Acta fabula
ISSN 2115-8037

2023
Mai 2023 (volume 24, numéro 5)
titre article
Christophe Cosker

Vices et vertus du cercle des connaissances africaines

Ninon Chavoz, Éloge des ratés. Huit portraits de l’auteur francophone en encyclopédiste, Paris, Hermann, coll. « Fictions pensantes », 2020, EAN : 9791037005236, 193 p.

Ex Africa semper aliquid novi.  — Théodore Monod1

1Maître de conférences à l’Université de Strasbourg, Ninon Chavoz revendique quatre axes de recherche : « littérature et savoirs », « littératures francophones », « histoire littéraire intégrée » et « littérature et arts ». L’essai paru en 2020 dans la collection « Fictions pensantes » sous le titre Éloge des ratés. Huit portraits de l’auteur francophone en encyclopédiste se situe à l’intersection entre ses deux premiers thèmes de recherche. Voici comment l’auteur présente son sujet :

Je voudrais proposer dans les pages qui suivent huit portraits d’‘encyclopédistes’ francophones : précisons d’emblée que le terme se comprend ici au sens large, comme manifestation d’une tentation ou d’un tropisme récurrent qui conduit l’auteur, l’artiste ou le critique à se couler momentanément dans un moule encyclopédique ou à y jeter l’un de ses personnages. On ajoutera encore que l’encyclopédisme n’est pas nécessairement synonyme de polymathie avérée. (p. 13)

2Le problème est donc celui de la polymathie, ou du polymathe, cet homme universel par l’étendue et la variété de son savoir. Cette posture fait l’objet à la fois d’une lecture externe lorsqu’elle suit la trajectoire d’un auteur ou interne lorsqu’il s’agit de la mise en scène d’un personnage dans une fiction. Dès lors, on comprend le sous-titre scientifique Huit portraits de l’auteur francophone en encyclopédiste, mais peut-être moins le titre plus négatif et enlevé : Éloge des ratés. Ainsi la quête du savoir, mais peut-être celle du savoir universel et non du savoir dans un domaine, semble-t-elle d’abord vouée à l’échec. Mais il s’agit ici de construire un discours positif sur des tentatives littéraires et épistémiques qui avortent. En ce sens, l’expression, qui peut paraître oxymoronique en ce qu’elle allie deux termes de connotation opposée, revêt finalement un sens positif qui met en abyme l’ouvrage lui-même comme essai, c’est-à-dire comme quête de connaissance. Ninon Chavoz propose huit portraits types — de l’amateur au zoologue en passant par le cartographe, le déraciné, l’élégant, l’enfant, le marchand ou encore le paria — qui servent à revisiter un certain nombre de lieux communs :

« Chaque chapitre prendra ainsi comme point de départ une assertion communément répandue, à laquelle il apportera une réfutation ou, plus modestement, un contrepoint critique. L’encyclopédie est-elle l’apanage des érudits ? La sagesse attend-elle le nombre des années ? L’atlas est-il le meilleur allié de l’empire ? Quelle couleur porte l’encyclopédiste ? Lui sied-il de revêtir le gilet vert de l’académicien ? Peut-on faire fortune en vendant des encyclopédies ? » (p. 19-20)

3Pour rendre compte de cet essai, nous ne proposons pas de suivre chacun de ces portraits ni d’en proposer une configuration nouvelle, mais plutôt, en deux temps, de revenir sur la méthode du chercheur, puis sur ses résultats.

Conceptions du savoir

Pour une axiologie alternative de la typologie

4L’ordre des connaissances est au cœur des recherches de Ninon Chavoz. Il ne s’agit pas seulement pour elle d’interroger le rapport entre littérature et savoir, mais aussi celui entre recherche en littérature et savoir étant donné la façon dont Michel Foucault notamment souligne les interférences avec le pouvoir :

Le présent essai découle d’un travail antérieur, dont l’un des enjeux essentiels résidait dans la confrontation de l’objet encyclopédique et des théories postcoloniales. À la suite d’Edward Saïd et Homi Bhabha, ces dernières ont fait de la typologie la manifestation d’un discours de surplomb dominateur, quadrillant un territoire simultanément conquis, cartographié et documenté. Reléguée hors d’Europe, la tentation encyclopédique, combinant savoir et pouvoir, était donc devenue l’indice d’un défaut de scientificité autant que de l’imposition critiquable d’un point de vue ethno-centré. À l’encontre de cette interprétation, j’ai souhaité développer une lecture alternative de l’encyclopédie, comprise non plus seulement comme un discours d’autorité typologique mais comme le véhicule d’un savoir pratique, ouvert au risque du dépaysement et à la perception de configurations singulières. (p. 14-15)

5Toute connaissance suppose un ordre, une organisation, une typologie et fait sens dans un système, c’est-à-dire par rapport à d’autres éléments, dans le cadre d’une théorie. Or, les études postcoloniales en général, et Edward Saïd et Homi Bhabha en particulier, ont fait de la typologie une caractéristique du discours colonial, ce qui constitue la critique d’un ordre du savoir étant donné son lien à l’autorité. Face à cette attitude, Ninon Chavoz suggère une autre voie qui disjoint typologie et autorité, faisant de l’ordre du savoir quelque chose de pratique qui prend le risque d’affronter l’altérité et de trouver, non pas une absence d’ordre, mais une autre typologie. En d’autres termes, le savoir est dépaysement, changement de pays, mais aussi de paysage et donc de grilles de lecture de ce paysage. Il permet également, au sein de la forme encyclopédique, de rapprocher, de façon incongrue, des objets qui ne se rencontreraient jamais nulle part ailleurs — sauf peut-être dans la réalité. En ce sens, cette vision africaniste de la typologie s’oppose à la vision postcoloniale et s’ouvre aux dimensions de l’interculturalité comme remise en cause de l’évidence typologique par un outsider. Ninon Chavoz pense un africanisme sans collusion avec le pouvoir afin de lui conférer ses lettres de noblesse.

Plaidoyer en faveur de l’africanisme considéré comme une indiscipline

6En ce sens, Ninon Chavoz se revendique moins des études francophones ou postcoloniales que de l’africanisme, en se plaçant dans le sillage d’Alain Ricard :

Du côté des belles lettres et de la philologie, une telle démarche pourrait être rapprochée de l’africanisme défini et préconisé par Alain Ricard (1945-2016), directeur de recherches au CNRS, par ailleurs auteur d’écrits qui concilient l’autobiographie, le récit de voyage et la documentation locale. Dans un texte testamentaire publié en 2016 dans la revue Études littéraires africaines, Alain Ricard récuse ainsi la ‘manie de vouloir tout tracer au cordeau, de coloniser le monde au nom des disciplines installées’, préférant placer l’africanisme sous le signe de ce qu’il appelle ‘l’in-discipline’. (p. 29)

7Ninon Chavoz rappelle la variété des aspects du geste intellectuel d’Alain Ricard qui, en polygraphe, rédige autobiographie, récit de voyage et enquêtes de terrain. En ce sens, il peut lui aussi apparaître comme un polymathe ou un encyclopédiste, c’est-à-dire un homme en quête de savoirs, savoirs dépaysants culturellement dans son cas. Ninon Chavoz choisit une citation dans laquelle Alain Ricard se dit ennemi des découpages ainsi que d’une certaine forme d’académisme, ce qui lui permet de poser un idéal d’in-discipline2. La vertu de cette proposition scientifique nous semble être d’attirer l’attention sur les risques du découpage du savoir ainsi que du figement d’une tradition, fût-elle académique. L’originalité du propos consiste à faire de l’africanisme un fer de lance par opposition à des domaines qui peuvent, de prime abord, sembler plus modernes, comme la francophonie et les études postcoloniales. Ninon Chavoz reprend à son compte ce thème de l’indiscipline qui permet à l’africanisme, en s’émancipant des carcans disciplinaires, de faire peau neuve :

Si les africanistes peuvent se comporter en ‘maîtres Jacques’, multipliant les entrées encyclopédiques sans s’embarrasser de frontières méthodologiques, c’est précisément parce que leur formation antérieure ne les prédestine à aucune forme d’expertise – au-delà de la connaissance du terrain qu’ils ont acquise du fait de leurs fonctions. Il est frappant de constater que cette appétence plurielle induit aujourd’hui une réhabilitation de l’africanisme, volontiers présenté comme un discours précocement émancipé des carcans disciplinaires. (p. 23)

8Ainsi, en questionnant la typologie comme ordre du savoir, il est possible de remettre en question la typologie non seulement dans le rapport entre le savoir et son utilisation par le pouvoir, mais aussi, plus discrètement, le rapport du pouvoir au découpage académique des domaines du savoir. Dans cette configuration, l’africanisme se veut indiscipliné, revendiquant, non pas une absence de discipline, mais un autre rapport, plus ouvert et moins figé, aux disciplines.

Du texte à l’image

9Ce parti-pris théorique d’africanisme indiscipliné incite à s’intéresser autant au texte qu’à l’image, voire au mélange des deux. C’est la raison pour laquelle ne sont pas seulement convoqués des hommes de savoir et des écrivains, mais aussi des artistes, en particulier ceux dont l’œuvre entend briser des carcans. Ninon Chavoz en cite principalement trois : Frédéric Bruly Bouabré, Chéri Samba et Hassan Musa. Le premier est révélé à l’occasion de l’exposition intitulée « Magiciens de la terre » en 1989 :

L’artiste travaille à partir d’une carte rectangulaire, en général de petite dimension (15 cm de longueur sur 10 cm de largeur), dont le centre est occupé par un dessin réalisé au stylo bic et aux crayons de couleur. Ce motif central est entouré d’un cadre également colorié dont la fonction est de séparer le dessin d’une marge blanche réservé au texte. (p 35)

10La carte fait donc l’objet d’une réappropriation artistique qui en change le sens et lui donne de nouvelles dimensions de savoir et de pouvoir, rappelant aussi qu’elle est, à l’origine, un dessin. Chéri Samba est l’une des figures de la peinture populaire au Congo. Son inspiration est également cartographique et ses œuvres combinent texte et image. Ninon Chavoz se livre à l’ekphrasis de Barack Obama va réussir ?!, toile sur laquelle le personnage éponyme se retrouve, vêtu de rouge, un globe sur l’épaule, devant un drapeau américain. La peinture interroge donc la figure de l’Atlas comme porteur du monde à l’aune de la mondialisation transatlantique issue de la traite. Hasan Musa se sert lui aussi de cartes, superposant, de façon érotique, des corps nus empruntés à l’art japonais du shunga. Pour l’artiste, la carte est pornographique, obscène parce qu’elle expose la réalité et reflète la norme. On trouve également une critique de Joséphine Baker dont le peintre fait voler les bananes autour du corps et chez qui il voit une nouvelle Suzanne complice des vieillards qui la reluquent. L’africanisme pictural est donc analyse du détournement des supports et de superpositions qui révèlent et mettent à mal les frontières.

Aspects de la tentation encyclopédique dans le discours littéraire francophone d’Afrique

Corpus primaire

11Ainsi les questions d’encyclopédisme et de polymathie sont-elles à la fois thématiques et rhématiques. Elles excèdent le cadre de la fiction et celui de la trajectoire de l’auteur pour rejaillir sur la méthode de l’auteur et son rapport à la construction de connaissances nouvelles. Mais procédons par ordre en rappelant le corpus choisi par Ninon Chavoz :

L’examen des tentations encyclopédiques dans l’espace francophone africain m’avait amenée à placer au cœur de mon propos trois portraits de polymathes, dont la présente étude constitue le prolongement. On retrouvera dans ce qui suit la trace épisodique de l’écrivain-instituteur dahoméen Paul Hazoumé, penseur ‘régionaliste’, auteur d’un essai ethnographique ainsi que d’un roman historique devenu un classique méconnu de la littérature francophone africaine ; celle du personnage de fiction Giambatista Viko, érudit présomptueux inventé par l’écrivain Georges Ngal pour moquer les travers de son compatriote et rival académique Valentin-Yves Mudimbe ; enfin celle de l’Ivoirien Frédéric Bruly Bouabré, poète maudit, prophète raté, devenu artiste malgré lui à l’occasion de l’exposition ‘Les Magiciens de la Terre’ tenue en 1989 au Centre Pompidou. À partir de ces trois portraits diversifiés, il m’a été possible d’identifier plusieurs gestes encyclopédiques dont j’ai retracé les transformations et les récurrences sur une période de près d’un siècle, des années 1920 à nos jours, dans des productions artistiques et littéraires françaises aussi bien que francophones. (p. 16)

12Le présent essai se présente comme une suite et une mise en perspective d’Inventorier l’Afrique. La Tentation encyclopédique dans l’espace francophone subsaharien des années 1920 à nos jours (2021)3. L’auteur choisit trois figures paradigmatiques d’encyclopédistes africains. Le premier est Paul Hazoumé qui conjugue les figures d’intellectuel, d’ethnographe et de romancier. Le deuxième est un personnage de fiction : Giambatista Viko. Il s’agit d’une invention de Georges Ngal pour blasonner Valentin-Yves Mudimbe. Ninon Chavoz revient alors sur la « querelle de Lubumbashi » (p. 134) qui commence lorsque Valentin-Yves Mudimbe publie Entre les eaux (1973), roman dans lequel le personnage principal, appelé Pierre Landru, est un prêtre défroqué attiré par le marxisme et qui fait songer à Georges Ngal. La publication de Giambatista Viko ou le viol du discours africain (1975) constitue la réponse du second au premier. Le troisième est Frédéric Bruly Bouabré qui est à la fois poète, prophète et artiste malgré lui. Ces trois figures permettent d’analyser le savoir, dans son rapport à l’écriture, comme un passage, passage d’un genre à un autre, passage de la réalité à la fiction, passage d’un art à un autre. On retrouve ici le caractère indiscipliné — et anarchique ? — du savoir.

Le paradigme Théodore Monod

13Nous souhaitons analyser plus particulièrement deux cas de figure. Le premier est celui de Théodore Monod, référence récurrente sous la plume de Ninon Chavoz qui analyse en lui « L’Amateur », « Le Cartographe » ou encore « Le Zoologue », selon quelques-unes des entrées de ses portraits :

Placé à la tête de l’institut français d’Afrique Noire entre 1938 et 1965, Théodore Monod (1902-2000) se présente d’abord comme un scientifique : avant de devenir l’un des plus grands spécialistes du Sahara au XXe siècle, il est, en vertu de l’onction de l’expertise conférée par un doctorat, un naturaliste formé en carcinologie, auteur d’une thèse consacrée, entre autres, à un crustacé isopode du nom de Paragmathia formica. L’érudition dont il fait montre incite pourtant à le classer au rang des encyclopédistes : présenté dans la biographie qui accompagne l’édition de ses textes en livre de poche comme un ‘chercheur pluridisciplinaire’, spécialisé en biologie, en géologie, en botanique et en zoologie autant qu’en anthropologie et en sociologie, il apparaît indubitablement comme un savant universel. (p. 25)

14Théodore Monod, « africaniste indiscipliné […] [et] arpenteur de désert » (p. 150) constitue l’exemple de l’encyclopédiste heureux et du polymathe réussi, ce qui signifie sa reconnaissance par l’institution. Mais l’auteur indique ce qui, dans sa trajectoire, peut surprendre, à savoir celle d’homme universel. Naturaliste de formation, Théodore Monod est d’abord spécialiste d’un crustacé avant de devenir celui d’un désert. Ce qui intéresse dans sa trajectoire, c’est la façon dont l’objet scientifique qu’il construit, à savoir le Sahara, exige, au lieu de l’exclure, la posture de chercheur pluridisciplinaire. Ninon Chavoz cite en particulier L’Hippopotame et le philosophe (1942), un essai dont le titre lui-même repose sur un rapprochement volontairement incongru et qui contient des pages où l’on comprend que l’atlas ni la carte ne sauraient être que coloniaux.

Alain Mabanckou : art de la sape et tentation encyclopédique

15Ninon Chavoz s’intéresse aussi au cas de l’écrivain francophone Alain Mabanckou, qui n’est pas un chercheur, mais qui se présente aussi comme un théoricien de la francophonie réactualisant, de la façon suivante, la parenté étymologique entre texte et tissu :

L’exemple le plus frappant d’un usage littéraire de la Sape est offert par l’écrivain d’origine congolaise Alain Mabanckou (né en 1966) : titulaire pour un an de la chaire de Création artistique du Collège de France en 2015-2016, l’auteur promu professeur fit forte impression en se présentant, pour chacune des leçons qu’il donna et pour le colloque qu’il organisa entre les murs de la prestigieuse institution, paré des rutilantes tenues du sapeur. En arborant une telle garde-robe, Alain Mabanckou ne se contentait pas de se glisser dans l’habit de certains de ses personnages. Par ce choix vestimentaire, il offrait également une traduction concrète à son art littéraire reposant sur l’emprunt affiché de la griffe titrologique. (p. 88)

16L’auteur se focalise sur un détail en apparence anodin : la vêture. En effet, Alain Mabanckou se présente comme un Sapeur, c’est-à-dire un membre de la société des ambianceurs et des personnes élégantes. Cette mode vestimentaire congolaise, qui n’est pas sans affinité avec le dandysme, est susceptible de transpositions littéraires. En d’autres termes, la manière de s’habiller permet de comprendre la manière d’écrire, et inversement. Ainsi l’exhibition de la marque du vêtement peut-elle faire songer à l’énumération des titres dans la prose de l’auteur. Elle se comprend comme une marque d’encyclopédisme de la part d’un écrivain qui tente de faire le tour de la littérature. Mais elle apparaît aussi comme une forme indisciplinée d’exhibition du savoir. L’esthétique d’Alain Mabanckou peut se définir de la façon suivante : « le goût de l’abondance, la circulation des références et la volonté de faire sien un objet ‘emprunté’ » (p. 88). Les titres sont présents pêle-mêle et l’usage qui en est fait peut sembler superficiel. Néanmoins, ce style permet de remettre en cause un certain ordre du savoir, et peut-être la ligne de démarcation, frontière racialisée invisible entre littérature française et littérature francophone. On peut ainsi y voir une forme de revanche de l’ancien colonisé qui maîtrise, mieux que lui, la langue et le vêtement du colon. Dans cette perspective, l’africaniste reste, quant à lui, un chiffonnier, un Lumpensammler au sens de Walter Benjamin, c’est-à-dire un amateur de (vieux) papiers. De façon générale, l’œuvre d’Alain Mabanckou problématise l’encyclopédisme :

Verre cassé enfin peut être considéré comme la pièce centrale d’une trilogie romanesque, dont Anthony Mangeon a brillamment démontré la cohérence implicite : le roman de 2005 prolonge en effet African Pyscho, paru en 2003, en même temps qu’il offre son point de départ aux Mémoires de Porc-épic de 2006, récompensés par le prix Renaudot. L’encyclopédisme, patent dans l’imposante et subreptice titrologie dont l’auteur tisse le texte de Verre cassé, débouche ainsi sur le polar par l’entremise du ‘crime suprême’ qu’est le plagiat. (p. 178)

17À cette première veine encyclopédique succède ensuite, chez l’auteur, une veine autobiographique avec Demain j’aurai vingt ans (2010), Lumières de pointes noires (2011) et Les Cigognes sont immortelles (2018).

***

18En conclusion, plutôt que suivre la galerie de portraits proposée par Ninon Chavoz à la surface de son livre, nous avons préféré nous plonger dans les profondeurs d’une recherche qui indique comment se construisent ces portraits. Ainsi, derrière l’image de l’homme savant se cache l’interrogation sur le savoir. La conception de la connaissance ici défendue est celle d’un savoir qui ne se veut pas disciplinaire en un sens exclusif et hégémonique, mais « indisciplinaire », c’est-à-dire ouvert sur l’ailleurs et prêt à se confronter à d’autres typologies, voire à l’absence de typologie. En ce sens, la tentation encyclopédique fait de l’écrivain francophone bien autre chose qu’un raté, si l’on choisit d’emprunter la piste qui va de la définition du ratage vers celle de celui qui rate. Il existe, dans littérature française notamment, de Joachim Du Bellay à Emil Cioran, une conception paradoxale du savoir comme amertume. La condamnation apparente mérite réhabilitation. En effet, le ratage n’a pas le caractère définitif de l’échec, et la tentation mérite, à elle seule, un éloge qui n’est pas ironique.