Acta fabula
ISSN 2115-8037

2006
Octobre 2006 (volume 7, numéro 5)
Valérie Jeanne Michel

André Breton, avec et sans jeu de mots

Gérard Gasarian, André Breton. Une histoire d’eau, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Objet », 2006.

1Connu en France pour un livre sur Bonnefoy (1986), un  livre sur Baudelaire (1996) et différents articles sur ces auteurs ainsi que sur Beckett, Gérard Gasarian enseigne la littérature française aux États-Unis. André Breton, une histoire d’eau a été terminé en 2002-2003 grâce à une bourse américaine. Comme dans ses enseignements, et à la suite de Gaston Bachelard, auquel il fait ouvertement référence, G. Gasarian adopte dans cet ouvrage une approche thématique (« méta-thématique » dit-il). Le titre du livre l’indique, il s’agit d’interroger une image : l’élément liquide, plus précisément le jet d’eau et la fontaine, tels qu’André Breton les introduit en tant que symbole(s) dans son œuvre. G. Gasarian évoque dans les pages introductives Jean Paulhan pour fonder sa démarche critique en direction d’un « autre sens qu’il convient de déchiffrer » et dégage l’image maîtresse à laquelle il va s’intéresser en se basant sur un passage-clef de Nadja, celui dans lequel A.Breton raconte comment il s’est souvenu d’un dialogue de Berkeley à la vue du jet d’eau des Tuileries. L’objectif de la démarche critique est de lire l’esthétique du poète : « Devant le jet d’eau qui le fascine, Breton est arrêté, ravi en extase, exalté par la figure de son pro-jet poétique. Ce qu’il voit, c’est ce qu’il fait, ce qu’il doit faire sans relâche ».

2Le passage spécifiquement consacré à la figure du jet est, dans le corps de l’ouvrage, donné à la fin des développements du premier chapitre, une fois dégagé le contexte biographique et émotionnel de l’introduction de la figure chez A. Breton. Le deuxième chapitre part du constat que le trait essentiel qui fonde son symbolisme est « une circulation hydraulique qui est l’image de certains échanges » et s’attache à pointer tout ce qui est de l’ordre de la « circulation » dans l’imaginaire et l’expérience du poète. G. Gasarian y rattache le primat accordé à l’analogie, le rapport surréaliste entre existence et poésie (va-et-vient entre eux) et son attention au retour des figures (insistance du même qui fait signe). Les développements qui suivent (chapitre 3) cherchent à montrer la conformité des effets de langage à cette esthétique de la « circulation ». Il revient dans cette perspective sur le point (« sublime ») de résolution des contradictions, l’écriture automatique, le travail sur les expressions « usées » et celui sur  l’aspect sonore des mots ainsi que sur la force reconnue au désir dans son ensemble. Le chapitre 4 poursuit l’analyse jusqu’à aboutir à l’idée d’union amoureuse des mots et introduit deux remarques nouvelles : que la pratique surréaliste de la métaphore relève plus de l’aporie que de l’analogie ; et que le point sublime a son envers. Les premières pages du chapitre « La chanson du guetteur », consacrées à l’engagement, ont un rapport plus distant à l’esthétique de la « circulation » que révèle la figure du jet – on la retrouve surtout dans les pages insistant sur la propension à la flânerie, retour perpétuel du promeneur sur ses pas, la vigilance et l’attente. Le dernier chapitre achève la synthèse en incluant à la réflexion le propos de Breton sur le rêve et les objets de rêve (c’est une sorte de « ballottage » que leur quête improbable suppose) ainsi que ce qui a trait à la notion d’échange et à la perception du temps.

3Le propos critique de G. Gasarian, et la lecture patiente qu’il requiert, prennent dans chaque chapitre la forme d’une balade, à travers Nadja et L’Amour fou essentiellement. L’on appréciera la synthèse que le texte donne de ce fait de l’imaginaire et de la pensée de Breton – ce qui prouve la pertinence du choix de la figure axiale. Autour de celle-ci se réorganisent la plupart des traits que l’on reconnaît à A. Breton, et à la pensée surréaliste qu’il a théorisée. L’étude de G. Gasarian en montre la cohérence tout en offrant une sorte de « plongée » dans le texte dont elle suit souvent la lettre. L’étudiant en tirera profit ; le chercheur relèvera l’usage de procédés souvent plus affirmatifs que démonstratifs et de concepts (« fond », « forme » ; « langage quotidien », « langage poétique »…) qui ramènent quelque peu à une méthodologie qui n’est plus aussi en pratique qu’elle a pu l’être par le passé en France.