Lire sur écoute, avec P. Szendy. Pour une audiocritique de l’inquiétude
1Le Docteur Mabuse comme figure de proue in abstentia pour une histoire d’écoute, la tonalité est d’emblée donnée. Avec le génie et le crime pour clés, l’inquiétude comme portée, on lira les variations d’une esthétique de l’espionnage à l’école d’un maître de l’hypnose et de la surveillance à distance. Entrons ensemble dans l’essai par l’exergue :
« Dès qu’il se sent surveillé (beobachtet, observé), il se met à chanter. »
2Il, c’est Hofmeister, l’indic, personnage menacé et pourchassé par la bande du Docteur sur lequel s’ouvre le Testament de 1933. L’œil effrayant de Mabuse hante ce témoin, entré dans la folie sous l’effet dévastateur d’une trop grande terreur – il a l’esprit médusé, mabusé voudrait-on dire. Ce qu’il chante ? « Gloria ! Gloria ! », autant de gémissements craintifs poussés la voix fêlée, à la 42e minute du film. Son psychiatre ajoute à l’intention du policier Lohman, venu interroger cet ancien homme de main : « Et quand il se croit seul, il vous demande. » L’homme de la police s’exclame alors : « Je voudrais tenir celui qui est responsable de la folie de cet homme ». À ce plan qui place l’enquête sur la piste de la cible politique, le détenteur d’une responsabilité à mettre en procès, Lang monte ensuite l’image d’un « Mabuse à l’asile, griffonnant ses ordres monstrueux » (Lotte Eisner, L’Écran démoniaque, p. 229).
3Et pourtant, Szendy centre à dessein sur l’homme inquiété, un personnage secondaire parmi d’autres, une certaine instance du lecteur, et non sur l’inquiéteur en personne, le héros éponyme de la trilogie de Lang. C’est cet espion malhabile, découvert et capté par la caméra, qui paye à grands frais les coûts de l’espionnage à grande échelle. C’est lui qui nous figure, nous autres lecteurs, au point qu’il nomme pour nous quelque chose d’une folie, une sensation certaine d’être observés et mis en danger, une traque compulsive, à l’œuvre dans la bibliothèque même — « Je ferme ma porte à clé et je me replonge dans ma lecture » (P. Szendy, Sur écoute, p. 14). Se sentant maladivement surveillé, il se replie dans sa psyché, s’invente veilleur ou guetteur et bâtit sa propre cage, la prison d’un guet de tous les instants. Pour l’essayiste, choisir un tel monstre fécondé du premier comme ce qui (télé)guide la réflexion et la meut vers le chant de l’inquiétude, c’est lier, tout ensemble, à travers l’infime grésillement d’une conscience perdue dans une société humaine, qui, une angoisse sans nom, qui, un aguet, qui, une présence menaçante, qui, le risque de l’autisme. Il sera donc question du sujet, de sa dissémination et de sa préservation possibles, sujet hérité de Kafka, qui se tapit dans le souterrain et dans toutes sortes de passages peuplés de fantômes chuchotants et de murmures chers au cinéma expressionniste allemand :
Suis-je écouté ?
Est-ce qu’on m’entend, est-ce qu’on me capte, est-ce qu’on m’épie quand je parle, quand je confie des secrets, quand je livre une pensée ou une opinion ?
Mais non, me dis-je en me raisonnant, quel motif aurait-on de me surveiller ainsi ? Il n’y a rien, n’est-ce pas, qui puisse me porter à croire que je serais sur écoute ? (ibid., p. 13)
4Les dispositifs sont au centre du propos, des champs de manipulations aux échiquiers de stratèges, tout vaudra pour se mettre à l’affût d’un pouvoir suprême. Tel est le programme que P. Szendy se donne : des œuvres et manœuvres de télésurveillance dans les sociétés d’archives, capitalistes et individualistes, des corp(u)s modernes, appareillés et machinés pour reprendre les distinctions que travaille Anne Bourse1, dans la parenté des problématiques qui servent de terreau à ses différents essais2.
Les espions écoutent. Ils regardent aussi, certes, pour surveiller. Mais une part majeure de leur activité est auditive. Comme l’écrit l’un des commentateurs de L’Art de la Guerre, un certain Kia Lin : « Une armée sans espions est comme un homme […] sans oreilles. » (ibid., p. 23)
5Dans cette « Petite histoire des Grandes Oreilles », Bentham est à l’honneur. Ses projets de « panacoustique » prennent une place centrale, décisive et architecturale, de même que ses plans panoptiques commandaient l’instigation d’une prison par l’inquisition d’un regard tout puissant, une Inspection House (1787) que Foucault avait fondamentalement commentée dans l’essai Surveiller et punir. De cette « longue histoire, une vaste généalogie qui se prolonge et se ramifie jusqu’à aujourd’hui », Szendy se propose d’en présenter « quelques moments singuliers » (ibid., p. 33), des oreilles de Denys, de la grotte, prison et lieu d’écoute de Swinburne et de l’échotectonique du père jésuite Kircher aux oreilles de Dionysos.
6Comme toute guerre, l’écoute est affaire de langage : parler plusieurs langues pour mieux informer son offensive, épier les mots de l’entente et de l’intelligence, qu’elle soit connivence et double sens ou déchiffrement des conversations cryptées. Elle est en cela une question proprement comparatiste et plurilingue. On apprend à capter les jeux de cette audiocritique en plusieurs langues, de l’Hamlet overhearing au pervers perce-oreille de Joyce, le « Earwicker », mot-valise forgé par Joyce, sur lequel Szendy s’attarde :
La surécoute, en ce sens, serait indissociable de la présence de télétechnologies auditives qui non seulement admettent une distance potentiellement infinie entre l’écouteur et l’écouté, mais sont aussi, le plus souvent, couplées à un instrument d’archivage photographique.
Il y a là deux traits que James Joyce avait rassemblés dans l’une des principales figures de Finnegans Wake : Earwicker, dont le nom est une sorte de télescopage entre « pervers » (wicked), « perce-oreille » (earwig) et « espionnage » (earwigging). « Earwicker », écrit en effet Joyce (et je traduis comme je peux), « cet esprit-schème, cette oreille paradigmatique, réceptorétentive comme celle de Dionysos… » (Earwicker, that patternmind, that paradigmatic ear, receptoretentive as his of Dionysius ; je souligne). Earwicker est ainsi doté d’une faculté de réception et de rétention grâce à laquelle il peut compiler « une longue liste » de « tous les noms injurieux dont on l’avait affublé ». L’espion Earwicker pourrait donc servir d’emblème à cette surécoute où la réception à distance est aussi, d’emblée, réception archivée. (ibid., p. 30-31)
7L’enquête se produit dans une polyphonie lexicale, une collecte polyglotte et pluridisciplinaire de ce qui dit l’écoute et la surveillance, opérant un glissement symbolique en passant des noms communs aux noms propres, des objets aux figures paradigmatiques : Écho et Narcisse, Orphée et Eurydice, Figaro et Suzanne, le Comte et la Comtesse épiés par Cherubin. Leurs figures viennent accroître les dramatis personae de l’écoute critique :
Figaro, Suzanne, le Comte, la Comtesse, Cherubino… : tous sont aux écoutes, tous surécoutent. En les épiant à mon tour, je me demande : quel est l’âge de leurs oreilles, qui semblent à la fois si proches et si distantes de celles des surveillants de Bentham ?
Cherubino est un jeune page, tandis que le Comte apparaît plutôt comme un vieux roué. Mais peu m’importe l’âge diégétique des personnages, tel que l’intrigue du livret le raconte. Je voudrais plutôt les situer, ces porteurs d’oreilles fictives et pourtant si présentes aux miennes, je voudrais les inscrire dans une stratigraphie archéologique, dans une généalogie des écoutes depuis ce que Nietzsche a décrit comme le « plus long de tous les âges humains », à savoir celui de la frayeur de la proie qui se terre ». (ibid., « Les Âges de la peur », p. 47)
8Histoire aussi animale que souterraine, une généalogie des taupes (qu’il dessine à partir de la nouvelle de Kafka Le Terrier) et de leurs « grandes oreilles » vient étayer l’édifice de pensée bâti par Szendy : celui où « l’écoute se retrouve finalement sur écoute, exposée elle-même à être entendue, ainsi qu’elle se l’avoue non sans réticences et dénégations » (ibid., p. 78).
9Il y a des maladies de l’écoute, des douleurs fantômes et des hallucinations auditives, des pathologies de la surveillance – sur le mode mineur, c’est l’histoire d’une certaine folie que Szendy esquisse. Hantée d’esprits et d’échos incertains, qui sussurent dans l’ombre des rumeurs lancinantes, elle en revient à la définition donnée par Nietzsche comme « art de la nuit et de la pénombre » (ibid., p. 47) et elle investit les écrans noirs, notamment le cinéma expressionniste et ses héritiers, pasticheurs ou continuateurs assidus (voir les pages consacrées à De Palma).
10Il y a aussi les accidents de transmission, le grésillement et les brouillages qui vont épaissir et complexifier notre travail d’écoute. La multiplication des ondes s’accentue dangereusement, jusqu’au point-limite d’une magnétisation de la pensée, d’une obsession compulsive qu’on pourrait nommer le symptôme de l’indic Hofmeister3. Il y a brisure, lacune et rupture du fil d’intelligence : à force de se tapir et d’écouter dans la pénombre, l’auditeur devient à soi seul une chambre d’échos enclose dans un autisme sévère. Nulle transmission ne vient alors tisser un fil entre l’auditeur et l’investigateur de son supplice, entre le personnage inquiété et celui qui enquête. Szendy signale ainsi l’existence des testaments qui échouent dans leur mission – leur transfert de données. Ce sont là tout ensemble « la déchirure dans le réseau, l’accroc dans la trame, le moment où ça raccroche. « (ibid, p. 111)
11On songe avec effroi en lisant ces paradigmes de la taupe et du limier à l’écrivain hongrois Péter Esterházy qui, dans Revu et corrigé, recopie et rend public le scandale paternel qu’il vient de découvrir – son père a été agent secret, taupe, selon les mots de Szendy, lors même qu’il vient d’en faire un éloge flagrant dans son précédent opus Harmonia Cœlestis4.
12Serein et « suffisant » (selon ses propres termes) face au conservateur lorsqu’il s’informe un peu naïvement de l’existence éventuelle d’un dossier le concernant, l’écrivain raconte combien l’entreprise se révèle éprouvante et vertigineuse, quand, de fait, un tel dossier est mis au jour :
Dans ce petit geste, je ne sais pourquoi, il y avait quelque chose d’effrayant. C’est un dossier de travail, le dossier d’un agent, un agent, il a poussé un soupir étrangement profond, comme si l’existence des agents représentait pour lui une souffrance toute personnelle : ce sont les rapports d’un agent.
Pourquoi lambiner autant ? me suis-je dit, j’en ai marre de ces hommes adultes et coincés, pourquoi ne peut-on pas parler comme des gens normaux, et j’ai ouvert le dossier.
J’ai immédiatement compris de quoi il s’agissait.
Ce que j’ai vu n’est pas croyable. J’ai aussitôt appuyé ma main sur le bureau, parce qu’elle commençait à trembler. Que dois-je faire ? comme si c’était un rêve. Je vais tomber dans les pommes et ça résoudra tout. Ou je saute par la fenêtre fermée et je me sauve. Aussitôt, j’ai fait semblant de me dominer (comme tant de fois depuis), je l’ai remercié de sa confiance, puis je lui ai dit que je voulais alors lire tout cela. A quoi il a répondu en gros qu’il l’avait déjà lu et que je ne devais avoir aucun appréhension, ce dossier faisait partie des meilleurs, quelque chose comme ça. J’ai voulu disparaître, pour que personne ne puisse regarder mon visage en cet instant. (ibid., p. 19)
13Il y a ainsi des complications de familles de même qu’il y a des complications de textes. Des petites histoires de non-dits qui sont astreintes à une longue généalogie des gestes inaudibles, ceux qu’on peine à entendre, qu’on distingue et appréhende avec difficulté parce qu’il questionne la part la plus intime de notre entendement. L’écrivain relit et retourne au passé. Il confronte les faits et gestes épiés, date à date, avec son souvenir d’enfant.
Dans un dispositif typographique remarquable, il « revoit et corrige », c’est-à-dire qu’il comble de sa critique virulente et mouvante (notée à l’encre noire) le mutisme laconique et pourtant si dangereusement bavard qui caractérise la prose issue des entretiens secrets (notée à l’encre rouge).
14Mots choisis, les termes par lequels l’écrivain fait le conte de sa lecture sous contrôle font un écho cruel à la réflexion de Peter Szendy, décrivant une posture épiée, menacée par l’auto-censure et par le moindre regard extérieur :
« [extrait du rapport que lit l’écrivain] “Jusqu’à ce jour, nos agents ont proposé d’inscrire 18 noms sur la liste des Interdits et ont demandé le surveillage de 4 personnes.”
« Le surveillage. Mot singulier. Je vois des noms familiers. » (ibid., p. 43)
« En cet instant (onze heures et quart) un conservateur très avenant s’approche de moi, en fait il me salue. En s’éloignant il semble désigner ou débiner (caméro vidéo !) les textes de Papa : C’est mieux ainsi… Je fulmine intérieurement. Qu’est-ce qui est mieux que quoi ?! Je ne le comprends même pas. Le mille-pattes, au moment où il perd sa millième patte, perd le sens de l’ouïe. » (ibid., p. 44)
« Je fonds en larmes, en secret et à plusieurs reprises. Je le signale seulement (caméra vidéo) ; sans y attribuer de valeur. » (ibid., p. 45)
« J’ai l’impression que M. [l’un des conservateurs] épie comment je gère la situation. […] Il se peut qu’il soit simplement ami de la littérature. Ou qu’il ne m’épie pas du tout et que je délire simplement. » (ibid., p. 54-55)
« En écrivant Csanádi [nom d’agent donné à son père], j’ai pensé brusquement : j’écris des rapports moi aussi. Un rapport sur cinq souris. Un rapport sur l’homme. C’est trop. — Badaboum, c’est aussi son mot à lui. » (ibid., p. 59)
15Nous sommes entrés dans l’ère des « sociétés de contrôle » (Deleuze) et celles des rapports, où l’écrivain devient soudain comptable des hommes à l’aune des agents d’espionnage qui consignent minutieusement les faits et gestes de leurs « relations » à des fins mystérieuses.
16Exécutant les rapports de son père, qu’il recopie et ce faisant enregistre – met en registre, consigne, collectionne, publie et auditionne aux sens juridique mais aussi acoustique et bibliothéconomique du terme5, Esterházy confirme les termes de Szendy à propos d’« une œuvre qui se surécouterait, dans et par cette place d’auditeur qu’elle situe dans une juste distance » (Szendy, ibid., p. 60). La prison devient alors toute intérieure, l’écriture rendue dans un enclos où nul ne peut entrer et sortir impunément :
Je suis calfeutré dans ma chambre, dans la pièce voisine, il y a un déjeuner dominical en famille, mon beau-père est là avec tous les enfants, y compris les « grands », mais je n’arrive pas à quitter ma chambre, je ne peux pas en sortir et y entrer facilement. (Péter Esterházy, ibid., p.53)
17L’essai de Peter Szendy est un effet de reprise sur des champs qui le préoccupent depuis maintenant plusieurs années. Il s’intéresse ici à la multiplication des foyers et des points d’écoute (d’après les travaux de Michel Chion), ainsi qu’à la politique d’écoute développée par Furtwängler (à partir de Bach), à travers le dispositif de télésurveillance panoptique présent de façon exemplaire dans le film Phantom of the Paradise, un Faust opéra rock. Il en vient alors à définir un nouveau glissement, celui du fantôme au fantasme d’écoute. Tel un autre franchissement des seuils sensoriels, « du surcroît d’yeux » au surcroît d’oreilles, l’essayiste repart de Freud et de la scène du voyeur pour interroger une transposition possible dans le champ de la télécoute :
Je ne puis m’empêcher de songer aussi à ce que Freud, parallèlement à ce qu’il avait identifié comme scène primitive — et qui est de nature essentiellement visuelle ou scopique —, définissait comme le « fantasme d’écoute ». Parlant d’une patiente qui croyait régulièrement entendre un bruit lorsqu’elle se retrouvait au lit avec son amant (elle s’imaginait donc surveillée et surécoutée), Freud notait ainsi :
« ce bruit est […] nécessairement requis par le fantasme d’écoute et il répète ou bien le bruit par lequel se trahit le commerce des parents, ou bien celui par lequel l’enfant à l’écoute risque de se trahir. » [passage souligné par Peter Szendy]
Ou bien, ou bien : le fantasme d’écoute étant ici sa menace dans les deux sens ; son danger rayonne des deux côtés : vers la scène à surprendre, mais aussi vers l’écouteur. Cette moindre dissymétrie au regard du voir, c’est-à-dire cette moindre protection de l’écoute an tant que lieu secret d’où épier, serait-elle à rapprocher d’une lacune lexicale notable : à savoir que, pour le mot voyeur, il semble n’exister aucun équivalent auditif ? (Peter Szendy, op. cit., p. 39)
18Affaire de contamination et de propagation entre les généalogies, on ne s’étonnera plus qu’il faille aussi explorer les zones frontières de transmission entre les vivants et les morts, ces cartographies incertaines de la mémoire. S’essayer à tracer les lignes et les voix d’une histoire de l’écoute c’est alors apprendre à ausculter les fantômes. Ausculter – le terme est médical, c’est « procéder à l'examen clinique qui consiste à percevoir auditivement (par contact direct avec le malade, ou par l'intermédiaire d'instruments) les vibrations intérieures produites par les organes en fonction (surtout poumons et cœur). » (source : ATLIF) Appliqué à une ombre, le geste devient compliqué. Faust, cependant, en littérature, à l’opéra comme au cinéma, est une cohue fantomatique bien palpable, audible et discernable, selon le corpus qu’on lui prête. Il est le composé savant de citations sérieuses et parodiques, d’emprunts et de propos détournés, celui qui est mu par l’inquiétude de l’œuvre à produire et qui sera inquiété sur cette voie par les ironiques reprises du diable (qui sont autant de méprises fécondes de sens et d’équivoque). Et c’est en cela qu’il devient une si redoutable chambre d’échos, où résonnent à égalité les citations spectrales des autorités (la pensée des morts qu’il rumine) et les cris d’une Gretchen suppliciée paradoxe de cinéma muet chez Murnau6 (la parole d’une vivante qui le réveille).
19Dans une lecture décisive du Faust de Pessoa, Patrick Quillier propose la notion d’acroamatique (qu’il tire des Nouveaux Essais sur l’entendement de Leibniz) afin de mieux saisir la pensée faustienne, dans son rapport à la citation, à la fragmentation et à la formulation. Précisant l’origine du terme, il note :
Je souhaite redonner au mot acroamatique toute la plénitude de son sens grec : cette tentative d’audiocritique doit bel et bien pouvoir être nommée méthode acroamatique dans la mesure où elle privilégie l’oreille comme instance centrale de l’expérience littéraire, chez l’écrivain comme chez son lecteur. 7
20On lira dans cet essai de Peter Szendy sur la télécoute, en écho en quelque sorte à cette proposition de Patrick Quillier, une autre méthode fondée sur les sens comme les centres possibles d’une expérience et d’une esthétique où, cette fois, l’optique, l’acoustique, la diction et leurs jeux changeants de dispositifs, viennent questionner ce rapport de la pensée à la pensée.
21Essai d’une audiocritique vigilante et rigoureuse, la lecture devient un suspicieux studio d’enregistrement : elle révise, se méfie, réauditionne les paroles captieuses et captivantes des fantômes afin de les serrer au plus près de leur murmure. Tracée de façon suggestive, c’est une nouvelle configuration de sa pensée, à visée panoptique, d’une certaine histoire de la littérature, de la musique, du cinéma et des arts visuels de notre temps (entendu au sens large). Parcours en faveur de la diversité artistique du XVIIIe au XXe, Szendy apporte une pièce décisive, une sorte de théâtre de fantômes, à la critique qui explore la mémoire parlée et chantée, à travers un réinvestissement des mythes hérités de l’Antiquité et une généalogie productive dans les arts.