Acta fabula
ISSN 2115-8037

2006
Octobre 2006 (volume 7, numéro 5)
Corinne Bayle

Dictionnaire Nerval

Claude Pichois & Michel Brix : Dictionnaire Nerval, Tusson (Charente), Du Lérot éditeur, 2006, avec la collaboration de Jacques Bony et Hisashi Mizuno.

1Nerval aima les livres, tous les livres, des grimoires aux imprimés rares, trouvés au hasards des bibliothèques et des librairies ou ventes de bibliophiles. Il se plut à s’abîmer dans les encyclopédies et les glossaires qu’il consulta, compulsa, pour traduire et pour apprendre. Le Dictionnaire Nerval, qui paraît chez le même éditeur, Du Lérot, à la suite du Dictionnaire Baudelaire, dû lui aussi à Claude Pichois (assisté en 2002 de Jean-Paul Avice), n’aurait pu que le satisfaire. Ce gros et beau volume illustré, dont on aura plaisir à couper les 483 pages non massicotées, repliées sur leurs secrets, contient en effet une somme considérable d’informations au sujet du poète lui-même et de son œuvre, réparties en des entrées de toponymes et d’anthroponymes, ainsi que des titres de publications et de projets dont les seules annonces font rêver — « La Reine de Saba » ou « La Margrave ». Le chercheur, comme l’étudiant, trouvera, synthétisé et rassemblé, à peu près tout ce que l’on peut savoir sur l’Allemagne ou l’Orient de Gérard, sur Isis ou Lorely, sur Mortefontaine ou Léo Burckart. Ne pouvant être, toutefois, exhaustifs, des articles se réfèrent en particulier aux notes de la nouvelle édition des Œuvres complètes de la « Bibliothèque de la Pléiade » (trois tomes, Gallimard 1984-1993), dirigée par Jean Guillaume et Claude Pichois, notes rédigées souvent par d’autres précieux nervaliens, Jacques Bony, Henri Bonnet et Jean-Luc Steinmetz, notamment. Certains commentaires citent pour compléments des essais incontournables, comme celui de Charles Dédeyan, Nerval et l’Allemagne (SEDES, 1958) ou celui de Max Milner, L’imaginaire des drogues (Gallimard, 2000), opérant des choix dans l’abondante et vivante bibliographie critique nervalienne.

2Le lecteur en quête de renseignements précis à propos des proches de l’écrivain se reportera aux notices consacrées à des amis ou des contemporains, Paul Chenavard, Alexandre Dumas, Théophile Gautier, Henri Heine, Hippolyte Monpou ou Ferdinand Papion Du Château, également, à des personnalités un peu oubliées aujourd’hui qui jouèrent un rôle dans son existence ou sa carrière, Louis de Saint-Aulaire, Edmond Texier, Eugène de Stadler, ou Antony Deschamps, le traducteur de Dante, autre pensionnaire de la maison du Dr Blanche. Plus intimes, les fantômes des parents : Étienne Labrunie, le père médecin, Marguerite Laurent, la mère morte et enterrée en Silésie (un article distinct est dédié à la figure mythique de la « mère »), Antoine Boucher et Gérard Dublanc, les grands-oncles maternel et paternel. Et puis des femmes, des femmes aimées, des femmes rêvées, qu’elles fussent des personnes réelles, telles Sophie et Justine Paris de Lamaury, les jeunes filles de Saint-Germain-en-Laye, telles Marie Pleyel, George Sand ou l’épouse d’Arsène Houssaye, Stéphanie, morte trop jeune, qu’elles fussent des images fictives, fleurs chimériques écloses de l’imagination poétique, devenues légendaires — Adrienne, Myrtho, Sylvie, Pandora, Aurélia ou Zeynab, l’esclave javanaise du Voyage en Orient. Ne sont pas laissés dans l’ombre les écrivains qui furent des modèles, Cazotte, Goethe, Nodier, Restif, Rousseau, et quelques œuvres phares : Faust, Wilhelm Meister. Le dictionnaire fait revivre le monde théâtral de l’époque avec l’acteur Bocage, le mime Debureau, la chanteuse Jenny Colon (et cette lancinante question : Nerval l’aima-t-il ?). Surgit au fil des pages l’univers journalistique et éditorial : Gérard, condamné aux feuilletons pour survivre, fréquenta Jules Janin, Alphonse Karr, Émile de Girardin ; il eut pour éditeurs, Eugène Renduel, Victor Lecou ou Michel Lévy. Est arrachée à l’oubli la période de la Bohême galante et de l’impasse du Doyenné, en un vieux Paris bientôt détruit et reconstruit.

3Des entrées sont thématiques, « amour », « autobiographie », « mélancolie », « temps », et alors se dessine en creux une biographie, grâce à « critique dramatique », « domiciles », « politique », « souvenir » ou « mort ». Il faut croiser divers éléments pour avoir un panorama de tel ou tel aspect : pour « folie », on se reportera à « excentricité », « manie », « soleil noir », mais aussi « Esquirol », « Blanche » (Évariste et Émile) ou « Moreau de Tours ». On aurait aimé voir parfois figurer des articles à part entière, ainsi pour Swedenborg, cité aux termes « mesmérisme », « néo-platonisme » ou « ésotérisme » et « Les Illuminés » qui évoquent les soupers d’Ermenonville. On regrettera la mention indirecte pour Le Songe de Poliphile, ouvrage magique qui conforta Gérard dans sa passion des livres rares et des amours mystiques et qui est représenté seulement à travers « Francesco Colonna », son auteur, dont la personnalité constitua le centre d’un projet théâtral jamais abouti avec Hippolyte Lucas. Ces manques relèvent davantage de sélections que d’absences, d’ailleurs palliés par les recoupements.

4Cette mosaïque est un labyrinthe, où s’aventurer au cœur d’un univers empreint de mystère, de fantaisie et de douleur. À ce titre, cette marqueterie possède une vraie dimension romantique, fragment et totalité, que l’on aimera traverser de bout en bout, progressant dans la compréhension du poète, avec rigueur et objectivité, qualité promise par tout dictionnaire sérieux, mais non sans enthousiasme et émotion — à l’instar des innombrables travaux entrepris par Claude Pichois, dont on me permettra ici de saluer la mémoire, avec reconnaissance. Si ce livre a été le dernier, il témoigne de l’humilité de l’érudit qui s’efface toujours derrière son objet d’étude, en l’occurrence, Gérard de Nerval, élevé enfin au même sommet que le seul contemporain qui sut le juger « un écrivain » « d’une haute intelligence » « et qui fut toujours lucide » : Charles Baudelaire.