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Article publié
le 25 novembre 2019

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2019Novembre 2019 (volume 20, numéro 9)

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    Pierre-Élie Pichot

    Et al ? La grammaire inclusive, le genre neutre et leur usage

    Alpheratz, Grammaire du français inclusif, Châteauroux, Éditions Vent solars, 2018, 434 p., EAN 9782955211861.

    1Ce n’est pas le moindre des paradoxes que parmi les variantes linguistiques du français, celles proposées par le français dit « inclusif » engendre le plus de divisions. Une déclaration de l’Académie française du 26 octobre 2017 y voyait un « péril mortel » pour le français ; la même année, des sondages contradictoires établissaient, tantôt que 75% des Français·es y étaient favorables, tantôt que 85% y étaient opposé·es1. Quoi qu’il en soit, 12% seulement se sentaient capable de définir ce dont il s’agissait2.

    2La Grammaire du français inclusif d’Alpheratz3 compte parmi les ouvrages qui pourraient réparer cette ignorance4. Elle se donne pour ambition de faire connaître des variantes « inclusives » des formes du français traditionnel où le genre masculin, soit masque le féminin, soit s’impose là où l’expression du genre n’est pas motivée5. Cet exposé doit permettre, explique Philippe Monneret dans sa préface, de juger du français inclusif sur pièce plutôt qu’à travers ses déformations médiatiques6. Pourtant, la méthode à la fois plus systématique et plus expérimentale d’Alpheratz porte une ambition bien différente : elle est davantage force de proposition que description d’un corpus.

    3Les travaux d’Éliane Viennot ont habitué notre sentiment linguistique à la féminisation des noms et des adjectifs (« professeuse », « autrice », « inventeresse »…). Ainsi, ce qui étonne d’abord dans cette Grammaire du français inclusif, c’est plutôt la poésie des formes du genre neutre, exposées habilement au début de l’ouvrage, avant même les pages de définitions et de théorisations du genre neutre lui‑même. Si certaines sont tirées d’un corpus numérique collecté ad hoc7, la plupart sont déduites de la systématisation des principes ayant présidé à leur formation. Certaines formes neutres ont un visage féminin (« Afghaine », « assassaine »…8) ; d’autres portent des suffixes qui rappellent l’anglais (« écrivan », « nouval »…9). D’autres enfin semblent radicalement irrégulières (« certæn », neutre de « certain » ; « bial », neutre de « beau »10). Surtout, beaucoup ressemblent, comme le signale l’autaire al‑même, à des formes d’ancien français : « maréchalx » (neutre de « maréchal »), « compaing » (neutre de « compagnon »), « diex » (neutre de « dieu » et « déesse »)…11, voire du latin : « dux » (neutre de « duc » et « duchesse »)12, sans doute pour la raison qu’en ancien français, l’expression du genre est plus aléatoire qu’en français moderne13.

    4Il est bien sûr permis de trouver à certaines de ces propositions un caractère « byzantin et contraint »14, comme le fait Danièle Manesse. Comme l’écrit Gilles Siouffi, les formes du français inclusif sont « ludiques peut‑être, créatives ou “artistiques”, pourquoi pas – en tant qu’étranges ou intrigantes, sans aller nécessairement jusqu’à un jugement esthétique –, pleines de bonnes intentions, certainement ; mais commodes, sans doute pas »15. Quoi qu’il en soit, la Grammaire du français inclusif est donc emblématique d’une « époque d’expérimentation intense » autour de l’écriture inclusive16 ; l’on peut également y voir la preuve que les humanités numériques sont une source majeure de renouvellement des structures et des styles de la vie intellectuelle française. L’on aurait tort, d’ailleurs, de lire l’élaboration de variantes inclusives en françaisseulement comme l’écho lointain des expérimentations anthropologiques portées par le mouvement queer américain, ne serait‑ce que dans la mesure où la question de l’effacement du genre féminin ne se pose guère dans la grammaire anglaise et que les débats français sur l’« inclusive writing » suscitent l’étonnement des observataires anglo‑saxonz17.

    5Dans le détail, les pages théoriques de l’ouvrage sont parfois moins convaincantes que ses habiles propositions pratiques. La relation entre les rapports de genre dans la grammaire et dans la société françaises est solidement décrite, d’après les analyses de Ph. Monneret, comme un rapport d’« iconicité diagrammatique »18. Dès lors, l’autaire définit le français inclusif comme « l’ensemble des variations langagières fondées sur le rejet d’une hiérarchie entre les représentations sociales ou symboliques qui sont associées aux genres grammaticaux »19, à quoi l’on pourrait ajouter, au vu de l’introduction du genre neutre, le rejet de la binarité des genres grammaticaux masculin et féminin. Toutefois, la Grammaire d’Alpheratz protège l’audace des propositions visant à mettre en œuvre ces rejets par un emploi problématique de la notion d’« usage » : « seule la communauté linguistique francophone a le pouvoir de faire entrer ou sortir des unités ou des principes linguistiques dans l’usage »20. Or, dans la masse des formes féminines et neutres mises en avant dans l’ouvrage, bien peu sont illustrées par des exemples, et il n’y en aurait presque aucune si les hapax n’étaient pas ici considérés comme des usages21. Plus d’une fois, l’autaire cite sa propre prose22, ce qui (combinæ à une conception maximaliste de l’« usage ») lui confère une sorte de regrettable omnipotence linguistique. Du XVIIe siècle à nos jours, cet « usage », dont la grammaire fait si grand cas, permet d’opposer la langue française publique aux caprices particuliers des accapareurs de langues (les rois, l’Académie…), comme l’a montré Hélène Merlin‑Kajman23. L’utilité publique de ce concept est perdue si l’on y inclut indifféremment toute occurrence linguistique et les hapax, qui sont par définition les produits du particulier, au lieu de s’en tenir à « l’usance commun de parler » que défendait Pantagruel.

    6Il est vrai que, comme le remarque encore Gilles Siouffi, le caractère « commun » du « bon usage » est aujourd’hui diffractée en une pluralité d’usages linguistiques24, correspondant sans doute à ce que l’on appelle parfois l’archipel français, c’est‑à‑dire la fragmentation de ses « publics » – sans même parler de l’ensemble de la francophonie. Ainsi, quoique « le sentiment d’une lacune dans l’expression de l’identité de genre en français standard »25 semble répandu, sa résolution par des formes de genre neutre demeure marginale, au point que la plupart des caractéristiques du français inclusif présentées dans l’ouvrage ne nous semblent pas relever de l’usage26. Ainsi, quoique le locutorat inclusif soit « trop varié pour constituer un “groupe social” »27 (comme l’écrit Alpheratz), il ne l’est pas encore assez pour constituer un groupe éthique ou « diaéthique »28. Ne pourrait‑on pas plutôt l’appeler « utopique » ? Car somme toute, la Grammaire du français inclusif pourrait bien constituer une grammatisation de l’utopique « société sans sexe » défendue par Monique Wittig29.

    7Le travail théorique ne fait donc que commencer, et il n’est pas jusqu’à l’expression de « genre neutre » qui ne soit contestable (ne faudrait‑il pas plutôt parler de « genre commun », comme l’envisage un instant Alpheratz, dans la mesure où les mots neutres désignent potentiellement les deux genres à la fois plutôt qu’aucun des deux ?30). Ouvrir le débat avec inventivité et intrépidité est l’une des grandes qualités de l’ouvrage. Le genre neutre que présente cette grammaire permet aussi d’entrer au cœur de la fabrique du genre grammatical, et fait entendre al locutaire francophone que, comme l’écrivait Judith Butler lors d’un échange à propos de l’inclusivité, « all identities fail to be fully structured »31.

    notes

    1  Alexis Vintray, « L’écriture inclusive rejetée par une majorité des Français », Contrepoints, 25 novembre 2017, et Arièle Bonte, « Écriture inclusive : 75% de la population française y serait favorable », RTL, 18 octobre 2017.

    2  Ibid.

    3  Alpheratz est le pseudonyme neutre (mêlant les pronoms neutre et féminin « al » et « her ») choisi par l’autaire pour ses écrits et son enseignement portant sur le genre neutre. Nous emploierons dans cette recension les formes expérimentales du genre neutre proposées par Grammaire du français inclusif pour donner une idée de leur lisibilité al lectaire.

    4  En 2016, pour n’en citer qu’un autre, paraissait Le manuel du genre. Féminin‑masculin, ou comment décrypter les rôles et comportements des sexes et des genres et féminiser ou masculiniser à tout vent, de Patricia Niedzwiecki (Bruxelles, Irdecof), qui se donnait pour objectif d’expliquer aux enfants et aux parents, avec simplicité et pédagogie, comment parler et écrire le français inclusif. Parmi les ressources qui permettent de faire entendre le genre féminin là où il tend à s’effacer en français, l’autrice encourageait à réemployer des formes le plus souvent oubliées : « chauffarde », « colonelle », « inventrice »… (p. 52‑58), voire à admettre certaines formes féminines et pleines de poésie inventées spontanément par les enfants francophones (« Les enfants avec qui je travaille m’appellent également par exemple “écriveuse”, “autrice”, “écrivante” », p. 90).

    5  La tournure impersonnelle « il pleut » est ainsi remplacée, en français inclusif, par « al pleut » (qui sollicite un « pronom neutre » : Alpheratz, Grammaire du français inclusif, Châteauroux, Vents solars, 2018 [GFI], p. 50). Déjà en 2016, P. Niedzwiecki notait à propos des verbes impersonnels : « on peut se poser la question : pourquoi le pronom “il” a‑t‑il été préféré ? » (op. cit., p. 73). À ce compte, ne faudrait‑il pas également éliminer le genre arbitraire des noms communs d’objets inanimés et de concepts abstraits ?

    6  GFI, p. 7.

    7  Sur son site https://www.alpheratz.fr/, lu grammairian invite les internautes à envoyer leurs exemples de textes rédigés en français inclusif.

    8  GFI, p. 96 et 151 respectivement.

    9  GFI, p. 91 et 113 respectivement.

    10  GFI, p. 113. Il est significatif que « bial » soit la forme arpitane du français « bief » telle qu’elle est suggérée par Dominique Stich dans sa thèse Francoprovençal. Proposition d’une orthographe supra‑dialectale standardisée, dirigée par Henriette Walter, soutenue le 28 juin 2001 à l’Université Paris‑Descartes, p. 244. Les formes du français inclusif s’approchent quelquefois de variantes dialectales réinventées.

    11  GFI, p. 95 et 140 respectivement.

    12  GFI, p. 184.

    13  En ancien français, « les sujets parlants ne tiennent pas pour absolument contraignantes les concordances de genre, de nombre ni même de personne dans les opérations de rappel. On étend “il(z)” à la référence féminine […]. En 1500, la poussée de “il(z) ” féminin semblait irrésistible […]. Or le XVIe siècle a déjoué l’attente en rejetant “ilz sont belles” », Gaston Zink, Morphosyntaxe du pronom personnel…, 1997, cité dans GFI, p. 213.

    14  Danièle Manesse, « La langue à tous ses niveaux face à l’écriture inclusive », dans Danièle Manesse et Gilles Siouffi (dir.), Le féminin et le masculin dans la langue. L’écriture inclusive en question, Paris, ESF / Cahiers pédagogiques, 2019, p. 51.

    15  Gilles Siouffi, « L’écriture inclusive : question d’usage ou question d’autorité ? », dans Le féminin et le masculin dans la langue, op. cit., p. 28.

    16  Ibid., p. 29.

    17  Voir par exemple Henri Astier, « ‘Sexist’ inclusive writing row riles France », BBC News, 23 novembre 2017. En anglais, la question d’une langue inclusive concerne seulement l’usage des pronoms : ainsi le « LGBT Resource Center » de l’université du Wisconsin propose à quiconque ne voudrait pas être identifié·e comme un homme ou une femme une gamme de pronoms à mettre en usage par les camarades et personnels de l’université, allant de « they » à « ey », « æ », « ve » ou « xe ».

    18  GFI, p. 45‑47.

    19  GFI, p. 50.

    20  GFI, p. 17. Maria Candea et Laélia Véron ont tenu cette année un propos similaire dans Le français est à nous ! Petit manuel d’émancipation linguistique, Paris, La Découverte, 2019.

    21  L’autaire nous assure que les occurrences manquantes ont été relevées depuis la publication de l’ouvrage et seront intégrées à sa deuxième édition, ainsi qu’à la thèse d’Alpheratz, en préparation à Sorbonne Université.

    22  En particulier le roman Requiem, éd. Createspace, 2015.

    23  C’est en effet le sens de la réhabilitation de Vaugelas par Hélène Merlin‑Kajman dans La langue est‑elle fasciste ? Langue, pouvoir, enseignement, Paris, Seuil, 2003, p. 141‑143. L’usage prend de court les institutions monarchiques pour leur opposer la force du public. H. Merlin‑Kajman va jusqu’à parler d’un « tyrannicide linguistique » à propos de la grammaire du « bon usage », qui serait annonciatrice de la Grande Révolution.

    24  Gilles Siouffi, art. cit., p. 33.

    25  GFI, p. 56.

    26  Fort peu de pages sont consacrées aux procédés les plus courants du français inclusif : accord de majorité, redoublement des flexions… On peut regretter aussi que les tentatives de contournement du « sexe de la langue » antérieures à l’ère numérique, comme l’emploi du pronom « on » dans L’Oppoponax de Monique Wittig (Minuit, 1964, cité p. 31) ou les inventions lexicales d’Hélène Cixous, soient citées uniquement comme la préhistoire du français inclusif : « avant de construire de nouveaux termes et d’émerger dans la littérature des années 2000, l’inclusivité en langue se traduit par des tentatives d’évitement de cet emploi générique du masculin ». Le français inclusif des livres imprimés est pour ainsi dire évacué de l’étude systématique d’Alpheratz. Enfin, le néologisme le plus fréquent du français inclusif, à savoir le pronom sujet « iel », ne fait pas l’objet d’une grammatisation poussée dans l’ouvrage, qui lui préfère le « système al » (un tableau complet et facile d’emploi de pronoms neutres en a-, adaptés à tous les postes syntaxiques). Comme le signale l’autaire, « al » était un pronom indéfini de genre neutre en ancien français : « oncques ne fis al » (GFI, p. 211).

    27  GFI, p. 58.

    28  Comme le voudrait la GFI, p. 57. On pourrait aussi remarquer qu’étudier un matériau linguistique presque exclusivement numérique exclut du « français inclusif » les locutaires situæs du mauvais côté de la fracture numérique.

    29  Monique Wittig, « On ne naît pas femme », dans La pensée straight, Amsterdam, éd. Sam Bourcier, 2018, p. 58.

    30  GFI, p. 275.

    31  Dans Judith Butler, Ernesto Laclau et Reinaldo Laddaga, « The uses of equality », Diacritics, vol. 27, n° 1, 1997, p. 10. C’est en effet la contingence de l’identité qui fonde le public dans la différence, et l’égalité dans l’inclusivité : toutes choses inégales par ailleurs, chaque citoyan est également incomplètement construix, comme le résume Ernesto Laclau, p. 9.

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    mots clés

    Français inclusif, Genre neutre, Grammaire inclusive, Linguistique

    auteur

    Pierre-Élie Pichot

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    Courriel : pierreelie.pichot@ens-lyon.fr

    pour citer cet article

    Pierre-Élie Pichot, « Et al ? La grammaire inclusive, le genre neutre et leur usage », Acta fabula, vol. 20, n° 9, Notes de lecture, Novembre 2019, URL : http://www.fabula.org/revue/document12491.php, page consultée le 26 janvier 2021.

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