurevillienne se prête admirablement à ces différentes analyses, c’est parfois, comme nous le montre Pierre Glaudes, au détriment du véritable sens voulu par l’auteur lui-même et au prix d’anachronismes notionnels qui, formés a posteriori, tendent à s’éloigner voire à rompre totalement avec la véritable intention de Barbey et notamment avec la part politique et religieuse de son projet littéraire qui « conditionnent son esthétique romanesque » (p. 14). Or, c’est bien pour associer enfin la pensée critique, dogmatique, voire moraliste d’un Barbey « à la recherche de la vérité » (p. 15) à sa création romanesque, que Pierre Glaudes réunit dans cet ouvrage six études, pour la plupart déjà publiées individuellement, qui interrogent la formation de l’esthétique aurevillienne.
5C’est ainsi d’abord à l’influence de la pensée « antimoderne » de Joseph de Maistre telle qu’elle s’est exercée chez Barbey au niveau philosophico-historique, au niveau métaphysique, éthique et même esthétique que s’intéresse le premier chapitre. Pierre Glaudes analyse ensuite la question du réalisme, qui permet d’interroger les rapports très particuliers que l’œuvre de Barbey entretient avec le réel et notamment en quoi il se détache très largement du réalisme tel que l’entendent ses contemporains. L’analyse se poursuit par la question du grotesque qui s’inscrit de façon plus ou moins indirecte dans la tradition de Don Quichotte. L’esthétique aurevillienne de la fantaisie, quant à elle, influence aussi bien ses œuvres que son mode de vie. Quant à l’esthétique du sublime, qui combine chez Barbey deux influences que Pierre Glaudes qualifie de « classique » et de « romantique » (p. 125), elle s’inscrit dans une volonté de proposer une expérience du surnaturel et de provoquer « un éveil spirituel pour des lecteurs modernes » (p. 144). Enfin, le sixième et dernier chapitre « récit et parabole » traite de la question de la visée apologétique du récit aurevillien et plus particulièrement des Diaboliques qui semblent s’inscrire dans la tradition de la parabole.
6À travers ces six chapitres, Pierre Glaudes propose ainsi une lecture dynamique et éclairante entre la formation d’une pensée dogmatique et d’une esthétique. Loin d’être indépendants les uns des autres, les six études comme autant de nouvelles des Diaboliques s’éclairent mutuellement, se répondent et participent d’une réflexion à la fois progressive et profonde. Comme s’il avait voulu imiter le mode de pensée de son auteur, P. Glaudes soulève ici le « rideau cramoisi » qui cache une morale forte et propose un voyage fascinant derrière le « dessous des cartes » d’un écrivain qui prend dès lors toute sa dimension, à la fois multiple et intransigeant.
7Au premier rang des « maîtres » de Barbey d’Aurevilly, P. Glaudes place, aux côtés de Lord Byron, dont la dette est indiscutable, l’auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg, Joseph de Maistre. Ce dernier, que P. Glaudes connaît bien pour avoir récemment établi l’édition de ses Œuvres complètes chez Robert Laffont, a souvent été associé idéologiquement à Barbey d’Aurevilly1, mais il était sans doute bien temps qu’un chapitre entier en détermine les véritables enjeux et surtout l’impact prépondérant que cette influence a pu représenter dans le développement de sa pensée historique et métaphysique, dans l’établissement de sa « posture éthique » d’écrivain et dans ses choix esthétiques.
8Dans le domaine historique, Barbey emprunte à Joseph de Maistre cette idée selon laquelle « après la civilisation chrétienne du Moyen Âge est venu le temps des catastrophes » (p. 21) marqué par trois grandes tragédies indéfectiblement liées les unes aux autres. Ainsi la Réforme a-t-elle engendré la philosophie des Lumières, qui est elle-même à l’origine de la Révolution française, cette véritable « manifestation satanique » (p. 22). Mais si la vision de Maistre était déjà sombre, elle se teinte, en outre, chez Barbey d’un degré supérieur de pessimisme, puisqu’elle n’est pas le fait d’un « châtiment régénérateur » (p. 22).
9D’un point de vue métaphysique, l’influence maistrienne s’impose d’abord dans cette lutte contre ce rationalisme hérité des Lumières à quoi Barbey oppose l’idée que la connaissance absolue et totale est non seulement illusoire mais qu’elle doit, en plus, conserver une part de mystère et d’inconnaissable. La « deuxième illusion moderne » (p. 27) consiste en un moralisme faux, qui véhicule l’idée mensongère d’une perfectibilité humaine, d’une vertu récompensée et d’un bonheur terrestre possible, quand Barbey défend l’idée contraire d’une nécessité expiatrice de la douleur et du mal comme châtiment ultime de l’homme dans la Chute.
10D’un point de vue éthique, Barbey trouve chez Maistre une fermeté idéologique, une consistance morale, un esprit sans concession ni conciliation qui, plus qu’il ne détone avec la versatilité de son temps, force l’admiration de Barbey en ce qu’elle ne cède à aucun compromis et s’affirme avec une véritable liberté de ton.
11Enfin, c’est aussi et de façon peut-être plus inattendue, au niveau de son style que Barbey est influencé par Joseph de Maistre chez qui il admire la « griffe de l’écrivain » (p. 36) qui « enlève l’esprit vers les sommets » (p. 26), se faisant dès lors le garant d’une tradition littéraire forte et énergique, au service d’une vérité et d’un idéal.
12Loin de conclure à une influence sans bornes, cette étude sur l’importance de l’influence de Joseph de Maistre sur l’écrivain normand tant au niveau intellectuel, éthique qu’esthétique montre qu’il s’agit tout à la fois d’une « référence ultime » et de la part de « mauvaise conscience » (p.43) de Barbey lui-même qui se reproche de ne pas toujours être à la hauteur de ses principes et d’avoir cédé à la littérature au lieu d’ouvrages plus théologiques.
13Avant d’analyser la véritable position de Barbey à l’égard du réalisme, P. Glaudes rappelle que le réel pour l’écrivain normand s’inscrit dans une triple dynamique. Il ne saurait se réduire au seul monde sensible et possède, en outre, « dans la profondeur », une « signification transcendante » (p. 46), surnaturelle qui dépasse les apparences. Or, le problème est justement que cette profondeur, cet « ordre surnaturel » (p. 46) et divin échappe la plupart du temps aux hommes qui, depuis la Chute et d’autant plus depuis la modernité, sont incapables de l’entrevoir. Seul le génie aussi bien artistique que philosophique ou historique est en mesure « de faire entrer dans l’ordre de la représentation ou de la conceptualisation cette dimension secrète de la réalité » (p. 47).
14Dans un premier temps, P. Glaudes analyse la question du réalisme du point de vue du « statut de l’objet représenté ». Il prétend ainsi que, s’il a beaucoup critiqué les prétentions du réalisme, Barbey d’Aurevilly n’exclut pas a priori la laideur ou les sujets bas. Au contraire, pour lui, « tout est représentable » (p. 53) à la condition sine qua non que cette représentation soit rendue « avec intensité » (p. 53) et force, de façon à « réveiller en l’homme les facultés morales et spirituelles » (p. 54). Cette « stylisation de la chose représentée » peut ainsi « varier du grotesque au sublime, de la fantaisie au fantastique » (p. 55).
15L’analyse du réalisme chez Barbey se poursuit par la question du « mode d’accréditation de la chose représentée ». Ainsi, si l’écrivain normand s’oppose aux réalistes, ce n’est pas au prix d’une adhésion aveugle au romanesque du « romance ». L’observation reste pour lui au moins aussi importante que pour les réalistes, mais à la différence qu’elle ne cherche pas la vraisemblance et s’inscrirait même plutôt dans « une esthétique de l’invraisemblance » (p. 60). Pour autant, la prétention référentielle y est tout aussi déterminante, mais cette « réalité ne parvient au lecteur que sous une forme déjà “sémiologisée” » (p. 61), médiatisée et rapportée. La réalité telle qu’elle est représentée fait, en outre, l’objet d’un choix et se présente sous forme d’indices dont la fonction première est de créer une atmosphère. Enfin, contrairement au traitement réaliste de la représentation pour lequel « les personnages ne sauraient être des figures d’exception » (p. 63), les personnages de Barbey se définissent par leur caractère extraordinaire et ne sont pas tant déterminés par des « contraintes sociales et historiques » que par un « ordre métaphysique » (p.63).
16L’analyse du réalisme se clôt finalement par la question de « la place du narrateur » (p. 64). L’instance narrative qui, chez les réalistes doit le plus souvent s’effacer au profit de la chose représentée, occupe dans les récits aurevilliens une place déterminante qui fait qu’elle se voit non seulement très souvent représentée, mais qu’elle se trouve, en outre, fréquemment relayée par un ou des narrateurs seconds. Le narrateur chez Barbey est en fait celui qui « confère à la représentation romanesque “le sens et l’unité” auxquels celui-ci doit prétendre » (p. 65) et qui permet de dépasser la finitude pour atteindre à « l’idéal au cœur du réel » (p. 65).
17« L’ombre de Don Quichotte », si elle semble planer au-dessus de l’œuvre aurevillienne, n’en est pas pour autant évidente et s’avère même problématique. D’abord, comme le rappelle P. Glaudes, l’influence de Don Quichotte loin d’être la marque d’une adhésion forte, débute par un certain rejet de la part du jeune Barbey. Et, si la présente étude montre en quoi Le Chevalier des Touches s’inscrit dans « un thème donquichottesque » (p. 77), c’est surtout de manière indirecte et par l’intermédiaire de Walter Scott que cette référence se fait plus significative, notamment au niveau de ces personnages qui comme autant de « bouffons sublimes » (p. 84), marquent l’attrait de Barbey pour cette grandeur à la fois touchante et émouvante d’une certaine forme d’excentricité. Enfin, c’est la lecture exaltée d’un article de Heine sur Don Quichotte qui entraînera une « dernière référence au personnage de Cervantès » (p. 86) au sein du portrait de Mesnilgrand dans « À un dîner d’Athées », cinquième nouvelle des Diaboliques.
18Au-delà de l’influence de Don Quichotte, l’attrait de Barbey pour le grotesque revêt un véritable enjeu littéraire en ce qu’il s’inscrit dans une volonté de se dissocier du « ridicule moderne » qui ne saurait trouver place dans son œuvre ; trop plat, insignifiant, sans relief, il ne possède pas la profondeur nécessaire.
19Bien plus qu’elle ne qualifie « une simple attitude littéraire » (p. 95), la fantaisie aurevillienne définit une posture éthique et un choix esthétique qui caractérisent profondément son mode de pensée.
20La fantaisie recouvre chez Barbey « trois acceptions » (p. 96). Elle est d’abord « le fait d’une imagination ardente » (p. 96) qui, du fait même de son caractère à la fois moqueur et léger cache, cependant, « la profondeur du désenchantement aurevillien » (p. 98). Enfin, véritable apanage du dandy, elle possède en outre la capacité, par « un effort de l’esprit » de « réenchanter le monde » (p. 100) en lui redonnant un caractère extraordinaire.
21En tant que valeur éthique et esthétique, la fantaisie fait, en outre, « l’objet d’une élaboration théorique progressive et d’une réévaluation parallèle à l’analyse du dandysme » (p. 103). Elle devient ainsi pour Barbey l’une des « prérogatives majeures de l’artiste » (p. 104), qui a partie liée avec sa capacité créatrice. Vecteur de liberté, si elle ne s’associe par forcément à l’esprit de révolte, elle tend à produire et à provoquer un effet aussi puissant qu’inattendu qui peut aller jusqu’au « terrible » (p. 109). Poussée à son paroxysme, elle se rapproche enfin du sublime (p. 109) notamment par son association d’un effet à la fois terrassant et attrayant sur le spectateur.
22La fantaisie s’avère ainsi être un moyen supplémentaire pour Barbey d’accéder au merveilleux et à l’extraordinaire dans les profondeurs cachées du réel.
23Le sublime quant à lui se rapporte à différents aspects de l’univers aurevillien tels que les actions, « les traits sublimes dans la vie intellectuelle, morale ou sentimentale » (p. 119) et les mots. Parmi les références qui influencent l’esthétique du sublime chez Barbey, celle de Corneille, dont il retient surtout « le sens de l’honneur et la puissance de la volonté face au destin », (p. 121) occupe une place déterminante. Mais c’est aussi la littérature anglaise teintée d’un sublime de la terreur illustré d’abord par Shakespeare puis par Milton qui a largement influencé sa conception du sublime. Enfin, c’est au sein de toute une littérature mystique et hagiographique que l’écrivain normand puise ses références.
24L’esthétique du sublime chez Barbey oscille en réalité entre deux conceptions qui associent le sublime à une esthétique du choc ; une conception classique longinienne qui fait de Dieu la source du sublime et de l’œuvre sublime un moyen d’élévation pour le sujet, et une conception burkienne avec « sa postérité romantique » et le développement d’un sublime de la terreur qui favorise une esthétique de tension entre le bien et le mal, mais surtout une esthétique où « l’accès à la transcendance se fai[t] désormais sur le mode du retrait et de l’indécidable » (p. 127).
25Avant les diaboliques, ce sont donc d’abord les personnages célestes que vient soutenir un sublime néoclassique avec son grand style, ces « hyperboles du merveilleux », ses « amplifications mythologiques » ou encore son « imagerie chrétienne » (p. 128). Pour autant, cette grandeur loin de témoigner de la bonté et de la douceur de la condition humaine s’inscrit dans une esthétique « doloriste » (p. 134) qui trouve sa représentation la plus efficace dans le spectacle de la souffrance et du sacrifice.
26Le sublime burkien, quant à lui, trouve chez Barbey un écho particulièrement significatif dans ce « sublime infernal » qui caractérise les diaboliques, personnages oxymores, d’une grandeur infinie dans le crime, que la raison peine à expliquer, qui ressortent de l’indicible et ouvrent enfin au surnaturel en provoquant un véritable « éveil spirituel » (p.144) des lecteurs.
27Pour la dernière partie, qui est peut-être aussi la plus déterminante, P. Glaudes se propose d’analyser, à travers la lecture des Diaboliques, la portée métaphysique d’une œuvre qui n’est plus seulement un accès au « dessous » du réel, mais qui tâche de provoquer une véritable conversion (p. 147) en s’inscrivant notamment dans une tradition « apologétique laïque » (p. 147) postérieure à la Révolution et résolument moderne qui, sous l’impulsion notamment de Chateaubriand, renouvelle profondément le genre du récit exemplaire. En dehors de l’apologétique chrétienne, c’est Vigny, mais surtout Balzac et plus particulièrement le Balzac nouvelliste, avec son association constante de l’art et de la vérité, de l’idéal et du réel, qui servira véritablement de modèle à Barbey.
28Pour ce qui est de la dimension philosophique des récits, l’auteur des Diaboliques trouve aussi son inspiration dans les fables de La Fontaine. Mais c’est encore plus fortement dans les histoires tragiques de François de Rosset ou encore dans Les Spectacles d’horreur de Jean-Pierre Camus qu’il tire une profonde inspiration, car bien que teintée d’atrocité, ces récits s’inscrivent dans une morale faite d’exemplarité et conjuguent parfaitement « les éléments d’une poétique chrétienne fondée sur la conjonction de l’histoire, de la morale et de la fiction » (p. 156).
29Mais c’est bien dans son analyse des liens entre les nouvelles de Barbey et le texte parabolique, défini comme une « courte histoire recourant à des situations de la vie profane pour transmettre un enseignement spirituel sous une forme imagée » (p. 157), que P. Glaudes se montre à la fois le plus novateur et le plus percutant. S’appuyant sur l’analyse de Susan Suleiman, qui montre que la parabole « s’articule à trois niveaux narratif interprétatif, pragmatique » (p. 157), Pierre Glaudes entreprend une étude comparative des deux types de récit.
30Au niveau narratif, les points communs sont nombreux. La nouvelle aurevillienne partage avec la parabole une brièveté associée à la puissance d’un effet qui ne prend toute sa mesure qu’au dénouement vers lequel tend toute la nouvelle ; un caractère énigmatique et lacunaire qui donne à penser et entretient l’effort interprétatif du lecteur ; enfin, un certain ancrage référentiel par le biais de témoignages qui ont la particularité de situer « le récit dans un contexte historique et social » et de rendre ainsi « possible l’extraordinaire, voire l’impensable, car celui-ci se produit parfois dans la réalité » (p. 163).
31Au niveau herméneutique, le rapprochement avec la parabole se fait, d’un côté, par « la présence, à l’intérieur de la fiction, d’énoncés interprétatifs » (p. 164) grâce notamment au jeu d’emboîtement des récits et de la démultiplication des commentaires narratifs et, de l’autre, par un « système d’échos intertextuels » entre les six nouvelles des Diaboliques.
32Enfin, d’un point de vue pragmatique, à l’image de l’effet des paraboles, qui cherchent tout à la fois à « instruire », à « transmettre […] un message allégorique » et « à surprendre », voire à « convertir » (p. 170), Les Diaboliques, par leur caractère conversationnel, mettent en abyme l’effet qu’elles veulent produire sur le lecteur qu’elles cherchent à transformer en profondeur et à réveiller spirituellement.
33Au terme de ces six analyses, Pierre Glaudes qui cherchait, par ce livre, à témoigner non seulement de la force de la conviction morale de Barbey mais aussi de son impact sur son esthétique romanesque a clairement atteint ses objectifs. L’ombre de Joseph de Maistre se profile derrière un penseur littéraire qui, par un réalisme de « l’invraisemblance », par un grotesque touchant et dénonciateur, par une fantaisie extraordinaire et terrible, par un sublime classique et romantique, par des récits enfin à la fois terrifiants et exemplaires, n’a finalement toujours cherché qu’à rallumer la flamme du sacré, qu’à creuser dans les profondeurs du réel pour y trouver une voie d’accès vers la transcendance. Si l’on peut peut-être s’étonner de ne pas trouver au nombre de ces études une réflexion sur le fantastique, qui offre un support de choix à la volonté de Barbey d’associer la religion au surnaturel, à la lecture de cet ouvrage, il devient clair que si Barbey n’est pas le théologien politique qu’est un Joseph de Maistre, sa pensée à la fois anti-moderne, chrétienne et esthétique est bien à l’origine de sa création romanesque qu’elle soutient en profondeur. C’est ainsi paradoxalement par une écriture du mal, par une écriture du péché et par une représentation de l’homme dans la Chute, que Barbey semble le mieux et le plus fortement proposer une visée apologétique qui cherche à prouver Dieu, par le Diable. En ouvrant une fenêtre sur l’Enfer, Barbey offre ainsi un monde où les valeurs esthétiques et spirituelles transcendent les limites du Bien et du Mal. À la lumière d’une étincelle spirituelle, P. Glaudes éclaire sous un jour nouveau l’œuvre à la fois infernale et sublime d’un écrivain qui aime à profaner en moraliste chrétien et à convertir en prophète satanique.