Acta fabula
ISSN 2115-8037

2009
Avril 2009 (volume 10, numéro 4)
Hans Hartje

Pour un 8e art

La Radio d’Art et d’Essai en France après 1945. Club d’essai de Paris ; Centre d’essai de Montpellier. Souvenirs, communications, documents écrits et sonores réunis et présentés par Pierre-Marie Héron (Centre d’étude du XXe siècle, Université Paul-Valéry, Montpellier III), Presses universitaires de la Méditerranée, Montpellier 2008, 354 p, 2 CD.

1Le titre complet de l’ouvrage en dit long sur les ambitions de son concepteur : mettre à la disposition des chercheurs et curieux tout un ensemble d’éléments en vue de promouvoir l’étude de la Radio en tant que discipline à part entière — et généralement négligée par la critique universitaire — de la création artistique du XXe siècle. Et il faut dire que Pierre-Marie Héron a de la suite dans les idées : le volume en question est le 4e d’une série intitulée « Littérature et radio », après Les écrivains à la radio : les Entretiens de Jean Amrouche (2000), Les Écrivains hommes de radio (1940-1970) (2001) et Les Ecrivains et la radio (2003).

2Quelle est donc la spécificité de cette nouvelle livraison ? Le sous-titre nous met sur la piste : à côté du Club d’essai de Paris (1946-1960) dirigé par le poète Jean Tardieu, il y a eu le Centre d’essai radiophonique de Montpellier (1948-1974), animé d’abord par Pierre Bourgoin puis, pour la majeure partie de son existence, par Madeleine Attal. Si le premier mérite de Pierre-Marie Héron est incontestablement de faire découvrir qu’il y a eu une vraie recherche et de remarquables créations radiophoniques en dehors des studios parisiens, force est par ailleurs d’admettre (notamment à la lecture de la partie « souvenirs ») que l’éloignement de Paris et le sous-équipement technique ont contribué paradoxalement à forger un bel esprit d’équipe et par voie de conséquence, stimulé la créativité. Pour s’en rendre compte — et c’est là un autre atout inestimable de la série — le volume est accompagné de deux CD audio contenant d’une part 8 extraits de réalisations signées André Almuro issues pour la plupart du Club d’essai parisien et d’autre part, treize extraits par le biais desquels Madeleine Attal « raconte l’aventure du Centre d’Essai » montpelliérain : on imagine aisément la séance (car le volume est issu d’un colloque qui s’est tenu à l’université Montpellier III en 2004) au cours de laquelle Madeleine Attal a évoqué son travail à la tête du Centre d’Essai en l’illustrant des exemples sonores reproduits sur le CD : c’est comme ça qu’il faut étudier la radio (tout comme les études de cinéma ne sauraient se passer de séances de visionnage ou des études théâtrales de sorties dans les salles) !

3Un autre point positif de ce volume concerne la remise en circulation de textes de réflexion fondamentaux comme par exemple « Pour une esthétique de la radio » de Jacques Copeau, « Poésie et radio » d’Yvon Belaval et « Conditions du monologue radiophonique » de Jean-Jacques Vierne. Inspirés directement de la pratique radiophonique  et publiés initialement dans les Cahiers d’Etudes de Radio-Télévision (1954-1960), ils sont difficilement accessibles en dehors des grandes bibliothèques parisiennes alors qu’ils permettent encore aujourd’hui de se forger des critères pertinents quant à la qualité esthétique d’une réalisation sonore.

4Last but not least il faut savoir gré à Pierre-Marie Héron d’apporter la preuve irrécusable de ce que la radio concerne les disciplines philologiques de l’université. Qu’il s’agisse des questions de diction (voix, ton, rythme, etc.), de dialogue (les entretiens), de diffusion (plusieurs des contributeurs insistent sur le fait que l’auditeur de la radio a l’impression que la voix entendue s’adresse à lui en particulier, alors que la radio passe pour avoir été le premier des mass media) ou encore de divertissement (la transcription des souvenirs du polémiste Michel Polac est intitulée « Un joyeux bordel »), toutes peuvent intéresser les études littéraires qui ont à leur tour tout à gagner à ne pas laisser ces questions-là sans réponse. A titre d’exemple citons l’étude d’Éliane Clancier sur le côté « laboratoire » du Club d’Essai et celle consacrée par le grand spécialiste en la matière qu’est Christopher Todd, à la manière dont la presse écrite a rendu compte des émissions dudit Club. Mais une discipline universitaire a besoin de jeunes chercheurs pour se développer. Saluons donc tout particulièrement le fait que Pierre-Marie Héron ne se contente pas de diriger des mémoires de recherche portant sur « littérature et radio », mais qu’il offre à ses/des étudiant-e-s de participer aux colloques qu’il organise et qu’il leur ouvre les pages des publications qui en résultent !

5Qu’il s’agisse de la production ou de la réception, on observe qu’avec le podcasting via Internet, la pratique actuelle de la radio est en train d’évoluer considérablement. J’en veux pour preuve le succès p. ex. d’Arte-Radio et le fait qu’apparaissent un peu partout (Arles, Brest, Nantes, Bordeaux, Paris) des sortes de festivals d’art sonore. Ce sont autant de bonnes raisons de s’intéresser à la radio, et les ouvrages édités par Pierre-Marie Héron sont incontournables pour s’initier à l’étude du phénomène.