Acta fabula
ISSN 2115-8037

2023
Mai 2023 (volume 24, numéro 5)
titre article
Christophe Cosker

Échanges entre La Réunion et Madagascar de 1880 à 1970

Pierre-Éric Fageol et Frédéric Garan, La Réunion-Madagascar. Une histoire connectée dans l’océan Indien (années 1880-1970), Saint-Denis (La Réunion), Presses Universitaires Indianocéanique, 2021, EAN : 9782490596515, 356 p.

« L’évocation de Madagascar dans la littérature réunionnaise relève depuis les Chansons madécasses d’Évariste de Parny d’un imaginaire poétique, pas d’une démarche scientifique. » (p. 9)

1Pierre-Éric Fageol et Frédéric Garan, tous deux maîtres de conférences à l’Université de La Réunion, proposent un ouvrage écrit à quatre mains intitulé La Réunion-Madagascar. Une histoire connectée dans l’océan Indien (années 1880-1970). Historiens de formation, ils proposent l’empan historique suivant, de 1880 à 1970, pour étudier les rapports entre La Réunion et Madagascar comme une histoire connectée. Ainsi s’agit-il pour eux de penser les rapports entre deux îles de l’océan Indien, à la façon d’un nouvel ensemble indianocéanique qui n’est pas sans rappeler les Mascareignes :

On désigne par le nom de Mascareignes les îles de La Réunion et de Maurice, situées dans l’océan Indien, aux abords de Madagascar. Il s’agit d’un rapprochement étrange opéré entre des terres qui ont un parcours historique différent : Maurice a acquis son indépendance en 1968, alors que La Réunion conserve le statut de département d’outre-mer français. Les littératures francophones mauricienne et réunionnaise sont toutes deux nées de la colonisation française et continuent de se développer.1

2Néanmoins, le présent rapprochement ne s’opère pas entre La Réunion et Maurice, mais entre La Réunion et Madagascar. Et il n’a rien d’étrange. Pour traiter des rapports complexes entre ces deux îles, ils privilégient l’histoire connectée à l’étude cloisonnée et se placent également à l’intersection des études impériales. En d’autres termes, le but de cet ouvrage, qui n’est pas sourd aux études culturelles, est de remplacer la rêverie littéraire par la connaissance scientifique, ou plutôt de fonder la première sur la seconde. Il ne s’agira donc pas ici d’une histoire verticale entre une île colonisée et sa métropole – même si cette dernière est constamment présente dans des relations qui sont moins bilatérales que trilatérales -, mais d’un essai d’histoire horizontale entre deux îles colonisées. Telle est la conviction que les deux chercheurs placent en cette approche : « Pour développer la connaissance de ces territoires coloniaux, peut-être faut-il les émanciper du lien avec la métropole, en insistant sur les relations directes entre les différentes îles » (p. 349). Cette histoire connectée de La Réunion et Madagascar de 1880 à 1970 se compose de sept chapitres qui en structurent le déroulement de la façon suivante : « La construction d’un imaginaire malgache dans les sociétés savantes réunionnaises », « Les Réunionnais et les guerres franco-malgaches (1883-1895) », « Les migrations des Réunionnais et la découverte de l’altérité », « Des Malgaches à La Réunion : après l’esclavage, engagisme et exil », « Le projet de rattachement de La Réunion à Madagascar : entre peur d’un déclassement et sursaut identitaire », « Les enjeux durant les deux conflits mondiaux » et « De la Sakay à Diégo Suarez, de petits bouts de La Réunion à Madagascar (1945-1977) ». Pour rendre compte du présent essai, nous évoquerons, de façon fluide, les relations entre La Réunion et Madagascar, en gardant à l’esprit que la première île eut toujours une volonté hégémonique sur la seconde. Nous commencerons donc par poser le problème en observant, selon différents points de vue, les échanges entre La Réunion et Madagascar ainsi que la façon dont ils se structurent avant de voir comment les conflits constituent des postes d’observation pertinents des rapports entre les deux îles ce qui nous permettra, en dernier ressort, d’analyser et de déconstruire la façon dont La Réunion a tenté d’imposer son hégémonie à Madagascar.

La France, La Réunion et Madagascar : qui colonise qui ?

3Entre la France, La Réunion et Madagascar, la réponse à la question « qui colonise qui ? » semble évidente. La France colonise La Réunion et Madagascar, La Réunion puis Madagascar. Mais les choses ne sont peut-être pas aussi simples, parce que La Réunion s’immisce dans la colonisation française de Madagascar et parce que la jeune colonie malgache tente, à un moment donné, d’absorber la vieille colonie réunionnaise. Reprenons donc cette histoire complexe en entrant dans les détails.

Circulations humaines d’une île à l’autre

4Les échanges entre La Réunion et Madagascar sont nombreux et vectorisés dans les deux sens. Il s’agit d’abord de circulations humaines, puis de circulations de denrées, sans oublier, de façon subsidiaire, de circulations de matériels. Mais il convient de garder à l’esprit qu’il existe néanmoins une logique de domination dans ces échanges :

En dominant Madagascar, La Réunion poursuit un double objectif. D’un côté, la Grande Île doit devenir un pays de cocagne pour les déclassés de Bourbon. De l’autre, elle doit être un réservoir de travailleurs bon marché, se substituant dans la seconde moitié du XIXe siècle à la perte de la main-d’œuvre servile. Madagascar sera donc une des terres de l’engagisme. Cependant, le ‘réservoir’ malgache s’avère décevant, ce qui n’empêche pas La Réunion, galvanisée par la conquête, de construire des projets pour la venue de travailleurs jusque dans les années 1920. (p. 16)

5Dès l’introduction de l’ouvrage, on comprend que les deux îles ne sont pas à égalité. La petite tente d’avoir le dessus sur la grande. Au moment de la colonisation française de Madagascar, La Réunion se propose comme un intermédiaire et une tête de pont de cette conquête, en raison de sa francité et de l’ancienneté d’icelle. En effet, en tant qu’île mascarine, La Réunion n’est pas peuplée avant le début de la colonisation française de l’océan Indien au XVIIe siècle. Or, la conquête de Madagascar est aussi importante aux yeux de la France qu’à ceux de La Réunion parce qu’elle permettrait de résoudre le double problème de Bourbon, à savoir celui de l’exiguïté ainsi que celui de la main d’œuvre. En d’autres termes, Madagascar serait une annexe de La Réunion : elle y déverserait son trop plein de population et y prélèverait les travailleurs dont elle a besoin.

Le concept de colonie colonisatrice

6En tant que vieille colonie, La Réunion entretient avec la France des relations anciennes et complexes. Les deux historiens montrent notamment la circulation d’un certain nombre d’agents réunionnais à Paris — Pascal Cremazy, François de Mahy ou encore Charles Foucque —, que ce soit à l’Assemblée nationale, au Sénat ou encore dans les ministères. Cet état de fait permet à La Réunion de consolider une position autrement fragile et marginale. Les deux historiens montrent également qu’il existe une élite locale active, organisée notamment en académies. C’est cette élite qui développe, à toutes fins utiles pour Madagascar, le concept de colonie colonisatrice :

Selon ses mots, depuis les premières tentatives d’implantation d’Étienne de Flacourt au XVIIe siècle, La Réunion a constamment prouvé qu’elle pouvait être considérée comme ‘la sœur aînée et la tutrice’ de la Grande Île. Elle constitue finalement ‘un poste de commandement, d’alerte et de ravitaillement qui devint le foyer même de notre influence, la tête de pont de nos conquêtes, mieux qu’un Gibraltar, une colonie colonisatrice’. (p. 117)

7Ce concept, développé par Raphaël Barquissau, est particulièrement intéressant en ce qu’il complexifie le rapport entre métropole et colonie. Ainsi n’y a-t-il pas simplement d’un côté la métropole et de l’autre les colonies ; il existe une échelle entre les colonies et certaines d’entre elles peuvent en coloniser d’autres à leur tour. Dès le XVIIe siècle, La Réunion tente donc de se placer en position hégémonique par rapport à La Réunion, mais d’une façon douce, qui pourra évoluer différemment en fonction des contextes.

La réalité oubliée du peuplement originel de La Réunion

8Mais le but du présent ouvrage, nonobstant l’ordre des îles dans le titre, La Réunion avant Madagascar, n’est pas d’adhérer à la façon dont La Réunion a tenté de se tailler la part du lion à Madagascar, mais d’analyser, voire de déconstruire, cette histoire. Ainsi le préfacier de l’ouvrage, Claude Prudhomme, rappelle-t-il d’emblée un fait peu connu, à savoir celui de l’origine réelle de la population réunionnaise :

D’une certaine manière, mettre en évidence le rôle des liens intra-insulaires devenait suspect, au point que la grande célébration des débuts du peuplement de La Réunion avait eu soin d’en fixer l’origine à l’année 1665, avec le débarquement d’Étienne Régnault et de ses vingt compagnons dans la baie de Saint-Paul. L’inscription qui figurait, selon Lucas Latchoumaya, au bas du monument commémoratif, aujourd’hui oublié, résume l’état d’esprit des promoteurs des fêtes d’octobre 1965 présidées par Michel Debré : ‘Petite-Île Bourbon, sans cesse tendue vers la mère patrie et si éprise de l’amour d’elle qu’elle enivre tous ses enfants de cet amour’. Cette célébration permettait d’exalter le lien à la ‘cité mère’ (la métropole) et d’occulter l’installation en 1663 de deux colons venus de Madagascar, accompagnés de dix Malgaches (dont trois femmes). (p. 10)

9Ainsi l’origine de la population réunionnaise est-elle malgache, ce qui retourne quelque peu le concept de colonie colonisatrice, mais les deux historiens montrent comment cette origine gêne le récit français officiel, qui le passe donc sous silence et décide de mettre en valeur d’autres faits. Les colons arrivés de Madagascar en 1663 sont oubliés au profit d’Étienne Régnault et de ses compagnons qui n’abordent pourtant la baie de Saint-Paul que deux ans plus tard.

La guerre comme poste d’observation des rapports entre La Réunion, la France et Madagascar

Poste d’observation politique

10Les circulations humaines ne sont pas toujours pacifiques et la période historique retenue, de 1880 à 1970, est marquée par de nombreuses guerres : guerres coloniales d’abord, guerres mondiales ensuite, guerre d’indépendance enfin. Plusieurs des chapitres de l’ouvrage reviennent sur les différents aspects de cette histoire. Mais ce qui retient davantage notre attention est ici la façon dont l’institution militaire fonctionne comme un poste d’observation des rapports entre la France, La Réunion et Madagascar :

Le ‘fait militaire’ permet aux Réunionnais de s’inscrire dans la réalité nationale par la revendication des mêmes droits que les Français de métropole, mais également de défendre les intérêts de la France et de leur île en participant aux différents conflits nationaux et coloniaux. L’intégration des recrues réunionnaises au sein de l’armée participe de la politique d’assimilation et permet d’asseoir un sentiment d’appartenance nationale en conformité avec celui du reste de la nation. La Réunion et la métropole ont cependant des desseins différents. C’est ainsi que pour la métropole, les Réunionnais sont surtout employés comme une force d’appoint pour les opérations militaires. Les différents projets de lois élaborés dans le dernier quart du XIXe siècle tentent désespérément d’appliquer un service militaire identique à celui des métropolitains mais se heurtent à des considérations budgétaires limitant ou annihilant leur effectivité. Dès lors, les Réunionnais sont appelés en fonction des besoins et des urgences de l’État-Major sans pour autant être reconnus pleinement dans leurs droits de citoyens français. Pourtant, pour les Réunionnais, la participation à l’effort militaire fait partie de la logique d’intégration nationale. (p. 49)

11Les différences de traitement entre la métropole et ses colonies s’observent dès la mise en place du service militaire ainsi que dans l’usage des contingents issus des colonies pendant les conflits. Ainsi la notion d’appoint est-elle particulièrement éclairante pour comprendre à la fois le sort des soldats et le statut de la colonie. Néanmoins, la volonté réunionnaise de s’enrôler indique son souhait d’assimilation. Être français signifie notamment être prêt à se sacrifier pour la France, à mourir pour la patrie. Mais le fait militaire est aussi le révélateur de bien d’autres aspects de la colonisation.

Grandeur de la geste militaire réunionnaise

12D’un point de vue positif, le fait militaire contribue à une forme de légende dorée de la colonisation. Lorsqu’il exalte le courage réunionnais, le fait militaire se transforme en geste héroïque. Paul Crémazy est à l’origine d’un hymne réunionnais pour la conquête de Tamatave et la presse réunionnaise locale met en avant l’esprit de sacrifice des enfants du pays :

Après avoir mis tout son cœur pour encourager les engagements des jeunes créoles, M. Georges Richard, payant de sa personne, veut, nous affirme-t-on, dans n’importe quelles conditions, même comme simple soldat, après avoir gagné l’épaulette et bravement gagné le ruban rouge qui orne sa boutonnière, rejoindre ses compatriotes, partager leurs fatigues, unir son sort, mêler son sang sur la terre malgache. La fièvre patriotique qui atteint toutes les âmes chevaleresques s’est emparée de M. Richard. (p. 87)

13Ainsi s’exprime lyriquement un journaliste du Réveil, le 26 avril 1895. Cette rhétorique accompagne l’ensemble des conflits français pour la période étudiée. On peut effectuer un parallèle, lors de la Première Guerre mondiale avec la fabrique du héros national réunionnais Roland Garros.

Misère du traitement discriminatoire des Réunionnais

14Mais d’un point de vue négatif, le fait militaire est aussi le révélateur de la légende noire de la colonisation, à savoir la discrimination :

« Dès leur arrivée à Diégo-Suarez, les volontaires sont confrontés aux premières discriminations et au mépris des soldats européens auxquels sont réservés ‘un blockhaus et un pavillon en bois, à galeries’ et ‘des lits assez confortables, garnis de moustiquaires’. Les volontaires prennent quant à eux la place que leur cède le détachement de Sakalaves, c’est-à-dire trois grandes cases assez rudimentaires, bordées de falafa et couvertes d’une mince couche de paille. À l’intérieur, ‘court un lit de camp sur lequel nous couchons à la diable. La terre constitue le plancher. Bien entendu, matelas, paillasses et moustiquaires sont un luxe inconnu’. » (p. 99)

15La discrimination entre soldat métropolitain et soldat réunionnais se traduit dans le confort des conditions d’existence. Ce qui est vrai des guerres franco-malgaches de la fin du XIXe siècle se prolonge sous d’autres formes au XXe siècle, d’abord avec la Première, puis avec la Seconde Guerre mondiale.

Construction et déconstruction de l’hégémonie réunionnaise sur Madagascar

Coloniser Madagascar : projet français ou projet réunionnais

16Le projet de coloniser Madagascar est d’une importance cruciale pour les Réunionnais, ce qui explique que ceux qui sont à Paris agissent en vue d’infléchir la politique coloniale dans le sens de leurs intérêts :

Sans entrer dans le détail des pourparlers parlementaires, il semble que désormais le lobbying créole soit en berne et se doive de reconquérir par la base une opinion publique désormais préoccupée par d’autres problématiques coloniales. François de Mahy s’y attelle et reprend le travail qu’il avait engagé au début des années 1880. La plus longue mais aussi la plus probante de ses proclamations a certainement été prononcée le 17 novembre 1892 au sein de la Société de Géographie de Paris. Il y reprend un argumentaire déjà éprouvé mais qui résume assez bien la nécessaire translation au niveau national des intérêts réunionnais pour que ces derniers puissent être entendus. Son discours permet également de comprendre, au-delà des limites déjà soulignées du traité de 1885, l’intérêt stratégique que constitue une colonisation plus complète de la Grande Île. (p. 73)

17Aussi peut-on avoir l’impression que la colonisation de Madagascar est un projet réunionnais. Mais comme la citation précédente le montre, il s’agit en effet d’un projet réunionnais de longue date, mais aussi de longue date resté lettre morte. Il a fallu que l’intérêt réunionnais s’aligne avec l’intérêt métropolitain pour que le projet devienne réalité.

Hégémonie malgache

18La Réunion s’associe à la conquête française de Madagascar pour en bénéficier voire tenter de la récupérer. Les deux historiens montrent comment les intérêts de La Réunion lui permettent d’exploiter Madagascar. En effet, dans un premier temps, des soldats réunionnais prennent part à la conquête de la Grande Île et s’y installent ensuite en qualité de colons. Le rêve réunionnais se réalise donc : envoyer des colons à Madagascar et recruter des travailleurs. Les deux historiens reviennent précisément sur l’iniquité de ces engagements, souvent effectués par des agents peu scrupuleux et qui vident Madagascar de la main-d’œuvre endogène dont elle a besoin pour son propre développement. Cette saignée et les rapports inégalitaires s’atténuent progressivement à partir de 1924 et reçoivent bientôt un coup d’arrêt dont l’instigateur est Victor Augagneur :

C’est dans un rapport en date du 16 décembre 1906 que le Gouverneur Victor Augagneur dévoile son projet de rattachement des deux îles. Longtemps discuté dans les bureaux du ministère des Colonies, il ne le soumet finalement au Conseil des ministres que le 3 décembre 1907. Cependant, dès le mois de janvier de la même année, de nombreuses allusions dans la presse métropolitaine et réunionnaise laissent penser qu’un jeu d’influence était déjà engagé. Tel un mystère qui se dévoile peu à peu au gré des fuites ministérielles et des rumeurs médiatiques, le contenu du projet finit par prendre forme auprès de l’opinion.

19Ce dernier propose de renverser le rapport hégémonique entre La Réunion et Madagascar en faveur de cette dernière. Ce plan, auquel il dévoue toute son énergie, provoque la fureur des Réunionnais qui réussissent dans un premier moment, à la faire avorter. Mais la guerre donne gain de cause à Victor Augagneur.

Réunionnais et Malgaches : frères ennemis ?

20Les relations humaines entre Réunionnais et Malgaches sont complexes et le fait que les premiers aient voulu imposer une situation coloniale aux seconds n’a pas arrangé les choses. En effet, les Réunionnais se conduisent à Madagascar comme en terrain conquis et ceux qui emploient des Malgaches à La Réunion apparaissent en maîtres autoritaires. Les Réunionnais développent alors le stéréotype d’une Bourbon civilisée contre une Grande Île sauvage, ce qui appelle des nuances :

La Première guerre mondiale n’a pas créé de solidarité particulière entre Réunionnais et Malgaches, qui n’ont pas spécialement combattu ensemble, au sein des mêmes régiments. La guerre a surtout accentué la présence réunionnaise à Madagascar. Or, durant l’entre-deux-guerres, les Réunionnais ont plutôt une très mauvaise image auprès des Malgaches. Ayant des positions très conservatrices, les colons installés en brousse soutiennent le recours au travail forcé, à la réquisition qui leur permet de survivre. On peut donc dire que si la guerre a rapproché les territoires, elle n’a pas rapproché les peuples. La Seconde Guerre mondiale va accentuer cette tendance. (p. 283)

21Les rapports entre Réunionnais et Malgaches sont donc frappés du sceau de la méconnaissance. Pourtant, les Réunionnais ont une origine malgache. Pourtant, il existe, tout au long de la colonisation, une élite malgache qui réside dans la capitale et met en délicatesse des colons réunionnais plein de morgue mais néanmoins illettrés. Comme l’écrivent les deux historiens, le rapprochement des lieux n’est pas synonyme de celui des hommes.

***

22En conclusion, nous avons commencé par étudier les relations entre La Réunion et Madagascar de façon horizontale avant de voir qu’une verticalité s’instaure à partir du moment où La Réunion s’érige en colonie colonisatrice tout en oubliant l’origine malgache de son peuplement. Les nombreuses guerres qui émaillent la période étudiée renforcent la ligne directrice précédemment observée. Les Réunionnais conquièrent les Malgaches et ne deviendront pas leurs frères d’armes pendant les deux conflits mondiaux du vingtième siècle. Pourtant si les rapports de force ont longtemps été favorables à La Réunion, un renversement s’opère qui tend à instaurer une hégémonie coloniale malgache. Mais les rapports humains entre les deux îles restent largement superficiels et négatifs. C’est ce qui se dégage également du dernier projet d’utopie colonisatrice de la Sakay, enclave réunionnaise en terre malgache qui inspire à Emmanuel Genvrin un roman2 :

Ainsi, sous son impulsion, quinze familles réunionnaises partent pour Madagascar, pour s’installer à la Sakay en novembre 1952 afin de mettre en place une véritable colonie agricole au cœur de Madagascar. Créée ex nihilo sur des terres délaissées par les Malgaches, à cent cinquante kilomètres à l’ouest de Tananarive, la Sakay (du nom de la rivière située au centre des terres concernées) doit être un modèle de développement et de mise en valeur agricole. (p. 322-323)