Acta fabula
ISSN 2115-8037

2009
Janvier 2009 (volume 10, numéro 1)
Olivia Ayme

Dialogue transatlantique : briser la glace 

La littérature, le XVIIe siècle et nous : dialogue transatlantique, sous la direction d’Hélène Merlin-Kajman, Paris : Presse Sorbonne Nouvelle, 2008, EAN 9782878544282.

1Le défi que relève ici Hélène Merlin-Kajman est de taille : renouer le dialogue entre dix-septiémistes des deux côtés de l’Atlantique. Pour ce faire, étaient conviés à un colloque organisé par la Sorbonne nouvelle des chercheurs français et américains mais aussi canadiens, britanniques et suédois. Réellement originale, cette manifestation s’arrêtait moins sur l’objet d’étude de ces spécialistes que sur le dialogue lui-même, une attention particulière étant portée aux instruments, aux procédures que chacun des partis considère aujourd’hui nécessaires pour rendre compte des textes, en saisir les significations.

2Dans son introduction, Hélène Merlin-Kajman fait le constat d’une histoire littéraire franco-française qui a longtemps campé sur ses frontières. Non dénué d’une certaine ironie pour un « petit monde » qu’elle connaît bien, son propos n’occulte pas le passif : dans le passé, les dix-septiémistes français ne furent guère accueillants à l’égard des travaux de leurs homologues nord-américains. La question est posée : comment comprendre un accueil si froid quand la critique littéraire américaine apparaît nourrie de french theory ? Assez rapidement, Hélène Merlin-Kajman conteste l’idée même d’une idée nationale de la critique. Le vrai problème n’est-il pas une méconnaissance de la critique dix-septiémiste nord-américaine, peu lue par les Français ? Un autre cliché est battu en brèche : l’opposition entre le rapport patrimonial des Français à leur littérature, rapport contraint et familier tout à la fois et l’intimité du choix personnel et hétérodoxe des Américains spécialistes du Grand Siècle. Où est la part de l’intime et de la norme dans notre relation avec ces textes ? Deux démarches outre-atlantiques se distinguent de l’approche française. D’une part, les œuvres sont envisagées du point de vue des opacités qu’elles abritent, de la violence qu’elles transmettent et ce hors du contexte historique et littéraire immédiat. D’autre part, il y a une volonté de ramener à la lumière des textes réduits au silence, en particulier ceux des femmes avec la perspective critique des Gender studies. Si en France, la tendance de la recherche, dénuée bien souvent d’ambition théorique, est à l’accroissement de la connaissance érudite, aux États-Unis, il y a un inlassable renouvellement des approches en fonction du temps présent. Les analyses textuelles sont considérées comme des expérimentations de modèles théoriques. De part et d’autre de l’Atlantique, l’historicisation de l’objet littéraire diffère grandement. Carrefour interdisciplinaire, le discours sur la littérature entretient des rapports avec de nombreuses autres disciplines, ces tensions se retrouvant à différents degrés selon l’origine nationale des chercheurs. La relative désaffection des Français par rapport à leur propre culture littéraire met enfin nos chercheurs nationaux à relative égalité avec leurs homologues américains, tant est grande l’étrangeté de l’objet étudié.

 

3Hélène Merlin Kajman ouvre le colloque sur les raisons personnelles qui ont motivé son organisation. Elle fait le récit à cette occasion de son itinéraire de chercheuse post-soixante huitarde, sur un mode distancé et réfléchi. Son parcours est en effet, à bien des égards, emblématique de la critique française de ces trois dernières décennies. Le titre de son intervention « Dialoguer » pose la question des conditions nécessaires pour qu’un dialogue ait lieu. Confronter les manières de faire ne suffit pas, il faut également interroger les raisons pour lesquelles les chercheurs ont choisi cet objet étrange qu’est le XVIIe littéraire français. La différence première est peut-être la façon dont on assume une position face à cet objet : comment le fait-on « nôtre ». Par ailleurs, peut-on employer un « nous » qui englobe universitaires français et américains. Le dialogue présuppose un objet commun, or cet objet n’a rien d’un donné naturel, c’est un objet intellectuel construit. Assumant elle-même l’emploi du « je », elle rappelle que la critique américaine, contrairement à la tradition critique française, juge la médiation d’une première personne nécessaire. L’objet du colloque sera de parvenir à faire de ce XVIIe siècle multiple un espace discursif commun et actuel où le « nous » peut exister.

4Sans esquiver le caractère épineux de la problématique de ce colloque, John Lyon, dans ses « Libres réflexions sur les différences franco-américaines » reprend la question du « je » soulevée précédemment. Avec humour, il revient sur l’écart entre le choix académique des chercheurs français qui se consacrent à la littérature du Grand Siècle et ce choix éminemment iconoclaste pour des chercheurs américains. Choisir d’étudier cet objet étrange fait partie du processus par lequel de jeunes Américains s’éveillent à la possibilité de se construire une identité autre que celle de l’Amérique officielle. Pour autant, l’objet d’étude n’en a pas moins un haut degré de familiarité. Parce qu’aux États-Unis, le « moi est adorable », la littérature fait partie de l’être le plus intime des chercheurs.

5Dans « Forces et faiblesses de l’extériorité », Philip Lewis retrace son parcours intellectuel et y souligne l’importance de la French theory. Peut-on dès lors envisager l’existence d’un modèle, d’une démarche, d’un point de vue typiquement américain ? Ne peut-on pas poser paradoxalement que l’originalité de la critique dix-septiémiste américaine réside dans une appropriation libre d’idées et de techniques puisées dans le corpus intellectuel français? Il rejoint par là l’hypothèse posée par Hélène Merlin-Kajman. Si l’on veut retrouver une spécificité américaine, il faut remonter aux années soixante. Sans prétendre expliquer les intentions de l’auteur ou éclairer le propos par l’intertextualité ou l’arrière-plan historique, ce courant s’attachait à l’œuvre en et pour elle-même. Philip Lewis revient à cette occasion sur les travaux de chercheurs américains représentatifs de cette démarche, l’éclairant ainsi.

6Nicholas Paige entreprend dans « De quelques études récentes sur l’Angleterre considérées dans leurs rapports avec le travail dix-septiémiste français » un travail d’analyse comparé pointu. Son objet d’étude est le corpus de thèses publiées sur la littérature du XVIIe siècle en France et en Angleterre au cours des années 2000. Il note dans la culture anglo-saxonne un relatif effacement du littéraire au profit des études culturelles, contrairement à la France où les travaux restent majoritairement littéraires. En Angleterre, nombreuses sont les études sur le « gender », l’identité nationale, le colonialisme, l’histoire du livre et la culture de l’imprimé. Les penseurs modernes français sont pour une grande part délaissés, les outils théoriques ou méthodologiques font désormais partie de l’arsenal analytique des jeunes chercheurs sans que ceux-ci jugent nécessaires de s’y référer directement. Plutôt qu’employer des grilles d’analyse, cette génération s’attache davantage à déceler les paradoxes et les nuances. L’énergie de la recherche française passe dans l’objet littéraire plus particulièrement, avec les monographies ou l’étude générique.

7Dans « Une seconde France ? Repenser le paradigme “classique” à partir de l’histoire oubliée de la colonisation française », Sarah E. Melzer rapporte une anecdote méconnue survenue sous le règne de Louis XIII. En 1613, des ecclésiastiques français ramenèrent du Brésil des Toupinambous qui furent baptisés puis mariés à des jeunes filles françaises, en présence du roi et de la reine. Cette histoire, jugée invraisemblable et pourtant véridique, éclaire notre perception de la tolérance sous le règne de Louis XIII. Sarah Melzer s’appuie sur ce récit pour faire l’hypothèse d’une « seconde France » méconnue, éloignée des mythes modernes de l’âge classique. Cette perspective est rendue possible selon elle par sa nationalité qui l’amène à percevoir plus sérieusement qu’un Français la possibilité d’une vision autre de la France, moins enracinée dans l’inconscient collectif. Comprendre ce qui a alors présidé à l’assimilation de l’Autre « sauvage » permet d’éclairer pour la France contemporaine les règles qui font d’un « extérieur », un « intérieur ».

8La perspective sur le monde intellectuel américain adoptée par Michèle Longino dans « Derrière le présentisme du regard lointain » éclaire les débats d’un jour nouveau. En réfléchissant sur les contraintes institutionnelles et structurales qui y opèrent, elle en souligne les conséquences pour la production du savoir. Parce que le système d’éducation américain est sujet aux pressions du marché, la question de la finalité des études entreprises gouverne les choix des étudiants. Pour Michèle Longino, la pression générale du pragmatisme conduit les chercheurs du XVIIe siècle français à accentuer le « présentisme » des œuvres qui en sont issues, c’est-à-dire leur capacité à éclairer les temps présents. Rejetant le reproche souvent fait aux études américaines d’anachronisme, elle souligne le vaste champ des humanités qui nourrit leurs analyses. Au terme de cette intéressante étude est exprimé le souhait que soit substituée à la question de l’utilité de ces études, celle plus problématique des valeurs qu’elles transmettent.

9Dans « La renaissance des études rhétoriques pour lire le XVIIe siècle : leçons américaines », Emmanuel Bury avance deux hypothèses. D’une part, la rhétorique permet de saisir le  monde dans lequel est élaborée une œuvre littéraire. Elle éclaire aussi bien sur la doxa d’une époque que sur les ruptures, les innovations, car elle est à la fois gouvernée par la tradition et, par nécessité du discours, inscrite dans le temps présent. D’autre part, le rôle de la recherche américaine dans la réévaluation de la rhétorique comme instrument critique et d’histoire littéraire a été décisif. Emmanuel Bury dresse alors un panorama érudit des travaux qui ont éclairé ce champ de la connaissance dans les dernières décennies et ont amené à une forme de « libération critique ».

10La confrontation entre approches française et américaine se dessine très nettement dans la contribution de Jean-Paul Sermain intitulée « Les contes de fées du XVIIe siècle : lecture en amont ou en aval ? ». Retraçant les perspectives critiques françaises depuis les années 60 jusqu’à aujourd’hui, l’auteur souligne combien ces travaux privilégient la démarche historique, s’efforcent de faire revivre ces textes dans une vérité nationale à préserver. Ce faisant, les auteurs s’éloignent progressivement de la pensée théorique des années 60-70. À l’inverse, la recherche sous influence américaine tend à partir des préoccupations actuelles, des questions d’aujourd’hui pour se tourner vers les textes des siècles passés et montrer leur actualité. Au terme de ce constat, Jean-Paul Sermain se refuse à choisir entre une lecture « en amont » ou « en aval », rappelant la parenté de ce conflit avec la querelle des Anciens et des Modernes. Il préfère clore son intervention sur une riche bibliographie « œcuménique ».

11Marie-Claire Vallois rebondit de la Querelle des Anciens et des Modernes à l’antique querelle des femmes. Dans son article « Des Contes de ma Mère l’Oye ou des “caquets” de Madame d’Aulnoy », elle rappelle combien ce genre mineur du conte fut sujet à polémique. Marie-Claire Vallois examine tour à tour une querelle extradiégétique, celle de la ruse et de la force puis intradiégétique, celle des précieuses contre le moderne bourgeois, la querelle de mots qui privilégie la fécondité des locutions populaires au détriment de la bienséance.

12Dans « Corps et (esth)éthique cartésiens », Erec R. Koch examine les forces et faiblesses de l’enquête théorique sur un sujet précis : la façon dont le XVIIe siècle considérait le corps et les passions, au travers de l’œuvre de Descartes en particulier. La thèse développée est que l’attitude adoptée alors devant le corps peut éclairer les théories esthétiques, politiques ou éthiques du Grand Siècle. L’article soulève plus précisément le rapport du corps à l’éthique chez Descartes, réfutant l’image du corps cartésien en tant que mécanisme ou machine. Examinant tour à tour sa correspondance avec Elizabeth et son traité des Passions de l’âme, Erec R. Koch montre comment la philosophe articule un modèle du corps biologique avec la place du sujet dans la société civile. Dans le modèle cartésien, le corps est la source et le site des passions et de la sensibilité, devenant par là un corps esthétique. L’éthique permet la régulation de cette « machine esthétique » en maîtrisant et redirigeant les actions de ce corps, rendant ainsi possible la vie en société.

13Emma Gilby revient dans sa communication « Œdipe, L’Anti-Œdipe et la logique des multiplicités » sur la question de l’usage du travail des philosophes français modernes dans la critique américaine dix-septiémiste. Sa réflexion sur la méthodologie de la critique littéraire s’appuie sur l’Œdipe de Corneille et L’Anti-Œdipe de Gilles Deleuze et Félix Guattari. L’approche « appliquée », qu’elle soit structuraliste, psychanalytique ou deleuzienne implique d’apprendre à utiliser ces théories critiques. Ce faisant, Emma Gilby soulève la question de « l’autoritarisme » et des risques de stérilité qui lui sont associés. Si elle ne réfute pas la fécondité réelle de la théorie moderne sur les études de lettres, elle plaide en faveur d’une multiplicité de points de rencontre entre notre optique culturelle et celle du passé.

14Dans l’« L’Ethnicité fictive mise en scène : l’idée d’une communauté nationale dans Le Cid et Horace », Marcus Keller donne un exemple de la critique dix-septiémiste américaine à l’œuvre. S’appuyant sur les réflexions théoriques et historiques du philosophe Étienne Balibar, il s’interroge sur le rôle que jouent littérature et critique dans la formation de la nation. Il voit dans les deux pièces de Corneille des contributions particulièrement significatives au discours sur la nation en France. Rodrigue et Horace, en tant que héros qui négocient leurs allégeances conflictuelles à la famille et à l’État, confirment une identité collective, bientôt nationale.

15La communication de Richard Sörman « Molière et Lacan aux États-Unis et en France » souligne le rôle joué par la psychanalyse lacanienne dans nombre d’études françaises et américaines sur l’œuvre de Molière. Cela s’explique par l’omniprésence dans cette dernière des structures parentales et sociales où chaque individu se définit et se différencie par sa relation aux autres. La folie chez Molière est mise en rapport avec la volonté de se créer une identité « différentielle », en particulier dans les domaines de l’amour et du mariage. Richard Sörman poursuit son article par la confrontation de divers travaux d’inspiration lacanienne tant français qu’américains.

16Richard E. Goodkin ouvre sa communication « Racine et Shakespeare (bis) : classicisme et romantisme du XXIe siècle » par une question originale : Les mythes fondateurs de l’Amérique, fondamentalement romantiques, ont-ils quelque chose à nous apprendre sur le classicisme français ? Il s’appuie pour ce faire sur un texte de Stendhal Racine et Shakespeare. Le critique voit dans les mythes fondateurs américain une illustration de certaines idées romantiques : un rapport problématique au passé, l’utopisme comme méfiance à l’égard des civilisations et des gouvernements du passé, un véritable culte de l’individu. L’absence d’un classicisme américain permet à la critique nord-américaine de porter un regard extérieur, libéré sur le classicisme français.

17Dans un article limpide et réfléchi, Domna C. Stanton fait le point sur le contexte socio-historique et universitaire qui a présidé à la naissance des « Études de femmes, de genre et de sexualité aux États-Unis ». La fascination, parfois naïve, pour la French theory dans les années 60 a surtout permis une prise de conscience aiguë de la complexité de la chose textuelle, des implications du choix des méthodes d’analyse et a frayé la voie à de nouveaux champs de recherche. Domna C. Stanton insiste sur le fait que l’on ne peut comprendre la spécificité de la critique française américaine sans une approche de sa pluridisciplinarité. Décrivant l’évolution des Women’s Studies, elle déplore le peu de place accordé à ces études par la critique dix-septièmiste de l’hexagone, exprimant finalement le souhait que la critique nord-américaine soit lue par ses homologues français.

18L’article de Myriam Dufour-Maître « Étudier les femmes de lettres de part et d’autre de l’Atlantique » fait écho au précédent, en cela qu’il appelle à un véritable dialogue, non pas comme confrontation de positions établies mais comme recherche, au sens épistémique et éthique du terme. Son objet d’étude, « les précieuses », sujet à polémique, aujourd’hui comme autrefois, la prédisposait à faire le lien entre les deux côtés de l’Atlantique. L’article s’attache d’abord à comprendre les données problématiques, voire dérangeantes, que sont l’identité et le langage des « Précieuses », convoquant pour ce faire des critiques des deux bords.

19Dans son article « La voix des ombres : les femmes et la création du / au XVIIe siècle », Faith E. Beasley rappelle qu’une des missions que s’est assigné la critique américaine est de tirer de l’ombre les femmes écrivains oubliées du XVIIe siècle. Ce travail collectif et pluridisciplinaire est aujourd’hui vivement encouragé aux États-Unis. Faith E. Beasley en souligne l’intérêt pour comprendre différemment cette période canonique et fondamentale.

20Alain Cantillon fait le choix d’interroger le dialogue transatlantique sur un mode original. Dans « Le voyage transatlantique du portrait du roi », il retrace la fécondité critique de l’ouvrage de sémiologie historique de Louis Marin, le Portrait du roi. Après avoir étudié des exemples de dialogues autour du corps ou du portrait du roi, il dessine les voies qui s’entrecroisent afin d’approfondir ce travail : l’insistance sur le corps biologique, la question de l’image du roi, celle de l’absolutisme et la définition problématique d’une « anthropologie culturelle ». Le dialogue transatlantique autour du portrait du roi ne relève pas seulement de l’échange autour d’un même objet d’étude mais aussi de la mise en place d’un dispositif théorique et épistémologique qui dépasse le cadre de l’échange.

21C’est par un hommage rendu à la critique américaine de La Fontaine que s’ouvre la communication d’Arnaud Welfringer « De la fable en Amérique ». Cette critique jouit en effet d’un double privilège : elle n’est pas entravée par le statut scolaire de « poète français » par excellence et a su sortir du champ de la poétique pour s’avancer sur le champ au moins aussi fécond du politique. Non pas qu’il y ait à proprement parler une lecture politique critique des fables aux États-Unis, mais les chercheurs américains déploient des outils théoriques négligés en France : l’étude de l’ironie, les études intertextuelles et la théorie de la réception.

22Dans « Les mots de l’étranger. Corps de la langue et fragmentation sociale : effets comiques, critiques », Brice Tabeling poursuit l’hypothèse suivante : y a-t-il une position critique propre à l’extériorité, position qui vise surtout les potentialités internes de l’objet commenté ? Il se propose plus précisément d’analyser comment les comédies moliéresques dégagent un espace susceptible d’accueillir des mots de l’étranger. L’étrangeté, la dissonance même de ces derniers agit comme révélateur de la logique de clôture de la langue, contestant dans le même temps sa validité.

23Mitchell Greenberg ouvre sa communication « Racine : mythes et modernité » par un rapide panorama critique des études raciniennes depuis les années 50. Il s’interroge surtout sur l’impact émotionnel que peuvent avoir les tragédies de Racine sur un public contemporain qui ignore tout des valeurs politiques, théologiques, sociologiques qui ont présidé à leur création. Mitchell Greenberg poursuit plus spécifiquement son étude sur le corps et les cérémonies sacrificielles dans ces tragédies. C’est la transcription racinienne de mythes fondateurs, porteurs de fantasmes profondément ancrés dans les inconscients collectifs, qui fait la modernité de son théâtre.

24Comme Alain Cantillon, Nigel Saint ouvre sa communication « Poussin aux États-Unis d’Arcadie » sur la fécondité critique des travaux de Louis Marin, ici son Sublime Poussin. À cette occasion, il évoque les débuts de la critique poussinienne aux États-Unis pour s’arrêter sur les travaux d’Elizabeth Cropper et de Charles Dempsey qui dialoguent avec l’œuvre de Louis Marin. L’étude s’achève sur une monographie de Todd Olson qui propose une relecture politique du parcours de Poussin.

25Dans « Chaque médaille a son revers : deux faces de la critique dix-septiémiste », Harriet Stone s’efforce d’expliquer les différences d’approche radicales des deux côtés de l’Atlantique. Pour ce faire, elle choisit un biais original : celui d’une fable. La fable d’un colloque fictif traitant du savoir à l’âge classique fait ressortir une différence majeure : en France, il y a une tendance à étudier le trajet de l’histoire depuis l’Antiquité jusqu’au XVIIe siècle ; aux États-Unis, on envisage le XVIIe siècle d’après le présent. Il y a pourtant un intérêt supérieur à poursuivre des échanges féconds entre ces deux façons de penser le Grand Siècle, l’avenir d’une culture intellectuelle commune aux deux côtés de l’Atlantique.

26Au terme de ce riche colloque, plusieurs jeunes enseignants de l’Université Sorbonne nouvelle-Paris 3 se sont succédé pour faire des « Propositions pour un débat : tendance et divergences de la critique dix-septiémiste française : Christophe Angebault, Sarah Nancy, Denis Roche, Alain Brunn, Sylvaine Guyot, Jeanne-Marie Hostiou. Réfléchissant sur la juste distance à trouver avec les textes classiques, ils ont fait le choix de poser six questions :

1/ Comment construire la signification des textes du XVIIe siècle, entre histoire et littérature ?

2/ Quel contexte, quel XVIIe siècle reconstruit-on ?

3/ Les minores sont-ils un facteur d’éloignement ou de rapprochement du modèle classique ?

4/ Quelle distance trouver avec le classique le plus familier ?

5/ Comment la performance peut-elle rapprocher des classiques ?

6/ Comment remettre à distance le XVIIe siècle et comment recomposer une familiarité avec lui ?

27Ces six questions et les réponses qui y sont apportées sont l’occasion de revenir sur le contenu des communications, de les éclairer tout en offrant des perspectives aux dix-septiémistes français et étrangers. Elles soulignent surtout l’intérêt majeur de ce colloque pour comprendre la fascination que suscite ce siècle et les différents degrés de familiarité qui président à son étude.