Acta fabula
ISSN 2115-8037

2009
Janvier 2009 (volume 10, numéro 1)
François Fièvre

Le conte mis à jour

D’un conte à l’autre, D’une génération à l’autre, sous la direction de Catherine d’Humières. Clermont-Ferrand : Presses Universitaires Blaise Pascal, 2008, EAN 9782845163881

1Cet ensemble de textes réunis par Catherine d’Humières, publié sous l’égide du Centre de Recherches sur la Littérature et la Sociopoétique, tente d’examiner la manière dont les réécritures contemporaines des contes merveilleux traditionnels réinvestissent la structure familiale propre à ces derniers. L’ouvrage part de l’idée, au croisement de la sociologie et des études littéraires, que les rapports intergénérationnels d’une société se reflètent particulièrement bien dans le miroir du conte, et que les réécritures de contes doivent par suite retranscrire avec plus ou moins de fidélité l’évolution des structures familiales. Et vice-versa : c’est sous l’influence de l’imaginaire transmis par les contes qu’évolue également la structure familiale. Ce sujet suscite également des problématiques et angles d’attaque spécifiquement littéraires : intertextualité, passage d’un genre à un autre, étude thématique, étude des structures narratives, histoire du livre et des adaptations, etc. Les nombreuses contributions (22 articles, auxquels il faut ajouter une brève introduction de Catherine d’Humières et deux créations littéraires de Françoise Beaumont et Viviane Faudi-Khourdifi) sont organisées selon des critères à la fois génériques et problématiques.

2Les deux premières interventions, réunies sous le titre de Nouvelles réalités familiales et réécritures de contes, proposent chacune un bref mais dense panorama historique et littéraire de la question de l’évolution des structures parentales telle qu’on la devine dans les réécritures de contes et les créations romanesques qui s’en inspirent. La seconde partie, D’hier à aujourd’hui, (ré)écriture et (r)évolutions, rassemble des études de cas particuliers de réécritures de contes classiques dans la production pour enfants contemporaine – dans les albums de Grégoire Solotareff ou de Béatrice Poncelet, les récits de Marcel Aymé ou de Jean-Claude Mourlevat, mais aussi le théâtre de Joël Pommerat ou d’Olivier Py1 ; alors que la troisième partie du recueil (Interprétations personnelles et créations littéraires) privilégie les créations littéraires qui sortent peu ou prou du genre du conte pour enfants — dans celui du conte « pour adultes » (Angela Carter), du roman (Amélie Nothomb, Frances H. Burnett), mais aussi du théâtre (Barker). La dernière partie (Réceptions et transmissions d’une génération à l’autre), enfin, examine sous un autre angle la question des rapports intergénérationnels dans les réécritures du conte : celui non plus de la structure familiale à l’œuvre dans les récits, mais de la transmission de ces derniers d’une génération à l’autre, que cela soit par le prisme d’une tradition orale mythique mise en scène dans le récit ou par celui d’une réappropriation scripturaire de cette tradition orale.

3On ne peut qu’accueillir avec enthousiasme le programme d’un tel recueil : la recherche française sur les contes et leur réécriture se limitant trop souvent au corpus français classique des xviie et xviiie siècles, la formidable ouverture du corpus étudié dans cet ouvrage, à la fois à l’international (la belge Nothomb, les anglais Burnett et Barker, le roman africain d’Abdoulaye Sahi, etc.), à la période contemporaine et au champ de la littérature enfantine est faite pour nous séduire. On regrettera d’autant plus le caractère inégal des contributions, qui, comme trop souvent dans les actes de colloques (dont on aurait aimé, au passage, apprendre où et quand il s’est tenu), vient limiter la portée et la rigueur d’ensemble de l’ouvrage. Aux articles les moins convaincants, qui sont cependant loin d’être majoritaires, on pourra reprocher au premier chef une méconnaissance des contes-sources, qui trop souvent ne sont connus qu’à travers le seul prisme, passablement déformant, du trop fameux livre de Bruno Bettelheim sur la Psychanalyse des contes de fées. Cette méconnaissance amène à des jugements parfois péremptoires ou faussés sur le conte merveilleux traditionnel, et surtout limite la portée de l’analyse des réécritures, qui suppose une bonne connaissance non seulement du récit réécrit, mais également de son modèle. Un exemple, sinon d’incohérence, du moins de flou argumentatif peut être trouvé dans deux articles consacrés aux réécritures du Petit Chaperon Rouge, dans lesquels Christiane Connan-Pintado part, travaux de la folkloriste Yvonne Verdier à l’appui, de l’idée que le récit met en scène une triade fille-mère-grand-mère où les deux aïeules ont une grande résonance symbolique, alors que Mathilde Brissonnet, s’appuyant cette fois-ci sur Bettelheim, considère de manière radicalement inverse que « les figures maternelles — la mère et la grand-mère — sont « insignifiantes »2. » Le lecteur non informé ne sait donc pas à qui se fier, et on regrette donc, de manière générale, l’absence d’une mise au point anthropologique sur l’objet de départ — le conte merveilleux populaire, ou bien même les réécritures de Perrault ou de Grimm, auteurs les plus cités parmi les textes-sources — quoique ça et là (notamment dans la dernière partie) cette absence n’ait pas lieu d’être constatée.

4L’une des conséquences de ce flou entourant les contes-sources est que certaines contributions semblent voir des réécritures là où l’intertexte du conte est somme toute assez restreint, parfois limité à quelques allusions au merveilleux ou aux clichés diégétiques du conte, ou encore à la reprise de certains de ses personnages phares, ce qui est le cas le plus fréquent. Or, comme le montre d’ailleurs très bien Renaud Hétier dans son article liminaire en s’appuyant sur les travaux de Vladimir Propp, le personnage du conte populaire merveilleux est une fonction narrative avant d’être un personnage à proprement parler. Passer du conte au roman ou à une autre forme de récit revient ainsi très souvent à gommer ou à redéfinir les liens familiaux, non seulement parce que la structure familiale a évolué dans la société au sein de laquelle le conte a pris forme, mais aussi parce qu’on passe d’une forme de récit à une autre. La dimension ludique de la plupart de ces réécritures est d’ailleurs très bien soulignée dans un certain nombre de contributions (Bertrand Ferrier et Christiane Connan-Pintado, entre autres), qui montre bien que leur but est moins souvent d’adapter les contes à la structure familiale contemporaine que de jouer avec le matériau du conte, et, justement, de le déconstruire par un jeu de références à la fois littéraires et sociales.

5Par suite, ce recueil part d’une idée qui est tout à fait juste, à savoir que les contes « mettent en scène des groupes familiaux qui correspondent à [un] schéma social établi3 », mais qui tend parfois paradoxalement à occulter la dimension proprement littéraire de l’évolution de la représentation des liens intergénérationnels. Pour le dire autrement, le conte évolue certes en fonction de la société qui l’abrite, mais aussi — et surtout — en fonction de la mode littéraire qui le réinvestit. De ce point de vue, la perspective générale adoptée d’une recomposition familiale du conte, dans une société où les familles recomposées sont désormais plus importantes que naguère, laisse la place à celle, à laquelle aboutissent nombre des articles, d’une décomposition de la structure familiale : les rapports fonctionnels entre générations tendent à s’effacer au profit d’une mise en exergue des différents personnages individualisés, coupés de la structure narrative du conte populaire qui les abritait. Conséquence d’une individualisation de la société, mais aussi d’un jeu littéraire qui ne cesse d’être pratiqué.