Acta fabula
ISSN 2115-8037

2006
Printemps 2006 (volume 7, numéro 1)
Alain Sager

Du Sublime

Baldine Saint Girons, Le Sublime, de l’Antiquité à nos jours, Paris, Desjonquères, 2005, 251 p.  

1« Le sublime/Etendues marines à perte de vue/Coquilles sur l’estran/Féerie des métamorphoses/Lumière sèche, ouatée/Paix soudaine du soir/Amour affrontant la démence/Echange tir d’épées/Limbes béantes/Folie-sophie ». Il conviendrait sans doute que le lecteur commence la lecture de cet ouvrage par cet « Hymne au sublime » que Baldine Saint Girons a composé pour le clore. Car il en illustre parfaitement l’enjeu essentiel, à travers les conditions que l’auteur pose pour que le sublime naisse.  

2« Il faut que le sensible s’autonomise et se réarrange, de sorte que l’événement surgisse dans un monde nouveau, libéré des contraintes utilitaires et jouxtant l’éternité. Il faut, parallèlement, que le sujet se dessaisisse de son moi et de ses attaches imaginaires, qu’il prenne conscience, dans ce retrait, d’un désir intense de présence et éprouve cette présence à la fois comme évidence et comme quelque chose d’impossible à atteindre ». Ce que l’expérience de la « paix du soir » vécue à Syracuse illustre merveilleusement (p. 183).

3Rendant compte dans la Revue philosophique ( 2, mai 2004) de la traduction italienne du premier maître-livre de l’auteur (Fiat lux, Une philosophie du sublime), Françoise Armengaud annonçait le présent ouvrage en relevant ses deux idées-clés, à savoir une sagesse du sublime se hasardant « aux marches de la folie » (voir l’allusion à Erasme, p. 19) et « un usage contemporain possible du sublime ».

4De fait, le titre du livre ne rend peut-être pas pleinement justice à son contenu. Certes il nous propose, pour la première fois à notre connaissance, une véritable histoire du sublime, au sens génétique du terme. Avant l’examen de la tragédie, le sublime antique est d’abord convoqué sous les espèces de la paideia. Nous recommandons particulièrement les passages (pp. 20-25) dans lesquels l’auteur montre comment le « drame platonicien de la Caverne (…) un des textes les plus forts jamais écrits sur l’éducation » dénonce trois préjugés toujours actuels en la matière et leur oppose la « grande tradition du sublime qui fonde le rapport pédagogique sur la quête d’un ethos civilisateur qui dépasse l’homme, le motive et le métamorphose » (p. 179).

5 Suivent des chapitres rigoureux et vibrants notamment sur le sublime chrétien, le sublime chez Vico, et le passage du sublime héroïque au sublime terrible (Burke et Kant). Concernant le sublime romantique, puis « sublime et art moderne », deux passionnants chapitres convoquent aussi bien la peinture et la musique que la photographie, le cinéma ou la danse (« Penser, c’est danser avec les mots ; danser, c’est penser  avec des muscles, du sang, une peau », p. 137). Il est certain que les artistes, entre autres, y percevront une étroite résonance avec leurs aspirations et leurs desseins.  

6Mais en même temps, l’ouvrage est articulé autour de trois thèses fortes (pp. 184 et suiv.) qui lui confèrent, au-delà d’une rigueur méthodique irréprochable, toute sa fière audace. D’abord, le sublime n’est pas une banale catégorie. C’est un « principe » transcendantal (quoique non transcendant) : « grâce au sublime, le sujet s’ouvre à ce qui le clive et le dessaisit, non pas seulement de l’extérieur, mais du plus profond de lui-même ». D’où l’habilitation d’un art du sublime. « L’art est le sublime et ne peut être que cela » (p. 186). Nul doute qu’une telle affirmation appellera le commentaire et la discussion. Enfin, si le sublime se révèle comme « principe efficace de hiérarchie et d’analyse des œuvres », il débouche sur une possible « science du sujet », que le chapitre sur « Sublime, inconscient et sublimation » contribue à établir. « L’intérêt du concept de « sublimation esthétique », souligne fortement l’auteur (p. 173) , « est de fournir une bannière à la lutte contre le fétichisme social de l’art et l’attitude consommatoire », notamment « en effaçant la ligne de démarcation trop stricte qu’on tend à établir entre créateur et récepteur ». Indications riches de perspectives sur « le véritable travail esthétique ».  

7« Puissé-je donc avoir les yeux pers de la déesse de l’intelligence, de la fille de Zeus et de Métis, Athéna ! » souhaite Baldine Saint Girons à l’orée de son livre (p. 27). Puissions-nous encore bénéficier de nouveaux ouvrages où la vue « précautionneuse et oblique » de l’auteur continuera à nous dévoiler des horizons aussi novateurs qu’exaltants.